When in Rome

Chapitre 5 : Cinq sur cinq

2940 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/08/2020 17:30

PARTIE 2 - Where do we go from here?

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Chapitre 5 : Cinq sur cinq


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Rome, le 2 décembre 2036

Mon cher Spike,

Une des étapes pour aller mieux est la reconnaissance de ses erreurs, et cette lettre ne vient que pour te demander humblement pardon. Je n'imagine pas que tu puisses me l'accorder pour autant. Ni même ta petite-amie (Willow m'a appris que tu en avais une). Je t'ai sûrement causé des problèmes avec elle, car je n'ai pas pensé un seul instant à te demander si tu voyais quelqu'un.

J'ai été vraiment idiote de croire qu'en me jetant à ta tête de cette façon, et ce qui est pire, en utilisant ta culpabilité et tes sentiments pour Buffy, je pourrais oublier mes propres petits soucis. Ma vie a été si privilégiée par rapport à l'existence trop éphémère des Tueuses. J'ai honte de n'avoir rien su faire de beau de cette liberté.

Je suis heureuse que tu parles toujours à Maya sans lui tenir rigueur de mes actes. Pour ton info, Andrew a décidé de l'accompagner dans ses démarches, puisqu'elle s'entête à vouloir rencontrer son père pour ses seize ans. En ce qui me concerne, je préfère attendre et me concentrer sur mon rétablissement.

Je vois un thérapeute trois fois par semaine mais il me dit qu'à la rentrée, le rythme des séances pourra diminuer. Je compte reprendre à temps partiel à l'Ecole des Tueuses au service Documentation comme autrefois. Et puisque je suis obligée de fouiller mes fonds de tiroirs pour examiner les envies auxquelles je n'ai pas su donner une chance, j'ai aussi décidé de me remettre au dessin et à la peinture.* Peut-être que je pourrai faire comme Maman, plus tard, et avoir une galerie ? Mon thérapeute m'encourage à avoir des projets à moyen terme et je n'ai rien trouvé de mieux. C'est compliqué de répondre à la question "Dans quoi excellez-vous ?". Puis-je vraiment répondre "Ouvrir des portails trans-dimensionnels vers des mondes désagréables ?" :-)

Porte-toi bien.

Amicalement,

Dawn

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Spike froissa la feuille de papier entre ses doigts rageurs avant de balancer la boule contre le mur impassible. Ce dernier surplombait sans broncher les précédents échecs de communication agglutinés à son pied. Pour la cinquième fois, la lettre que le vampire essayait d'écrire venait de finir au panier (ou à côté).

Il avait du mal à se concentrer sur les jolies phrases polies qu'il voyait danser sur la lettre qu'il avait reçue et parcourue avec une fébrilité neuve. Il avait du mal à ne pas écrire tout haut ce qu'il aurait dit… tout haut, en le pensant très franchement. Il avait du mal tout court.

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L'insectoïde, le 8 décembre 2036

Ma chère Dawn,

Tu n'as rien à te faire pardonner. Si j'avais su être plus à l'écoute il y a des années, rien de tout cela ne se serait produit. Et tu ne serais pas désolée à devoir me demander pardon… pour avoir souffert.

Puisqu'il n'existe pas de psys pour les vampires, j'irais bien poser deux-trois questions au tien. Je repense souvent à ce que tu as dit… Que tu ne me crois pas capable de vivre pour moi-même… Ce n'est pas que je ne sais pas me débrouiller. Je suis déjà beaucoup plus doué que la plupart de mes congénères pour me passer d'une bande… Mais c'est vrai qu'avant d'être vampire, j'étais déjà membre du cercle des poètes à faire disparaître – une déplorable engeance incapable de rien exprimer sans la miséricorde d'une muse…

S'il ne m'était pas interdit de te voir, par tout un tas d'importuns qui trouvent que c'est « trop tôt » ou « mieux pour toi de m'éloigner un temps », il y a une chose dont j'aurais aimé parler avec toi, même maladroitement, et qu'il n'est pas possible de raconter dans une foutue lettre impersonnelle.

Cela s'est produit quand Will a essayé de me guérir. Je ne suis pas sûr qu'elle ait réussi parce que tu me manques. Je suppose que ça non plus je ne dois pas le dire…

J'espère que tu vas aller mieux. Au moins un sur deux, ça fait une bonne moyenne.

Pour être encore plus honnête, ça m'énerve que tu sois obligée de voir ce guignol qui remue tes souffrances en te faisant pleurer alors que pour le même prix, tu pourrais te payer les services d'un autre genre de professionnel, qui te ferait beaucoup plus de bien par où il passe… Ok ce n'est pas politiquement correct ce que je te dis là. Mais je crois que tu as seulement besoin d'un homme qui t'aime, te le dise et te le prouve. Trois fois par semaine ou plus si affinités. 😛 (Ta fille m'a appris les émoticônes ; il n'y a pas de vampire hilare et je suis offensé).

N'y a-t-il pas un homme intéressant avec qui tu pourrais sortir ? (Pas Angel, s'il te plaît). Quelqu'un avec qui tu partagerais des intérêts et qui comprendrait ton milieu ? J'ai eu des échos par ta fille comme quoi tu aurais dit à Harris que tu ne voulais pas d'un "Riley" – et tu as bien raison. Personne de sensé n'aurait envie d'un petit soldat misogyne avec autant d'insécurités – mais peut-être que tous les Observateurs ne sont pas comme ton mari ou Giles ?... Je pense que tu aurais pu sortir avec Wesley s'il ne s'était pas fait bêtement dézinguer comme un couillon. C'était l'Observateur de Faith. Au début, c'était un crétin fini, mais après quelques années, il était devenu presque fréquentable…

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Spike s'arrêta d'écrire soudainement et contempla sa calligraphie d'un œil critique. Non, ce n'était probablement pas le genre de choses à dire à quelqu'un d'aussi fragile…

Il raya la mention où il lui disait qu'elle lui manquait.

Il raya aussi la partie où il sous-entendait que sa cure ne donnerait rien…

Puis la partie où il parlait de lui et des muses.

Puis il déchira la feuille avec emportement et souffla sur les morceaux de papier qui allèrent rejoindre les autres. Il était en colère parce qu'il avait commencé par éliminer la seule phrase importante.

Celle où il disait qu'elle lui manquait.

L'aveu même était pénible. Quelque chose avait dû sûrement mal tourner dans le rituel de séparation que Willow avait accompli, car il ne sentait guère soulagé mais avec au contraire un besoin croissant de la voir, de sentir encore contre lui son corps si suave. Le traitre dans sa poitrine serait en train de battre à tout rompre, s'il avait pu le faire.**

Et c'était si niais que Spike en avait la nausée et des répliques amères au bord des lèvres.

« Et revoilà le grand méchant Spike » avait grincé Dawn. « Celui qui sort les griffes quand on tente de l'approcher ». La pauvre enfant. Si elle savait que le grand méchant Spike n'était jamais de repos !

La sonnerie de son communicateur l'arracha à ses pensées moroses. Le pseudo bien connu de « Cinq Sur Cinq » s'afficha en face d'une petite enveloppe indiquant un message. Il savait ce que ça voulait dire d'avance. Certes, c'était la solution de facilité : décharger sa frustration sur des démons divers et variés. Noyer tout dans l'ivresse de la violence gratuite ? Que pouvait-il faire d'autre ?

CinqSurCinq

Salut Spike ! Je suis sur un gros coup à Cleveland et je ne dirais pas non à des bras supplémentaires. Tenté par un bon petit carnage pour te défouler sur des vilaines bestioles ? Question de pure forme. Je sais que tu l'es. Appelle-moi. Faith

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Le pavé était mouillé et glissant mais la bruine lourde et collante ne semblait pas la déranger. Cela faisait un moment qu'il l'observait se battre, pas trop ostensiblement, car il était occupé également de son côté avec deux ou trois démons Fyarl. (Malheureusement, cette fois, il ne s'agissait pas de Giles auquel on aurait balancé un mauvais sort). Pour tout dire, ces gars-là l'énervaient médiocrement et il aurait nettement préféré pouvoir s'asseoir peinard sur un muret et juste apprécier le spectacle de Faith aplatissant les mochetés.

Il n'y avait pas à dire, elle avait encore un certain style. Un tout petit peu plus jeune que Buffy, Faith était la dernière des Tueuses de vampires "appelées" en première ligne par la mort d'une consœur. Elle devait avoir maintenant pas loin de cinquante ans, mais elle n'avait pas changé d'un pouce dans sa tête. Toujours provocatrice, toujours à prendre son pied sur la moindre baston, si le sourire qui flottait sur ses lèvres était un tant soit peu révélateur. La der des ders de "l'Ancien Régime" n'avait abandonné ni les débardeurs, ni les pantalons de cuir, ni les lèvres trop rouges…

— Hey, Spikey, lança-t-elle d'un ton caressant. Il y en a…

Elle évita souplement un coup de poing vicieux, avant de faucher les jambes de son adversaire d'un coup rotatif qui l'envoya au tapis.

— … deux qui essaient de s'échapper à neuf heures. Chope-les-moi pendant que je finis celui-là, tu veux ?...

Laissant son Fyarl s'effondrer en crachant ses poumons, Spike ignora les deux pauvres démons couards qu'on lui désignait et qui se carapataient en pleine terreur. Il préféra contempler la mise à mort du malheureux sur lequel Faith venait de tomber comme la misère sur le pauvre monde. L'encageant entre ses cuisses de fer, elle tira d'un même mouvement les deux lames scythes qu'elle portait dans son dos, avant de les descendre à la vitesse de l'éclair sous le menton du démon et d'effectuer un cisaillement sinistre qui le décapita.

Belle façon de mourir, songea froidement le vampire. Chevauché par l'un des plus beaux avatars de Kali qu'il lui ait été donné de voir… Certains jours, il l'avouait, certains jours pires que les autres, il n'aurait pas dit non.

Sans les rides dures au coin de sa bouche et la longue cicatrice blanche qu'elle arborait fièrement en travers de la joue, elle ne faisait pas son âge. Le seul détail qui le trahissait, c'était qu'elle s'aidait des deux lames pour se remettre debout.

— Mais quoi ? Qu'est-ce que t'as fait ? protesta-t-elle de sa voix fallacieusement féminine. Ils ont filé ? Viens, on leur court après…

— Ils avaient leur compte, regimba Spike en venant lui tendre la main pour l'aider à se relever.

Maintes fois, il l'avait revue exécuter le célèbre coup de reins qui lui permettait de se remettre sur ses pieds d'un geste quand elle était à terre. Elle le faisait encore un peu pour impressionner la galerie et les méchants. Mais là, elle n'avait plus de public et ne voyait pas l'intérêt.

— Ils avaient peut-être leur compte, mais moi pas ! J'ai encore envie d'un peu d'action, soupira-t-elle d'un air gourmand en mimant quelques punchs exécutés comme la boxeuse aguerrie qu'elle était. Et toi ? Tu patrouilles encore un peu où tu veux rentrer te coucher avec un bon grog et une couverture sur tes jambes ?

— Arrête ! Celle-là je la sortais déjà pour emmerder Angel au siècle dernier…

— Je sais, c'est lui qui m'a raconté ! admit-elle avec un éblouissant sourire. Vous en êtes où tous les deux, maintenant ? Fâchés ? Réconciliés ? Re-fâchés ? J'ai un peu de mal à vous suivre…

— Re-fâchés, j'imagine.

— Ah, c'est le truc avec Dawn… C'est vrai ce qu'on raconte ?

Son humeur s'assombrit aussitôt. Il n'avait pas la moindre envie d'en discuter avec quiconque et surtout pas avec Faith... Il haussa les épaules et mit les mains dans les poches de son manteau long en shootant dans une canette vide qui l'énervait, à rester plantée là, pour écouter cette conversation stupide qui ne la regardait pas.

— Angel et moi, on n'a pas réellement besoin de vrai motif pour ne pas se supporter, tu sais.

— Sans doute. Mais du coup, t'as mordu Dawn ou pas ? Est-ce que tu l'as convertie ?

— C'est quoi ta vraie question ? maugréa-t-il. Parce que je pense que le téléphone arabe t'aurait déjà prévenue si elle était devenue une vampire flippante aux pouvoirs inconnus…

— Tu marques un point. C'est juste que dans le temps, tu disais que te taper une Tueuse était bien meilleur que de la saigner à blanc. Je me demandais si te taper la sœur d'une Tueuse morte était tout aussi excitant… Dawnie aime donc les trucs sado-maso, elle aussi ?

En réponse, Spike sortit les crocs et le reste de son masque instantanément.

— Je te conseille de fermer ta gueule, si tu ne veux pas que j'ajoute une dernière Tueuse morte à mon petit palmarès. Tu ferais très bien la cerise sur le gâteau.

A son regard noir, Faith vit qu'il ne plaisantait pas du tout et qu'aucune trace d'humour, même malveillant, ne brûlait au fond de ses prunelles. Elle ne se départit pas de cette tranquille assurance qu'avaient toutes ses congénères, sûre de sa force, sûre de sa supériorité sur toutes les Créatures de la Nuit. Il se méprit sur le sens de la sérénité qu'elle affichait.

— Mhh, mais c'est que tu la défendrais presque… T'en pincerais pas pour elle, toi ? Ha ! Qui aurait cru ça ? remarqua-t-elle en secouant ses mèches brunes striées de blanc. Mais sinon, vas-y dis-moi, c'était comment ? Il paraît que toute la faune des quartiers chauds de Los Angeles lui est passée dessus à une époque, ça doit forger l'expérience…

— T'inquiète, ça fera toujours beaucoup moins que sur toi ! rétorqua-t-il d'un ton fielleux.

Mécontent de ne pas parvenir à se distancer de ses provocations (une aptitude qui était pourtant son fonds de commerce ET la recette de sa survie), le vampire blond s'approcha lentement mais pas prudemment, avec un rictus glacial. Il ne retira même pas les mains de ses poches, histoire de bien montrer qu'il ne la craignait pas – alors qu'elle était armée d'un tas de trucs pointus très dommageables pour sa santé…

— Tu veux vraiment savoir ? questionna-t-il d'une voix trop calme

Il avait les yeux fixés sur ses lèvres au gloss cerise et très conscient qu'elle était toujours notoirement excitée dès qu'elle venait de massacrer quelque chose.

— Évidemment ! acquiesça-t-elle d'une moue mutine. Sois pas chien, raconte !

Avec un pas de plus, le vampire caressa du dos de l'index le cou de la Tueuse où battait la veine et il lui murmura en confidence à l'oreille très exactement ce qu'elle avait dit pour le laisser dépité, envieux et frustré, des années auparavant. Elle s'était fait passer pour Buffy et avait tenté de le séduire à cette occasion – si on pouvait appeler ça séduire :

— Allons, tu ne devines pas ? Mais elle m'a chevauché à grands coups de reins si brutaux que j'étais à moitié dans les pommes et incapable de tenir debout après. Entre les cuisses, elle a des muscles que t'imagines même pas… Et elle m'a serré la queue si fort que j'aurais pu exploser façon bouchon de champagne. J'ai tellement joui que je la suppliais de continuer encore. Et tu veux savoir pourquoi je l'ai laissée faire ? Parce que c'était mal ! ***

Sa tirade ne réussit qu'à provoquer un éclat de rire joyeux, probablement très sincère.

— Mhh, je me sens flattée que tu puisses toujours me citer pratiquement au mot près ! Mais c'est vieux tout ça. T'as vraiment la mémoire longue et la dent dure, Spikey.

— Tu as raison. Tout est long et dur chez moi, Faithy. Demande à Dawn à l'occasion… susurra-t-il d'un ton narquois.

Il pivota sans plus de façons. Elle le regarda s'éloigner tranquillement pour se fondre dans la nuit poisseuse de Cleveland dont les rues ne seraient définitivement pas sûres pour les démons qui se seraient aventurés à sortir imprudemment de sa Bouche de l'Enfer. Elle cria vers lui mais elle connaissait déjà la réponse et l'anticipait avec un coin de sourire amusé.

— Bon. Je suppose que ça signifie que je vais voir Wood toute seule alors ?

Spike aurait bien répondu qu'il emmerdait ce connard arrogant de Robin Wood, mais se contenta d'un doigt tendu bien haut qui restait éloquent, même exécuté de dos.

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Notes de l'auteur

* Au lycée, Dawn suivait des cours d'arts plastiques, mais la seule fois où on l'a vue en classe, c'était quand on est venu lui annoncer que sa mère était décédée. On imagine bien qu'elle a pu abandonner ce cours ensuite.

** There's a traitor here beneath my breast, if my heart could beat it would break my chest (Rest in peace / Once more with feelings)

*** Reprise d'un mémorable discours de Faith en saison 4 alors qu'elle se fait passer Buffy, et s'amuse à salir son image vertueuse et joue les allumeuses. Réalisant aux réactions de Spike qu'il est en fait très attiré par celle qu'il aurait dû tuer, elle évoque avec indécence ce qu'elle lui ferait s'ils couchaient, avant de le planter là, minaudant qu'elle « ne le ferait pas parce que c'était mal ».

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