When in Rome

Chapitre 62 : Associations de malfaiteurs

4421 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/05/2022 11:10

Chapitre 62 Association de malfaiteurs


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Sunnydale, Californie, 21 juin 2003

Elle entendit d'abord une sorte de sifflement à ses oreilles. L'instant d'après, elle réalisa en sentant une douleur à l'arrière de son crâne et entre ses omoplates qu'elle gisait par terre. Le son semblait aigu et atténué. Elle parvint à peine à dessiller les paupières et voulut tourner la tête pour essayer de voir d'où ça provenait, mais ce simple mouvement lui fit atrocement mal. Il y avait un caillou qui la blessait haut sur sa nuque. En essayant de le dégager, elle découvrit que tout son corps lui faisait mal, et que pour parachever le tout, même en ouvrant grand les paupières, elle n'y voyait rien du tout.

L'idée qu'elle puisse être aveugle la traversa de part en part, en déclenchant une onde de peur qui se commua presque en panique. Elle geignit faiblement et puis toussa quand quelque chose comme de la poussière ou du sable lui tomba une pluie fine sur le nez. L'air épais lui desséchait les muqueuses. Elle toussa encore. Au prix d'efforts qui lui déchiraient les muscles des bras, elle les leva prudemment pour tâtonner au-dessus d'elle et réalisa que son impression première était fausse : il y avait de l'espace en haut et sur les côtés, suffisamment pour qu'elle ne sente rien sous ses doigts.

En procédant avec la plus grande précaution, elle essaya de se redresser et dû s'y prendre à plusieurs fois, mais quand cela fut fait, et qu'elle ne rencontra que du vide sans se cogner à rien, elle passa les mains sur elle à la recherche d'une éventuelle blessure, ses jambes bougeaient normalement, il ne restait plus qu'une seule tennis. A l'arrière de son crâne, elle sentait du sang poisseux mais il ne coulait plus. Posant le menton sur les genoux, elle les entoura de ses bras, le dos rond, en essayant de respirer lentement pour se calmer.

Avec sa faiblesse actuelle, elle savait qu'elle n'arriverait pas à tenter quoi que ce soit pour l'instant et se contenta donc de respirer le plus lentement possible car ainsi, cela ne lui faisait pas trop mal aux côtes. Pour ce qu'elle en savait, elle était entière, vivante et…

Un ricanement nerveux la secoua.

…et peut-être pas pour très longtemps.

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Qui savait combien d'air il lui restait dans cette cave dont elle ignorait encore les dimensions ? Si ce n'était pas l'asphyxie, dans combien de temps commencerait-elle à souffrir de déshydratation et de faim ?

En elle, la peur et la rage se mêlèrent. Tout ça pour ça ? Avoir survécu miraculeusement pour un sursis de quelques heures seulement, peut-être ? Ses doigts picotaient comme si des aiguilles s'y enfonçaient profondément. Elle les aurait bien essuyés sur sa jupe mais tous ses vêtements étaient couverts d'une matière fine et friable, comme de la sciure minérale. Essayer de s'épousseter lui déclencha une quinte de toux et son dos lui fit mal à nouveau. Et si elle avait une blessure interne ? Une côte cassée ?

Un cri rageur autant que désespéré se fraya un chemin entre ses cordes vocales irritées par la poussière. Des larmes creusèrent des sillons salés dans le plâtre qui la recouvrait et elle les lécha immédiatement pour ne pas perdre la moindre goutte de liquide, même si c'était dérisoire.

— Hey, toi. Tu m'entends ?

Elle tendit l'oreille. Avec le sifflement qui lui vrillait encore les tympans, elle n'était pas certaine que ce ne fût pas une hallucination auditive. Elle tourna la tête de tous les côtés sans parvenir à trouver de quelle direction venait la voix, comme de nulle part et de partout à la fois. Trop brusque, le mouvement occasionna un violent vertige inopiné, suivi d'une nausée abominable. Même en fermant les yeux, les notions de spatialité, de haut ou de bas n'eurent plus la moindre signification pendant qu'elle se sentait comme avalée par une essoreuse en furie.

— Qui est là ? croassa-t-elle tant bien que mal pendant qu'elle découvrait avec surprise qu'elle était de nouveau allongée dans les débris.

Un rire narquois lui répondit.

— Ton sauveur.

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Un Spike sous pression avait appelé en visio son psy californien pour évoquer les derniers développements de sa vie pathétique. Comme à l'ordinaire celui-ci s'était contenté d'un regard brun imperceptiblement amusé sous son crâne chauve, ce qui avait rendu le vampire maussade sans l'empêcher de vider son sac.

Canaan ne le jugeait pas – ou du moins, n'en avait pas l'air – et le vampire déprimé voulait bien reconnaître que ça le changeait. Les questions de l'analyste n'avaient fait que souligner sa confusion. Lorsqu'il lui avait demandé comment se passait la communication avec Dawn, l'embarras avait cru. Spike avait avoué qu'elle semblait très mal à l'aise face à l'annonce de leur statut relationnel « différent ».

Il oubliait que les sentiments de Dawn s'étaient révélés à elle bien plus tard, et qu'à l'âge qu'elle pensait avoir dorénavant, elle n'en avait pas encore pris la mesure.

— Et vous-même ? Éprouvez-vous toujours de l'attirance ?

— Pas trop.

La sincérité du ton avait soulevé l'intérêt du thérapeute.

— Pouvez-vous développer ? Êtes-vous embarrassé parce qu'elle a l'air maintenant trop jeune ?

Comme pour lisser ses pensées désordonnées, le vampire s'était frotté la figure, cherchant ses mots qui peinaient à donner une forme à son ressenti. Il soupira.

La Dawn d'avant, elle est mignonne et tout, mais elle n'est pas celle qui avait souffert. Pas cette beauté dont je suis tombé raide dingue en découvrant qu'elle m'aimait et me voulait moi, alors qu'elle savait ce que j'étais… Je parierais que plein de types se frotteraient les mains de récupérer un peu de chair fraîche avec quinze kilos en moins… Mais moi, ça me dérange pas qu'elle soit potelée où il faut. Ça me fait fantasmer et ça me touche. Et gagnons du temps : non, ma mère ne ressemblait pas du tout à ça…

— J'allais surtout vous demander si toutes celles que vous aimez ne sont pas toujours des demoiselles en détresse que vous voulez sauver… Votre mère était malade, votre mère vampire Drusilla n'était pas en bon état mental suite à sa conversion…

— Oui, et Buffy alors ? Elle était tout sauf ça. C'était littéralement la femme la plus forte du monde à l'époque, et sauvait les gens. Elle n'avait vraiment pas besoin de moi pour faire ce qu'elle avait à faire…

— Vous êtes bien sûr de ça ? Jamais elle ne vous a dit qu'elle n'y serait pas arrivée sans votre force et votre soutien ?

— C'est-à-dire que… si… une fois. Mais elle l'a dit pour autre chose. Pourquoi on est en train de parler de ça ?

— J'essayais de vous amener à voir que vous avez un schéma qui se répète dans vos relations. Vous venez de dire que Dawn « avait souffert ». Vous parlez de votre première amante en l'appelant « pauvre Dru » alors qu'elle était effroyable, féroce et puissante, n'est-ce pas ?

— Oui mais…

Mais… vous aimez vous voir comme un protecteur ou un chevalier servant.

— Et bah ? C'est quoi le problème avec ça ? C'est bien, non ? grogna-t-il en sentant un autre « mais » arriver, alors qu'il n'y voyait qu'un noble idéal.

Le problème n'est pas que ce soit « bien » ou « pas bien ». Le problème est que vous allez vers toute femme qui vous conforte dans ce schéma et vous permet de vous valoriser grâce au sentiment que vous avez alors de votre utilité. Vous vous voulez valeureux pour vous sentir valable, acceptable pour être enfin accepté. Comme tout un chacun, vous voulez être aimé mais vous doutez profondément d'être à la hauteur.

— Oh, je serais vous, je ne continuerai pas sur cette voie…

Mais si. Vous êtes bouleversé parce que votre femme ne rentre plus dans ce cadre actuellement. Alors vous ne savez pas sur quel pied danser. Parce que vos sentiments sont intimement liés à la notion de besoin et au soutien affectif et émotionnel que vous vous apportez l'un l'autre. Mais la version jeune de votre femme, pas encore trop abimée par la vie, pensez-vous qu'elle ait besoin de vous ? Ou diriez-vous que vous la croyez parfaitement capable de se débrouiller toute seule ? Répondez-moi franchement.

Spike lui balança un coup d'œil revêche. Parce que c'était exactement ce qu'il avait pensé quand Buffy les avait quittés pour de bon : que Dawn, cette fois adulte, allait certainement s'en sortir grâce à ses amis.

— Vous voulez une réponse franche ? J'aime pas quand vous avez raison.

Le visage de Canaan se détendit et il ajouta :

— Moi, j'aime bien quand vous le reconnaissez… Mais n'en faites pas un rapport de force puéril où vous auriez perdu parce que j'ai raison. Pour en revenir à vos doutes sur les sentiments de votre femme – je ne saurais être catégorique car je ne l'ai jamais vue – mais avec tout ce que vous m'en avez dit, je crois que sa transformation ne vise très certainement pas à vous punir de quoi que ce soit. Là, c'est votre culpabilité qui parle. Elle vous chérit tendrement. Et vous et moi, nous savons que vous vouliez cette séance parce que vous êtes au bord de faire quelque chose de vraiment stupide…

— Dites, par curiosité, vous faites ça souvent d'insulter vos patients ?

— C'est votre intelligence que je n'insulte pas. Je sais que vous pouvez comprendre ce type de programmation émotionnelle parce que vous m'avez parlé du « stimulus ». C'est parce que vous avez réussi à le surmonter que je vous explique comment vous semblez toujours réagir en matière de cœur et aussi parce que…

Sans prévenir, la cornée du psy s'opacifia d'une fine pellicule blanchâtre de cataracte. Il semblait fixer un point sur le mur de la pièce où Spike se trouvait, bien au-delà de lui, et termina du même ton calme mais légèrement mécanique, comme s'il récitait :

… vous ne sauriez régler un problème que vous ne savez pas être là et que vous ne voyez pas. Vous devrez le reconnaître et lui donner forme pour pouvoir le combattre, sous peine de n'être qu'une victime inconsciente, suppliciée par les fantômes du passé…

Spike sursauta, bien qu'il soit à priori question de lui, les mots « victime suppliciée » le renvoyaient encore aux images de sévices dont les Djinns l'avaient accablé.

— Qu'est-ce que vous venez de dire ?

Le psy ne répondit pas tout de suite malgré les claquements de doigts impatients de son patient devant la caméra. Puis, il cligna des yeux qui retrouvèrent leur teinte d'origine.

— Euh, excusez-moi. On va devoir s'arrêter là pour aujourd'hui.

— Mais qu'est-ce que vous avez dit juste avant ?

— On va devoir s'arrêter pour aujourd'hui ? répéta le thérapeute avec un sourire un peu crispé.

— Non, le truc du supplice et les fantômes du passé ?

— Oh, c'est… une formule piquée dans un bouquin de développement personnel ; il y en a plein mon étagère. On se note un rendez-vous pour la semaine prochaine ?

Le vampire commença à débouter avec un non de la tête, puis il se ravisa :

— Ce serait possible que vous lui parliez si je vous l'amenais directement à Los Angeles ? Dawn, je veux dire. J'ai toujours pensé que son psy était nul… Tout ce qu'il sait dire, c'est qu'elle était paralysée à cause d'un traumatisme, mais pour régler le problème, là il n'y a plus personne…

— Cette opinion sur mon confrère est sans doute très exagérée. Pour répondre à votre question, c'est elle qui doit en exprimer le vœu, expressément. Vous ne pouvez pas la faire venir sans qu'elle sache pourquoi. Ce qui se passe actuellement est peut-être pour elle un mécanisme de défense qu'il ne serait pas bon d'exposer si elle n'est pas prête…

Compris. Mais elle voudra bien.

— Comment pouvez-vous en être sûr sans lui demander ?

Mais… parce qu'elle me chérit tendrement ! répondit-il avec un sourire fripon.

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A la vérité, il était loin d'être aussi persuadé qu'elle voudrait effectivement y aller. Si « sa » Dawn ne refaisait plus jamais surface, saurait-il se contenter alors d'être disponible et cordial ? Alors qu'ils avaient été si follement proches ?

« Vous y êtes bien parvenu avec l'autre Miss Summers. »

Peut-être mais avec Buffy, ils n'avaient pas formé de foutu Pacte de sang. Il ne fallait pas se voiler la face avec ça : quelque chose avait foiré en essayant de le dissoudre. Il pensait parfois au rituel de la dernière chance, à cette bougie qu'il avait retrouvée plus tard intégralement consumée… Contre toute attente, ils avaient survécu. Mais ils le sentaient tous les deux, un petit recoin de leur esprit se languissait et les incitait à adopter parfois dans l'intimité des comportements… un peu risqués.

Le soir tout récent où elle avait pleuré en silence contre lui, Dawn lui avait répété qu'elle n'avait pas voulu qu'il meure en scellant définitivement la Bouche de l'Enfer californienne. Mais cela ne signifiait pas forcément qu'elle avait envie de faire sa vie avec lui. Il avait vécu suffisamment longtemps chez les Summers pour pouvoir dire qu'elle ne le regardait pas autrement qu'un adulte super pas recommandable mais super cool, super fort et super accro à sa sœur.

Si cette régression qu'elle traversait s'avérait durable, ou pire, définitive, Dawn serait en droit de recommencer une vie exempte des malheurs qui l'avaient frappée dans la première. Or c'était plus ou moins l'accumulation de ces épreuves qui l'avaient poussée dans ses bras. Et sans eux, bye-bye Spike. Et pour elle, bonjour la dolce vita aux côtés d'un quaterback rencontré à l'université ! Il jura en serrant les poings. Le psy avait raison. Il semblait toujours coincé au fond de ce piège où il préférait se volatiliser de lui-même pour ne pas endurer encore la souffrance d'être formellement rejeté.

« Mais enfin ! Pourquoi ne pas essayer de lui faire la cour et de gagner son cœur ? »

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Il en était là de ses ruminations, attendant ardemment que Maya daigne revenir pour lui parler du projet d'emmener sa mère voir Canaan à Los Angeles, quand il entendit enfin le claquement léger de la portière du pot de yaourt à roulettes de Pietro. Un bruit de pas dans l'allée puis sur le perron, mais de filleule, point. Ce fut Dawn.

A peine posa-t-elle un pied dans la demeure que l'effluve entêtante de ses phéromones suractivées le prit à la gorge. Abasourdi, il la regarda frétiller littéralement pendant que M. Abercrombie l'aidait à retirer sa veste (sans se priver d'effleurer ses bras tout du long au passage) et se permettait de la mener au salon d'une main reposant dans le creux de son dos. Et loin le tacler sur son comportement pas du tout MeToo, elle lui souriait, toute rose et le cœur battant !

Une remontée de bile acide chatouilla la gorge de Spike. C'était vrai pourtant qu'il n'avait pas envie d'elle sous cette apparence juvénile. Alors quoi ?

Une question qu'il n'aurait pas dû poser. Le démon sauta à pieds joints sur l'occasion de l'éclairer en secouant un peu William pour l'occasion. Il argua en substance que, par principe, personne n'avait le droit d'user de sa « bien plaisante concubine » – même si elle était devenue maigre. Pour remettre au clair les limites acceptables de son effronterie, il suggéra une petite fessée magnanime qui resserrerait ses loyautés distendues. L'empressement scrupuleux qu'elle mettrait à lui offrir à discrétion la contemplation de sa nouvelle beauté et le réconfort de son « succulent QIv-nuj » plaideraient grandement en faveur de son retour en grâce. Il ajouta avec contemption que si elle était « plaisirée » plus souvent, elle n'irait pas chercher ailleurs.

Révulsé à l'idée que la bête arriérée envisage sans sourciller de battre Dawn pour assouvir un immonde sentiment de propriété, William ne comprenait pas que le démon frustré ne faisait en réalité que fantasmer tout haut. En effet, depuis le sale coup avec la petite gamine de l'espace (qu'il n'arrivait pas à appeler Thisbé), Spike le garrottait farouchement en lui bloquant tout accès à ses sens. S'il avait su comment le bâillonner en plus, ça aurait été parfait.

Par contre, l'idée n'était pas si mauvaise, mais en appliquant plutôt ce traitement cuisant aux fesses de l'Italien, histoire de lui apprendre à embobiner la jeune fille en jouant de ses longs cils ourlés, de son sourire Colgate et de son corps d'Apollon emballé dans des sapes qui siphonnaient tout son argent de poche. Du bout de la langue, il tâta ses canines qui rallongeaient tout en l'épinglant d'un regard meurtrier. Pietro commit l'erreur tactique de lui sourire avec juste un peu trop de moquerie, ce que le jaloux prit comme une provocation délibérée.

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Mais, inconsciente de ce qui se jouait entre les deux hommes, l'ingénue s'intercala dans la ligne de tir, en allant droit à la rencontre du vampire. Avec un petit coup d'œil pour ses traits tendus, elle demanda timidement :

— Spike, si t'es dispo, j'aurais un truc à te montrer… mais si tu préfères à un autre moment, c'est pas grave…

Le visage marqué par l'espérance et l'incertitude, elle attendait sa réponse. Il accepta d'un hochement de tête et lui emboîta le pas en direction de « leur » chambre en serrant les dents. Sentir combien le bellâtre faisait la révolution dans sa petite culotte lui mettait les nerfs à fleur de peau.

— Spike ? Ça va ? T'as pas l'air bien… chuchota-t-elle car la porte était restée ouverte.

— Si, si, mentit-il à la hâte. Qu'est-ce que tu voulais me montrer ?

Précautionneusement, elle extirpa de sa poche de pantalon trop grand deux papiers jaunes pliés en quatre. Elle en ouvrit une et la lui tendit en lui demandant si cela lui rappelait quelque chose. Spike jeta un œil sur la feuille où figurait un dessin assez maladroit de deux yeux très creusés, réalisés avec de gros aplats au marqueur noir.

— Non, ça ne me dit rien, par contre je sais reconnaître un regard de tueur quand j'en vois un… Où t'as trouvé ça ?

— Je ne l'ai pas « trouvé », je l'ai vu deux fois sur le trajet hier et aujourd'hui et j'ai essayé de le refaire de mon mieux. A priori, c'est un simple tag sur un mur, mais un tag normalement, ça ne bouge pas.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Bouger comment ?

— Bouger comme dans « jamais être deux fois au même endroit » et comme dans « suivre la voiture des yeux quand on passe devant ». Ça me flanque vraiment la trouille…

— Sans blague. Et qu'est-ce qu'il dit de ça, le directeur de Poudlard ?

— Pietro ? Ah, il n'a rien vu et je ne lui ai rien dit ! Si c'est pour passer pour une poule mouillée qui se pisse dessus en voyant du street art animé du futur… merci bien ! Alors, ça te parle ou pas ?

— Désolé poussin. Demande-lui de mettre des sorciers sur le coup, ça coûte rien de vérifier.

Un peu déçue, elle opina puis dégaina sa seconde cartouche, en dépliant posément l'autre feuille avant de la tourner vers lui.

— Okay… Et maintenant, regarde ce que j'ai trouvé d'autre en fouillant dans les affaires de Vieille-Dawn… J'aimerais bien savoir dessiner comme ça moi, mais j'ai pas continué après la mort de Maman…

Spike ignora cette remarque crève-cœur et se concentra sur l'esquisse au fusain. Celle-ci représentait un crâne mais avec des globes oculaires dans les orbites. Et, pour autant qu'il puisse en juger, il y avait comme des petits lambeaux de muscles qui restaient collés sur les arêtes saillantes des os de la partie supérieure, ainsi que des tendons qui reliaient la partie supérieure à la mâchoire.

— Charmant.

— Tu trouves pas que ça ressemble ?

— Euh, si, il y a de ça... En tous cas, la malveillance est la même…

— Ce dessin vient d'un bloc-notes rangé dans un tiroir verrouillé. J'ai eu du mal à le crocheter mais je n'avais rien d'autre à faire, alors…

— Et t'as trouvé d'autres trucs intéressants ? Quelque chose de plus… artistique par exemple ? s'enquit-il avec un coup d'œil en biais.

— Non, il y avait des séries de chiffres, peut-être des dates ou des coordonnées, et des mentions comme « Voir avec Andrew pour le contact au Mexique » ou « Demander à Faith » ou « Possiblement J ? ». Mais j'ai rien compris. Ah, et à propos d'artistique, j'ai trouvé son coffre secret derrière un tableau avec une maison sur une colline. Tu connais la combinaison ?

— Non.

— Ah bon ? Mais comment ça se fait ? Vous vous dites pas tout ?

— Bah, non. Déjà qu'on m'accuse d'être possessif… Elle a ses petits secrets et j'ai les miens.

Dawn avait la moue de travers. Elle avait l'air de comprendre, mais ça n'arrangeait pas ses affaires, semblait-il. Elle ne renonça pas pour autant. Ténacité des Summers quand tu les tiens…

— Et tu ne voudrais pas m'accompagner ce soir à l'École ? On a déjà fait une super équipe tous les deux. Défoncer sa porte, ça ne devrait pas être trop dur pour toi… et je n'aurais confiance en personne d'autre pour commettre une effraction.

— Un coffre en acier trempé, à mains nues ? Merci pour ta confiance mais je suis pas Superman ! Et pour info, je batte toujours pour votre équipe de scouts. Si j'acceptais ton alléchante offre de subornation, je te pousserais encore sur ta vilaine pente délinquante…

— Oh allez, minauda-t-elle en claquant ses paumes l'une contre l'autre, on ne va tout de même pas rester à rien faire ! Il faut qu'on trouve d'autres indices ! On pourrait essayer dans le bureau d'Andrew ?

— Dawn… soupira-t-il.

— Écoute, d'après ce que j'ai trouvé, ces notes ont un peu plus de deux ans. Elle a vu quelque chose de précis sinon elle n'aurait pas dessiné le crâne. Andrew était au courant, il était mentionné dans son calepin. D'ailleurs, pourquoi il n'y a aucune trace dans les ordinateurs ? Pourquoi c'était secret alors que tous les Observateurs sont censés mettre en commun leurs infos ? Et alors qu'ils commencent à peine à travailler dessus, pouf ! Accident ! Résultat : l'un est mort et l'autre estropiée à vie. Mais vous aviez tous le cerveau ramolli ou quoi ? Personne ne s'est dit qu'ils avaient pu tomber sur un truc qu'ils n'auraient pas dû et qu'on a cherché à se débarrasser d'eux ou les empêcher de creuser plus ? Moi, ça fait même pas une semaine que je suis là et j'ai déjà repéré des yeux affreux qui ressemblent à ça, dit-elle en secouant le dessin, et qui suivent la voiture de Pietro ! Andrew est mort au volant… Il y a que moi qui percute ?…

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Toujours accroupie derrière le muret d'enceinte face à l'entrée, Maya surveillait les deux silhouettes en noir qui venaient d'apparaître comme par magie en lisière du bosquet, au fond du parc de l'École. Elle se tortilla pour attraper d'une main le téléphone dans sa poche, coincé entre le déverrouilleur du coupe-circuit de « la meule » et un vieux mouchoir en papier. En mettant le nez sur l'écran, elle nota une nouvelle rayure qu'elle frotta d'un pouce impatienté. Puis, elle chercha Pietro dans la liste de contacts... Un coup d'œil discret vers l'École plus tard, elle tapa son message.

Maya

Est-ce que Joy est au lit ?

Pietro

Oui. Giovanna est partie.

Maya

Ah dommage. Je peux pas rentrer tout de suite.

Pietro

Pourquoi ?

Maya

Tombée sur Alexa et son barda en fin de patrouille. Elle a dit qu'elle quittait la base de Rome pour rentrer à Rio. Qu'est-ce qui lui prend ?

Pietro

Willow a rapporté qu'un golem a attaqué Tara et deux amies sur son campus. De son côté, elle s'est fait agresser à quelques kilomètres de là. Magie très noire. Haineuse.

Maya

Hein ? Attends, je t'appelle.

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Il décrocha immédiatement et elle sourit parce que, manifestement, il attendait qu'elle donne signe de vie. Quelques fois, elle voyait dans son regard la même inquiétude que celle qu'il y avait dans celui de sa mère avant l'accident.

— Ciao bella. Pourquoi tu ne peux pas rentrer ?

— Parce que je sortais ma moto de Spike pour rentrer à la maison quand j'ai vu une sorte de flash derrière moi. Je me suis planquée et j'ai en visuel deux intrus qui crapahutent tranquillement sur le gazon. Normalement, ils ne devraient pas pouvoir franchir la première barrière mais sait-on jamais… Faut que je m'occupe de ça, encore plus si Alexa n'est pas là pour protéger les novices… Attends, je sors mes jumelles… C'est quoi ce qui se passe à Rio ?

— On ne sait pas encore bien. Willow veut que sa fille nous rejoigne. Elle pense qu'elle serait plus facile à protéger ici. Mais tu connais Tara, elle ne voudra pas si elle sent sa mère en danger. Du coup, Alexa y va en renfort dans l'espoir que sa sœur entende raison... Si elle a été visée pendant que sa mère était retenue ailleurs, ça ne peut pas être une coïncidence. J'ai demandé à Spike de prendre l'Insectoïde pour la ramener.

— Ah ouais ? Bah, il a encore bien suivi les consignes…

— Dis-moi.

— Mon sixième sens à vampires vient de s'activer et j'en ai un blond tout pâle avec des pommettes de dieu et un manteau de cuir qui regarde dans ma direction… Qu'est-ce qu'il fiche là, à cette heure ?... Hey ! Non mais ho ! Shize ! siffla-t-elle entre ses dents. Écoute, faut que je te laisse…

— Non, Maya attend ! Qu'est-ce qui se passe ?

— Il vient de passer la première barrière les doigts dans le nez ! J'y vais-bisou-à plus...

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