When in Rome

Chapitre 79 : Monstres et compagnies

5435 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/08/2023 19:12

Chapitre 79 Monstres et compagnies

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Rome, 15 juillet 2046

La nuit était à peine tombée au cœur de la seconde Subura, quand un combat s'était engagé entre Maya et une troupe de dix vampires impatients d'en découdre. C'était un quartier de la périphérie ordinairement populeux et animé, qui avait été baptisé ainsi en l'honneur de la Subura de la Rome Antique. Quasiment sous couvre-feu en raison d'une vague de crimes qui débordait les forces de police, la rue était longée de boutiques aux volets de fer tristement fermés, et où les empoignades musclées laissaient des bosses marquées sur le métal dans un bruit d'orage.

La Tueuse avait été bien vite rejointe par Spike, soit parce qu'il la surveillait, soit parce qu'il avait une furieuse envie de taper sur quelque chose… ou peut-être bien les deux. Remontée à bloc, Maya bourra le ventre du vampire qui lui faisait face d'une volée coups de poings secs qui le plièrent en deux. Pour porter secours à son comparse (ou lui voler toute la gloire), un autre vint la saisir par derrière et tenta de lui immobiliser solidement les bras. Pas démontée, elle recula d'un pas pendant que l'autre faisait bloc, puis elle usa de l'appui involontaire qu'il lui offrait pour décocher un méchant un coup de botte en ciseaux sous le menton de son précédent opposant. Tous les trois furent déséquilibrés dans le mouvement.

Rapide et silencieux, Spike vint se glisser dans le dos de celui qui retenait Maya dans sa prise, pour le planter d'un geste économe avant de la recueillir en empêchant qu'elle ne chute en arrière. A l'instar d'une figure de rock acrobatique, il la renvoya sur ses pieds, elle le remercia d'un sourire tacite. Puis, il s'en retourna massacrer deux autres congénères dans son coin.

Sa filleule n'avait ni besoin ni le temps de souffler, elle se retrouvait déjà nez à nez avec un épais catcheur.

— Tu ferais bien d'entamer un petit régime, mon pépère ! commenta-t-elle en lui filant entre les pattes, pour lui taper dans les genoux par l'arrière.

— Si t'es au menu, gamine, je veux bien commencer tout de suite.

— Eh bien ça tombe bien, j'ai déjà les piques à brochettes ! railla-t-elle en montrant ses deux pieux. Goûte-moi donc ça !

On entendit le bref sifflement feutré de son lancer dans l'air du soir.

Derrière elle, résonnèrent les copieuses insultes italiennes d'un adversaire dont Spike venait de faucher les jambes. Le dandy s'était ramassé sur la chaussée salie par une poubelle renversée. L'avantage de ne pas trop comprendre les autochtones, c'était qu'il pouvait rester imperturbable. Comme son adversaire était en train de pester en regardant son pantalon recouvert d'on ne savait trop quoi, le parrain soucieux eut tout le loisir de voir un des pieux de Maya s'enfoncer à mi-corps dans la main de l'immense balourd qu'elle avait engagé. Il avait protégé sa cage thoracique en le bloquant de la paume juste à temps.

Spike sourit. Il aimait la façon inattendue dont le style de Maya avait évolué. Elle n'était certes pas aussi gracieuse et athlétique que Buffy dans ses enchaînements, mais elle était puissante et terriblement efficace – une cogneuse frontale hors pair, qui trahissait nettement avoir été entraînée par Faith et sur des vampibots… Elle fonçait dans le tas comme un « Déterminator » parce qu'elle n'avait pas de temps à perdre. Pas fan de la baston pour la baston, elle était pourtant capable de finir un opposant en le terrassant parfois en seulement deux coups un pour assommer qui le mettait au tapis et un dernier pour l'atomiser. A chaque fois que les cendres volaient en l'air, elle avait un drôle de petit sourire satisfait, qui le laissait perplexe et très curieux. Il n'avait aucun moyen de savoir qu'en réalité, elle repensait à la très franche conversation qu'elle avait eue ado avec lui, où il se moquait gentiment d'elle et de ceux de sa propre espèce en disant qu'ils aimaient mourir « en encrassant les poumons des braves gens ».

Sa technique massue aurait pu lui sembler un peu ennuyeuse si elle n'avait pas hérité, et Dieu seul savait comment, du bagou irrépressible de sa tante. Il n'aurait pas aimé avouer que ça lui réchauffait toujours le cœur – ou ce qu'il en restait…

Un grattement sur sa gauche lui fit tourner la tête et esquiver bien vite car son opposant se relevait prestement.

— Ta petite copine n'a aucune chance face à Brutus, déclara-t-il d'un ton tranquille en crachant par terre, avant de se jeter de nouveau dans la mêlée.

— Hey, je t'ai entendu, toi, là ! lança-t-elle de l'autre côté de la rue. T'inquiète pas, si t'es pas bon pour le cendrier d'ici deux secondes, j'arrive te régler ton compte. Mais me regarde pas comme ça, débilos, regarde plutôt Spike...

Débilos ?

Le conseil était pourtant bon. L'intéressé le fit exploser en profitant de sa distraction choquée. Il était vrai que Maya était très distrayante par nature, à sa façon.

La brute épaisse large comme une barrique qu'elle était en train de charger, souriait de toutes ses dents en arrachant sans même grimacer le pieu enfoncé dans sa main. Il n'avait pas pénétré suffisamment profond dans sa poitrine – ce qui, soit dit en passant, était très bizarre. Il le jeta négligemment par-dessus son épaule.

— C'est ton premier jour ou quoi ? On t'a jamais dit qu'il fallait atteindre le cœur ?

— Ah parce que tu en as un ? Ce serait bien une première…

Elle jeta un coup d'œil à son petit parrain adoré, d'un air qui voulait dire « Ne le prends pas personnellement ». Parce que quoi qu'il en dise, Maya pensait absolument qu'il avait un cœur, au moins métaphorique. Spike était trop occupé à expédier par la culotte un nouvel assaillant en guenilles sur un empilement de palettes. Niveau vestimentaire, les vampires se suivaient mais ne se ressemblaient pas. « Brutus » se rappela à elle.

— Brochette, tu disais ? Va falloir envisager la taille au-dessus, poulette…

— Mais non, regarde, pas la peine.

Elle sauta à pieds joints sur sa poitrine pour le renverser. Et quand il fut à terre, du plat de la semelle elle enfonça son second pieu d'un coup rapide et effroyablement brutal… On entendit un gros craquement. Mais au lieu de remplir son office, l'objet s'aplatit et fit voler plusieurs échardes grandes comme des aiguilles préhistoriques.

— Ha ha ha, surprise ! fit le bouledogue en la repoussant d'un coup de sa main trouée pour se relever.

— Quoi ? Oh non ! Mon beau pieu en teck… se désola-t-elle faussement. Insolent ! Tu paieras pour cet affront ! s'amusa-t-elle.

Elle sortit une pointe de métal plus longue, tout à fait semblable à un poignard angélique grandement inspiré d'une vieille série surnaturelle à succès.

— Dis-moi, celui-ci, il continue à te faire rire ?

Son adversaire leva un sourcil dubitatif. Elle profita de cette seconde d'hésitation pour lui taper sur les rotules d'un gros coup de botte et, alors qu'il gisait en rageant au sol, pour réitérer la mise à mort. Quand elle enfonça le pieu brillant entre deux côtes, on entendit comme un tintement du genre jbing, et un gros croc. Le catcheur écarquilla les yeux.

— Mais co… ?

On ne sut jamais ce qu'il allait dire car il tomba en poussière.

— Qui est surpris, maintenant ? dit-elle crânement à ce qu'il restait de lui.

Dans sa paume rougie, Maya fit sauter son nouveau copain rutilant en le faisant tournoyer comme d'autres auraient jonglé avec leur colt. Hélas, personne ne la regardait faire son show, alors qu'il était voué à impressionner. Boudeuse, elle partit courir en cercle autour des vampires restants, qui pensaient naïvement acculer Spike. Elle les planta dans le dos les uns après les autres. Tchak, tchak, tchak ! Elle toussa en chassant les cendres de vampire qui venaient d'être rabattues vers elle par un petit courant d'air importun. CQFD.

— Hey ! Tu veux bien m'en laisser un peu, oui ? grogna Spike.

— Allez, boude pas. J'ai super faim, moi. Je veux rentrer me mettre les pieds sous la table, puis prendre une longue douche chaude… Mon royaume pour une savonnette parfumée ! Parce que ça sent pas la rose ici…

— Tu n'as qu'à faire ça, je prends le relais. Tiens regarde, il y en a d'autres. Je ne sais pas ce qu'ils ont ce soir…

— Je t'attends, la rues ne sont pas sûres, répondit-elle pince-sans-rire.

Maya alla s'appuyer sur un mur. De sa poche, elle sortit deux barres protéinées qu'elle se mit à mâcher tout en regardant Spike mettre en bouillie le plus téméraire des nouveaux venus. Mais littéralement en bouillie. Le parrain, il avait l'air à cran. C'était clair qu'il aurait pu le tuer bien plus vite que ça, mais il continuait à le massacrer par petits bouts. Dans ses yeux, elle vit briller une rage sauvage, veinée de sadisme qui restituait une idée fort précise de celui qu'il avait dû être pendant la majeure partie de sa vie de vampire…

— Ho, tu termines ? J'ai pas la permission de minuit !

Spike rugit sous son faciès féroce et puis dévissa la tête de son propre gros lard mastoc d'un geste brusque. Il respirait un peu fort plus que d'habitude. Ce n'était pas de l'asthme, mais plutôt comme s'il faisait un effort pour se contenir.

— Ça va ? demanda-t-elle. T'as une petite forme ce soir…

Il lui balança un regard mauvais tandis qu'il se remettait la mâchoire en place et changeait de visage.

— Je te charrie, précisa-t-elle en avisant ses iris restés jaunes.

Puis elle enfourna une demi-barre dans sa bouche et mangea goulument pour cacher un sourire malicieux. Beau joueur, il hocha la tête, car elle avait appris du meilleur...

Il lui fit signe de se mettre en route et elle mastiqua à grand bruit l'autre moitié de son encas en marchant près de lui. Conscient d'avoir été surpris dans un de ces moments où – selon les termes de leur accord, il lâchait la bride à son « monstre sous-jacent » – il fit comme si de rien n'était. Il changea vite de sujet en demandant d'un air dégagé où perçait la curiosité :

— Et… c'est quoi, ton nouveau joujou clinquant ?

Elle le sortit de sa ceinture et le lui tendit sur la paume de sa main ouverte.

— Mmm, tiens. Dernier cri, technologie brevetée.

Il le prit et le soupesa en le faisant tourner entre ses doigts ensanglantés auxquels il ne prêtait aucune attention.

— Oh, le métal, ça manque de chaleur et c'est pas très traditionnel, plaisanta-t-il. Ça doit glisser des mains, ce truc, non ?

— Pas quand elles shont khollanthes, mâchonna-elle en agitant ses doigts poisseux. C'est juste un placage.

— Un placage en quoi ?

— Mhh, je voulais en adlibidum… adhamanthium ? Je sais plus… mais de toute façon, il y avait pas. Alors j'ai pris du titane. J'ai dû casser ma tirelire, mais il faut ce qu'il faut. Ils veulent monter les enjeux ? D'accord. Je suis et je relance de trois…

Il lui rendit l'objet et elle le rempocha avant de se frotter les mains l'une contre l'autre.

— Attends, t'es blessée au bras, là ?

Elle tira sur sa manche pour mieux voir la zone qu'il lui indiquait.

— Ah oui, tiens. Bah, j'ai même pas senti. C'est quoi ta formule consacrée ? « C'est rien qu'une égratignure » ? Je verrai ça tout à l'heure. Viens, ne traînons pas. Pietro fait du veau à la tomate le mardi et ça vaut le détour...

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Dawn regarda le jeune homme si beau qui était en face d'elle, incapable de comprendre comme ils avaient pu passer d'une taquinerie si légère à l'instant à cette sorte de solennité qui commençait à lui serrer la gorge. Cette prudence, cette façon de chercher les mots les plus précis. C'était comme si quelqu'un était mort.

Sa posture sur la chaise de jardin avait l'air pleine d'aisance mais son regard portait des traces d'inquiétude et d'un sentiment plus douloureux qu'elle ne décodait pas. Ils s'emplirent pourtant sans transition d'une grande douceur.

— Dawn, c'est difficile de ne pas voir que tu me trouves… à ton goût.

— Oh ! Pardon ! Pardon ! Je suis désolée. Je suis vraiment lourde, c'est ça ?

— Ce que j'ai aimé en venant travailler ici, éluda-t-il légèrement, c'était que les jeunes filles étaient le centre de toute l'attention. Et j'ai trouvé ça formidable et très reposant. Je ne devais rester que quelques mois mais je me sentais tellement bien que je n'ai plus voulu repartir.

— Je vous préviens, je ne trouve pas ça tellement perturbant…

Il sourit et poursuivit.

— Attends un peu… Quand je me suis senti heureux et en sécurité, je suis tombé amoureux. Ce n'était pas prévu et je me sentais stupide. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour le cacher mais le simple fait que ce soit interdit, ça me rendait encore plus…

— C'était une élève, alors ?

— Non... Mon patron.

Elle garda les yeux ouverts le temps de traiter l'information, observant un court silence, avant de baisser les paupières, pour dissimuler un peu de son amertume.

— Ha, c'est pour ça que vous disiez que j'allais avoir de la peine…

— Tu n'en as pas ? demanda-t-il, la mine pleine d'un touchant espoir.

— Si… Mais c'est tellement typique de ma vie... J'ai pas vraiment de chance concernant… tout ça. Ce devait être quelqu'un de formidable pour qu'il vous plaise. Comment est-ce qu'il s'appelait ?

— Tu le connais. C'était Andrew.

Elle ouvrit la bouche, affichant cette fois, la plus totale stupéfaction.

— Non ! Euh… « Le » Andrew ? Andrew-Andrew ? insista-t-elle, déconfite.

— Tu es en train de te dire que l'amour rend aveugle, c'est ça ?

— Non, je suis en train de penser que vous aviez raison : c'est très perturbant. Pourquoi il vous plaisait, si je peux demander ?

— Spike partage ton opinion sur son compte, et parfois, j'en retrouve des traces discrètes chez Giles. Pour ma défense, je dirais que je n'ai pas rencontré la même personne que vous semblez avoir connue. Moi, j'ai vu quelqu'un avec des qualités, qui faisait bien son travail, avec du dévouement et beaucoup de cœur, il était très attentionné et il adorait sa famille…

— Ah, ça oui, c'est sûr… Celui que je connais n'est pas du tout comme ça…

— Quand j'ai compris qu'il me regardait… d'une certaine façon, c'est moi qui ai fait le premier pas. Il ne m'a pas cru quand j'ai avoué mes sentiments. Plus tard, il a dit que même si c'était vrai, il n'était pas assez bien pour moi et pas assez jeune. Comme il n'a pas dit « pas assez beau », j'étais aux anges. Je ne sais pas trop ce qu'il imaginait parce qu'il a dit tout de suite qu'il ne te quitterait pas pour faire sa vie avec moi. Cela m'a fait rire, parce que je n'en étais pas là du tout ! gloussa-t-il. J'étais juste un pauvre idiot qui s'était jeté à l'eau parce qu'il n'était plus capable de réfléchir correctement. Je n'étais sûr de rien, même pas d'avoir toujours un travail à la fin de la journée… Mais ça m'était égal. Même si c'était pour quelques fois seulement, je voulais le vivre… Alors voir qu'il paniquait un peu, à cause de moi, juste parce que j'avais dit qu'il me plaisait beaucoup… ça m'a encore plus tourné la tête.

Elle allait lever les yeux au ciel mais elle nota son sourire doux et son enthousiasme. Sans nul doute, ce devait être de bons souvenirs pour lui. Elle plissa la bouche en hochant la tête.

— Tant mieux si vous étiez heureux, c'est tout ce qui compte. Je dois vous avouer que je me sens très bête maintenant… Et particulièrement d'avoir pu penser que vous étiez, en fait, le vrai père de Joy.

Il baissa la tête précipitamment en proie à une vive roseur sur laquelle elle se méprit fort heureusement.

— Vous en faites pas, mes deux meilleures amies étaient lesbiennes, ça va… Mais bon, tout ça m'explique encore moins pourquoi Andrew et moi, on aurait été ensemble. Personne ne veut m'en parler. Après, peut-être qu'ils me jugent d'avoir réussi le tour de force d'épouser deux mecs pas faits pour moi... Entre un gay et un vampire accro à une autre, franchement, mais c'est quoi mon problème ? C'est déjà pas terrible maintenant mais j'ai l'impression que ma vie du futur va craindre un max.

Il secoua la tête en fronçant les sourcils.

— Non, ta vie n'a pas été nulle du tout. Tu es une très bonne personne. Tu as rassemblé autour de toi des gens reconnaissants à qui tu t'es dévouée sans compter. Avant que tu t'en ailles, je voulais que tu saches qu'au contraire de ce que tu crois, tu as été aimée en retour, profondément et de tous.

— Idji m'a dit ça aussi, et ça m'a surprise. Mais il n'a pas de raison d'inventer un truc pareil, pas vrai ?

— Je n'en ai pas non plus.

— Oh… Non ! Non… Pardon. Comme vous êtes gentil, je pensais que peut-être vous vouliez seulement me réconforter, pour ne pas que j'aille me pendre ? dit-elle en mimant le geste.

Son air alarmé la fit sourire.

— Non mais, c'est bon, ne vous inquiétez pas. C'est juste que… tout ceci ne me parait avoir aucun sens. Est-ce que j'ai le droit de vous demander si Vieille-moi est amie avec vous parce que… eh bien… elle sait que rien ne se passera ?

— Tu sous-entends qu'elle aurait été secrètement amoureuse de moi et n'aurait entretenu notre relation amicale que faute de mieux ?

Dawn afficha une expression qui signifiait tout à fait « Mais évidemment ! ». Pietro éclata d'un rire franc et bref.

— S'il y a eu quelque chose, je ne l'ai jamais su. Quand nous vivions ensemble, elle m'a toujours traité avec beaucoup d'affection, comme quelqu'un de proche, de la famille. Il n'y avait rien d'équivoque entre nous.

Son regard dériva vers le jardin qui s'asséchait déjà en plein mois de juillet et où il se perdit comme au fond de ses souvenirs. Dès leur rencontre, Dawn s'était toujours montrée respectueuse, amicale, chaleureuse. Puis, quand elle avait su pour la liaison scandaleuse, volontiers complice. Ils s'étaient pris dans les bras pour se réconforter si besoin était. Maintes fois, ils s'étaient frôlés ou embrassés sur la joue à la mode locale. Jamais elle n'avait témoigné du moindre embarras à se trouver tout près de lui. Jamais elle n'avait tenté non plus le moindre geste tendre comme elle pouvait en avoir parfois pour Andrew, et qui les faisait sourire tous les deux pour une mystérieuse raison.

— …non, rien dont je me souvienne, et pourtant je crois que je l'aimais immensément, du plus profond de mon cœur.

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Le bruit d'un tintement métallique sur le sol pierreux de la terrasse fracassa le silence médusé et très court qui suivit cette déclaration.

— Quoi ?! fit la voix étranglée de Maya.

Debout près de la porte-fenêtre, elle tenait son assiette bien remplie à deux mains et avait laissé glisser les couverts sous l'effet de la surprise. Dawn et Pietro tournèrent la tête en même temps, juste pour voir la Tueuse figée, à côté de son parrain dont les yeux lançaient des éclairs.

— Tu vois, commenta-t-il d'un ton glacial, je l'avais toujours dit qu'il cachait son jeu…

— Non, bredouilla le jeune homme en se levant aussitôt. Ce n'est pas ce que tu penses, je t'assure...

— Mais, qu'est-ce que tu veux dire alors ? s'interposa Maya qui sentait la jalousie de Spike hérisser l'atmosphère.

— Bambino, tu sais que si j'avais eu la moindre preuve de ça, je t'aurais…

— Stop ! Arrête ça tout de suite ! s'énerva-t-il en se levant pour venir au-devant de lui. Et réfléchis ! Tu sens les émotions chez les gens. Si j'avais eu du désir pour elle, tu l'aurais senti; si elle en avait eu pour moi, tu l'aurais senti encore plus. Il n'y a qu'à voir la tête que tu faisais, le premier jour, quand je suis rentré de l'école avec Dawn, hein ? Alors fais confiance à ton flair deux minutes !

Spike plissa les paupières tandis que ses mâchoires trahissaient qu'il grinçait des dents. Dawn sentit les joues lui cuire et ne savait plus quoi faire d'elle-même…

— Bien ! dit Maya d'un ton autoritaire en agrippant le bras de son parrain d'une poigne de fer. Maintenant les garçons, on va tous s'asseoir et se calmer un peu.

Elle posa son assiette sur la table en faisant exprès un bruit fort.

— Et si ça ne vous dérange pas trop, on va tirer les choses au clair pendant que je mange et avant que ça ne soit complètement fr…

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Un cri strident terrorisé leur vrilla les oreilles à tous.

— Papaaaaaaaa ! Un moonnnstre ! Viiiite !

— C'est pas possible, ta fille a du sang de banshee, pesta Spike. Et… qui c'est qu'elle appelle Papa ?

Une alarme s'enclencha. Quelque chose se brisa et un bruit de remue-ménage conséquent les fit tous réagir au quart de tour.

Sans que quiconque ait besoin de se concerter, Spike s'élança pour bondir sur le toit tandis que Maya se ruait à l'intérieur vers les chambres. Elle était talonnée par Pietro qui courut ouvrir la porte d'Idji en hurlant car l'enfant était sous son casque :

— Evan, bunker ! MAINTENANT !

Par la fenêtre de la chambre de Joy, le vampire vit deux choses hallucinantes, trois si on comptait que Maya était arrivée à la porte avant lui. D'abord, qu'un gros loup-garou noir rugissait de frustration toutes dents dehors, ensuite que ce bestiau de belle taille était tenu en respect par… une immonde créature grise.

Bigarrée, la fourrure pelée, dotée de longues pattes avec des griffes comme des cisailles, son museau ruisselant de bave laissait apparaître des dents en aiguilles. Elle se tenait placée juste devant Joy, réfugiée accroupie dans un angle.

— Tieni gli occhi chiusi, piccolina, disait la chose.*

— Mais qu'est-ce que c'est que ce machin ?! s'exclama Spike. Ça devient vraiment n'importe quoi les démons dans cette ville !

— On s'en fout ! coupa Maya. Spike, dégage de là !

Il était habitué à obéir à ses ordres et son esprit affuté par l'adrénaline comprit vite que son intention était de pousser le plus vite possible le loup hors de la maison, en le faisant passer par la fenêtre brisée par ses soins. Le vampire unit ses forces à celles de la Tueuse mais le loup se contorsionna souplement pour les éviter tous les deux en se montrant créatif : il passa carrément à travers le mur en placo qui délimitait la chambre d'Evan. Spike le suivit aussitôt tandis que, blanchi de plâtre, le loup-garou grondait en humant l'air autour de lui, semblant chercher une autre proie avant de détaler.

Maya para au plus pressé. D'un seul signe de tête, elle indiqua à Spike de pourchasser la première menace tandis qu'elle entendait se charger de récupérer Joy. Elle se retourna vers la créature grise qui restait fermement enracinée sans bouger ni montrer la moindre peur – ce qui était agaçant, car elle aurait dû.

— Maman est là, ma chérie. Je vais faire partir la grosse bête très vilaine…

Puis elle serra les poings et se mit en posture, jambes fléchies, poings serrés en garde, dont l'un se fermait sur « Nouveau Pieu », qui n'avait pas encore de nom classe.

— Je te préviens, toi. Je ne sais pas comment tu as pu commettre l'erreur de venir ici te fourrer dans cette souricière. Si tu as l'intention de me prendre mon enfant, de la manger ou de lui faire du mal, même la plus petite égratignure, la dernière chose que tu verras, c'est mon visage quand tu crèveras étranglé par tes boyaux et recouvert de ta bile après d'atroces souffrances…

— Mais non, il va pas me manger ! protesta la voix de Joy cachée sortant de derrière. Je peux ouvrir les yeux maintenant ?

— Qu'est-ce que tu es ? demanda la Tueuse, en plissant les yeux.

— Il faut lui parler gentiment, il est pas méchant ! C'est Monsieur Aki !

Maya fronça les sourcils et ne baissa nullement sa garde.

— Tu as infiltré ma maison et manipulé ma fille ? Qui t'a aidé ? Et qu'est-ce que tu es ? Ne m'oblige pas à te le demander une troisième fois.

Face à l'objet pointu qui s'approchait, la créature ouvrit une large bouche flippante en ce qui devait être un sourire et répondit :

— Euh… mon lignage est un peu compliqué…

Maya fit étinceler ses yeux d'impatience, bouillant d'une colère non voilée d'avoir été trompée de cette façon.

— Simplifie.

— Je veux bien mais… Enfin… Disons que je suis le fruit de nombreuses erreurs génétiques dues à l'incurie folâtre de mes aïeux, dit-il avec un accent à couper au couteau. On pourrait dire que je suis une sorte de wendigo, mais j'ai des gènes de hyène du côté de mon père, de caerbannog du côté de ma mère, mais c'est tout dilué maintenant avec plein d'autres trucs que je soupçonne, sans être vraiment sûr… A ce stade, moi je pense qu'il serait plus juste de regarder la réalité en face et de laisser tomber l'arbre généalogique, pour me reclasser directement en manticore... un wendicore ?

— Non mais attends, un wendigo ? Ça bouffe les gens, ça !

— Ah bah, peut-être bien, mais pas les employeurs ! Ni les gens qui sont sur la liste. On m'a bien expliqué le coup des listes…

— Non, mais qu'est-ce que tu racontes avec tes employeurs ? Pour le compte de qui est-ce que tu bosses ? Qui t'a envoyé ?

— J'ai été engagé par il signore Galardi en tant qu'auxiliaire de puériculture.

— Sans blague ! toussa-t-elle. Mais t'as l'air sérieux, en plus ! Un point pour l'Actor's Studio. Et juste pour rigoler, tu avais quel genre de références pour ce boulot ?

— J'ai su par Virgile, vous savez, le portier de votre école – c'est lui qui m'a expliqué pour les listes. Il m'a dit que le directeur cherchait du personnel de confiance alors j'ai postulé à tout hasard parce que j'étais un peu sur la paille depuis un petit moment... Je ne vous cache pas que j'ai hésité. Est-ce que j'avais le profil ? Pas vraiment. Mais je me suis dit... pourquoi pas ? A notre époque, il faut savoir se reconvertir pour rebondir, penser plus large pour trouver de nouvelles opportunités… Bref. J'ai mis mes doutes de côté, j'ai passé un entretien. On m'a bien expliqué en quoi ça consistait et…

— Tu te fous de moi, là ?

— Non, pas du tout. Et en fait, j'aime beaucoup ce travail. Et puis la petite est super, c'est un plus.

— Non mais t'as vu ta tête ? Comme nounou, on a fait mieux !

— Et celle du truc à poils jaunes sur le dessus, celui qui sort d'ici, vous l'avez vue ? Pardon, mais il est hideux. Et le boss dit qu'il n'est pas très sympa en plus. Si pour lui, ça passe, alors moi j'ai de la marge, hein !

— Et attends, pour être sûre… Du coup, moi je suis un employeur ?

— Ah non, mais vous êtes sur la liste. Plutôt en haut.

— Et qui d'autre est sur la liste ?

— Excusez-moi, je ne voudrais pas vous manquer de respect mais je pense que vous avez plus urgent à faire. Moi je reste ici pour protéger la piccola et rien ne lui arrivera. Je suis très compétent, vous pouvez demander à il signore Galardi

— Oh ça, j'en ai bien l'intention !

— Bon, je peux ouvrir les yeux maintenant ? s'impatienta Joy.

Maya vit l'enfant retirer les mains de ses paupières en les clignant plusieurs fois car elle avait pressé fort. En quelques dixièmes de secondes, le wendicore autoproclamé avait disparu. Aux pieds de la Tueuse, s'étalait la peluche moche. Joy se releva précipitamment sur ses petites jambes et l'attrapa pour la serrer contre elle, avant d'embrasser son nez et de froncer le sien.

— Pouah, t'es tout baveux ! s'offusqua-t-elle en le frottant contre le devant de sa robe dans l'intention manifeste de le sécher. Le gros chien ours tout noir n'aurait pas dû essayer de te mordre, Monsieur Aki. Et voilà, c'est bien fait pour lui ! Papi Spike va le renvoyer à la niche !

— Joy, viens par-là, je t'emmène au bunker !

L'enfant commença à faire la tête mais elle ne dit rien du tout, serrant encore plus sa poupée-rat. Elles traversèrent au pas de course au milieu des bibelots renversés, cadres brisés, lampes tombées et d'un coussin éventré. Puis Maya cogna à la porte de la salle sécurisée.

— Je vais entrer ! dit-elle en tapant le code.

Un chuintement coïncida avec le déverrouillage de la porte, lourde comme un bœuf. Elle pénétra à l'intérieur et referma soigneusement pour découvrir Pietro à genoux par terre qui tenait Evan dans ses bras. L'enfant était tout pâle.

— Qu'est-ce qu'il a ? Qu'est-ce que tu as, mon lapin ?

— Je me suis un peu évanoui.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as mal quelque part, dis-moi. Tu es tombé, tu t'es cogné ?

— Le loup a voulu me mordre.

— Oh Dio mio ! Il t'a mordu ? Il t'a mordu ? Où ? Fais-moi voir ! s'agita-t-elle.

— Ah non, j'ai dit qu'il a voulu me mordre, pas qu'il avait réussi…

— Mais… qu'est-ce qui s'est passé ?!

L'enfant fit la grimace, un peu penaud, en regardant les deux adultes d'un air craintif. Il essaya de se relever pour se donner contenance.

— Tu te souviens du briquet super beau que tu ne trouvais plus ? En fait, euh, c'est moi qui l'avais… Je ne l'ai pas pris ni volé, dit-il précipitamment pour prévenir la remarque, c'est Spike qui me l'a donné, parce qu'il parait qu'il était à lui avant et qu'il te l'avait seulement prêté…

Les yeux de Maya se plissèrent.

— Il ment, c'est un objet de famille. Il a toujours été à moi, et avant moi à ta mamie. Et alors ?**

— Le gros loup, il marchait debout, il était après moi. Il m'a fait tomber sur le dos. J'ai crié quand j'ai vu ses dents qui puaient, j'ai vraiment cru que j'allais mourir mais j'ai pas fait pipi ! Pietro lui a jeté des trucs dessus pour l'attirer. Et après, je ne sais pas comment j'ai eu l'idée, j'avais le briquet dans ma poche, j'ai défait le capuchon pour allumer et quand le loup-garou allait me tuer, je lui ai jeté le briquet dans sa gueule. Il a crié aussi, en essayant de le cracher, après Spike est arrivé lui a sauté dessus. Et j'ai pas vu la suite parce que Pietro m'a pris et porté ici pour qu'on s'enferme, et je suis tombé dans les pommes…

Des coups forts tapés dans la porte du bunker firent sursauter tout le monde. La voix familière du vampire s'éleva :

— Et si ça intéresse quelqu'un, le tapis est foutu, le loup vraiment très mort et j'ai récupéré mon Zippo.

.

.


Notes de l'auteure

* Ferme les yeux, ma toute petite.

** Pour mémoire, dans mon histoire, c'est une sorte de gag récurrent. Buffy aurait gardé ce briquet (que Spike avait si mémorablement cherché dans sa poche). Dawn l'aurait repris dans les affaires de Buffy quand celle-ci est décédée. Maya l'aurait taxé à sa mère qui ne s'en servait pas, alors que elle, elle fumait, et pour finir Evan l'aurait un peu piqué à sa mère pour avoir l'air cool devant ses potes avec l'assentiment de Spike…


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