When in Rome

Chapitre 84 : Hot Mommy

4676 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2024 20:18

Chapitre 84 Hot Mommy

 


Los Angeles, 4 octobre 2003

Rien ne ressemble plus à une ruelle sombre, qu’une autre ruelle sombre… puisque c’est un cliché. Les parois à la verticale de la chaussée un peu humide n’ont aucun intérêt en soi. Généralement, il s’agit de hangars ou d’entrées de livraison pour les marchandises de différents commerces de faible envergure, comme par exemple… une boucherie de quartier. Très utile ça, une boucherie quand on ne mange plus les gens. Il peut arriver que les murs appartiennent à un immeuble de quelques étages, limite pouilleux, avec des issues de secours extérieures en métal. Il peut y avoir également ici ou là, proche d’une rue plus large et fréquentée, la devanture d’un restaurant asiatique prudemment fermé, celle d’un petit supermarché large comme un couloir, les locaux d’une association de quartier, un réparateur de matériel électronique un peu tombé du camion. La ruelle sombre, c’est le lieu idéal pour stocker les poubelles et les bennes à ordure, et tout ce qui peut défigurer la ville. Trafics louches compris.

En temps ordinaire, il n’y avait pas besoin d’attendre longtemps avant qu’il ne se passe quelque chose d’intéressant. Mais pas ce soir-là. Il était sur le point de déclarer forfait, alors qu’il se tenait depuis trois quarts d’heure en surplomb accoudé au garde-corps d’un bâtiment abritant une conserverie. A l’odeur, on reconnaissait de la sardine. De là où il était posté, il avait une assez bonne vue sur au moins trois côtés du bloc, tous inégalement éclairés.

Le claquement régulier d’un bruit de pas s’était mis à retentir, interrompant ses ruminations.

La question légitime – et peut-être un peu impatientée – qui lui brûle les lèvres à chaque fois c’est : qu’est-ce qu’une fille toute seule en talons bruyants et serrant frileusement son sac à main, pouvait bien avoir à faire dans un coin pareil ?

Le temps qu’elle arrive, il pouvait échafauder des théories.  

Pratique : la fille est en retard et pense qu’elle gagnera quelques minutes en traversant une zone qu’elle éviterait en temps normal.

Dramatique : la fille est suivie et elle s’est engouffrée au premier tournant dans l’espoir de trouver une cachette ou un abri temporaire.

Original : la fille n’est pas la proie écervelée que l’on peut imaginer, mais bien une prédatrice qui fait semblant de fuir, ne cherchant à gagner son coin sombre que pour perpétrer son propre crime à l’abri des regards. Il avait déjà vu ça.

Bon, dans ce cas, l’originalité ne serait pas de mise. Trois caricatures de jeunes issus du ghetto – jeans raides, sweats numérotés, bonnets ras, blousons de sport et baskets visibles de nuit – venaient d’apparaître à l’autre bout de la rue. A les entendre, légèrement éméchés. L’un deux s’étala contre une poubelle et resta à rire sans parvenir à se redresser. Correction : trois jeunes du ghetto complètement cuits venaient d’apparaître à l’autre bout de la rue…

Spike scruta la fille qui avait bien ralenti l’allure, semblant se demander sans surprise s’il valait mieux rebrousser chemin et faire face au problème A, ou continuer à avancer et faire face au potentiel problème B. Il l’entendit pousser un petit cri étranglé, tandis qu’elle jetait un coup d’œil en arrière.

Contre toute attente, elle fit quelque chose qu’il n’aurait jamais imaginée. Avec intérêt, il la vit descendre sa jupe le long de ses hanches, révélant qu’elle avait un legging de sport épais. Puis, elle se posa sur le bord d’un tas de palettes empilées, et en moins de trente secondes, elle enleva prestement ses escarpins, ouvrit son sac pour en sortir des tennis à scratch et les enfiler.

D’accord. Il devait revenir sur son préjugé : la fille n’était pas du tout stupide ni inconsciente : elle s’était préparée au fait qu’elle allait peut-être devoir courir. Touche finale : elle avait noué son foulard sur sa tête et, si l’on n’y prêtait pas trop attention, elle avait simplement l’air d’une joggeuse lambda. Le fléau des rues d’ici, c’était les amateurs de footing sortant trop tôt le matin avant le boulot et trop tard le soir après le boulot. Fausse bonne idée ! Ils se faisaient trousser, détrousser ou tuer simplement pour avoir voulu rester en bonne santé.

La tête rentrée dans les épaules, la fille passa à petites foulées devant les trois gars qui essayèrent bien de la siffler et de l’appeler mais trop saouls pour faire plus de quelques pas en titubant.

Il attendit pour vérifier que la sportive improvisée regagnait une zone plus sûre puis reporta son attention sur ce qui se passait tout en bas, à ses pieds.

Trois autres types habillés passe-partout, super maigres – des congénères faméliques – venaient d’émerger silencieusement comme surgis des ombres sur les murs. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant tranquillement au milieu de la voie.

L’un d’eux leva une main et s’approcha des jeunes pour réclamer leur attention en demandant s’ils avaient vu « Marco » dans le coin. Les autres dirent que non après cinq bonnes secondes de réflexion. L’affaire sembla terminée quand le premier des nouveaux types fit tout un spectacle de tâter ses poches et de demander à ses potes s’ils avaient du feu, et les autres – bien sûr – dirent que non. Fait intéressant, les jeunes répondirent tous qu’ils n’en avaient pas. Un point pour les campagnes anti-tabac.

« Par contre on a un peu de taz, vous en voulez ? »

Spike leva les yeux au ciel en soupirant.

Anorexique N°1 interrogea ses potes du regard, qui déclinèrent. « Nan, ça donne un sale goût ». Et là, le porte-parole du Trio des Brindilles secoua la tête pour répondre fort poliment « Non merci, ça va… On va faire sans ». Et dans un bel ensemble, ils se mirent à morpher.

« Ouah, cool ! se marrèrent les jeunes. Vous voulez voir ce qu’on a d’autre ? »

Spike, qui n’avait rien eu de bien folichon à tuer (ou sauver) depuis le coucher du soleil, remercia avec ferveur le dieu des scénars, parce que les trois petits se prirent par la main et accomplirent une très inattendue pyramide de pom-pom girls. En un clin d’œil, ils se fondirent immédiatement en une sorte de « truc » beaucoup plus gros, avec une tête énorme, plein de bras élastiques, à mi-chemin entre l’improbable et l’impossible, mais qui était-il pour critiquer ? Les vêtements qu’ils portaient se mélangeaient aussi par endroits, comme s’il ne s’agissait que d’une sorte de peau et pas de tissu. Franchement spécial. Mais peut-être que le plus flippant, à son avis, était que leur rire venait de se transformer en une espèce de cliquetis caquetant un peu glaçant.

En caressant sa lèvre du pouce, il ne put s’empêcher de sourire en voyant la réaction des Sans-Briquets. Habitués à être au sommet de la chaîne alimentaire, les vampires pas bien épais n’avaient rien vu venir et se firent attraper par une dizaine de grandes mains, dont deux se transformèrent en machettes d’os affûtées.

A partir de là, le Métamoche Excentrique les coucha pour les détailler en petit quartiers digestes avec la dextérité d’un chef éminçant des carottes. Les Apéricubes de vampire disparurent dans sa grande bouche extensible. Celle-ci les goba, mâchant rapidement et avalant le tout en rapides séquences cadencées, au son croustillant des os broyés. Il fallait reconnaître que c’était impressionnant et qu’il n’avait jamais vu une bestiole pareille. A l’occasion, il en toucherait deux mots à Fred ou à Wesley.

Mais encore fallait-il en avoir toujours l'occasion. Quand la bête innommable se redécomposa en trois et que l’un des « jeunes » dit « Vous n’avez pas entendu un bruit par-là ? », Spike se recula vivement. « Par-là » étant, donc, dans sa propre direction. Il resta immobile pendant quelques secondes, prêt à bondir pour se défendre. 

« Non, rien, pourquoi ? ».

Son soulagement ne dura pas.

La question suivante titilla son sens moral encore assez fraîchement parvenu aux commandes : « Hey, j’ai encore un peu faim. On rattrape la fille ? »

Le sauveteur autoproclamé grimaça.

.

Au bout d’un quart d’heure, Spike dut reconnaître avec une certaine humiliation qu’il avait perdu la joggeuse. En soi, ça pouvait être une bonne nouvelle car, s’il n’avait pas pu la retrouver, il y avait des chances pour que la Triplette de l’Enfer ne le puisse pas non plus.

Il sauta de toit en toit, bien décidé à rentrer noyer son dépit dans quelques bières à biberonner en se matant un film. Il devait bien y avoir un cinéma qui diffusait quelque chose de potable en dernière séance. Son esprit avait besoin d’une distraction pour éviter de gamberger. N’importe quoi ferait l’affaire, même une infecte comédie romantique. Des années de « Passions » à la télé l’avaient endurci suffisamment pour le supporter. A trois rues de là, sa piaule spartiate en sous-sol piaffait d’impatience à l’idée de l’accueillir lui, ses deux bouteilles et l’Officiel des spectacles à feuilleter.

Il était déjà en chemin quand il entendit un cri déchirant résonner à proximité. Fourrant le programme dans la poche de son manteau avec les bouteilles, il courut dans la direction de bruits de lutte du meilleur augure qui lui parvenaient déjà. En arrivant sur les lieux pourtant rapidement, il ne distingua que deux femmes, l’une réconfortant celle qui pleurait.

Il tendit l’oreille pour capter leur conversation, ne sachant s’il devait se rapprocher davantage.

— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Ils étaient horribles… chouinait la ménagère, noctambule et désemparée, qui fixait une laisse au bout de laquelle il n’y avait plus de caniche.

— Chut, chut, ça va aller. Ils sont partis, essayez de vous concentrer sur votre respiration, ça va vous faire du bien.

— Non mais vous les avez vus, non ? Ces punks étaient abominables ! Ils ont limé leurs dents en pointe !

— Calmez-vous. Je leur ai fait peur et ils sont partis. On inspire, on expire… Vous habitez loin ? Je peux vous raccompagner si vous voulez.

— Non, non, s’effraya celle qui pleurait à nouveau en regardant la laisse. Je vais juste prendre un taxi. Je sais qu’il y a une borne là-bas.

— Très bien, je vais avec vous jusque-là et je vous laisse tranquille, d’accord ?

La femme effrayée ne dit rien d’abord, enfonçant maladroitement la laisse dans son sac et puis elle bouscula brusquement celle qui voulait l’aider pour détaler à toutes jambes. La bonne Samaritaine resta les bras ballants.

— Faites attention à vous ! cria-t-elle avec une petite moue dépitée.

Avant de maugréer tout bas :

— Et de rien, surtout, hein ?

Il sourit malgré lui. Ego blessé par les ingrats ? Il connaissait…

Un rai de lumière électrique tombé d’une fenêtre d’un immeuble voisin lui permit de la détailler un peu mieux. Elle était assez grande, avec des cheveux bruns courts dégradés qu’elle avait plaqués sur les côtés. Son style assez masculin lui donnait un petit air de commando : de gros bottillons qui devaient bien chausser du 41, un pantalon cargo noir en toile très épaisse, un pull à col roulé kaki et une canadienne assortie… De dos, elle avait l’air assez costaude et sa démarche évoquait celle d’un cowboy. Avec un peu de malchance, elle bossait dans l’Armée.

Quand elle se retourna complètement pour rebrousser chemin, elle se retrouva nez à nez avec lui et s’immobilisa. Il dut admettre qu’il s’était lourdement trompé sur le côté “garçon manqué”. Le pull large rentré dans sa ceinture mettait en valeur son buste épanoui, sa taille plus fine que les hanches lui faisait une silhouette caractéristique « en sablier » et quand il réussit à relever les yeux de ses attraits non négligeables vers son visage, il fut sous le choc de constater combien elle était belle. Le menton fin, des joues pleines à l’ovale à peine relâché, le nez un peu rond et fort et une bouche aux lèvres ourlées. Mais ce furent ses yeux qui le captivèrent aussitôt.

La beauté leva un sourcil interrogateur, probablement parce qu’il lui bloquait le passage ou parce qu’il avait l’air d’un abruti qui bavait devant elle.

— Euh… se racla-t-il la gorge. Vous voulez repartir par-là ? C’est pas très sûr ce quartier.

— Ah oui, ça j’ai vu. C’est le problème des grandes villes : la criminalité.

— Ils étaient combien ?

— Juste deux.

— Et ils sont partis sagement tout seuls ? Bizarre. Ils pourraient peut-être revenir…

— Mhn, je crois pas. Ils ont pris… la poudre d’escampette ! commenta-t-elle avec une petite touche d’amusement.*

Convoyant des émotions contradictoires, ses yeux magnifiques le troublaient plus qu’il n’aurait sans doute voulu l’admettre. Ils étaient gentils, ils étaient tristes et… affamés ? Trop tôt, elle les baissa pour fixer le sol. Un petit cliquetis résonna quand elle commença à reculer.

— Bon, maintenant que j’ai aidé cette brave dame, je vais pouvoir y aller. Merci de vous être arrêté. Bonne soirée.

La dernière chose dont il avait envie, au stade de misère relationnelle où il se trouvait, c’était qu’elle file très vite, surtout après qu’elle lui ait balancé un regard comme ça.

— Je… je peux vous raccompagner si vous voulez, hasarda-t-il en grimaçant intérieurement.

Elle hésita le temps de quelques brèves secondes et puis secoua la tête pour refuser avec un peu de confusion.

— Je vais me débrouiller. Vous avez sûrement des choses à faire et je ne veux pas vous déranger.

— Non. Et ça ne me dérangerait pas du tout, mon programme du soir était assez déprimant, dit-il en essayant sa voix la plus caressante.

— Déprimant ?

— Ouais, dit-il en sortant le magazine de sa poche pour le consulter. La seule chose qui passe dans mon cinéma, c’est « Intolérable Cruauté », mais si je patiente encore une heure, il y a… « Le Dernier Samouraï ». Qu’est-ce que vous me conseillez ?

— Peut-être… de passer de l’une à l’autre ?

Elle s’efforçait de ne pas sourire. Elle aurait pu dire : « Allez voir les deux ». Passer de l’une à l’autre. Passer de l’une à l’autre… Drôle de réponse. De la cruauté à… quoi… ? Il plissa les yeux et regarda le pitch.

Entre Miles et Marylin commence alors un match où tous les coups sont permis.

Capturé par les rebelles impressionnés par son courage, Nathan change de camp et décide de rejoindre leur combat.

Il la considéra avec plus de réserve. Non seulement les titres n’étaient pas anodins si on les prenait au premier degré, mais en plus ils faisaient mouche lorsqu’on le connaissait. Qui avait les moyens de constituer un dossier sur lui à part les vilaines fréquentations d’Angel ?

Son cœur battait joliment quand elle releva les yeux. Le regard furtif dont elle l’enveloppa lui procura un agréable frisson, malgré la zone de son cerveau qui lui enjoignait d’être prudent. Il la sentait pourtant dans l’expectative, comme si elle attendait qu’il dise ou fasse quelque chose… Inspirant un peu plus amplement, il confirma avec une petite jubilation intérieure que la petite maman sexy le trouvait à son goût. Meilleure nouvelle du jour. Il devait tenter sa chance :

— Vous n’avez pas l’air convaincue. Sinon, en dernière séance, ils passent… « Master and Commander ». Ça vous tente ? questionna-t-il avec plus de hardiesse sans la lâcher du regard.**

Elle ne put retenir un tout petit fou rire, vite étouffé par sa main, mais elle se ferma presque aussitôt pour rétropédaler avec un peu d’embarras.

— C’est votre soirée… vous devriez choisir simplement ce qui vous fait envie.

— Si ça ne dépendait que de moi, je ne la passerais pas tout seul au cinéma mais en meilleure compagnie ! répondit-il du tac au tac.

Semblant soudain douchée, elle reboutonna sa veste et souffla sur ses doigts avant de les mettre dans ses poches.

— Écoutez, je ne veux pas être impolie mais il faut vraiment que j’y aille, je suis attendue et on va s’inquiéter que je ne sois pas rentrée. Bonne soirée !

Il s’assombrit et ne répondit rien. Les choses ne prenaient pas la tournure qu’il avait espérée. La vie de sauveteur de la veuve et de l’orphelin n’était pas aussi propice pour faire des rencontres. Il devait s’y faire.

Avant de tourner les talons, il la remercia d’un petit hochement de tête et d’un bref sourire factice en disant plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu qu’il ne la retenait pas plus longtemps.

 Puis il arpenta la petite rue dans l’autre sens à grandes enjambées. A mesure qu’il s’éloignait, il entendit le lent soupir tremblé de la femme, et le battement précipité de son cœur qui se calmait.

Il pouvait y avoir plein de raisons à son refus. Il avait la nuit pour tenter de les imaginer avec différents degrés de sarcasme. Parce que franchement, comment n’aurait-elle pas pu être tentée par une aventure à la sauvette contre le mur d’une rue mal famée ?

Il plissa son visage en une grimace parce qu’il se trouvait pathétique, aussi pathétique que les boys scouts de Sunnydale quand il était encore un vampire digne de ce nom. Il allait tourner à l’angle et emprunter une avenue fréquentée quand du coin de l’œil, il vit qu’elle était toujours immobile, debout, la nuque cassée et le visage vers le ciel.

— Oh, Doyle ! murmura-t-elle. Il a l’air si sombre et si malheureux !

Doyle ?? Spike partit à droite, s’aplatit vivement contre le mur perpendiculaire et continua à focaliser au maximum son ouïe pour saisir ce qu’elle disait malgré la circulation et les autres passants. Il risqua un coup d’œil et la vit baisser la tête et la relever fixant un point devant elle comme si elle parlait à quelqu’un… sauf qu’il n’y avait personne.

— …ce qui se passe ? Il n’était pas censé… Harmony à nouveau ? Ou… vous… séparé… pour qu’il… Buffy plus vite ? attaqua-t-elle d’un ton blessé.

Visage même du mécontentement, Spike grinça des dents et plissa les paupières. Avec trois prénoms qu’il connaissait, il ne pouvait douter que cette femme parlait de lui, sans qu’il sache le moins du monde qui elle était. Et elle complotait Dieu savait quoi avec Doyle – si c’était bien celui qu’il connaissait. Ce qui le rendait furieux c’était de comprendre que la belle dame n’était sans doute qu’un piège placé sur sa route et dans lequel il aurait aisément pu tomber.

Sans transition, elle commença par marcher vite pour rejoindre l’avenue animée et éclairée. Dès qu’elle eut disparu à l’angle, il fonça pour la rattraper, mais à sa grande surprise, en fouillant du regard le trottoir pour chercher sa veste parmi les badauds, il réalisa qu’elle était déjà à cinquante mètres devant. Elle courait comme une championne ! Il se lança à ses trousses. Elle avait le pas lourd mais sa foulée cadencée était d’une extraordinaire régularité et elle ne semblait pas se fatiguer. Il accéléra.

Il était presque à la rejoindre quand elle grimpa dans un bus illuminé où elle resta debout. Elle savait parfaitement qu’il était là car elle le fixait d’un air profondément inquiet.

.

Il aurait aimé pouvoir dire que ça avait été difficile de la retrouver, mais pas du tout. Il avait noté la destination du bus et son terminus. Une fois là-bas, il avait attendu le chauffeur pour se faire dire où il avait déposé la plus jolie femme de la soirée, contre quelques billets. Une fois qu’il avait réduit le périmètre, il y était allé au pif (littéralement), et quand il la retrouva dans le parking à ciel ouvert d’un modeste hôtel urbain, il comprit que quelque chose lui avait échappé depuis le début.

Elle était aux prises avec deux hommes et une femme, un quatrième faisait le guet. Des vampires encore, ils étaient bien habillés comme s’ils sortaient d’un comité de direction… ou de Wolfram et Hart. Avocats et vampires ? Le Mal doublement incarné... Quand ils avaient essayé de l’immobiliser à deux, elle s’était dégagée en leur écrasant les pieds si fort que les os en avaient craqué. Ils poussèrent un hurlement de douleur et grondèrent de rage. Libre à nouveau, elle fléchit les jambes pour baisser son centre de gravité, dans l’attente d’un autre assaut qui vint vite. Au premier qui réessayait de la ceinturer par derrière, elle donna un coup de coude, le déséquilibra, elle lui shoota dedans deux fois, avant de le rejoindre, et pendant qu’il gisait à plat ventre immobile sur le bitume, elle lui défonça rageusement la cage thoracique du talon ! Et le vampire explosa en poussière.

Après un hoquet de surprise, un sourire carnassier et admiratif naquit sur les lèvres du spectateur silencieux qui se mit à la fixer intensément. Faussement calme, elle sentait la peur et la colère. Sa technique manquait considérablement de grâce, elle se battait comme quelqu’un qui veut juste survivre, mais la brutalité de ce qu’elle venait d’accomplir alors qu’il ne s’y attendait pas du tout, eh bien ça l’émoustillait pas mal. Ça et les autres choses qu’il avaient déjà notées à son propos…

Se redressant sans rien dire, elle sortit un pieu mal taillé de sa ceinture avant de l’empoigner correctement, pointe en bas en le laissant bien voir aux vampires qui restaient. Ce n’était pas vraiment une menace, mais l’annonce claire qu’elle s’en servirait s’ils insistaient.

C’était manifestement des vampires assez récents : ils insistèrent. Quand elle les vit fondre sur elle pour l’attaquer tous ensemble, elle fit un geste étrange avec sa main, comme si elle attrapait quelque chose d’invisible. Et l’instant d’après, elle était dans le dos de ceux qui voulaient l’attaquer, comme si elle venait d’être téléportée. Bras ouverts, elle se cala sur une jambe et détendit brusquement la seconde pour envoyer un kick qui fit reculer le second vampire de trois mètres en l’envoyant sur une rangée de thuyas.

La vampiresse se retourna. Elle semblait avoir compris que leur proie même apeurée avait des jambes redoutables et tenta sa chance de face en lui sautant aussitôt à la gorge. Au corps à corps, elle lui arracha le pieu des mains et voulut faucher ses jambes pour la faire chuter. Les deux crièrent à peine dans la lutte, mais la femme vampire réussit à prendre le pieu et le jeter vers le guetteur qui venait lui offrir un coup de main.

Spike restait à l’affut, se demandant s’il devait intervenir car Hot Mommy était en mauvaise posture, sans arme à moitié étouffée, essayant de repousser son agresseuse en se contorsionnant. Spike se tint prêt. Il n’avait aucun intérêt à ce qu’elle meure sans qu’il ait obtenu la moindre réponse à ses questions. Il allait intervenir quand elle poussa un cri de colère qui avait pourtant les accents du désespoir. Sans qu’il comprît comment, elle enfonça soudain son bras entre les côtes de la vampire qui tomba en poussière sur elle. Haletante, la main rougie, elle cracha les cendres avec dégout en continuant à surveiller les deux vampires qui restaient. Ils étaient à deux mètres d’elle et la regardèrent chanceler et se remettre debout pour leur faire face, assez bravement, malgré des larmes qui perlaient à ses yeux.   

— Ha. T’es une de ces Tueuses qui poussent comme des champignons, c’est ça ? dit l’un d’eux.

Elle garda le silence en continuant à les fixer d’un air farouche, tout en tâtant ses poches à la recherche de quelque chose, qu’elle sembla trouver. Un objet était dans son poing et elle le brandissait d’un air menaçant.

Le vampire n’ajouta rien et imité par son comparse, commença à reculer pour s’éloigner comme s’il avait l’intention fort sensée de finalement lâcher l’affaire.

Marchant vers eux à pas plus lents, elle bougea encore sa main et aussitôt un trou tout noir s’élargit derrière les deux vampires qui rebroussaient chemin à reculons, sans voir ce qui se passait derrière eux. Dans ce qui s’avérait une pure opération d’intimidation, elle tapa de la semelle, ce qui fit vibrer le sol et une craquelure apparut sur le bitume. Les vampires lui jetèrent un regard furieux et se retournèrent… juste pour mettre les pieds dans le cercle noir d’encre qui les engloutit ! A ce moment, la femme montra un petit rictus froid qui acheva complètement d’électriser Spike.

Hot Mommy s’approcha du trou. Rangeant machinalement une mèche trop courte derrière son oreille parce qu’elle lui barrait la vue, elle scruta avec circonspection l’endroit où ils avaient disparu tout en massant ses phalanges qui avaient traversé la vampiresse. « Bah vous restez pas ? » dit-elle tout bas, d’un ton où perçait l’ironie. Et d’une mystérieuse et fluide rotation du poignet, elle referma le trou.

Quand elle se retourna en direction de l’hôtel, un Spike légèrement menaçant lui barrait la route, debout devant elle, jambes écartées, les bras le long du corps et la tête inclinée.

— Je crois qu’il faut qu’on parle tous les deux, sorcière.

.

.

.

Notes

*Nous sommes d’accord qu’elles les a réduits en poudre, ces punks aux dents limées, mmh ?

**Ce sont tous des films sortis en 2003.

Laisser un commentaire ?