La Dame au Camée

Chapitre 4 : Rétribution

Chapitre final

4775 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/01/2023 13:38

La baronne de Westfield dévorait le délicat petit portrait des yeux, tenant ses lunettes comme une loupe. C’était une femme d’environs quarante-cinq ans, aux traits doux et aux cheveux courts, brun et parsemés de fils d’argent. « C’est le même coquillage, sans nul doute, marmonnait-elle. Exactement le même pourpre, les mêmes nuances… » Quand elle se rappela qui lui avait donné, elle releva les yeux comme un rêveur tout juste réveillé.

« Vous l’avez trouvé dans l’église ? » Tara hocha la tête. « L’église qui a brûlé au XIXème siècle ? » Nouvel hochement de tête. Qu’elle connaisse cette anecdote était bon signe. Elle expira un soupir, encore incrédule. « La couleur de ce camée... expliqua-t-elle, est unique ; parce qu’elle vient d’un coquillage spécialement nourrit par un naturaliste, pour étudier les effets de l’alimentation sur la pigmentation des coquilles. À ma connaissance, seulement trois bijoux ont été sculptés dans ce coquillage, et je possèdes les deux autres. Mais entrez, je vous en prie ; installez-vous. » Elle désigna un canapé dans le salon, puis ajouta : « Je vous fais confiance » pénétrant le regard de Tara. La baronne leur proposa ensuite quelque chose à boire. Le couple refusa, tandis qu'Anya acceptait avec un enthousiasme inattendu : « Oui ! avec plaisir madame la baronne, je meurs de soif !

— Très bien, s'en amusa-t-elle ; à la condition que vous ne m'appeliez plus madame la baronne ; je n'ai plus ni domaine ni fortune pour y prétendre. C'est à peine si je peux entretenir cette demeure, souligna-t-elle de la main. Madame suffira. » Avant de disparaître dans une autre pièce. Devoir attendre patiemment qu'on serve le thé contrastait inconfortablement avec l'urgence de la situation ; Buffy et Spike se battaient peut-être déjà avec la Némésis. Mais mieux valait se montrer poli. Willow compensait le stress en se frictionnant les genoux, Tara se berçait doucement d'avant en arrière... et Anya arborait un sourire assez enjoué pour intimider un clown, regardant partout. Le manoir était bien en piteux état. Du plancher aux bibelots, en passant par les meubles et la tapisserie, tout semblait si usé. On avait probablement rien touché ni rénové depuis deux siècles. Était-ce la faute de Spike ? Avait-il définitivement anéanti le village ? ou celui-ci avait-il connu une seconde décadence, longtemps après sa reconstruction ? La propriétaire revint avec une tasse fumante que sa destinataire accusa avec un trépignement d’impatience. Anya se comportait parfois comme une enfant ; on se demandait ce qui lui passait par la tête. « Vous désirez voir les deux autres camées je suppose, pour authentifier celui-ci ? Mais je vous préviens : ils ne sont pas ici, et je ne les remettrais qu'en mains propre au directeur de votre laboratoire — on m'a déjà assez volé.

— Oh, non. En fait, nous aurions simplement souhaité vous poser quelques questions, au sujet de Westfield. Et éventuellement consulter les documents dont vous disposez, cette nuit même ; nous avons un rapport à terminer pour demain matin. » Pour la première fois, la baronne les jaugea avec circonspection : « Je vous écoute, quelles question voudriez-vous me poser ? » Tara poursuivit avec brio son improvisation d'étudiante en archéologie, pendant que Willow reniflait. Une odeur bizarre se promenait. « Voilà, nous avons trouvé le camée dans un coffret où étaient aussi conservées des lettres, à destination du prêtre vraisemblablement. Plusieurs d'entre elles mentionnaient une sorcière... Et nous aimerions retrouver sa trace. » Les yeux de la baronne s'allumèrent comme des phares à cette annonce. Elle se leva soudain, criant presque : « Oui ! Attendez ! » Avant de foncer vers les escaliers et de les monter précipitamment. On entendit sa course se poursuivre sur le plancher supérieur, qui se pliait dangereusement sous ses pas. Le trio partagea son trouble par des regards circonstanciers, puis : « Elle a quelque chose on dirait. C'est bon pour nous.

— J'espère. » Willow reniflait encore : « Vous ne sentez pas une drôle d'odeur ? Je suis sûre de la connaître, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.

— Oh ! s'écria Anya. C'est ma tisane ! Elle est trop bonne, tu veux goûter ? » Willow renifla alors prudemment les effluves parfumés de la tasse que lui tendait son amie, puis écarquilla les yeux : « C'est une potion de jouvence ! » cria-t-elle, avant de se ressaisir et de plaquer une main sur sa bouche. Elle reprit en chuchotant : « C'est une potion de jouvence, une potion magique ! La baronne est une sorcière, c'est elle que nous cherchons !

— Tu es sûre ? » s'enquit Tara. Le hochement de tête et le regard froncé en réponse ne laissèrent aucun doute. « Attendez, attendez... commença Anya. Il existe une potion de jouvence et vous ne m'en avez jamais parlé ? Vous la gardez pour vous, c'est ça ?

— Chut ! Ce n’est pas ce que tu crois ; les potions de jouvences, c'est plutôt du genre portrait de Dorian Gray. Mais qu'est-ce qu’elle est partie faire là-haut ? » Le remue-ménage au-dessus ne décolérait pas. « Elle veut nous tuer, vous croyez ?

— Non, non, non, non, non ! Nous devons nous calmer ! Elle ignore nos vraies motivations. Pour l'instant, la seule chose qu'elle sait est que nous sommes curieuses d'une sorcière morte depuis des années. Elle ne peut pas savoir que nous l'avons démasquée ni que nous voulons bannir sa Némésis, pas avec certitude. Alors elle ne fera rien ; elle risquerait de s'attirer des ennuis inutilement.

— Oui, bien pensé. Alors faisons comme si de rien n'était, continuons à jouer la comédie. » Mais les trois jeunes femmes avaient audiblement du mal à avaler le morceau, et c'est paralysées qu'elles regardèrent, sans tourner la tête, leur hôte redescendre les escaliers.

Tout excitée, la baronne se rassit en face d’elles, des liasses de papiers entre les mains. Quand elle remarqua leur expression terrifiée, elle se demanda ce qui était arrivé : « Quelque chose ne va pas ? Vous êtes blêmes ? Vous ne digérez pas la tisane ? » Elle se penchait un peu plus en avant à chacune de ses questions, et ses invités réagissaient en se penchant un peu plus en arrière. Une question de plus et elles auraient renversé le canapé. Comme elles ne répondaient pas, la baronne se releva pour humer la tasse suspecte, mais ce fut trop pour les nerfs des jeunes femmes. Anya craqua la première : « N’approchez pas ! » La noble dame la considéra avec sidération, humant d’autant plus le contenu de la tasse. Puis ce fut à Willow de se lever : « Oui, nous savons qui vous êtes, n’essayez pas de nier ! Et nous sommes là pour conjurer le sort ! Mais inutile de résister, car nous sommes trois, deux sorcières et un démon de la vengeance, et vous êtes toute seule !

— Grand dieu, mais de quoi parlez-vous donc ? Avez-vous perdu la tête ?

— La Némésis, vous êtes la sorcière qui l’avez invoqué !

— Moi, une… ?

— Vous vous êtes trahie ! » Et la détective en ricanait bien : « Parce que je ne suis pas n’importe qui, madame, je sais reconnaître une potion de jouvence quand j’en renifle une !

— Oh ! vous parlez de… Mais ce n’est pas une potion… enfin si, mais pas exactement. C’est ce que je voulais vous montrer, regardez. » La malheureuse dame brandit un papier de sa collection. C’était un manuscrit calligraphié sur la potion de jouvence. « Cette recette a été donnée par une sorcière, certainement celle dont vous parliez, à mon arrière-arrière-grand-mère. J’ai de nombreux documents qui racontent ses activités dans Westfield. Apparemment elle était très appréciée pour ses talents de guérisseuse (c’est d’ailleurs ainsi qu’on l’appelait, « la guérisseuse »). Quant à la tisane, je me suis un jour amusée à cuisiner cette recette, sans y adjoindre certains ingrédients ignobles tels que les yeux de tritons, évidemment. Je l’ai trouvé bonne, et depuis je la prépare régulièrement. Voilà tout. » Malgré leurs bouches grandes ouvertes, les trois invités ne produisaient aucun son. Elles prirent le temps, longtemps, pour digérer l’information et Anya la tisane, qui passait très bien. Enfin, la baronne, encore un peu confuse, régressa sur un point curieux : « Vous avez dit que vous êtes deux sorcières et… un démon ? » Toujours sans aucun bruit, elles formulèrent un sourire embarrassé.


Buffy et Spike serpentaient au gré des rues étroites du bourg. C’était un vrai coupe-gorge, avec ses impasses, ses traverses ténébreuses, et ses maisons à trois ou quatre étages encastrées les unes dans les autres. Derrière chaque détour pouvait surgir un mur ou une porte fermée. Les pavés luisaient du même jaune froid que les ampoules électriques, ayant remplacé les bec-de-gaz dans les sempiternelles lanternes. Tout cela donnait un sentiment claustrophobique.

« Tu crois qu’on l’a semé ?

— Je ne sais pas, haleta Buffy, il faudrait sortir d’ici ! » Et à peine avaient-ils contourné un nouvel angle que Spike percutait un mur. En tout cas, c’est ce qu’il pensa tant l’impact fut brutal, avant de sentir des mains le saisir. La Tueuse avait bondit par dessus le croche-pied à sa destination et réagi immédiatement. Elle tenait encore Rétribution et piqua vers la Némésis, qui interposa le corps pantinisé de sa prise pour se protéger. La lame transperça le vampire, qui poussa un cri offusqué, mais alla finalement toucher le prêtre en plein cœur. Sans attendre, Buffy retira l’épée puis attaqua à nouveau, vers le haut, par dessus la tête de son camarade. Encombré par son bouclier, le prêtre encaissa le coup, lui fendant le crâne. Un coup de pied plus tard, tout le monde était débrouillé, et on reprenait la fuite à contre-sens. La Némésis cependant, courait plus vite. Aveuglée tant par la rage que par la cataracte de sang qui giclait par flots incoercibles sur ses yeux, elle partit en trombe avec un grognement se répercutant à travers la ruelle. Pourtant habitués à l’horreur, les deux combattants furent effrayés par ce cri, et plus encore par la vision cauchemardesque de la créature qui les poursuivait, et dont la moitié de tête fendue gigotait à chaque pas, déversant partout des gerbes de sang. « Ce doit être le truc le plus terrifiant... et le plus ridicule que j’ai jamais vu ! » commenta Spike entre deux inspirations. Lui et Buffy renversaient des poubelles sur leur passage, s’emparaient des couvercles pour les lancer tels des frisbees acérés, de pots de fleurs et de tout ce qui leur passait sous la main. Mais la Némésis les esquivait sans peine ou les repoussaient d’un coup autoritaire, réduisant l’écart rapidement. « Buffy, je suis à bout » se résilia Spike, les mains en compresses sur les deux sillons encore ouverts dans son abdomen. « Alors je vais l’occuper, décréta la Tueuse. Toi, cours !

— Non ! »

Et tous deux se retournèrent en même temps et encaissèrent de plein fouet la furie de la Vengeance. Ce fut un choc inconcevable, comme de courir tête baissée contre une boule de démolition. La Némésis les propulsa à travers un mur, ouvrant un trou béant sur la ruelle. Heureusement, la maison était vide. Buffy et Spike gisaient parmi les décombres, le corps lambrissé autant que le mobilier. Dans la poussière ils ne voyaient plus rien, mais entendaient de sinistres grognements de douleurs, de plus en plus monstrueux. Une silhouette grandissait, découpée par un lampadaire, et qui devint bientôt plus haute que le plafond. Une brique tomba sur la tête de Buffy, que cela ranima complètement. Qu’est-ce que c’était que ça ? Que se passait-il encore ? La poussière se dissipa lentement, dévoilant ce qui se tenait dans la pièce, à la place du prêtre. Un démon majestueux, aux courbes féminines, flanqué de gigantesque ailes, deux longues cornes en hélices, Rétribution, l’épée de la Vengeance en main.


Le trio de conjuratrices courait maintenant vers le chantier, là où tout avait commencé. Une discussion avec la pauvre baronne, effrayée par les accès de folies de ses invités, avait débrouillé tout ce capharnaüm. Évidemment, elle n’était pas une sorcière pluriséculaire alimentant en secret un sortilège d’invocation pour venger son village, survivant sous une forme malsaine à coups de potions de jouvence. Non, la baronne était une malheureuse femme qui, à l’instar de tous les héritiers de riches familles, se passionnait pour son histoire. Elle savait qu’une sorcière avait effectivement vécu à Westfield dans les années 1800, et qu’elle était si respectée par ses habitants qu’à sa mort, son prêtre, le père Bastien, avait souhaité l’inhumer dans son église, à la place d’honneur. Entendant cela, et sans prendre le temps de s’expliquer, Willow avait chaudement remercié leur hôte et prit congé. « J’ai déjà lu ça, rapportait-elle à ses comparses, que la dépouille de sorcières assez puissantes conservent des pouvoirs magiques. C’est rare, mais pas inédit. Et tout concorde avec le récit de Spike : il aurait lui-même invoqué Adrastée en saignant le père Bastien sur la dépouille de la sorcière, dans l’église. La haine, le sang d’une victime, catalysés par la magie résiduelle. »

Elles arrivèrent une nouvelle fois devant le portail du chantier, qui était défoncé. Autour des ruines se parsemaient un petit cratère et des traces de lutte, notamment des gouttes de sang. Toutes espéraient sans y croire que c’était un hasard, sans rapport avec la Némésis et que Buffy et Spike allaient bien. Elles entreprirent donc de fouiller les ruines en quête de la tombe, l’hypothèse étant que, brûler les ossements de la sorcière suffirait à conjurer le sort et contraindre le fragment d’âme divine à se replier vers son corps d’origine. Les deux sorcières jouaient parfois la grue, soulevant les décombres les plus lourds par télékinésie. Anya les observait, médusée par tant de puissance, et imaginant combien cela serait utile à Xander dans son travail. Ensemble, dans quelques temps, ces deux-là pourraient accomplir n’importe quoi. Enfin, après de longues minutes à déblayer les dalles de la nef, on repéra une tombe ouverte.

« Qu’est-ce que vous faîtes ? » interrogea une douce voix réprobatrice. Et en effet, le fantôme de la belle femme immaculée les considérait, une ride sévère entre les sourcils. Et derrière elle, toute l’assemblée des villageois de Westfield.


Le combat se poursuivait férocement dans la vieille maison ravagée. La Némésis, sous sa forme démoniaque, taillait dans le mortier encore en suspension, alors que Buffy et Spike esquivaient tant bien que mal. Sa grande taille et ses ailes la ralentissaient un peu, mais sa peau était devenue pratiquement impénétrable. Le plafond, sans plus aucun mur pour le soutenir, finit par les engloutir. Spike y échappa de justesse et se précipita vers les escaliers, pendant que Buffy et son adversaire disparaissaient sous un étage de débris. L’air était irrespirable. Mais déjà, la Némésis se relevait et déployait ses ailes, s’ébrouant comme après une baignade. Sur un semblant de pallier, le vampire évalua ses options, puis décida de bondir à travers un carreau qui donnait directement sur un autre, de la maison voisine. Il atterrit en roulant sur le plancher d’une chambre, la Némésis ruant derrière lui à travers les murs. Des cris dans la maison, celle-ci était habitée. Spike se releva pour continuer son périple à travers les fenêtres du bourg, mais la Vengeance le rattrapa, et tous deux défoncèrent un mur pour tomber dans la ruelle, un étage plus bas. Une maison plus loin, Buffy parvenait enfin à s’extirper des décombres du plafond, suffoquant à moitié dans la poussière. Un instant désorientée, elle repéra néanmoins les passages taillés dans les murs en haut de l’escalier. Cette piste la mena vers la maison voisine, où elle passa devant un couple affolé par la scène de guerre. Elle les repoussa d’une main distraite sans entendre ce qu’ils voulaient, pour rejoindre la dernière ouverture béant sur la ruelle, et s’y pencher. En bas, le vampire se débattait follement, mais la Némésis, bien plus forte, finit par l’arracher du sol, et après un bond, par s’envoler entre les bâtiments. La Tueuse eut tout juste le temps d’agripper une main qui filait devant elle. Et l’instant d’après, elle était pendue au bras de Spike, lui même pendu par le pied au démon à dix mètres du sol. Buffy voulut les retenir, d’abord en pêchant une gouttière avec son pied, puis en agrippant une antenne râteau de sa main libre, mais toutes deux cédèrent, et la grotesque envolée prit de l’altitude. Spike contempla amoureusement sa sauveuse dans les yeux, et celle-ci le pria de ne pas le faire, car elle devinait son intention. Alors il détacha leurs mains, et Buffy la sentit glisser avec une protestation puis un juron. Dans sa chute, elle traversa un toit, un grenier, puis heurta enfin le plancher d’un étage, sans jamais avoir détaché son regard de la silhouette difforme qui transitait maintenant devant la lune, brillant toujours aussi clair.


« C’est ma tombe que vous profanez » accusa l’esprit, appuyée par les regards sinistres de toute une horde de villageois fantomatiques. « C’est ce qui me semblait, la défia Willow. Vous n’êtes pas blessée parce que vous êtes morte avant l’attaque de Spike et Drusilla.

— J’ai protégé ces gens toute ma vie, justifia la défunte, désignant la foule d’une inclination de la tête, et je continuerai à le faire jusqu’au bout.

— Je suis désolée, mais nous n’avons plus le temps d’en discuter acheva Willow, le bras tendu vers la tombe.

— Vous croyez vraiment que brûler mes ossements suffirait pour conjurer le sort ? » Willow releva un sourcil alors que l’esprit se fendait d’un sourire malicieux. « Vous… ? C’est impossible !

— Quoi ? Quoi ? aboya Anya.

— Je pourrais t’apprendre... » insista l’esprit. Et une hésitation paralysa Willow, que Tara seconda : « C’est vous qui alimentez le sort ? Votre fantôme ? Vous pratiquez la magie à l’état de fantôme ? Comment est-ce possible ?

— Westfield mérite d’être vengé, tous ces gens méritent justice !

— Vous avez raison, continua Tara, les actes de Spike sont impardonnables. Mais il a changé ; lui aussi protège les gens, maintenant ! En le tuant, vous priveriez le bien d’un de ses héros les plus vaillant ! » L’esprit regardait par terre, sa terre natale : « Quelques mois avant l’arrivée des vampires, Romuald est tombé malade. » Elle appela un jeune homme de la main, avec deux plaies à jamais sanguinolentes souillant sa gorge blanche. C’était le fils de l’orfèvre. « J’ai épuisé toutes mes connaissances pour le sauver. J’ai préparé quatre des potions les plus compliquées, pour lesquelles d’autres habitants et moi avons sacrifié force, temps et argent. J’ai veillé ce jeune homme comme mon propre fils des nuits entières, priant le seigneur et les dieux de la nature de conjurer son mal, pleurant à ses gémissements comme à autant de glas. Mais nous l’avons sauvé, tous ensemble ! Romuald, alors que nous attendions son trépas, a gagné la pire bataille. Et comme il guérissait, dans l’allégresse générale, peut-être parce que je l’avais tant veillé, ou peut-être parce que les dieux en avaient décidé ainsi, son mal me fut donné. Et un jour plus tard, je devais y succomber. Pour toutes ces années de fraternité, le père Bastien, malgré mon paganisme, me réserva une place dans son église, et plaida ma cause auprès du Seigneur. Et le père de Romuald, orfèvre de métier, me confectionna le plus beau des pendentifs pour m’accompagner dans la tombe. Votre ami est arrivé deux jours après mes funérailles. Et voyez ce qu’il a fait à Romuald ! pas seulement à son corps, mais à son âme, damnée ! comme toutes les autres ! » Une flamme jaillit soudain de la tombe, diffusant une lueur infernale sur la scène. Le couple de sorcières se retourna, ahuri, les yeux encore humides du récit tragique de leur consœur, vers Anya, penchée au-dessus du brasier, un briquet à la main. Cette dernière hocha les épaules :

« Elle ment au sujet des ossements. C’est du bluff, pour gagner du temps. Vous ne croyez-pas ? » ajouta-t-elle avec une candeur désarmante. Et visiblement, elle avait raison. L’âme de la sorcière pleurait, alors que ses concitoyens, ses amis désincarnés, faisaient une mine de déterré.

« Puissiez-vous avoir raison, mes sœurs, renifla-t-elle. Je vois que vous êtes sincères et bonnes. Mais si vous vous trompez… vous devrez vivre avec les conséquences. » Et ainsi, toute l’assemblée, ce qui restait de l’âme de Westfield, s’évanouit avec les dernières cendres de la dame au camée, dansant au gré du vent.


Au même moment, Spike était au prise avec la Némésis, ou plus précisément avec ses jambes, dans un nuage. La situation était franchement critique, car une chute de cette hauteur ne lui laisserait pas grand-chose à régénérer. S’étant redressé par une cabriole, son taxi vers l’enfer entendait s’en délester à coups de griffes postérieures. Spike avait donc la poitrine entièrement lacérée, en plus de tout le reste, et pensait que son précieux blouson ne devait pas être plus beau à voir. C’en était trop ! Quitte à remourir, autant le faire avec classe ! Le vampire se hissa donc avec le peu de force encore disponible dans ses bras pour mordre la jambe à laquelle il tenait, et à pleines dents ! Ses pensées lorgnaient vers Tom Hanks qui, dans « le soldat Ryan », explose un tank avec la seule puissance de son pistolet alors que tout est perdu. Et c’est exactement ce qui se produisit ! Contre toute attente, l’invincible fragment de déesse chancela, puis dénivela par à-coups, incapable de maintenir son altitude. Une fois descendu à une hauteur tolérable, le vampire en profita pour se laisser choir. Son corps hurla malgré lui, hurla, hurla, hurla. Si bien que Willow, Tara, et Anya avaient toutes la tête dans les étoiles lorsqu’il pénétra dans un tas de sable à la vitesse d’une météorite, sa chevelure blonde lui donnant plus l’air d’une comète. Après un roulé-boulé 10/10, le vampire se releva, plié en deux pour cracher du sable.

« Franchement, je crois qu’il vaut mieux s’en tenir au plan d’origine et ensorceler ta moto, rigola Willow ; sinon les méchants vont se moquer de nous avec un cri pareil !

— Riez tant que vous voulez, femelles ! » Spike en était maintenant à l’époussetage. « Mais moi ! le grand Spike ! j’ai dérouté une déesse avec ma seule morsure ! Qu’est-ce que vous dîtes de ça, hein ? » Mais bizarrement, les filles n’en rirent que davantage !



Le lendemain, 13h00


Xander et Dawn s’en tiraient avec quelques ecchymoses et plaies superficielles. Buffy et Spike étaient plus amochés, mais se remettaient bien vite, à l’exception de quelques accès de toux sablonneuses pour ce dernier, qui se prolongèrent plusieurs semaines. Lorsque le scooby-gang fut rassemblé au Magic Box le lendemain, remonté comme un kit de Lego par les sorcières, Spike toussa un peu de sable pour se dégager la voix : « Hum… Je voulais tous vous remercier de m’avoir sauvé… une nouvelle fois. Tous les efforts que vous avez fait pour moi, tous les risques, c’est… Je vous en suis très reconnaissant, et je ferai tout mon possible pour les mériter, voilà. » Tous acquiescèrent en silence… sauf Xander : « Ce n’était pas pour toi, Spike, c’était pour tous les innocents que tu sauveras encore.

— Tu peux compter là-dessus, champion.

— J’espère bien. »


Plus tard, Spike rejoignit Buffy, isolée dans la salle d’armes. Reconnaissant son pas et ses effluves de cuir et de gel pour les cheveux, elle déclara soudain, sans même se retourner : « Tu mérites d’être sauvé, Spike. » Celui-ci encaissa un moment, puis, au lieu de la réponse vulnérable à laquelle Buffy s’attendait, le vampire la saisit brusquement par les épaules, la retourna pour lui faire face, et la secouant presque : « Écoute-moi bien, Tueuse ! Je ne suis pas une bonne personne ! Oh, non... Je suis Spike ! le terrible ! le tueur de Tueuses ! Et non, je te vois venir, je ne dis pas ça par remords, justement ! Je me fiche bien de tout le mal que j’ai causé, de toutes les horreurs j’ai commises ! au contraire même, j’en suis fier ! Tout ce que je fais, tous les efforts pour être gentil, c’est pour toi, par amour malsain, inhumain, pour toi. Parfois, je crois arriver à comprendre ce que vous ressentez, pourquoi vous faites tout ce que vous faites, mais je ne fais que jouer la comédie, pour toi, pour moi-même. C’est une façade, une mascarade, pas si différente de celles auxquelles Drusilla et moi participions à l’époque, pour endormir nos proies. J’essaye de me convaincre que j’ai changé, alors qu’en réalité, c’est la puce ! Je ne peux pas faire autrement, mais je suis encore là ! Spike est encore là ! Ce même Spike qui a massacré tout un village et plus encore, dans l’allégresse ! Je suis comme le pire des molosse auquel on passe un collier électrique pour le mater. Quand on m’enlèvera ce collier, quand la puce tombera en panne, ou que je pourrai la faire retirer, et nous savons tous les deux que cela arrivera, le molosse sera en liberté, et plus féroce que jamais. Pour ta sécurité, et la sécurité de tout le monde, gardes bien ça en tête, Tueuse. » Et il martela cet avertissement sur le front de son amie. Puis, l’abandonnant les larmes aux yeux, il quitta la pièce dans un virevoltement de cuir, avec sa démarche de voyou invincible.

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