Murmure d'encre

Chapitre 1 : Murmure d'encre

Chapitre final

4154 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/05/2017 21:31

Ombre regardait d'un air dubitatif l'oiseau posé sur son bureau. Il s'agissait d'un petit moineau visiblement blessé qui cherchait à s'envoler malgré son aile manquante. La jeune fille sentit son coeur se pincer d'amertume et de culpabilité à l'idée que son autre aile devait se trouver quelque part dans le poème qu'elle avait composé. Elle gomma quelques mots et en réécrit d'autres avant de lire ce qu'elle avait écrit. L'oiseau disparut en laissant toutefois quelques plumes sur le bureau.

Ombre soupira et se redressa. Malgré sa relativement petite taille et sa silhouette fine qui lui donnaient un air fragile, ses yeux sombres brillaient d'une lueur qui laissait percevoir sa vivacité d'esprit et sa solidité mentale. Ses bras dénudés par son débardeur noir semblaient pâles à cause du manque de soleil dû à la tendance qu'elle avait à s'enfermer chez elle, dans sa chambre, et son jean de la même couleur mais toutefois couvert de multiples taches et troué en plusieurs endroits indiquait son goût pour les expériences dangereuses et colorées. Ombre était en effet une scientifique dans l'âme, malgré ses dons de poète et d'écrivain: bien que la physique et les mathématiques ne l'intéressaient pas, au même titre que l'histoire, la géographie ou la philosophie, elle trouvait un intérêt dans la chimie, la biologie et la littérature. Son don n'y était sans doute pas pour rien: Ombre l'étudiait depuis qu'elle avait remarqué qu'elle était la seule à le posséder, elle le développait et en testait les limites, cherchait à comprendre pourquoi elle le possédait et comment il fonctionnait, si elle pouvait l'utiliser dans toutes les conditions ou encore à quoi il pourrait lui servir. Cela en faisait une fille assez renfermée, mais pourtant gentille et souriante, parfois trop calme, parfois incapable de tenir en place. Elle n'avait pour véritables amis que son chat noir, Shadow, et un dragon de la taille de sa main qu'elle avait fait apparaître à partir de l'un de ses livres favoris et qui se prénommait Rubis. Ce dernier était d'ailleurs victime du pouvoir d'Ombre: dans le livre où elle l'avait trouvé, il était décrit comme immense et cracheur de feu. Quand Ombre l'avait fait apparaître, Rubis était tout petit... Et avait perdu sa meilleure défense, son aptitude à cracher des flammes. Toutefois, l'un comme l'autre étaient plutôt ravis de ce petit changement, car Rubis suivait Ombre partout et ne risquait pas de mettre le feu à sa trousse en éternuant.

Si Ombre avait peu d'amis humains, c'était également à cause de son don: elle ne voulait pas que quelqu'un vienne à l'apprendre, de peur de se retrouver dans un laboratoire et observée comme un cobaye, ou encore qu'on lui demande de faire apparaître n'importe quel personnage de roman ou de livre. Malgré ses efforts pour le maîtriser, elle le considérait comme quelque chose de dangereux. Elle en avait déjà fait les frais en tuant involontairement ses parents, quand elle avait six ans. Elle lisait un livre sur les volcans, et fière de sa découverte avait commencé à le lire à voix haute... Provoquant le réveil d'un volcan éteint tout proche. Ses parents étaient morts et elle avait failli périr elle aussi avant d'être sauvée de justesse par un phénix qu'elle avait appelé en lisant. Depuis ce jour, elle vivait avec sa tante et son oncle, mais ne pouvait oublier la perte de ses parents. Par ailleurs, elle ne réussissait pas à se servir de son don comme elle le voulait: les résultats qu'elle obtenait étaient catastrophiques. Elle se débrouillait toujours pour ne pas avoir à lire en classe ou, quand elle ne pouvait s'y soustraire, se forçait à lire suffisamment mal pour que rien n'arrive. Cela marchait rarement: malgré ses efforts, des phénomènes étranges se produisaient toujours quand elle lisait, jamais positifs, toujours terrifiants et synonymes de mort ou de drame.


Ombre s'étira et regarda l'heure: il était plus de minuit. Elle soupira en pensant à sa famille endormie et à la​ douche qu'elle voulait prendre sans pour autant pouvoir le faire. Elle risquait de réveiller tout le monde... Elle se contenta donc d'enfiler un survêtement et se glissa dans son lit. Rubis dormait déjà, entre les pattes de Shadow. Ombre caressa la tête du chat en fixant le plafond invisible dans l'obscurité, incapable de dormir. Elle pensait aux imperfections de son don et ne comprenait pas pourquoi, malgré toutes ces années, elle ne parvenait pas à le maîtriser totalement. Elle parvenait mieux à le contrôler que lorsqu'elle était petite, mais elle ne réussissait pas à obtenir ce qu'elle voulait : quoi qu'elle fasse, les créatures qu'elle invoquait avait toujours un problème, les phénomènes qu'elle créait étaient toujours à l'opposé de ce qu'elle voulait et parfois, il ne se passait rien du tout.

Elle était absorbée par ses pensées quand Shadow leva brusquement la tête. Ombre sentit ses poils noirs et soyeux se hérisser sous ses doigts alors que le chat se levait en crachant en direction de la fenêtre. Rubis se réfugia dans le cou de la jeune fille, qui se redressa, alertée par le comportement de ses amis. Elle ferma les yeux pour écouter. Au bout de quelques secondes, elle entendit distinctement des pas sur le gravier de l'allée et son coeur se mit à accélérer lorsqu'elle entendit une voix d'homme. Elle s'approcha de la fenêtre à pas de loup et regarda discrètement derrière le rideau: trois hommes se tenaient devant la porte d'entrée et parlaient avec animation. L'un d'entre eux portait un fusil de chasse, un autre tenait un énorme couteau qui fit frémir Ombre. Elle s'éloigna de la fenêtre et courut le plus silencieusement possible dans la chambre de son oncle et de sa tante et secoua cette dernière pour la réveiller​, sans toutefois allumer la lumière de peur d'alerter les trois hommes. Lorsque sa tante grommela quelque chose, Ombre lui dit à mi-voix, d'un ton où perçait sa peur:

- Tante Anna, réveille-toi ! Il y a trois hommes armés dehors...

- Retourne dormir, Ombre... lança son oncle en bougeant à son tour.

À ce moment là, un gros coup retentit sur la porte. Les deux adultes se redressèrent d'un même mouvement.

- Armés, tu as dit? demanda l'oncle en attrapant une petite lampe sous son oreiller pendant qu'un autre coup ébranlait la porte d'entrée.

Ombre hocha la tête, aveuglée par le petit éclat de lumière de la lampe. Sa tante attrapa son téléphone portable et composa le numéro de la police pendant que son oncle fermait la porte de la chambre et poussait une lourde commode devant cette dernière pour la bloquer. Ombre l'aida pendant que sa tante expliquait la situation à la police en les suppliant de se dépêcher. Quelques instants plus tard, la porte d'entrée vola en éclats et des pas précipités se firent entendre dans toute la maison. Les intrus ne semblaient pas tendres avec les objets qu'ils rencontraient, mais ils ne semblaient pas non plus décidés à tout casser à en juger par la vitesse de leur marche. Shadow se frotta dans les jambes de sa maîtresse en miaulant d'inquiétude, Rubis lâcha un petit cri rauque et Ombre était blottie au fond de la pièce, terrifiée à l'idée de mourir. Soudain, la porte de la chambre trembla sous un coup. Un cri résonna de l'autre côté.

- Ils sont là ! Basta, Nez-Aplati, venez ici, je les ai!

La voix de l'homme était étrange, comme si ses cordes vocales avaient été déformées. Un bruit de course résonna dans l'escalier et un autre coup secoua la porte. La commode trembla et menaça de tomber, mais elle résista à l'assaut. Ombre lâcha un hurlement quand un couteau transperça la porte.

- Sauve toi, Ombre, murmura la tante à la jeune fille en ouvrant la fenêtre. C'est toi qu'ils veulent, à cause de ton don. Enfuis toi! Nous pourrons les retenir le temps que tu t'éloignes de la ville.

Ombre se mit à trembler, mais ne put protester. Sa tante la poussa jusqu'à la fenêtre. Bien qu'ils soient au premier étage, en se suspendant à l'appui de fenêtre, Ombre pouvait atterrir en bas sans trop de dommages, sans compter l'arbre qui poussait suffisamment haut pour qu'elle puisse se réceptionner sur ses branches basses et amortir sa chute. Shadow la précéda et Ombre atterrit souplement près de son chat. Mais une main se referma violemment sur son poignet et l'empêcha de bouger.

- Basta, je l'ai! Elle tentait de fuir par la fenêtre ! hurla l'homme en lui attachant les mains dans le dos malgré ses cris de douleur.

Quelques instants plus tard, deux hommes surgirent de la maison. L'un d'entre eux avait une chemise blanche impeccable et semblait particulièrement violent. Il avait un couteau dans la main et sourit froidement en voyant Ombre.

- Alors c'est toi la langue magique du coin... lui dit il en la pointant de son arme. T'as intérêt à faire mieux que cet idiot qui sert de lecteur à Capricorne.

Il rangea son couteau dans sa ceinture en se remettant à marcher.

- On y va, fit-il à l'intention de ses acolytes.

Les deux hommes firent avancer Ombre jusqu'à une voiture noire, un véhicule tout terrain qui ne plut pas du tout à la jeune fille. Cette dernière fut forcée à monter à l'arrière, à côté de l'un des trois hommes, qui avait un nez particulièrement déformé. Elle en déduisit que c'était le Nez Aplati que le troisième homme avait appelé, devant la chambre de son oncle et de sa tante.

- Regarde, sorcière... murmura l'homme au couteau, le dénommé Basta. Tu peux dire adieu à ta famille pour de bon...

Ombre plaqua une main sur sa bouche en voyant les flammes s'élever le long de l'arbre qu'elle avait descendu quelques minutes plus tôt. Ces flammes dévoraient l'arbre et se rapprochaient de la maison rapidement, menaçant l'oncle et la tant d'Ombre... Les trois hommes se mirent à rire devant sa réaction et le troisième homme, celui à la voix dissonante, démarra le véhicule. La maison disparut bientôt dans la nuit, avalée par l'obscurité. Ce fut bientôt le tour de la ville, puis de tout ce qu'Ombre connaissait. Bientôt, elle se retrouva seule dans cette voiture inquiétante, entourée de trois inconnus terrifiants et roulant vers une destination toute aussi inconnue, avec une seule certitude : personne ne pourrait venir l'aider.


Le voyage dura une éternité. La jeune fille ne pouvait échapper à ses ravisseurs, ils étaient bruyants, moqueurs, violents... Mais aucun d'eux ne voulut l'approcher de trop près. Celui qui se nommait Basta semblait même avoir peur d'elle: il ne cessait de toucher un objet attaché à son cou comme un talisman et ne lui parlait que très peu, toujours avec dédain ou violence. Les autres ne la traitaient guère mieux: les moqueries et remarques inquiétantes qu'ils lui lançaient ne la rassuraient pas, et sur les quelques arrêts qu'ils firent, elle ne put descendre de la voiture que pour aller aux toilettes. Ils lui apportaient à manger dans la voiture, et en petites quantités. La seule choses qu'ils lui accordèrent à sa guise, ce fut de l'eau, surtout lorsque le soleil ne quitta plus le ciel, le troisième jour. Ils lui permirent également d'enfiler des vêtements plus adaptés à l'ambiance étouffante, mais probablement pour ne pas la voir mourir de chaud.

Pour passer le temps et calmer son anxiété, Ombre s'imaginait comment elle allait s'en sortir, elle s'inventait des histoires où elle devenait une héroïne en quittant ce village maudit dont les hommes lui parlaient, elle interprétait de manière scientifique les changements du climat et de remémorait tout ce qu'elle savait sur les moindres détails, à l'extérieur : les animaux, les plantes, les nuages, les avions... Mais rien ne réussissait à calmer sa peur, qui lui jouait l'estomac et lui rongeait le coeur. Elle était comme un parasite qui s'était ancré en elle sans qu'elle réussisse à s'en débarrasser...

Enfin, un village apparut dans les collines, perdu au milieu de nulle part, isolé et coupé de tout. Enfin, si l'on pouvait qualifier de village cet agglomérat de maisons en ruines, certaines calcinées, d'autres effondrées, d'autres encore abandonnées et condamnées au délabrement. Ombre n'eut pas besoin des remarques des trois hommes pour comprendre qu'il avait été déserté depuis très longtemps, suite à des catastrophes naturelles : des lézardes dans le sol trahissaient l'action d'un tremblement de terre et les débris pourris des maisons montraient bien qu'elles étaient à l'abandon depuis très longtemps. Seuls deux bâtiments semblaient entretenus de manière régulière : une maison qui semblait être autrefois une mairie, et l'église, qui semblait maintenant ne plus avoir cette fonction. C'est d'ailleurs dans cette dernière qu'Ombre fut conduite par les trois hommes.

À l'intérieur, le lieu saint avait été transformé en maison du diable: les murs étaient rouge sang, plus aucune statue de saint ou crucifix n'ornait les murs et l'autel lui-même avait été retiré, remplacé par un immense fauteuil noir semblable à un trône. Ombre fut particulièrement effrayée par une statue immense, la seule présente dans l'église, visiblement sculptée par un amateur et représentant un homme au visage assez inquiétant. Dans l'église, là où se trouvaient habituellement les bancs, il y avait deux grandes tables qui semblaient accueillir les repas des hommes de Capricorne. Puis Ombre remarqua celui qui avait servi de modèle à la statue, elle n'eut aucun doute là dessus : assis sur le fauteuil, il était grand et maigre et portait un costume rouge impeccable sur une veste noire. Ce qui frappa le plus la jeune fille, ce fut sa pâleur: sa peau semblait être de papier et ses yeux délavés luisaient de manière inquiétante. Ses cheveux, coupés en brosse, étaient soit gris, soit blond clair, elle n'aurait su le dire. Basta la força à s'incliner devant lui.

- Alors c'est elle, la fille Langue Magique? demanda Capricorne quand elle se fut redressée.

Sa voix était grave et sombre, ce qui fit frissonner Ombre.

- Je m'appelle Ombre, murmura la jeune fille en puisant dans une réserve de courage qu'elle ne se connaissait pas.

- Ombre... murmura Capricorne en souriant. Quel beau prénom, si... Sombre...

Il se leva et s'approcha de la jeune fille. Ombre eut un mouvement de recul quand Basta la lâcha.

- Tu possèdes un pouvoir, n'est-ce pas ? continua Capricorne en se délectant de sa peur.

- Je ne maîtrise absolument pas ce que je fais, bredouilla Ombre en espérant qu'il la libérerait.

Capricorne sourit davantage.

- Comment cela?

- Je... Je n'ai jamais ce que veux, continua Ombre. Des fois, il ne se passe même rien du tout...

- Alors fais en sorte que quelque chose se produise, susurra Capricorne avant de retourner s'asseoir sur son trône.

Ombre ne répondit rien. Le couteau de Basta entre ses côtes était assez significatif de ce qu'elle risquait.

- Donne lui donc une chambre, Basta. Et fais en sorte qu'elle mange bien.

Basta acquiesça avant de faire sortir Ombre de l'église. Il l'emmena en direction de la grande maison, dans la cour de laquelle des femmes jardinaient sous le soleil de plomb de la fin d'après midi. Ombre fut conduite dans une pièce meublée seulement d'un lit, d'une table, une chaise et une étagère vide. Quand Basta ferma la porte derrière elle, elle se mit à pleurer en pensant à ce qui lui arrivait. Non seulement ils avaient probablement détruit sa famille, ou plutôt son oncle et sa tante, mais en plus ils l'avaient enfermée dans ce lieu effrayant, seule, et qui sait ce qui allait lui arriver, maintenant ? Elle en avait entendu assez pour savoir que personne ne tenterait de venir la chercher ici... Et tout cela à cause de son don... Non, de cette malédiction. Elle était maudite, aussi incapable de faire apparaître ce qu'elle voulait de ses lectures que de prévoir les effets de ce qu'elle créait avec ses expériences... Elle repensa à Shadow, son magnifique chat noir. Puis elle pensa à sa chambre, à sa collection de cristaux et de minéraux si incroyables au microscope... Les reverrait-elle un jour? Elle savait que non.

Elle fut tirée de ses pensées par de petits coups sur la vitre. Elle leva les yeux vers cette dernière: une créature de la taille d'un petit oiseau, mais qui n'en était pas un, donnait de petits coups de tête contre la paroi en verre, visiblement décidé à ce qu'Ombre réagisse. La jeune fille sentit son coeur s'alléger légèrement en reconnaissant Rubis: ce dernier l'avait suivi! Elle ouvrit la fenêtre et le fit entrer discrètement dans la pièce. Le dragon semblait épuisé, mais il poussa un petit grondement de joie en donnant un léger coup de tête dans le cou d'Ombre. Cette dernière reprit courage: si Rubis était là, elle pouvait réussir à s'enfuir...


Elle passa le reste de la journée à réfléchir. Elle n'avait aucune arme, aucun objet qui pouvait lui servir pour fuir, et elle était seule face à un groupe organisé de voleurs, de bandits et d'assassins. Ils étaient cruels, méchants, moqueurs, musclés, nombreux, lâches et visiblement très violents. Ombre inspecta le contenu de sa chambre: un lit, une table et une chaise en bois, une étagère dans le même matériau, un matelas, une couverture, Rubis et elle. Cela ne suffirait bien évidemment pas pour les combattre. Si seulement il y avait quelque part un livre d'où elle aurait pu faire surgir une arme... puis elle décida de prendre la situation sous un autre angle, un angle sous lequel elle aimait prendre les problèmes: elle était le personnage d'un roman ou d'un conte et devait se libérer. Elle se demanda comment auraient réagi les héros de ses livres à sa place...

Elle tentait de soulever le matelas pour voir s'il était possible de briser les lattes quand elle entendit des pas dans le couloir. Elle prit aussitôt un air désespéré et cacha Rubis. Elle réussit à faire couler quelques larmes au moment où la porte s'ouvrait sur une femme assez âgée, dont le visage la faisait ressembler à une pie. Elle avait un livre dans les mains, un énorme livre qu'Ombre avait déjà lu et relu plusieurs fois: Le Hobbit. La vieille femme était accompagnée de Nez Aplati et attrapa la jeune fille par le bras pour la forcer à se lever.

-Capricorne m'a demandé de te faire lire ceci pour voir si ton don est réellement utile, lui dit-elle d'un ton un peu brusque.

Ombre trembla quand elle déposa le livre ouvert devant elle.

-Lis, et dépêche toi de faire apparaître le trésor, sinon...

La menace était claire. Ombre commença donc à lire, terrifiée. De ces mots rendus vivants par sa voix apparurent des pièces, peu nombreuses, mais bel et bien présentes. La voix d'Ombre s'intensifia à mesure qu'elle se représentait le trésor des nains, amoncelé dans les cavernes de la montagne, dans cet univers magique... le vent se leva à l'extérieur, une légère odeur de fumée emplit l'air et bientôt, un rugissement se fit entendre dans le ciel. Ombre vit avec horreur Smaug par la fenêtre, les hommes de Capricorne tentant vainement de le retenir. La femme frappa Ombre au visage, les traits déformés par la colère.

-Tu l'as fait exprès, sale peste! cria-t-elle. Nez Aplati...

Elle se baissa de justesse en évitant un corps qui s'écrasa sur le mur derrière elle, projeté par le souffle de Smaug.

-Je peux le renvoyer d'où il vient, murmura Ombre en ayant soudain une idée. Mais il me faut du papier et un crayon.

La vieille femme refusa tout d'abord de lui en apporter. Elle ne lui faisait absolument pas confiance et refusait de risquer sa vie inutilement. Mais lorsque Capricorne s'en mêla, il lui fut impossible de refuser malgré l'erreur de la jeune fille. Ombre se mit aussitôt au travail dès qu'elle eut ce qu'elle voulait. À l'extérieur, le dragon commençait à faire brûler la région et les hommes de Capricorne avaient du mal à venir à bout des flammes qui envahissaient le village. Ombre ne fit pas attention au feu qui encerclait la maison, se concentrant sur le papier et les mots qu'elle y inscrivait fébrilement. Elle entendait les cris des femmes terrifiées, ceux des hommes qui tiraient à coups de fusil sur le dragon, les coups de feu des armes et les hurlements du dragon enragé qui soufflait des flammes et menaçait les hommes... "Ils n'ont aucune chance", se dit Ombre en voyant le dragon attraper un homme entre ses griffes. "Leur meilleure arme, c'est cette feuille et mon crayon..."

Elle finit rapidement d'écrire. Elle avait rempli deux pages, mais ça lui suffisait. Son écriture était si fine que quelqu'un d'autre aurait pu remplir le double de pages pour le même texte. Ombre s'éclaircit la gorge et commença à lire les phrases qu'elle avait écrites, sous les yeux remplis de colère et de crainte de la vieille femme.

- "Smaug détruisait le village dans lequel il était arrivé. Sa colère était telle que les hommes tremblaient sous ses assauts, les femmes s'enfuyaient en hurlant et même les plus féroces serpents de la région refusaient de s'approcher du village du Diable, comme on l'appelait dans la région."

Ombre prenait son temps pour lire, elle y mettait tout son talent pour faire vivre les mots qu'elle avait mis sur papier, faisait chanter les lettres tremblantes, rajoutait enfin l'espoir et la volonté de réussir. Cette fois, elle allait réussir, elle le sentait.

- "Seulement, une jeune fille attira l'attention du monstre: c'était une adolescente du nom d'Ombre, tout à fait ordinaire, à ceci près qu'elle avait un don: elle réussissait à contrôler le dragon avec ses mots. Smaug fut attiré par sa voix qui l'appelait et se posa au milieu des flammes, détruisant le mur de la maison de Capricorne au passage.

Un grand fracas retentit: le dragon obéissait à ce qu'Ombre lisait. La jeune fille préféra ne pas regarder la scène et continua de lire calmement, sous les yeux éberlués de la vieille femme et de Nez Aplati.

- "Il écouta la jeune fille pendant un long moment, hypnotisé par sa voix et par les mots qu'elle prononçait."

Les lettres roulaient doucement sur sa langue, ses lèvres insufflaient la vie aux mots, et sa volonté de se libérer grandit encore.

- "Soudain, il baissa la tête pour mieux entendre la voix qui chuchotait ces mots et autorisa la jeune fille à monter sur son dos. Il lui faisait totalement confiance, n'avait absolument pas envie de la tuer et souhaitait l'aider à se libérer de ses bourreaux."

Ombre grimpa sur la tête du dragon en continuant à lire, en évitant Nez Aplati qui tentait que lui bloquer le passage. Le dragon releva la tête...

- "... Et Smaug disparut sous les yeux ébahis des hommes de Capricorne et de Capricorne lui-même, sa cavalière avec lui. Ils retournèrent dans la Montagne Solitaire, seuls, loin du village de Capricorne et de la planète Terre."

Dans le village de Capricorne, la panique gagna la plupart des hommes quand le dragon disparut aussi soudainement qu'il était apparu. Derrière son masque impassible, Capricorne était à la fois furieux et impressionné par la jeune fille. Il murmura pour lui même :

- Elle n'avait aucune arme, aucune chance de fuir... Et pourtant elle l'a fait. Bravo, Ombre... Mais je te retrouverai un jour, je le jure.

Dans sa main, il tenait une feuille de papier à moitié brûlée. Les mots qu'Ombre y avait inscrits se perdaient lentement dans la cendre que devenait la feuille...



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