Inconnue au bataillon

Chapitre 1

1411 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/06/2018 10:45

  • Ça nous change de ne pas passer l'après-midi à ma morgue.
  • Avec un temps pareil, on se croirait en vacances.
  • C'est bien vrai. Pourquoi est-ce que vous n'êtes pas avec votre Aimé ?
  • Vous n'allez pas recommencer avec ça !


Par précaution Frédéric Caïn s'écarta prestement et laissa une roue de distance entre lui et sa commandante. Lucie Delambre crispait la mâchoire mais le grand soleil qui les chauffait la prévenait de vouloir s'énerver plus contre lui. Elle expira profondément, détendit ses épaules et leva haut le menton pour sentir la légère brise qui leur permettait de profiter pleinement de la météo et de ne pas souffrir de cette parenthèse estivale au mois de février. Côtoyer Caïn avait eu cela de bien sur elle, c'est qu'à présent elle savait parfaitement se canaliser. La journée était trop belle pour qu'elle le laisse tout gâcher.


Le capitaine s'était de nouveau approché. Il la connaissait assez bien pour savoir qu'il ne craignait rien. Pas maintenant en tout cas. Delambre avait peut-être raison après tout. Le temps ne méritait pas qu'il fasse tourner les choses à l'orage. Il aimait bien trop la provoquer pour se taire. Les remarques sur Aimé étaient aussi simple à faire que leurs résultats efficaces mais Caïn décida que pour le reste de leur promenade il changerait de sujet.


Ils avancèrent encore un moment côte à côte sans dire un mot. Avec le temps ils avaient appris qu'entre eux les silences étaient parfois plus signifiants que les mots. Pourtant Caïn était prêt à demander des nouvelles de la mère de Lucie, Agathe, quand il fut interrompu par une détonation. Les badauds crièrent et se mirent à courir sans vraiment savoir pourquoi. Caïn et Delambre eux savaient. C'était le bruit d'un coup de feu. Ils se rapprochèrent l'un de l'autre, arme au poing, l'un regardant devant, l'autre derrière. Les immeubles avaient fait se répercuter le son si bien qu'ils ne savaient pas où tourner la tête.


Ils ne virent pas ce qui suivit mais entendirent le bruit d'un drap qui se déchire et de vaisselle qui se brise. La foule avait plus d'yeux qu'eux et plusieurs personnes se groupaient déjà autour de la terrasse d'un bar. Caïn et Delambre s'empressèrent d'approcher. Alors que Delambre se frayait un chemin entre les curieux, Caïn observait la scène. Le auvent, censé protéger les clients du soleil, était brisé, le tissu était troué. Comme si … mais ce n'était pas possible.


  • Elle est tombée du ciel !
  • Mais non, je l'ai vu moi, elle était sur la terrasse supérieure et elle a basculé dans le vide.


Effectivement, nota Caïn. Le bar bénéficiait d'un toit-terrasse par la cour intérieure, les immeubles ne se l'élevant qu'un peu plus loin derrière.


  • Appelez une ambulance !


C'était la voix de Delambre. Caïn ne réfléchit même pas et saisit son téléphone. Une fois les urgences au bout du fil, il força le passage jusqu'à sa commandante. Elle avait les deux mains pressées sur le torse d'une jeune femme aux vêtements tâchés de sang. Quand elle vit le capitaine arriver, elle lui fit un rapport concis de la situation.


  • C'est elle qui s'est fait tiré dessus. Elle était sur le toit-terrasse et est tombée. J'ai encore un pouls mais elle perd beaucoup de sang.


Caïn transmit toutes les informations et demanda l'aide d'un des serveurs pour établir un semblant de périmètre de sécurité. Tout pendant qu'ils attendaient les secours, Delambre ne cessa de parler à leur victime. Ils assistaient rarement en directe à un meurtre et le dialogue avec les victimes étaient généralement réservé à Elizabeth. Au son des sirènes de l'ambulance, Caïn se sentit pousser des ailes.


Une fois que les urgentistes furent arrivés Delambre et Caïn ne furent plus que des spectateurs. Caïn demanda au serveur qui l'avait aidé d'indiquer à sa commandante où elle pourrait se laver les mains et l'attendit au dehors. La situation lui rappelait douloureusement un autre épisode et le capitaine dût se faire violence pour ne pas aller vérifier que Lucie était en parfaite santé dans les sanitaires. Il ne put s'empêcher d'être soulagé en la voyant sortir.


Les mouvements de Lucie étaient légèrement plus lents qu'à l'habitude et ses yeux sensiblement plus exorbités. Elle avait été secouée par cette affaire. Elle regardait souvent ses mains, qui tremblaient, comme si elle y cherchait encore des traces de sang. Elle sursauta lorsqu'il approcha.


  • Lucie, ça va ?


Elle hocha la tête et le regarda sans vraiment le voir. Caïn la poussa un peu en avant et ils marchèrent ensemble vers l'endroit où la Saab jaune était garée. Lucie avançait quelques pas derrière lui et le suivait presque par automatisme. Caïn ne se dépêchait pas, il lui laissait le temps parce qu'il savait qu'ensuite, face à Borel, face à Legrand, elle allait repasser en mode « commandant ». Arrivée devant la voiture Lucie s'installa mécaniquement sur le siège passager mais Caïn ne monta pas. Il prit son téléphone et composa le numéro de Borel.


  • Lieutenant ! J'espère que vous ne faites rien car on a une affaire. Une tentative de meurtre. La victime est en train d'être transportée à l'hôpital. Je veux que vous y soyez avant l'ambulance, que vous vous teniez au courant de son état et en attendant de pouvoir l'interroger vus me trouvez toutes les informations sur elle : nom, prénom, âge, groupe sanguin, famille, ami, amant … tout.
  • Je vous mets un eskimo glacé avec ça capitaine ?
  • Pas pour moi merci, mais ça fera le plus grand bien au commandant.


Caïn regardait la sus-nommée avec inquiétude alors qu'il terminait sa communication avec Borel. Delambre fixait un point indéterminé devant la voiture, les lèvres légèrement entrouvertes et les bras posés sur les genoux, ballants. Tout pendant que Caïn démontait son fauteuil elle ne bougea pas d'un cil. Ce n'est qu'au moment où le capitaine tourna la clé dans le contact que le bruit du moteur la fit sursauter.


  • Tu es sûre que ça va Lucie ?
  • Elle doit avoir un peu plus de 20 ans. Elle est brune, cheveux longs, relativement grande , une fois debout, sûrement près d'1 mètre 80. Elle a une carrure sportive et les yeux verrons, le droit est marron alors que le gauche est bleu-gris …
  • Lucie … qui qu'elle soit, pour l'instant elle est entre les mains des médecins.
  • Elle est jeune, tellement jeune.
  • Je sais, je l'ai vu aussi.
  • Elle pourrait avoir l'âge de Ben.


Caïn se tut et quitta sa place de parking. Delambre mit quelques secondes à réagir.


  • Pardon. Je ne voulais pas. Ce n'est pas ce que …
  • Un petit tour sur le front de mer, ça vous tente commandant ?


Delambre sourit tristement en réponse à son ton faussement détaché. Bien évidement il y avait pensé. Elle aurait voulu trouver quelque chose pour lui changer l'esprit, pour le faire sourire mais en se tournant vers lui elle vit qu'il avait déjà ses lunettes de soleil, les cheveux dans le vent et le menton bien haut pour profiter un maximum de l'air iodé. Comme toujours lorsqu'il était ainsi il paraissait, sinon heureux, au moins détendu au point que, momentanément, plus aucun problème ne pouvait l'atteindre.


Lucie joua un peu des épaules pour apaiser les nœuds qui s'y étaient formés et se concentré pour arrêter de crisper ses mains. Elle se concentra sur le soleil chauffant sa peau, sur la brise de plus en plus soutenue qui gardait ses mèches en arrière, sur le bruit du moteur et le fredonnement discret de Caïn. Elle ferma les yeux, chassa le sang et les visages inconnus qui l'assaillirent et écarta ensuite aussi la silhouette d'Aimé qui venait à elle toujours souriant. Elle fit tant bien que mal le vide dans son esprit qu'elle finit par s'endormir.


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