Changer de point de vue

Chapitre 7 : Tout à toi

Chapitre final

2002 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/03/2020 09:49

 Tout ne s’était pas déroulé comme il l’avait prévu. Fred avait voulu passer un moment détente. Il y avait cru au début, tout commençait bien et puis ils s’étaient engagés sur la pente glissante et n’avait cessé de dégringoler toujours plus vite jusqu’à ce que Lucie lui envoie une grande claque en plein visage en lui parlant de Sonia.

Il s’était alors réfugié derrière l’obéissance et le mutisme, sortant Lucie de l’eau comme elle l’avait demandé et l’aidant à se rhabiller. Elle non plus ne prononça pas un mot. C’était un silence tendu où il était presque palpable que chacun rejouait la scène dans sa tête. Fred aurait voulu ne plus y repenser.

Arrivés chez Fred ce dernier descend en même temps que Lucie. Il croise son regard un instant. Elle lui aurait bien demandé pourquoi il venait mais cela aurait signifié relancer de discussion. Fred respecte cela et s’éclipse dans la cuisine pour préparer le repas. Il a prévenu Aimé qu’il n’irait pas dormir chez Lucie, c’est donc naturellement qu’il se dit qu’il va passer la nuit ici. Il connaît très bien son canapé.

Lucie se bat avec son portable tandis que Fred s’active aux fourneaux. Le silence entre eux n’est plus du tout tendu. Le foyer donne à toute chose un air normal. Fred entend un téléphone sonner. Lucie ne répond pas, ça doit être Aimé. Son propre téléphone se rappelle alors à son bon souvenir. Il vérifie que rien ne se soit passé durant leur escapade. Borel 3 appels manqués. Fred le rappelle. Le brave Nassim décroche avant la première sonnerie.

- Allô capitaine ?

- Oui Borel. Au rapport.

- L’affaire est classée.

- Quoi ?

- J’ai eu les aveux de madame Fizza. C’est elle qu’on voit sur la vidéo. On a retrouvé la tenue chez elle et des traces de sang dans le filtre de sa machine à laver.

- Et Malecco ?

- C’est lui qui a fait le rituel sur le corps et qui a posé le scotch à la porte. Il ne voulait pas que l’esprit de son neveu revienne hanter cette dame et lui-même voulait la protéger de la prison parce que Toussaint était devenu un monstre.

- Félicitations Nassim bientôt je ne pourrais plus te tourner le dos sans que tu résolves une enquête.

- C’est que j’ai eu de bons professeurs capitaine. D’ailleurs est-ce que notre chère commandante va mieux ?

Pendant une seconde Fred envisage de lui répondre qu’il ne sait pas, qu’il ne l’a plus vu depuis qu’il a déposé chez elle mais Nassim a dépassé le stade où il pose des questions de politesse ou innocentes. Il sait et agit comme un flic.

- Disons que le ton est un peu monté mais que maintenant ça va.

- Faites attention à ce que vous allez lui dire cette fois capitaine.

- Merci Nassim.

- Une dernière chose … on vous a vu, Aimé et moi, quand vous étiez à la plage.

Cette fois-ci Fred répond par un soupire et son lieutenant raccroche. Il se sent soudain épié. En se retournant il croise le regard de Lucie, arrêtée au pas de la porte.

- Ils ont résolu l’affaire. Madame Fizza a tué. Malecco a couvert.

- Ils nous ont vu.

- Je sais.

- Je crois que je m’en fous. En revanche je suis désolé d’avoir ramené Sonia sur le tapis.

- On peut pas faire comme si rien ne s’était passé non plus.

- Et pour nous qu’est-ce qu’on fait ? On fait comme si rien ne s’était passé ?

- On a déjà fait ça, ça n’a jamais marché. Je crois qu’on réfléchit trop. Tu viens manger ?

Pour la première fois depuis bien longtemps, ils laissent ce sujet tendu sans avoir besoin de hausser le ton. D’avoir glissé si facilement des eux troubles de leurs sentiments à un repas à l’ambiance dominicale, Fred est apaisé. Le ton entre la salade et le fromage est calme. Ils discutent de tout et de rien, rient même un peu. Quand vient le dessert, un observateur extérieur n’aurait pas pu dire que quoi que ce soit était anormal.

À la fin du repas, ils débarrassent la table et vont se préparer à dormir comme s’ils faisaient ça depuis 10 ans. Lucie a besoin d’aide pour se changer quant à Fred il décide de prendre l’un de ses T-shirts et un jogging pour faire pyjama.

Lucie s’installe dans le lit de la première. Elle prend un moment pour ajuster ses jambes mortes mais finalement trouve une position confortable. Tout en essayant de faire croire qu’il est très occupé dans la salle de bain, Fred observe la place libre à côté de Lucie. Doit-il ou pas ? Après tout c’est son lit à la base. Peut-être vaut-il mieux qu’il freine ces élans causés par les jambes.

- Bon tu viens.

Lucie a dit cela sur un ton tellement anodin que Fred a envie d’y croire. Sans poser plus de questions, il se couche à côté d’elle. Il lui tourne le dos et pourtant il a l’impression de la sentir avec une acuité dédoublée.

- Lucie, je voulais juste te dire … pendant que j’ai encore du courage … je t’ … je suis tout à toi.

- Tu veux dire que tu es prêt à faire tout ce que je veux ?

- Oui.

- Alors dors Fred.


.o0O0o.


Quand elle se réveille le lendemain matin, Lucie se sent légère, calme et surtout profondément heureuse. Dans son demi-sommeil elle n’arrive pas à se souvenir du rêve qui lui a procuré tant de bonheur. Une chose est sûre Fred en faisait partie. La dernière fois qu’un songe comme celui-ci lui est venu, tous les sentiments positifs ont rapidement été mis sous le tapis par la culpabilité qu’elle ressent en ouvrant les yeux pour voir Aimé.

Lucie entrouvre une paupière. Elle n’est pas chez elle. Elle n’est pas toute seule. Bien que son partenaire soit à moitié disparu sous la couverture et qu’il lui tourne le dos, elle le reconnait. Elle est chez Fred. C’est en réalisant ça qu’elle remet tous les évènements en place. L’enquête, le changement de corps, le fauteuil roulant, la plage. Je suis tout à toi.

Dans le plus grand silence, Lucie glisse hors du lit. Elle ne peut résister à l’envie de jeter un coup d’œil par dessus son épaule avant de quitter la chambre. Elle a en même temps un pincement au cœur de partir et une montée d’affection à le voir dormir si paisible. Puis elle disparait comme une ombre. Dans la cuisine, Fred a posé les clés de sa voiture bien en évidence quand il est arrivé avec dans ce corps. Tout parait si improbable maintenant que c’est passé.

La porte n’émet qu’un léger clic en se refermant, ce dont Lucie lui est gré. Une fois dehors, elle abandonne le déplacement exclusivement sur la pointe des pieds, se rend compte qu’elle a oublié de mettre des chaussures mais grimpe tout de même dans la voiture. Pourquoi le chemin pour chez elle lui parait-il soudainement long, monotone et, d’une certaine façon, dur ? Elle a presque envie d’abandonner 3 fois avant de parvenir dans sa rue.

La voiture d’Aimé est là. Il est encore temps de fuir. Mais Lucie n’est pas de ceux-là. Elle quitte la sécurité de son habitacle pour rentrer chez elle avec l’assurance feinte d’une normalité quotidienne. Aimé est à table en train de prendre son petit-déjeuner. Il la regarde rentrer, impassible. Il la scanne de haut en bas, c’est à ce moment-là qu’il se rend compte qu’elle a regardé les affaires de Fred. Loin de regretter son faux-pas, elle se félicite de cet acte manqué car face à Aimé cela lui donne l’impression de porter une armure.

- C’est fini, annonce calmement Aimé.

Lucie est complètement prise de court. Elle s’est attendue à une scène, des cris, des pleurs, de la vaisselle cassée peut-être. À tout sauf à ça. Des centaines de questions lui passent par la tête mais pas une seule ne franchit ses lèvres. Elle remarque enfin les sacs et les valises posées au coin de la pièce. Ce n’est pas un coup de sang. Il y a réfléchit.

- J’aime bien être avec toi. Je t’apprécie, vraiment mais je ne peux pas construire quelque chose avec une femme que je ne peux pas voir seule avec un autre sans me faire des histoires. Mais bon si j’en crois ta tenue ce matin et ce que n’arrête pas de me dire Nassim, ce ne sont pas que des histoires.

- C’est plus compliqué que ça …

- Ça ne devrait pas l’être. Alors voilà entre nous c’est fini.

- Mais tu restes avec nous au SRPJ ?

- À moins que tu veuilles que je parte ? On est tous les deux assez grands pour savoir se séparer sans rancœur ou non ? J’ai passé de très bons moments avec toi mais je crois que c’est mieux pour nous deux si ça se passe comme ça.

- Moi aussi j’ai passé de très bons moments et j’espère que ce ne seront pas les derniers parce que je t’apprécie bien aussi.

- Il va être l’heure. Je pourrais passer récupérer mes affaires ce soir ?

- Pas de soucis. Tu n’as qu’à garder ton double des clés pour l’instant. Tu me le rendras quand tu auras terminé.

Il débarrasse ses affaires de petit-déjeuner et s’en va. De son côté Lucie file à la douche. Alors que l’eau cascade sur elle, Lucie songe à ce que sa mère lui a dit un jour : « Ceux qui s’aiment ne peuvent pas se séparer bons amis. Soit ils ne s’aimaient pas, soit ils mentent. » Lucie se dit alors qu’Aimé a raison et qu’il a mis, peut-être inconsciemment, le doigt sur quelque chose. Ils se sont « appréciés », sûrement beaucoup mais ils ne se sont jamais aimés. Cela peut expliquer aussi pourquoi, dans un sens, elle et Fred n’ont jamais pu être « bons amis ».

C’est avec cette pensée chevillée à l’âme que Lucie entre au SRPJ. Fred est là, la mine basse. Elle compte le nombre de personnes présentes dans la pièce. Il y en a plus que ce qu’elle n’aurait cru. Cela l’effraye un peu mais elle a pris sa décision. Elle se dirige vers Fred, prend la chaise face à lui et avant qu’il n’ait eu le temps de réaliser ce qui se passe, elle commande :

- Embrasse-moi.

- Pardon ?

- Est-ce que tu es tout à moi ou non ?

- Mais ici ? Au milieu de tout le monde ?

- Tu ne voudrais quand même pas qu’on se cache ?

Visiblement toujours surpris mais satisfait de la réponse, Fred s’exécute.


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