Vice-versa

Chapitre 5 : Cuir et moto

1956 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 18:57

 Un rapide aperçu des lieux et de leur victime suffirent au capitaine pour se faire une idée de ce dans quoi ils mettaient les pieds. Une ruelle dans un vieux quartier industriel abandonné avec un accès presque direct aux voies rapides, un blouson en cuir noir, des tatouages, la moto ne devait pas être loin.

- Bien dormi Stunia ?

- Mieux que vous apparemment.

- Et notre gars ?

- Il s'est fait rouer de coups. C'est probablement la cause du décès. Il est dans un tel état que j'aurais plus de choses à vous dire une fois qu'il sera allongé sur ma table.

- Est-ce qu'il est possible qu'une seule personne ait fait ça ou je dois plutôt me tourner vers une petite bande ?

- Difficile à dire. Si son agresseur était seul, il doit être sacrément costaud et en garder des marques sur les mains.

Caïn n'eut même pas à attendre les résultats de l'IML. De très loin on entendait un moteur. Une grosse Harley s'approcha. Son motard l'arrêta à distance respectable et descendit en coupant le moteur.

- Il se passe quoi ici ? Pourquoi la bécane de Romuald est entourée de flics ?

- Il est mort.

Le capitaine prit les devant et s'approcha. Le biker était plutôt court sur pattes mais compensait par sa largeur.

- Je veux voir.

Plus vite Caïn obtiendrait une identité, plus vite il pourrait commencer son travail. Il escorta donc le motard jusqu'à la scène de crime. Il observa attentivement les réactions du témoin. Le visage était méconnaissable, même pour un proche mais ce n'est pas là dessus que le biker se concentra.

- C'est lui. Il était seul à avoir un lotus sur la main.

- Lui c'est ?

- Romuald Pesador. C'est un petit jeunot qui avait rejoint le groupe, il n'y a pas longtemps.

- Vous pourrez résigner son abonnement maintenant.

- La mort des gens vous rend toujours aussi joyeux ?

- Vous n'avez pas l'air vraiment triste non plus.

- Le petit était une grande gueule, un frimeur, le genre qu'on apprécie pas tout de suite.

- Dans votre club vous êtes le seul à penser ça ? Sinon je vais avoir besoin de noms.


oOo


- Je ne me serais jamais doutée que vous aviez un fétichisme pour les motards à grosse cylindrée.

- Qui pourrait résister à une belle carrosserie ? Que ce soit celle d'une moto ou d'une f …

- Vous ne devriez pas trop rester avec eux, capitaine. Ça débride votre misogynie habituellement latente.

- Moi ? Ce n'est pas parce que vous êtres une femme que je ne vous aime pas. C'est parce que j'en ai marre de vous entendre couiner derrière moi et de devoir vous attendre à la sortie de l’ascenseur.

- Vous n'avez jamais fait ça.

- Maintenant que vous le dites … j'ai dû voir quelqu'un faire ça et ça m'a suffi.

- Je vous ai déjà dit que vous étiez un con ?

- Oui. Mais ça fait toujours plaisir.


oOo


Caïn frappa à la porte. Deux coups secs et forts.

- Donc si je comprends bien, on va encore interroger un gars qui n'en saura pas plus que les autres et qui nous racontera exactement la même chose sur ce Romuald. Je vais finir par croire que vous prenez simplement votre pied en écoutant leurs remarques sur moi.

- Je ne vous ai jamais obligé à rester.

- Comme si j'allais vous laisser interroger seul les suspects.

- Je ne parlais pas uniquement de cette enquête.

Delambre allait répliquer mais la porte s'ouvrit. Si depuis ce matin, ils n'avaient pas vu beaucoup de petits gabarits, celui-là éclipsait tous les autres. Caïn se considérait comme grand, pourtant l'homme qui leur faisait face le dépassait d'une bonne tête et devait avoir deux à trois fois sa carrure.

- J'ai failli vous attendre, dit-il simplement.

Sa voix allait parfaitement avec son corps et malgré qu'il ait dit être au courant de leur venue, il restait bien ancré au milieu du passage, ne laissant aucun espace où espérer se faufiler.

- Je vois que les nouvelles vont vites.

- J'ai rien à ajouter à ce que les autres ont déjà dit.

- C'est notre boulot de vérifier.

- Ils ont bien changé les flics de la crime. Vous avez le droit de promener vos minettes avec vous maintenant ?

- Monsieur Azo, ça ne vous prendra pas plus de quelques minutes.

- J'ai pourtant été clair. Je dirais la même chose que les autres. Tout pareil.

- Vous n'avez pas écouté le capitaine, intervint Delambre sur un ton enjoué. C'est à nous d'en décider.

D'un coup de poignets elle avait forcé le passage. Azo ne devait pas être habitué à barrer la route aux paraplégiques puisque l'essieu de Delambre le frappa sournoisement au mollet.

- Si tu crois que je vais me laisser faire pas une petite chatte dans ton genre !

En voyant le mastodonte serrer les poings et fondre sur Delambre, le capitaine aurait dû intervenir. Il ne le fit pas. Il avait sciemment joué au bon flic pour que Delambre endosse le rôle du mauvais flic. Il la laisserait aller jusqu'au bout.

Alors qu'Azo la saisissait à l'épaule, elle attrapa quelque chose dans la sacoche de son fauteuil. D'un geste, elle déplia la matraque et mit le géant à genoux d'un coup bien placé à l'arrière de la jambe. Puis dans un revers presque gracieux, elle lui balança un coup de matraque sur la joue.

- Pour toi ce sera lieutenant Delambre.

Eut-il été un peu plus maigrichon, le choc aurait probablement suffi à l’assommer mais Azo était un véritable taureau. Quand il tourna la tête vers Delambre, son regard était meurtrier.

- Espèce de salope ! Je vais te …

Il fut coupé dans son élan. Cette fois-ci, Caïn avait bougé. Il passait les menottes à Azo avant que ce dernier ne puisse se venger.

- Je vous arrête pour outrage à agent.

- C'est elle qui ! …

- Tu sais Azo, nous les femmes on a vraiment peur d'un rien. Je ne suis qu'une faible petite chose alors quand tu t'es approché je me suis défendu.

- Étant donné tes antécédents, elle n'aura aucun mal à plaider la légitime défense.

Dès qu'il avait compris qu'il s'était fait avoir, Azo s'était tut mais ses yeux parlaient pour lui.


oOo


- Faites attention capitaine. On aurait pu croire que vous preniez ma défense.

- Ce que vous êtes naïve Delambre. Se foutre sur la gueule avec quelqu'un ne devrait pas vous empêcher de rester attentive. Vous avez vu ces mains ? Il s'est violemment battu récemment.


oOo


- Évidement ! Il a un alibi et la moitié du club est prête à affirmer sous serment que son passe-temps favori était de coller son poing dans tout ce qui bouge.

- On ne peut pas nier que ça se tient.

- Si c'est pour dire des trucs comme ça Delambre, vous pouvez la fermer.

- Je le veux sous les verrous autant que vous capitaine, sinon plus. Je pense simplement que ce n'est pas là-dessus qu'on l'aura. Il faut trouver un autre angle d'attaque.

Comme pour donner raison à Delambre, le téléphone de Caïn sonna. C'était Stunia. Peut-être pourrait-elle leur éclairer la voie ?


oOo


- Votre motard n'en était pas un.

- Je sais que les morts vous parlent Elizabeth mais je ne vois pas ce qu'il a pu vous raconter pour que vous nous sortiez quelque chose comme ça.

- Ce n'est pas sa qualité de féru de la moto que je remets en question mais la dénomination que vous lui donnez. Votre motard était une motarde.

- Il y aurait une femme chez les bikers ?

- Non.

- Stunia, vous venez de me dire que …

- Oui, votre victime était de sexe féminin. Cependant je ne pense pas qu'aucun de ses camarades n'ait été au courant. Elle cachait sa poitrine en plus de porter des vêtements amples et s'était équipée d'une coquille.

- On a un nouveau mobile.

- Là dessus je vous donne raison. Qui que ce soit qui l'ait tué, il a concentré ses coups sur le visage, la poitrine et l'entrejambe.

- Des traces d'agressions sexuelles ?

- Non mais il est clair que son agresseur lui en voulait d'être une femme.

Stunia venait à nouveau de lui donner un indice décisif pour résoudre son enquête. Il lui offrit le plus respectueux des baise-mains avant de sortir. Sans avoir besoin de se retourner il savait qu'il avait Delambre sur les talons.

Quand il entendit son téléphone sonner, Caïn put s'imaginer sans mal Delambre donner un grand coup de poignet, puis, profitant de l'élan, elle attraperait son téléphone, décrocherait et le coincerait avec son épaule avant de reposer les mains sur ses roues. Le tout sans avoir ralenti son mouvement.

- Oui commandant ? … Comment est-ce que … ? On arrive.

Delambre raccrocha avec dextérité tout en prenant de la vitesse. Elle dépassa rapidement Caïn auquel elle dit en passant :

- Vous n'avez plus de batterie dans votre téléphone. Moretti n'a pas arrêté de vous appeler. Azo est en train de se faire la malle.

Caïn dut se lancer au petit trot pour revenir à niveau avec elle. Il la précéda d'un pas pour sortir de l'IML et ils se préparèrent à partir de concert. Lui enfilant son casque et elle démontant son siège.

Il partit sans attendre mais dût rapidement se rendre à l'évidence, même à moto il ne semait pas Delambre. Il n'avait pas pensé qu'elle pourrait faire ça avec sa voiture de handicapé. Alors que le capitaine prenait les trajectoires serrées que son deux roues lui permettaient, Delambre faisait crisser les pneus sur l'asphalte.

Au fil de la route, il gagnait du terrain. Pour autant chaque mètre était une bataille pour qu'il ne parvienne à arracher qu'une minute de différence à l'arrivée au SRPJ. Caïn eut beau se précipiter à l'intérieur, Azo n'était plus là.

- Fais chier !

- Je suis désolé Fred. Son avocat est arrivé au dernier moment, on n'avait aucune raison de le garder plus longtemps pour un simple outrage à agent.

- C'est bon Jacques.

Caïn fulminait. Même s'il n'allait pas faire l'erreur de disparaître dans la nature, Azo serait méfiant maintenant. Il se retourna, Delambre était dans le cadre de la porte.

- Vous êtes seule ce soir ?

- Je ne pensais pas qu'on avait entamé ce genre de rapport.

- En fait ça m'arrangerait qu'il n'y ait personne chez vous. Avec Azo dehors, vous ferez une bien meilleure cible isolée. Si on a de la chance, il cherchera à se venger et on aura une raison de le ramener.

- Là je vous reconnais plus.

- Je ne vais pas commencer à vous décevoir maintenant Delambre. Ce serait trop facile. Vous savez quoi ? Je vous donne même le reste de votre journée. Rentrez chez vous.

Il l'observa hésiter. Delambre n'abandonnait pas vite mais le capitaine s'était assuré d'arborer un sourire si angélique qu'elle n'aurait aucune envie de rester. Effectivement elle ne tarda pas à tourner les roues pour faire demi-tour.  


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