Vice-versa

Chapitre 8 : Apprivoisement

1457 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 21:23

- Fred ! Tu m'expliques pourquoi Delambre est en train d'interroger seule votre suspect principal ?

- L'affaire est réglée. On a toutes les preuves pour la coincer, il nous manque plus que des aveux. La lieutenante est assez grande pour régler ça sans mon aide.

- Arrête ton baratin. Vous êtes toujours fourré dans les pattes l'un de l'autre. Qu'est-ce qui se passe ?

- Pour une fois j'essaye de me tenir à carreaux. Si je rentre dans la salle d'interrogatoire, je vais casser la gueule de notre coupable, ce qui serait, tu me l'accorderas volontiers, extrêmement préjudiciable.

- Pourquoi tu ferais ça ?

- Dans la vie, il y a des personnes comme ça, qu'on ne peut pas supporter. J'ai déjà failli lui coller une baigne la première fois qu'on a été les voir. Si Delambre n'avait pas été là, je lui aurais refait la face.

- Rien à voir avec le fait qu'elle se fasse un jeu de multiplier les commentaires pernicieux à l'encontre de ta partenaire ?

- Tu me croirais si sensible ?

- Je ne sais plus quoi croire de toi quand Lucie est concernée.

- Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi ?

- S'y mettre à quoi ?

Les deux amis se tournèrent d'un seul mouvement. La lieutenante venait de sortir de la salle d'interrogatoire.

- Rien. Elle a avoué ?

- Évidement.


oOo


- Ah vous êtes là. Je suis en retard ?

- Non c'est moi. Je me disais que c'était un peu ridicule de vous laisser simplement apporter le petit-déjeuner. Vous pourriez tout aussi bien manger avec moi.

- Faites attention lieutenant, vous vous engagez sur la voie périlleuse de l'amabilité. Je risque de finir par vous apprécier.

- En quoi serait-ce un mal ?

- Sur qui est-ce que je vais m'acharner ensuite ?

- Vous pourrez toujours continuer quand on sera au SRPJ. Moretti risque de s'inquiéter sinon.

Caïn rit de bon cœur et accepta de s'asseoir à sa table. Après ce jour, il modifia légèrement sa routine en se levant plus tôt pour aller courir, sur le retour il passait à la boulangerie. Delambre le laissa rapidement utiliser la salle de bain du haut. Ils entamaient une sorte de cohabitation amicale.

Cela se ressentait sur le terrain. Ils avaient appris à se connaître mieux et même si Caïn la vannait plus souvent, son humour s'était adoucie. Jacques leur lançait souvent des regards en coin mais ils n'étaient pas prêts de se trahir.

Durant ses fins de semaine en famille, Gaëlle était de plus en plus étrange. Elle posait énormément de questions. Caïn n'avait jamais été doué pour lui mentir alors quand ils parlaient boulot, il ne mentionnait pas Delambre, de peur de trop en dire et qu'elle se fasse des idées. Un mardi matin pourtant quand il arriva au SRPJ, Gaëlle était là. Elle parlait avec Jacques et Caïn lui reconnut tout de suite sa gestuelle agitée. Le capitaine s'arrêta pour l'observer. Même s'il ne pouvait pas entendre ce qu'elle disait, Caïn devina par les réactions de Jacques, qu'elle savait ce qu'elle voulait mais que son vis-à-vis n'avait pas encore compris.

- Capitaine ?

Caïn n'avait pas entendu Delambre approcher. Elle aussi surveillait Gaëlle du coin de l’œil. Elle paraissait perplexe.

- Votre femme est venue me parler. Vous ne lui aviez pas dit qu'on travaillait ensemble.

- C'est un peu compliqué entre Gaëlle et moi ces temps-ci. Oui je ne lui ai pas parlé de vous, mais c'est parce que je craignais qu'elle ne … surinterprète les choses.

- Sauf votre respect c'est en faisant ça que vous paraissez le plus suspect.

- Au pire ce ne sera pas la première dois que je fais tout foirer.

- Le commandant nous a repéré. Je vous laisse.

En effet dès que Jacques vit que le capitaine était là, il lui fit de grands signes et Gaëlle se tourna vers lui à son tour. À peine l'avait-elle vu qu'elle prit la direction de la sortie. Caïn s'interposa.

- Non Fred. Pas ici. Pas maintenant. On en parlera ce week-end, pas avant.

Elle avait été si ferme que Caïn en resta bouche bée. Il ne retrouva l'usage de la parole qu'une fois qu'elle eut disparu sur le parking. Certes il essayait d'arrêter mais cette fois-ci, une petite cigarette magique était de mise. Il s'enferma dans son bureau, roula précautionneusement et alors qu'il allait allumer son briquet, Jacques entra.

- Viens, je veux te montrer quelque chose.

- Pas maintenant.

- Si maintenant Fred. De toute façon tu n'as rien de mieux à faire.

Après tant d'années à se côtoyer dans le meilleur comme dans le pire, Caïn comprenait Jacques comme personne. Pour lui le message était clair. Il savait que son ami avait arrêté la daube et voulait que cela continue.

Le capitaine lui répondit par un message non-verbal presque aussi limpide. Il rangea précautionneusement le joint dans la poche de sa veste. Certes il avait réduit drastiquement sa consommation mais parfois les grands maux appelaient les grands remèdes.

Il suivit Jacques jusqu'à son bureau. Là ce dernier lui fit signe de s'asseoir à sa place devant l'ordinateur. Le début d'une vidéo y était affichée en plein écran. Caïn reconnut le décor, un centre d’entraînement militaire ou policier. Une femme, de dos, occupait le milieu du tatami.

- C'est Agathe qui m'a envoyé ça.

- La mère de Delambre ?

- Elle voulait que je te le montre. C'était à l'époque où elle était encore caporale, annonça Jacques en lançant la vidéo.

Cela devait avoir eu lieu dans une de ces compétitions internes qui visaient à évaluer le niveau des différentes escouades les unes confrontées aux autres. La vidéo avait été prise durant la catégorie corps à corps.

La femme au centre se débrouillait très bien. Elle frappait avec des gestes précis et, quand elle faisait mouche, laissait apprécier sa force. Pourtant même en se battant comme une diablesse, elle dégageait une grâce et une élégance peu commune.

- C'est Lucie.

- Tu déconnes ?

Mais à bien y regarder, il reconnaissait les traits, plus jeunes, de son visage. Évidement à cette époque, elle n'était pas encore collée en rase-motte.

- C'était une vraie tigresse.

Disant cela, Caïn pencha légèrement la tête sur le côté et se tut. Jacques, d'abord lui-même happé par le combat, se concentra uniquement sur la vidéo puis il se mit à observer le capitaine, qui ne se rendit compte de rien.

- Fred ?

- Mmh ….

- Tu n'es plus du tout attentif là.

- Au contraire mon commandant. Elle était sacrément bien roulée, dis-moi.

- Il n'y a que ça qui t’interpelle ?

- C'est déjà pas mal. Tu pourras m'envoyer une copie ?

- Je me demande comment je fais pour ne pas être désespéré de ton cas. Tu peux être un mec bien quand tu veux, alors au lieu de mater sur de vieilles vidéos, tu devrais focaliser ton énergie sur ton mariage.

- Ce que tu peux être rabat-joie.

- Je dis ça pour ton bien, Fred.

- Tu sais ce qui me ferait le plus grand bien ? Une copie de cette vidéo.

- Fred, vas bien te faire …

- C'est bon je m'en vais !

Le commandant regarda Caïn fuir son bureau, ce qu'il ne vit pas en revanche, c'est que le-dit capitaine jeta sa cigarette dans la poubelle près de la porte.


oOo


Le reste de la journée il ne put s'empêcher d'observer Delambre avec plus d'attention, sous un nouveau regard. Lui qui, habituellement, n'accordait son attention qu'aux meurtriers et aux belles femmes, se surprit à en trouver une si près de lui sans qu'il n'ait rien remarqué. Comment avait-il pu manquer ce visage harmonieux et ce regard accrocheur ? Pourtant il reconnaissait que le véritable charme de Delambre se trouvait ailleurs, quelque part entre ses aptitudes au combat et sa répartie mordante.

Malgré tout cela, le capitaine se posa une question finale qui paraissait stupide mais qui lui était tout. Pourquoi Jacques avait-il choisi de la lui coller aux basques ? Et surtout leur rencontre était-elle un grand bien ou une malédiction ?  


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