Vice-versa

Chapitre 16 : Sur le perron

Chapitre final

1529 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 23:11

Il était relativement tard et pourtant pas assez pour qu'elle soit déjà couchée. Fred était sur le perron. Elle n'attendait sûrement personne mais viendrait ouvrir quand même. Pas manqué.

- Fred ? Tu ne frappes jamais avant d'entrer habituellement.

- C'est que je ne m'étais jamais fait mettre à la porte avant.

Lucie s'écarta pour le laisser passer. Il en fut presque surpris puisqu'il s'était attendu à se faire claquer la porte au nez. Il resta planté au milieu du salon sans vraiment savoir où se mettre.

- Je te sers quelque chose ?

- Un whisky. Double.

- Ça ne va pas ?

Fred s'assit à la table. Son cœur battait déjà la chamade et quand Lucie déposa le verre devant lui, il le vida d'un seul trait.

- C'est si grave que ça ?

Il se passa une main sur le visage. Alors qu'il avait arrêté ses tremblements intempestifs depuis qu'il s'était mis au vert, ses mains bougeaient toutes seules. Fred se leva et dut faire le tour de la pièce avant de pouvoir s'arrêter face à Lucie.

- Il faut que je te dise quelque chose.

- Et bien lance-toi.

- Ça ne vas pas te plaire.

- Depuis quand tu te préoccupes de mon avis ?

- Je t'aime. Enfin … je veux dire … je ne sais pas trop comment ça c'est passé, mais je suis tombé amoureux de toi. Je n'attends rien en retour, ne t'inquiètes pas. Je sais que je suis un boulet. J'avais besoin de te le dire pour que tu ne m'en veuilles pas si je m'aventurais à donner une leçon à quelqu'un qui te parlerait mal.

- Je sais me défendre seule.

- J'en ai conscience, c'est juste que … rien. J'enlèverais mes affaires dès demain.

Fred se retourna alors et monta dans la chambre. Si Lucie avait voulu le chasser, il serait parti mais il n'entendit rien alors qu'il s'allongea. Il aurait pensé ne jamais trouver le sommeil, mais s'être ainsi libéré d'un poids, le fit sombrer dès qu'il eut les yeux fermés. Malgré cela, son sommeil fut perturbé de cauchemar au début de la nuit, puis il rêva de Lucie et tout s'apaisa.

En ouvrant les yeux au matin, Fred se sentait détendu et reposé. Il était tourné vers la fenêtre mais était sûr d'avoir fermé la porte derrière lui. Pourtant l'odeur de Lucie était prenante et se mélangeait à celle de l'alcool. Il aurait pu se poser des questions mais sentait un bras passé autour de lui.

Il se retourna lentement. Effectivement Lucie était allongée à ses côtés. Elle respirait fort, la bouche ouverte. Cela suffisait à Caïn pour comprendre qu'elle avait bu, beaucoup, après son départ. Elle paraissait pourtant paisible.

Il aurait sûrement dû s'éclipser le temps qu'elle se réveille et revenir ensuite pour vider la pièce, mais il ne pouvait pas laisser passer une telle accalmie. Ce serait peut-être sa dernière fois ici. Il se risqua à passer un bras par dessus Lucie qui se réinstalla un peu plus près de lui.

Fred resta aussi longtemps qu'il le put mais son ventre faisait de plus en plus de bruit. À chaque grondement monstrueux, Lucie faisait une moue. Caïn prit la douloureuse décision de s'éloigner pour la laisser finir sa nuit. À peine avait-il esquissé un mouvement pour partir que Lucie passait ses bras autour de son cou.

- Emmènes-moi en bas.

S'il n'avait pas vu son visage avant, Fred n'aurait pas deviné qu'il s'agissait de Lucie. Il avait remarqué que son deuxième fauteuil n'était pas dans la chambre. Elle s'était traînée jusqu'ici. Le capitaine n'aurait aucun mal à la faire lâcher prise mais c'eut été mentir que de dire qu'il n'appréciait pas son contact.

Même si elle paraissait encore endormie, Lucie s'accrochait assez bien pour qu'il n'ait aucun mal à la soulever. Lui la tenait au niveau des cuisses après avoir fait passer ses jambes dans son dos. Alors même qu'il sortait de la chambre, elle se pelotonna contre lui, cachant son visage au creux de son cou.

Fred descendit sans mal les marches mais une fois en bas, rencontra des difficultés quand il voulut l'installer dans son fauteuil. Lucie restait collée à lui comme une sangsue. Caïn abandonna très vite et partit, avec son fardeau, chercher une tasse et un verre. Il fit couler un café dans la tasse et alla chercher un cachet d'aspirine dans la salle de bain.

En revenant le capitaine remarqua que, dans cette position, il était pile à la bonne hauteur pour asseoir Lucie sur le comptoir. Ce qu'il ne se gêna pas de faire, avant d'utiliser l'évier pour noyer l'aspirine. Il regarda le cachet partir en bulles alors que Lucie ajustait encore sa position.

Il lui donna le verre. Elle dut le lâcher pour boire tout d'un coup. Dès qu'elle eut terminée, elle se recroquevilla de nouveau mais garda cette fois les bras le long de son corps. Caïn aurait pu tenter de partir. Elle ne le retenait plus que par une poigne de fer prise dans son T-shirt. Le problème c'est qu'il n'avait aucune envie de s'éloigner.

- Ça va mieux ?

Lucie restait obstinément silencieuse. Fred ne s'en offusqua pas, lui-même n'était pas du matin après une cuite. Il se contenta donc de faire comme s'il n'était pas debout entre les jambes de sa collègue, posée sur le plan de travail, et sirota son café. Si quelqu'un les surprenait maintenant, toutes les explications du monde ne les sauveraient pas.

- Je regrette ce que j'ai dit … à l'hôpital.

- Non, ce n'est pas grave. Parfois il vaut mieux se dire les choses plutôt que ça reste à l'intérieur et que ça pourrisse.

- Je ne le pensais même pas.

- Tu sais, Jacques aussi m'a foutu dehors à un moment donné. Ce n'est pas pour ça qu'on s'est fâché. Il en faut plus pour me vexer, ne t'inquiètes pas.

- Tu n'y es pas du tout. Quand j'ai ressenti ces douleurs, j'ai eu un mal de chien. Je ne comprenais pas ce que c'était. Je ne ressentais rien d'autre que cette douleur et cette incompréhension. Et puis tu es arrivé. C'est quand je t'ai vu que j'ai commencé à avoir peur. En quelques secondes j'étais prise d'une véritable terreur comme je n'en avais jamais ressenti. Je craignais pour moi-même mais j'étais surtout effrayée à l'idée de te perdre, de fermer les yeux, de me faire happer par la souffrance et de ne plus jamais te revoir. C'était si puissant comme sentiment que quand je me suis réveillée à l'hôpital, j'étais perdue et j'ai dit tout le contraire de ce que je pensais. J'ai cherché à éloigner le danger plutôt qu'à l'affronter.

- Je suis le danger ?

- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

- Qu'est-ce que tu as voulu dire alors ?

Lucie se tenait de plus en plus prostrée sur elle-même. Alors qu'elle n'était même pas tournée vers lui, Fred avait l'impression qu'elle fuyait son regard.

- C'est facile pour toi ! Tu as tes jambes, les femmes te regardent comme quelqu'un de normal. Tu as eu Gaëlle pendant des années, sans compter toutes les autres. Moi je n'ai jamais fait ça.

- Faire quoi ? Sa déclaration ? Ce n'est jamais facile. Surtout avec quelqu'un comme toi. On se demande à quoi on pourrait bien servir, qu'est-ce qu'on pourrait apporter.

- Tu plaisantes j'espère ? Depuis qu'on se connaît, tu as changé ma vie. Mais moi, regardes-moi. Si tu me laissais là, je ne serais même pas capable de descendre. La nuit dernière j'ai simplement voulu monter à l'étage, j'ai mis presque une demi-heure. Je suis …

- Magnifique. C'est vrai que je ne l'ai pas toujours pensé mais quand on est con, on ne se refait pas. Et je suis heureux de ne pas l'avoir vu de suite, ça m'a fait une belle surprise quand j'ai enfin daigné poser les yeux sur toi. Mais tu veux savoir un secret ? Je crois que même avant de remarquer que ton fauteuil cachait une vue délicieuse, j'étais déjà sous le charme.

- Finalement je vais peut-être accepter que tu restes ici plus longtemps.

- Longtemps comment ?

- Je t'autorise à mettre ton mug hideux dans mon étagère.

- Je vois que je prends du galon.

Lucie sourit en le regardant enfin droit dans les yeux. Fred ne put résister et se pencha pour l'embrasser. Son baiser n'était pas pressant, ni assez long pour une réponse, c'était simplement une salutation, une confirmation. Le visage de Lucie lui suffit à comprendre qu'il avait sa bénédiction la plus totale.  


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