Sous surface

Chapitre 1 : Retour au campus

4235 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/02/2021 12:01

A la sortie de l'avion, Mae Scott sentit avec joie les bourrasques chargées de l'odeur de la pluie et de la fraîcheur de l'Angleterre lui ébouriffer les cheveux. Elle inspira à plein nez les senteurs de son pays, et le poids sur son dos disparut pour la première fois en cent jours. Cent jours de dur labeur en pleine forêt Indonésienne, passés à marcher dans la forêt humide et hantée d'air brûlant et irrespirable, un sac à dos de plus de dix kilos sur les épaules, à chasser les moustiques et les autres bêtes volantes qui vous brouillent la vue.

Elle soupira.

C'était un soupir de soulagement, et elle était heureuse de retrouver le campus et surtout, l'air frais de l'Angleterre. Son Angleterre.

Elle vit avec bonheur son amie Fatiah accourir vers elle. Mae songea qu'elle avait beaucoup changé, depuis la dernière fois qu'elles s'étaient vues. En effet, la jeune fille d'origine kenyane avait troqué ses nattes africaines serrées contre une coupe afro qui laissait ses cheveux très crépus prendre plus de place. Elle semblait aussi avoir prit un ou deux centimètres, et elle portait des survêtements neufs, signe qu'elle avait récemment fait les boutiques.

Sans s'en rendre vraiment compte, Mae avait elle aussi changé ; elle avait étrangement minci, et ses joues étaient plus creusées. Ses épaules étaient voûtées, à cause du sac à dos très lourd qu'elle avait dut supporter des jours durant. Elle était également plus bronzée, à cause du soleil indonésien, qui avait eut raison de son teint pâle. Ses cheveux bruns avaient largement besoin d'un soin, et avaient poussé un peu trop au goût de la jeune agente, qui préférait le carré.

Fatiah s'approcha de Mae et la serra chaleureusement dans ses bras. Mae était heureuse de voir que son amie n'avait pas changé sur le point amical.

-- Je suis si heureuse que tu sois de retour ! s'exclama la jeune kenyane en examinant son amie sous toutes les coutures. Comment ça c'est passé ?

-- L'horreur du début à la fin, sourit Mae. Je suis contente que cela soit terminé.

-- Et, félicitations pour ton T-shirt ! ajouta Fatiah. Je sais déjà qui va être jaloux.

-- Ryan ? Il a été obligé d'abandonner en cours de route, c'est horrible.

-- Bah, il s'en remettra, fit son amie en haussant les épaules. Mais il va te haïr pendant les prochains jours qui sépareront ce moment et le début du prochain programme d'entraînement !

Elles rirent de bon coeur, puis Anthony Dwight, l'instructeur en chef qui leur en avait fait baver, durant tout le programme, conduisit tous les rescapés du programme et leurs amis venus les accueillir à l'aéroport.

Cette année, dix T-shirt rouges répartis en binômes de deux avaient participé au programme d'entraînement initial. Ryan Kenthrow avait été le premier à abandonner, sur le parcours-combat, alors qu'il s'était cassé la cheville en sautant d'un obstacle à un autre. Il n'avait fallu que vingt-et-un jours pour forcer le jeune garçon à retourner dans sa chambre. Depuis ce jour, cinq autres participants, âgés de dix à douze ans, avaient été contraints de renoncer. Mae elle-même, à plus d'une semaine de la fin du PEI, avait failli s'auto-disqualifier.

Mae était arrivée au campus de CHERUB il y a plus de trois ans. Elle venait à peine de perdre son père, Edward Van Fell, tué dans l'explosion d'une bombe, dans le local où il travaillait. Le quinquagénaire, depuis la mort de sa femme Eleana, avait noyé sa tristesse dans l'alcool et s'était reconverti en dileur de drogue. Mae avait toujours désapprouvé ses activités illégales et dangereuses, qui lui avaient rapporté beaucoup d'argent mais également de nombreuses implications dans les pires conflits des gangs dileurs de drogue. Depuis l'explosion de la bombe, dans l'entrepôt où il cachait sa poudre, tous les journaux et médias intéressés par le sujet ont fait valoir qu'il s'agissait de rivaux qui avaient voulu se débarrasser de lui et de tout son stock d'un seul coup. Entant qu'agente habituée à ces coups en douce, Mae trouvait qu'il s'agissait tout de même d'une manœuvre délicate mais réussie. Et traître, bien sûr.

La jeune fille, à douze ans et neuf mois, mesurait une taille modeste pour un poids normal, et était en très bonne santé physique. Avant le PEI, elle effectuait dix à vingt tours de stade tous les deux jours, cinq entre, suivait un régime spécial élaboré par le diététicien du campus, et passait environ huit heures par semaine dans le dojo de CHERUB. En plus de cela, elle s'exerçait depuis peu en mandarin et en russe, et avait de très bonnes notes en espagnol. Mae était férue d'Histoire et de Géographie, et entamait le programme - dans ces matières - habituellement servi en classe de troisième. Bref, Mae était une fille polyvalente, bien consciente que tout cela ne lui serait jamais arrivé si CHERUB ne l'avait jamais recrutée. Elle avait hâte de retrouver le campus, et d'avoir une chambre au bâtiment des agents opérationnels, plus spacieuses que celle qu'elle occupait, au bâtiment junior, jusque là. Elle avait mérité son T-shirt gris.

Mae grimpa dans le mini-van aux côtés de Fatiah, et se calla entre elle et Ewan Swift, un jeune garçon aux cheveux blonds solaires d'origine écossaise, qui était également parvenu au bout de l'aventure. Il arborait, caché sous son blouson de ski taché de terre, son T-shirt gris frappé du logo CHERUB, un bébé ailé assis sur un globe terrestre, bandant un arc, et portant un casque et une ceinture de munitions militaires. Il bavardait gaiement avec son grand frère Kenneth, un agent portant lui déjà le bleu marine.

Dwight s'installa sur le siège passager à l'avant du minibus, conduit par Naomi Engins, une des cinq responsables de formation du campus. Naomi était à moitié slovaque, mais elle faisait bien trop anglaise, et, à seulement trente-deux ans, était un pur canon. Bien qu'elle soit plus âgée, la moitié des agents de quinze-dix-sept ans pouvaient bien fantasmer sur elle. Le teint bronzé, ses longs cheveux bruns sombres et ondulés lui retombaient derrière les épaules, et elle portait un gros pull à col roulé de laine myosotis, et un pantalon de jean noir slim. Elle jeta un sourire à l'arrière du véhicule.

-- Bravo, les nabots ! dit-elle avec enthousiasme. Une luxueuse chambre et un repas chaud vous attendent au campus !

Cette déclaration éveilla des cris fous de joie. Les nouveaux agents avaient de quoi se réjouir : le programme d'entraînement initial avait été l'étape de la vie de Mae la plus dure qu'elle ait jamais connue.

Le mini-van se mit en route, et le trajet dura près de une heure et demie, sans compter les bouchons sur l'autoroute principale. Les jeunes T-shirt gris et leurs amis venus les accueillirent à l'aéroport chahutaient à tue-tête, si fort que Dwight dut les menacer d'une lourde remise à niveau qui leur en ferait baver.

Fatiah et Mae, elles, parlaient chacune des derniers évènements. Ainsi, Mae apprit que, dès son retour au campus après son échec au PEI, Ryan avait, par pure rage, largué Ayline Mendif, sa petite-amie, et également amie et ancienne partenaire de Fatiah au programme d'entraînement initial où elles avaient réussi, l'année passée. Fatiah avait passé des heures à la consoler. Mae eut de la peine pour Ayline : Ryan était un de ses amis, mais il se laissait souvent aller sous le coup de la colère, et ses sautes d'agressivité le rendaient antipathique aux yeux de certains agents.

Enfin, le minibus franchit les barrières de sécurité de quinze mètres de haut qui entouraient le campus, sous le regard attentif des caméras les plus sophistiqués dont disposaient le gouvernement britannique. Le véhicule se gara sur l'une des places vacantes du parking, et les héros du PEI sortirent en riant et en hurlant, manifestant bruyamment leur joie de retrouver le campus. Dwight les mis en rang, et leur intima le silence.

-- Mes chers rescapés de cette nouvelle session du programme d'entraînement initial, gronda-t-il, en marchant de long en large devant les nouveaux agents, prit d'une démarche militaire. Je partage votre enthousiasme, mais sachez que vous entrez dans la phase de votre carrière à CHERUB la plus compliquée, la plus éprouvante, la plus horrible, parfois. Vous n'êtes pas au bout de vos peines et de vos surprises, les vermisseaux. Vous devrez peut-être patienter des mois et des mois avant de vous voire confier la moindre mission.

-- Ce qu'il veut dire, ajouta Naomi, le sourire aux lèvres, c'est qu'il est également content de vous savoir sains et saufs, vous quatre.


xxx


La nouvelle chambre de Mae était spacieuse, lumineuse grâce à sa grande fenêtre qui ressemblait à une baie vitrée, donnant sur un balcon qui rendait vue sur le terrain de course, et derrière, les bois du campus. La pièce était dotée d'un somptueux lit deux places aux draps frais et neufs, de plusieurs armoires et commodes, d'étagères, d'une salle-de-bain annexe équipée d'une baignoire étincelante, disposant également d'une vitre pour une douche à l'italienne, d'un lavabo surmonté d'un grand miroir. De plus, ladite salle d'eau possédait déjà brosse à dents électrique, diverses shampoings et produits de beauté, sans compter les brosses à cheveux, les élastiques, les crèmes anti-acné ou les cosmétiques-médicaments pour traiter les hématomes, les ecchymoses, les coups de soleil, les boutons de moustique, les piqûres de tiques... Mae était aux anges. Jamais, dans sa vie, elle n'aurait pensé disposer d'un tel arsenal de soins et de rangements. Au comble du bonheur, elle se jeta sous la douche - tout en prenant le soin de retirer ses vêtements, tout de même -, et passa près de trois quart d'heure à se laver le corps et les cheveux. Elle songea tout de même que l'eau n'était pas infinie et qu'elle ferait mieux de couper le jet chaud qui se déversait sur sa tête.

Sortie du bain, elle s'habilla d'un pantalon de jean large à revers, de chaussettes neuves et d'un T-shirt un peu ample gris clair CHERUB, qu'elle surmonta d'une chemise à carreaux noire et blanche. Elle chaussa des chaussures plus confortables que ses habituelles rangers, et quitta enfin son nouveau paradis, pour aller retrouver ses amis au réfectoire, qui devaient profiter d'un bon déjeuner.

Elle prit l'ascenseur, et passa les portes du réfectoire. Elle prit place à côté de Fatiah, en face d'Eden, l'un des garçons de leur bande d'amis. Elle fut reçue à coup d'applaudissements et de félicitations, et également par une bonne part de lasagnes. Après les cent jours les plus durs de sa vie, Mae avait hâte de pouvoir à nouveau se nourrir normalement, ce qui sous-entendait les plats comme les cheeseburgers ou les frites, ou même les pizzas au fromage, ses préférées.

-- Où est Ryan ? demanda la nouvelle agente opérationnelle, en balayant le réfectoire du regard.

-- Il a mangé une heure avant nous, expliqua Eden, un peu embarrassé. Il était démoli. Je pense qu'il s'en veut d'avoir lâché Ayline sur une simple prise de tête.

-- Et où est Ayline ?

-- Je suis là, fit une voix dans leur dos.

Ayline était une jeune fille d'origine turque, à la peau mate et aux cheveux noirs retenus en arrière par un bandeau gris chiné, assorti au gris de son T-shirt. Ses yeux noirs étaient éteints, et elle s'assit silencieusement à la droite de Fatiah.

-- Bravo pour ton T-shirt, dit-elle mollement à l'adresse de Mae, tout en fixant son plateau.

-- Allez, Ay, tu peux pas rester comme ça éternellement, souffla Fatiah en posant une main amicale sur son épaule.

-- Je venais de rentrer d'une courte mission de détraquement de trafic de drogue au Pays de Galle, continua Ayline, comme privée de toute émotion. On s'était envoyés mille textos, puis il m'a écrit : "Je comance le programm dem, pourai plu te parlé". Je suis rentrée, et il avait abandonné. Et puis il m'a envoyé bouler. Il m'a larguée. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi il a fait ça.

-- Mais lâche l'affaire, Ay, grogna Eden. Ryan fait le con, en ce moment, alors faut lui foutre la paix. Il reviendra quand il se sera calmé.

-- Tu comprends pas que je l'aime encore ? s'écria la jeune agente d'origine turque, les yeux brouillés de larmes.

Une larme roula sur sa joue. Mae avait beaucoup de peine pour son amie, et la voir souffrir lui faisait mal au coeur. " C'est juste une histoire d'amourette, elle va s'en remettre " se disait-elle intérieurement.

-- Allez, ne gâchons pas la journée de Mae, sourit Fatiah. On ira faire une partie de basket avec les potes au frère d'Ewan, après le repas, si ça vous dit.

Tout le monde se confirma partant pour ce match de dernière minute, et finirent leur repas tout en discutant. Puis, ils allèrent adopter une tenue plus prompte au éventuelles chutes lors de la partie, et se dirigèrent vers Kenneth et ses amis, en train de faire un concours de dribles, sur le terrain de basketball du campus.

Kenneth faisait tournoyer la balle de basket sur son index, tout en ricanant avec ses meilleurs amis, Liam et Nolan, des jumeaux aux cheveux noirs et habillés de T-shirt CHERUB bleu marine. Liam et Nolan étaient connus pour leurs nombreuses convocations au bureau du directeur, et pour leurs mille coups méchants sur les T-shirt rouge ou sur les résidents. Un incident dont ils étaient la cause resterait gravé à jamais dans la mémoire de Mae : le jour où les deux frères avaient renversé de l'eau souillée sur les jeunes T-shirt gris, qui discutaient sur le balcon du dessous. La jeune fille n'était alors qu'une T-shirt rouge, et elle avait eut une vue imprenable, depuis la cour principale du campus. Plus d'une centaine de résidents avaient assisté à la scène, et ce coup fourré était rentré dans l'histoire des pires bêtises des agents de CHERUB.

Kenneth, lui, était plus réservé, mais sa popularité était bien meilleure que celle de ses amis. Il était déjà sorti avec les plus belles filles du campus, et était très endurant physiquement, ce qui lui conférait de bons atouts dans les disciplines sportives ou combatives. Egalement souvent passé par le bureau du directeur pour mauvaises actions, il avait frôlé le renvoi définitif du campus pour avoir enfermé durant treize heure un T-shirt rouge dans un placard du bâtiment des agents opérationnels. Cependant, il n'était pas sans coeur, et aimait vraiment Ewan, son petit frère âgé de onze ans. Il était prêt à le défendre si quoi que ce soit devait lui arriver.

-- Hey les nabots ! lança-t-il en voyant Mae, Fatiah, Eden et Ayline s'avancer vers eux. Vous avez envie de vous faire défoncer au basket ?

-- C'est ce qu'on verra ! ricana Mae en le dévisageant, sûre de faire bonne impression.

-- OK, sourit Kenneth. Que dites-vous d'un match très équitable : Liam, Nolan et moi contre vous quatre ? Alors ?

-- Ken, c'est pas équitable, gronda Ayline. Je vais faire les équipes.

La jeune agente fit ainsi les équipes avec autorité. Les T-shirt bleu marine, amusés par cette "sous-gradée" qui leur donnait ainsi des ordres, se turent pourtant, ravis de voir où cela allait en venir.

Ainsi, Kenneth, Mae, et Eden se retrouvèrent contre Ayline, Fatiah et Nolan, et Liam était arbitre. Fatiah était d'une rapidité et d'une flexibilité impressionnante, et possédait une bonne dynamique en basket. Eden se révélait être meilleur au football, mais, animé par le goût du sport, il se donnait à fond, tentant d'attraper la balle dès qu'elle passait près d'elle. Kenneth et Mae assuraient leur camp d'une main de fer, mais le frère d'Ewan manqua une balle, ce qui permit à la jeune kenyane de marquer un splendide panier, sous le nez de l'équipier de Mae. Cette dernière, décidée de prendre sa revanche sur son amie, attrapa la balle dès que Liam eut donné le signal. Elle marqua un panier pour son camp.

Après au moins deux heures de basket, ils se décidèrent à arrêter, l'équipe de Kenneth déclarée gagnante par Liam. Mae remarqua remarqua Kenneth glisser quelque chose à l'oreille de Fatiah, qui hocha gravement la tête en jetant un bref regard à son amie. La nouvelle agente eut la désagréable impression que le frère d'Ewan ne lui disait pas tout. " Quelle folle, je me mets à imaginer que mes propres amis complotent contre moi, maintenant " songea-t-elle en se ressaisissant.

Trempés de sueur et éreintés par leurs parties de basketball, Mae et ses trois amis allèrent se promener au bord du lac artificiel du campus. Les berges sentaient à la fois la vase, écœurante odeur, mais aussi l'eau de pluie fraîche. En ce mois d'avril, il régnait une chaleur de plomb, très étrange, et la seule raison valable était le réchauffement climatique dans toute la planète. Prit d'un élan de folie, Eden jeta une giclée d'eau sur Fatiah. En vengeance, la jeune kenyane le poussa violement, et le jeune agent tomba dans l'eau froide.

-- Raah ! s'écria-t-il. Fatiah ! Je suis trempé !

-- Tu aurais dut réfléchir avant de me mouiller, gronda la jeune fille aux cheveux crépus.

Mae et Ayline éclatèrent de rire. Fatiah n'était pas le genre de fille qui se laissait aller dans les bras des beaux gosses musclés du campus. En plus de son fort tempérament, l'agente d'origine kenyane interdisait à tous les garçons du campus de poser la main sur elle.

-- Ah, et, Fatiah, fit Mae, retrouvant petit à petit son calme. Que t'as dit Kenneth, tout à l'heure ?

-- Hein ? fit son amie. Ah, ça... oh, c'est rien.

Mae fronça les sourcils.

-- Je l'ai vu te parler. Ca ne peut pas être rien.

-- Tu le sauras en temps voulu.

Les derniers mots de Fatiah la laissèrent muette. Mae ne pouvait pas comprendre pourquoi son amie - ou plutôt, sa première amie au campus, et meilleure confidente - pouvait lui cacher quelque chose qui semblait être si important. Elle s'empressa de rattraper ses trois amis qui partaient en direction du bâtiment principal du campus de CHERUB. Ils passèrent devant la grande statue représentant le logo de l'organisation en trois-dimension, puis poussèrent l'une des portes principales.

Mae salua Fatiah, Eden et Ayline, et se rendit à sa chambre, pressée de retrouver l'atmosphère neuve et apaisante de la pièce. Elle sortit de l'ascenseur, et faillit percuter Ryan, dont les yeux fixaient le sol.

-- Fait attention ! cracha-t-il en fronçant les sourcils.

Mae n'eut pas le temps de lui répliquer quelque chose, car les portes de la cage d'acier s'étaient déjà refermées. Etrangement chamboulée par cette brève interpellation, elle marcha lentement jusqu'à la porte de sa chambre. Certes, Ryan - selon les descriptions d'Ayline, d'Eden ou de Fatiah - était sur les nerfs depuis plus de deux mois à cause de son échec au programme d'entraînement initial, mais en aucun cas cela n'était de la faute de Mae. La jeune T-shirt gris se rendit dans sa chambre, et s'étala de tout son long sur son lit, qui dégageait une odeur de fraîcheur agréable. Elle avait vraiment besoin de repos.


xxx


Mae alla dîner en compagnie de ses amis, et, durant leur repas, remarqua Ryan qui la regardait d'un oeil mauvais. Il fronça le nez et chuchota quelque chose à son grand frère, Raven. La nouvelle agente n'entendit rien de leurs échanges, car le brouhaha dans le réfectoire devenait de plus en plus puissant et insupportable.

Raven Kenthrow était un T-shirt bleu marine âgé de presque quinze ans. Raven était connu pour être désagréable, moqueur, et d'une nature plutôt macho, qui faisaient de lui l'un des agents âgés les moins attirants intellectuellement. Intellectuellement, car Raven exhibait un physique d'athlète musclé, et une peau hâlée par le soleil qui le faisait ressembler à un de ces beaux gosses brésiliens dans les séries gnangnan à l'américaine. Plus grand et musclé que son jeune frère Ryan, douze ans, il s'attirait tout le temps des ennuis, et chacune de ses paroles étaient susceptibles de blesser. Malgré tous ces défauts cachés, Ryan semblait prendre exemple sur son frère, chose que Mae ne pouvait comprendre.

Alors qu'elle et Fatiah quittaient le réfectoire pour aller se changer avant leur cours de judo, au dojo du campus, Raven vint leur couper la route, et afficha un sourire carnassier.

-- Vous faites vos malines, toutes les deux, hein ? demanda-t-il avec un air cruel.

-- O-on ne veut pas d'ennuis, Rav', bredouilla Mae.

-- Tu devrais faire plus attention, quand tu marches dans les couloirs, sourit Raven, narquois. On ne sait jamais, tu pourrais tomber sur plus fort que toi...

-- Laisse-nous passer, gronda Fatiah.

-- C'est un avertissement, Mae, siffla le T-shirt bleu marine.

-- Que se passe-t-il, ici ? demanda Naomi Engins, qui venait d'apparaître au tournant de l'entrée du réfectoire. Mae, Fatiah, je crois que vous avez une leçon de judo dans moins de quinze minutes, M. Okota n'est pas du genre à plaisanter sur les choses comme le timing.

-- On y allait, soupira la kenyane. Viens, Mae.

Mae suivit sa meilleure amie dans le couloir qui menait aux ascenseurs, mais sentit le regard glacé de Raven dans son dos. Ses paroles étaient lourdes de sens : si elle croisait une nouvelle fois son chemin, il la frapperait jusqu'à l'inconscience.


xxx


Mae et Fatiah se défiaient, l'une en face de l'autre, sous le regard attentif de M. Okota, un quadragénaire qui enseignait les sports de combat asiatiques comme le judo, le karaté, le jiu-jitsu ou le taekwondo depuis plus de dix ans à CHERUB. Les deux nouvelles agentes, déjà ceintures noires de l'art de la souplesse, avaient autant de chance de l'emporter l'une que l'autre. Au signal d'Okota, Mae tenta quelques prises de base sur son adversaire, mais Fatiah la venait venir. Mae dut bloquer ses coups, mais la jeune fille d'origine kenyane réussit à la soulever du sol à l'aide d'un équilibré kata guruma, la renversa habilement au sol en un juji gatame et finit par l'immobiliser. Fatiah aida Mae à se relever.

-- Bon sang, comment ai-je put me laisser faire comme ça ? gronda la jeune agente brune en s'inclinant devant son adversaire.

-- Je ne sais pas...

Mae vit que Fatiah la fixait avec une moue légèrement déçue, comme en proie à des sentiments contradictoires. " Mais qu'est-ce qu'elle a, à la fin ? " s'énerva mentalement la nouvelle T-shirt gris.

-- Fatiah, je vois bien que tu me caches un truc, soupira Mae. Alors pitié, crache le morceau.

Fatiah baissa les yeux et sourit.

-- J'étais censée regarder ton comportement de plus près, sous ordres de M. Kelly, fit-elle. Je devais voir si tu étais apte à...

-- A quoi ? demanda Mae, qui ne souhaitait plus qu'une chose, que son amie lui avoue ce qu'elle lui cachait.

-- A la mission que te propose la direction de CHERUB.

Mae manqua de s'étouffer. Elle venait à peine de rentrer du PEI, et voilà que le directeur de CHERUB et le ou la contrôleur ou contrôleuse de mission qui dirigeait cette dernière lui proposaient quelque chose dont elle n'aurait jamais put se soucier...

-- Tu te fous de moi ? bredouilla Mae.

-- Kenneth m'a informé cette après-midi, ajouta Fatiah. Il fait lui aussi partie de ladite mission. Je devais te le dire quand j'aurais vu tes compétences. C'est Sandra Wolf qui est votre contrôleuse de mission. Elle te recontactera par l'intermédiaire de Kenneth, je pense. C'est tout ce que je sais, je te le jure.

-- Scott et Charles ! cria M. Okota à l'intention des deux jeunes filles. Pas d'interruption ! Il vous reste trente minutes avant la fin du cours, alors remuez-vous !

Les deux amies se remirent en position.

-- C'est énorme, chuchota Mae, encore sous le choc.

-- Je te dis pas comme je suis jalouse, sourit Fatiah. En comptant la mission d'Ayline il y a deux mois et demi, tu es ma deuxième amie du même âge qui part en mission. Enfin, si tu acceptes.

Mae ne lui répondit pas. Elle sourit, et continua de se battre contre Fatiah. Elle était ravie de la tournure que les choses prenaient.

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