Si j'avais

Chapitre 3

2810 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/04/2019 21:11

Immeuble de Ryô Saeba,

Quartier de Shinjuku, Tokyo



Allongé sur son lit, Ryô écoutait d'une oreille attentive le moindre petit bruit qui pouvait provenir de la chambre de sa partenaire. Il était presque 6h00 du matin maintenant et il ne comprenait toujours pas pourquoi il ne dormait pas. Kaori était rentrée et même si elle était malade après quelques excès - il se souvenait encore de sa mine fatiguée et tendue lorsqu'il avait attendu, planqué derrière une plante, qu'elle sorte de la salle de bain - il aurait du être soulagé et rassuré de la savoir à la maison.


Grossière erreur.


Comment se laisser aller aux pays des rêves quand on venait de se prendre la plus grande claque de sa vie ?


" Eh Eiji, tu n'aurais pas vu Kaori, par hasard ?" Ryô se souvenait encore du sourire plein de sous-entendus qu'affichait son plus vieil informateur.

" Kaori ?... Ouais, il me semble que je l'ai aperçu en compagnie d'un homme très séduisant. Et vu le sourire qu'elle arborait, je suis sûr que ta douce partenaire passait une excellente soirée !" , répondit-il dans un sourire ironique.

" Kaori avec un homme ?...Tu es sûre que c'était bien elle ?" Ryô, lui, ne souriait plus.

" Demande confirmation à cet idiot de Kira ! ... Il l'a suivie quelque minutes après s'être pris un bon coup massue pour avoir exprimé un peu trop fort son attirance pour elle !". Eiji fit un geste vers l'horizon et massa son dos endolori. L'inquiétude se lisait à présent sur le visage de Ryô. Il n'aimait pas savoir Kaori avec un autre homme que lui. Le démon de la jalousie l'envahit soudainement.

" Merci Eiji... heu, si tu la vois, ne lui dis surtout pas que je la cherche... Je ne voudrais pas qu'elle se fasse de fausses idées ! A plus. "

Tout au long de la nuit, Ryô avait questionné plusieurs de ses informateurs pour apprendre à chaque fois la même histoire. Kaori avait finalement rencontré quelqu'un et il se pourrait bien que, cette fois-ci, il la perde pour toujours.


Frustré et contrarié, Ryô s'assit brusquement sur le bord de son lit et attrapa le paquet de cigarettes à peine entamé qui traînait sur sa table de chevet. Kaori amoureuse d'un autre homme que lui ? C'était tout bonnement inimaginable. Il ne pouvait pas le croire. Il ne voulait pas le croire. Il se sentait mal, terriblement mal. Comme si le ciel venait de lui tomber sur la tête... Mais, après tout, pour qui se prenait-il ? Il était peut-être le meilleur nettoyeur de Japon mais, à cet instant précis, il se sentait l'homme le plus minable de la terre.


Le radio-réveil afficha 6h13.


Cette nuit là, Ryô venait de prendre conscience que sa relation avec Kaori était arrivée au point de non-retour. En fait, il n'y avait que deux issues possibles. Soit leur histoire évoluait, soit elle se détruisait d'elle même. Comme la cigarette qu'il s'apprêtait à allumer. La flamme du briquet éclaira quelques instants les mains robustes et tant redoutées du nettoyeur le plus craint du Japon. Ryô comprenait parfaitement que Kaori veuille que cette soit disant comédie cesse une bonne fois pour toute. En fait, elle ne se satisfaisait plus de cette relation platonique dans laquelle lui, il se complaisait tellement. Elle ne demandait pas la lune. Juste un mot. Ou un geste. Mais Ryô n'avait toujours rien fait. Il n'avait pas eu ce courage là.


Ryô se demanda ce qu'il serait devenu sans elle.


A n'en pas douter, il brûlerait depuis longtemps en enfer. Oublié de tous.


Kaori. Sa douce et merveilleuse Kaori. Elle était son port d'attache. Sa conscience. Sa force. Son rayon de soleil. Et surtout son âme sœur. Elle était devenue sa seule raison de vivre et malgré toutes les années qu'ils avaient passées ensemble, il n'avait toujours pas réussi à le lui dire.


En fin de compte, il n'était peut-être qu'un lâche. Un sale égoïste. Un homme incapable d'exprimer ses sentiments. Un mec qui faisait pitié.


Ryô exhala une bouffée de cigarette et ricana devant sa propre bêtise. Quelle ironie du sort ! Être capable de défier la mort chaque jour que Dieu fait mais être incapable d'avouer son amour à la femme que l'on aime ! Il y avait de quoi rire !


Le bruit d'une porte qui claqua attira l'attention de Ryô. Kaori était sortie de sa chambre et se dirigeait rapidement vers la salle de bain. Apparemment, la jeune femme avait aussi des difficultés à trouver le sommeil. Peut-être était elle plus malade qu'elle ne le laissait entendre ? Peut-être se sentait-elle mal à l'idée de l'avoir trahi ? Peut-être regrettait-elle cette soirée avec cet homme ? Peut-être que... Ryô se passa une main nerveuse dans les cheveux. Il ne savait plus quoi penser.


Mais que leur était-il donc arrivé ?


Les deux dernières semaines avaient été riches en disputes et frustrations en tout genre. Comme si chacun essayait d'amener l'autre dans ses derniers retranchements. Avec du recul, Ryô se rendit compte à quel point il avait été odieux avec elle. Tout était prétexte à se disputer. Sa manière de cuisiner. Sa façon de s'habiller. De se comporter. De choisir les clients. Jusqu'à sa manière de faire le ménage. Il la critiquait dès qu'il en avait l'occasion. Il se moquait d'elle s'en arrêt. Et dans quel but ? Refréner ce désir et cet amour si effrayant qu'il avait de plus en plus de mal à cacher. C'était tellement paradoxale. Plus il tombait amoureux de Kaori et plus il éprouvait le besoin de la blesser. En fait, c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour la protéger. De lui. De son monde.

"Pourras-tu continuer sans elle, Ryô Saeba ?"


Les idées noires, Ryô écrasa sa cigarette dans un vieux cendrier qui prenait la poussière sur une des commodes de sa chambre. Non, il ne se voyait pas vivre sans elle. C'était tout bonnement impensable. Inimaginable. Insupportable.


Mais il savait que Kaori l'aimait. Il le savait depuis de nombreuses années d'ailleurs.


Peut-être que tout n'était pas perdu. Peut-être qu'il leur restait une dernière chance.


Ryô hocha le tête comme pour se persuader de la chose. Kaori était une jeune femme réfléchie qui ne prenait jamais de décision à la légère. Il avait peut-être encore une chance de changer les choses et de donner une autre direction à leur relation. Il ne voulait pas la perdre. Il n'en était pas question. Il se battra jusqu'au bout.


Ryô se traîna jusqu'à la cuisine, persuadé qu'un bon café noir ferait taire le mal de tête qui lui vrillait les tempes. L'odeur du café frais lui chatouilla doucement les narines. Il ouvrit doucement la porte et se retrouva nez à nez avec sa partenaire. Sur le coup de la surprise, la jeune femme fit plusieurs pas en arrière pour prendre appui sur le plan de travail.


" Kaori ? "


La jeune femme ne bougeait pas. Au contraire, elle fixait ostensiblement le sol de la cuisine. Comme si le carrelage blanc exerçait sur elle une fascination irrésistible. La pièce était dans une certaine pénombre mais Ryô remarqua les traits fatigués de la jeune femme. Il s'approcha d'elle pour l'examiner plus attentivement.


" Tu as une mine a faire peur, Kaori... La nuit a été dure ? "


Cette simple question suffit à raviver la souffrance de la jeune femme. Ses mains recommencèrent à trembler. Les larmes lui montèrent aux yeux. Dans un sursaut de lucidité, Kaori fit un effort surhumain pour cacher les émotions qui la tiraillaient. Elle devait se dominer et réagir comme elle l'aurait fait habituellement. Alors faisant semblant d'être vexée, elle se détourna et se resservit un café très noir.


" Je vois que tu ne changeras jamais... Toujours aussi aimable et délicat !", la voix de la jeune femme tremblait légèrement. Elle espérait simplement qu'il ne l'avait pas remarqué.


" Je suis désolée, Kaori... Je ne voulais pas te blesser."


Ryô était tout proche de la jeune femme. Il lui suffisait de lever la main pour caresser ses cheveux mouillés. Mouillés ? Ce détail anodin frappa Ryô. Kaori venait de prendre deux douches en l'espace de deux heures. Pourquoi ?


" Je me fiche de tes excuses, Ryô... Je suis lessivée et je n'ai qu'une envie, c'est d'aller me coucher... Alors excuse-moi... " , la jeune femme en profita pour pousser Ryô qui était un peu trop près d'elle à son goût.


Ryô fronça les sourcils devant la véhémence des ces propos. Alors qu'elle s'apprêtait à passer la porte de la cuisine, il lui attrapa le bras.


" J'aimerais savoir ce que tu as fait cette nuit ", demanda Ryô avec un calme qui le surpris lui-même.


La jeune femme se figea sur place.


" Ne me demande pas ça Ryô ! Je t'en prie, ne me demande pas ça !"


Ryô ne pouvait pas le voir mais elle était pâle comme un linge.


" Plusieurs personnes t'ont vue avec un homme ", Ryô continuait inconscient du mal qu'il faisait à la femme qu'il aimait. " Je voudrais juste que tu me dises si tu comptes le revoir ou si c'était seulement la rencontre d'un soir."


Kaori avait l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Sa bouche était sèche et elle avait l'impression qu'aucun son ne pouvait sortir de sa gorge.


" Pourquoi ?", demanda-t-elle dans un souffle.


La voix rauque et sensuelle de Ryô s'éleva dans le silence de la cuisine. Kaori était au supplice.


" Kaori... tu sais que je n'ai jamais était doué pour exprimer mes sentiments... alors je vais essayer d'être le plus explicite possible..."


D'un geste rapide, le jeune femme se retrouva enfermée dans les bras de son partenaire. Un sentiment de panique mêlée de peur la submergea littéralement quand Ryô enfouit sa tête dans son cou et posa délicatement ses lèvres sur sa peau. Apeurée, la jeune femme commença à se débattre et poussa un petit cri de protestation. " Non ! Lâche-moi !". Ryô rit doucement et lui souffla à l'oreille. " Ne t'inquiète pas Kaori... Laisse-toi aller. Je suis sûre que tu en as envie autant que moi ". Que voulait-il dire ? Qu'allait-il lui faire ? Kaori se pétrifia sur place. Elle ne voulait pas de lui. Elle ne voulait pas qu'il la touche. Elle voulait simplement qu'on la laisse tranquille. Mais apparemment, Ryô en avait décidait autrement. Alors d'un geste violent, elle le repoussa contre un meuble de la cuisine.


" Ne me touche pas, tu entends ! Je t'interdis de me toucher !", hurla Kaori comme si elle avait affaire au diable en personne.


Complètement abasourdi par le réaction de Kaori, Ryô mit quelques instants avant de réagir. Les yeux de la jeune femme brillaient de rage et de colère. Il ne l'avait jamais vu dans un tel état d'exaspération. Elle semblait sur le point d'exploser.


" Bon dieu Kaori, mais qu'est-ce qui te prends ? ", grommela un Ryô quelque peu interloqué.


Kaori posa une regard rempli de haine sur cet homme qu'elle ne reconnaissait plus.


" Qu'est-ce qui me prends ?... Tu me sautes dessus comme un chien affamé et tu oses me demander ce qui m'arrive ?... Je suis une femme, Ryô, pas un morceau de viande ! ".


Kaori ne parlait pas, elle criait. Sa respiration était saccadée et elle éprouvait de plus en plus de difficultés à rester maîtresse de ses émotions.


" Tu crois vraiment que je ne sais pas ce que tu as derrière la tête, hein ?... N'oublie pas que je te connais par cœur... Je sais quel genre d'homme tu es... Tu n'as pas réussi à te dégoter une fille pour la nuit alors tu t'es dit que Kaori Makimura ferait l'affaire !"


Kaori serrait les poings et luttait visiblement contre la violence qui l'envahissait toute entière.


" Je veux que tu me laisses tranquille ", articula-t-elle lentement comme pour s'en convaincre elle-même.


La tension était à son comble. Ryô ne comprenait plus. Il avait l'impression de ne plus rien savoir. Il tenta une nouvelle approche mais Kaori, agitée, eut un nouveau mouvement de recul .


" Kaori ? "


La jeune femme ferma les yeux et détourna vivement la tête.


" Ne m'approche pas Ryô. Plus jamais... Tu m'entends ! Plus jamais !"


Le coup porta. La mâchoire de Ryô se contracta douloureusement.


" C'est à cause de l'autre, c'est ça ? " Ryô se retint de la prendre par les épaules et la secouer encore et encore pour lui faire comprendre l'énorme erreur qu'elle s'apprêtait à faire. Kaori ne répondit pas. Son silence était assez éloquent pour Ryô.


" Après tout, fais ce que tu veux !"


Kaori ne fit aucun geste pour retenir Ryô quand ce dernier quitta la cuisine. La porte claqua violemment, dans un bruit assourdissant. A tel point que Kaori crut que les gonds allaient céder. Sous le choc de cette confrontation, la jeune femme glissa sur le sol et laissa libre court à son chagrin. Elle était glacée de l'intérieur. Les derniers mots prononcés résonnèrent encore et encore à ses oreilles douloureuses.


Mon dieu, mais qu'avait-elle fait ?


La pièce était plongée dans la pénombre mais quelques rayons de soleil commençaient à filtrer à travers les volets fermés. La journée s'annonçait belle et printanière et les oiseaux, dont les chants résonnaient aux oreilles des plus lèves-tôt d'entre tous, semblaient s'en donner à cœur joie.


Mais Kaori n'entendait rien. Elle ne ressentait plus rien. Sauf le désespoir et la souffrance. Assise contre le mur de sa chambre, la jeune femme fixait d'un regard vide la serviette de bain et le peignoir en boule qui traînaient négligemment sur le sol. Elle était à bout. Physiquement et moralement. Sa confrontation avec Ryô l'avait complètement vidée. Elle se sentait perdue.


Elle avait bien tenté plusieurs fois de trouver un peu de réconfort et de repos dans le sommeil mais à chaque tentative, elle se réveillait en sursaut en proie à d'horribles cauchemars. C'était plus fort qu'elle. Dès qu'elle fermait les yeux, elle revivait inlassablement et dans les moindres détails cette horrible nuit.


Le bruit des camions qui vidaient les poubelles la firent sursauter. Son cœur s'emballa et son corps se remit à trembler. Elle ressemblait à un petit animal apeuré. Elle avait beau essayé, elle n'arrivait toujours pas à se contrôler.


Pourtant, elle devait réagir. Kaori se passa une main tremblante dans les cheveux. Elle devait s'occuper. S'empêcher d'y penser. De ressasser toujours les mêmes choses. De se remémorer toujours les mêmes images. Elle devait oublier. Et fuir.


Fuir.


Il fallait qu'elle parte. Loin d'ici et surtout loin de Ryô.


Elle ne pouvait plus vivre auprès de lui. Elle ne savait plus où elle en était. Trop de choses se bousculaient dans sa tête. Elle n'arrivait plus à faire la différence entre la réalité et ses propres angoisses.


Alors d'un geste maladroit, Kaori se remit debout. Elle prit dans ses mains la serviette et le peignoir qui renfermait la seule preuve de son cauchemar et les fourra dans un vieux sac de voyage. Elle récupéra ensuite un grand sac de sport dans lequel elle rangea quelques pulls, chemises et pantalons sans oublier ses sous-vêtements et quelques paires de chaussettes. Elle prit soin de choisir des tenues qui cacheraient les marques qu'elle avait sur le corps et jeta, avec emportement, les petits hauts et débardeurs, beaucoup trop sexy à son goût, qu'elle venait pourtant d'acheter en compagnie d'Eriko.

8h00. Le réveil se mit à sonner " Il est 8h00 sur Radio Tokyo. Le soleil brille et on nous promet 25° pour cet après-midi. La belle vie quoi ! ... Tout de suite, le flash-info. Encore bon réveil à tous !" .

Kaori vérifia une dernière fois qu'elle n'avait rien oublié et ferma son sac. Elle était sur le point de partir lorsque son regard se posa sur la photo posée sur sa table de nuit.


Hideyuki.


Elle avait failli partir sans la photo de son frère. Kaori la serra contre son cœur. Elle aurait tant aimé qu'il soit près d'elle. Elle savait qu'il aurait trouvé ces mots apaisants, réconfortants qu'elle souhaitait tant entendre. Elle savait qu'il aurait réussi à faire taire ce sentiment de honte et de culpabilité qui la rongeait. Mais il n'était plus là. Et elle devait continuer quand même.

8h05. Sans un mot pour Ryô, Kaori quitta l'appartement.



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