Yes or No ?

Chapitre 8 : "Me laissez pas ..."

4194 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/01/2022 10:01


Je tombai d'épuisement quand le Doc vint me relayer plus tard ce soir-là. Mick s'était un peu apaisé mais le plus dur restait à venir. D'après l'expérience du Doc, quand les symptômes physiques se seraient estompés, commenceraient alors les symptômes psychologiques : forte dépression et détresse émotionnelle qui se traduiraient par des violences verbales et physiques...

- "Naoko et moi allons prendre la suite. Himika et toi, vous ferez équipe demain matin. Rentre chez toi." Me dit le Doc d'une voix douce.


Mick ouvrit les yeux et me fit un triste sourire.

- "Kazue ? Vous ne dormez pas ?

- "Non, Mick. Comment vous sentez-vous ?"

- "J'ai connu des jours meilleurs ..."


Il soupira et me regarda, les yeux voilés par l'épuisement :

- "Vous voulez savoir à quoi j'ai pensé ?"

- "Heuuu ... Oui. Dites-moi."

- "Je me suis imaginé que je pouvais enfin sentir votre main dans la mienne. Je l'ai sentie sur … sur mon front tout à l'heure, c'est déjà pas mal … Mais … mais j'aimerai la sentir un jour dans ma main."


Je lui souris avant de me lever pour partir :

- "Un jour ... oui. ça va marcher, j'en suis sûre. Un jour, vous pourrez sentir ma main dans la vôtre. En attendant, reposez-vous. A demain."

- "A demain ... Vous partez ?"

- "Oui. Je reviens demain matin. Le Doc et Naoko vont veiller sur vous cette nuit."


Il secoua la tête :

- "Non, non, non ... Me laissez pas ..."

- "Mick, vous serez entre de bonnes mains ..."

- "Me laissez pas ..."

- "Mick ... J'ai besoin de repos."

- "Alors, restez ici ... Vous voulez pas rester dormir avec moi ?"

- "Je ..."

- "S'il-vous plaît ..."

- "Je ... Mick."

- "Je me sens tellement mieux quand vous êtes là ..."


Troublée, je ne sus pas quoi répondre.

- "D'habitude, quand je demande ce genre de choses de cette manière, ça marche ..." dit-il en souriant d'un sourire espiègle mais sans force..


Je ne pus me retenir de rire :

- "Alors dites-vous bien que rien n'est comme d'habitude ... Et je ne suis pas une de vos conquêtes mais votre médecin. Au même titre que le Doc."


Il secoua la tête encore une fois alors que je continuai :

- "Le Doc est plus expérimenté que moi sur la question. N'oubliez pas qu'il a sevré Ryo il y a des années. Faites-lui confiance. Ryo est en pleine forme aujourd'hui, non ?"


Je passai encore une fois ma main sur son front et il ferma les yeux, épuisé par le combat qu'il avait mené. Résigné, il me murmura, les yeux toujours fermés :

- "Si Ryo a réussi à le faire, alors, moi aussi ... n'est-ce pas ?"

- "Oui bien sûr que vous pouvez le faire."

- "Oui ... Même s'il est toujours plus fort que moi, plus beau ... et qu'elle l'aime ... Lui. Lui et pas moi ..."


Je pris son allusion à Kaori comme un coup de poignard en plein cœur. Je fis tout mon possible pour ne rien laisser paraître et faire preuve de professionnalisme, surtout devant mon mentor. Je me penchai vers Mick et lui dit :

- "Chut ... Ne dites pas n'importe quoi. Reposez-vous ..."


Je me détournai de Mick, m'inclinai devant le Doc pour le saluer et me dirigeai rapidement vers la porte. Quand je posai la main sur la poignée, j'entendis :

- "Reviens, ne m'abandonne pas ... S'il-te-plait ... Ka... Ka ... "


Je n'écoutai pas la suite, je n'aurais même pas pu l'entendre d'ailleurs, tellement mon cœur battait fort dans mes oreilles et je sortis, refermant le plus silencieusement possible la porte, espérant ne pas le tirer de son rêve.


Kaori.


Il appelait Kaori dans son sommeil. Ses cauchemars le menaient vers sa défaite face à Ryo. Ma gorge se serra quand je songeai à ce que Mick m'avait dit un peu plus de deux semaines auparavant : il avait été amoureux de Kaori. Il avait précisé qu'il ne l'était plus mais ... ce pourrait-il qu'il le soit encore ? Après tout, il avait le droit de ne pas être honnête avec moi. Et peut-être qu'il n'avait pas encore totalement renoncé à elle.


J'essayai de reprendre le cours de mes pensées alors que mes pas me portaient mécaniquement vers mon bureau : j'étais le médecin de Mick, pas une de ses conquêtes, je l'avais dit moi-même ... Alors ? Pourquoi ? Pourquoi, dès qu'il prononçait le nom de Kaori, mon cœur se serrait ? Je n'avais pas le droit d'être jalouse, après tout, il avait bien le droit d'être amoureux et il ne serait pas le premier à souffrir d'aimer sans être aimé en retour ... Pourquoi cette situation m'affectait-elle autant ?


Arrivée chez moi, j'avais pris une douche, grignoté je-ne-sais-plus-quoi acheté rapidement sur le chemin et j'étais allée me coucher directement, persuadée que j'allais tomber de fatigue. Il n'en fut rien.


Je restais à la limite de la conscience, m'imaginant mille et un scénarios aux issues les plus dramatiques les unes que les autres pour mes collègues et mon patient. Je me rassurais en me disant que le Doc avait déjà sevré beaucoup d'autres personnes auparavant. Il était même beaucoup plus qualifié que moi pour traiter ce genre de cas.


Et j'avais besoin de souffler, de prendre à nouveau la distance nécessaire pour mettre mes pensées dans l'ordre, me retrouver. Mais mon esprit revenait inlassablement sur les derniers mots de Mick : Kaori.


Ryo, Kaori et le cœur blessé de Mick, voilà ce qui tournait dans ma tête.


Je songeai alors à cette compétition qui semblait se jouer entre les deux hommes sur à peu près tout et n'importe quoi. Et pourtant, ils étaient amis. Ryo le respectait et tenait à lui, malgré toutes leurs chamailleries et leurs interminables taquineries auxquelles j'avais assisté.


Deux amis que tout oppose. Deux rivaux que tout réunit. Et surtout, la femme qui serait toujours entre eux : Kaori.


Si je n'avais jamais eu affaire à elle, je crois que je la détesterais, purement et simplement. Mais, détester une personne comme Kaori était tout bonnement impossible. Du coup, c'est moi que je commençai à détester, me trouvant méchante, puérile et orgueilleuse alors que je ne cessais de me tourner et me retourner nerveusement entre mes draps, ne trouvant pas le sommeil.


Qu'avait-elle donc de plus que moi pour attirer tous les hommes qui passaient dans son sillage ? Comment faisait-elle, cette sainte nitouche pour les rendre tous aussi fous amoureux d'elle ? Parce qu'il ne s'agissait pas d'une simple amourette ... Les sentiments que Mick éprouvait pour elle l'avaient sorti des brumes de l'Angel-Dust et sa conscience avait ainsi repris le dessus. Et Ryo ... Que dire de Ryo ? Lui aussi m'avait repoussée à cause d'elle.


Je commençai à manquer d'air.


Quand soudain, on toqua à ma porte. Je me redressai d'un coup dans mon lit, le cœur battant, la gorge nouée. J'entendis de nouveaux coups et ensuite une voix que je connaissais bien :

- "Docteur Natori ! Vous êtes là ? Docteur Natori ? On vous demande ..."

- "Je ... Un instant, Madame Sakamoto, j'arrive !"


Je passai un gilet sur mon pyjama et j'allai ouvrir la porte. Je trouvai Madame Sakamoto, les mains sur les hanches, les sourcils froncés et le regard assassin :

- "Bonsoir ..." Murmurai-je, mal à l'aise.

- "Vous avez de la chance que le jeune homme en question m'a dit qu'il s'agissait d'une urgence et que vous étiez indispensable parce que sinon ..."

- "De quoi s'agit-il ?" demandai-je.

- "Il ne m'a rien dit de plus. Il ne m'a même pas dit son nom, ce mal-élevé ! Je dois simplement vous dire : XYZ."

- "J'arrive. Je m'habille et j'arrive !"


Je refermai rapidement la porte pour aller passer un jean, le premier t-shirt qui me passait sous la main, mon manteau et des baskets pendant que j'entendais Madame Sakamoto maugréer derrière la porte :

- "Et vous savez ce que je pense des visites masculines, Docteur Natori ! Votre métier ne vous exempte pas des convenances, que diable ! Recevoir un homme en pleine nuit ... Vous avez intérêt à ce que ça ne se renouvelle pas ! Quand même ... Ces jeunes ... Aucune considération pour la bienséance et la bonne réputation ! Que va-t-on dire de moi dans le quartier ?"


Je sortis et verrouillai ma porte pendant que Madame Sakamoto se sentait obligée de me rappeler qu'il était plus de deux heures du matin et que c'était inconvenant de recevoir de la visite à cette heure indue de la nuit. Je la dépassai sans un mot de plus.


Je m'attachai les cheveux avec un élastique et me dirigeai vers la grille de la propriété, identifiant dans la pénombre la silhouette qui m'attendait, adossée à sa voiture rouge. A mon arrivée, Ryo m'interpela tout en ouvrant sa portière :

- "Tu as un sacré gardien, toi ! C'est qu'elle mordrait presque, la petite dame !"


Il alluma le moteur pendant que je m'engouffrai à mon tour dans la Mini. Je n'avais pas encore fermé totalement la portière qu'il démarrait en trombe.

- "Que s'est il passé ?" Demandai-je, inquiète. "Tu as dû venir pour le sangler ?"

- "Oui." Répondit Ryo dans un souffle. "Il est devenu totalement incontrôlable. Une de tes collègues s'en sort avec un bon cocard mais rien de cassé. Il est bien attaché maintenant. Malheureusement, j'ai été obligé de l'assommer. Il a une belle bosse."


Je demandai, morte d'inquiétude :

- "Et comment va le Doc ?"

- "Bah heuuu ... Bien, pourquoi ?" Me répondit Ryo, interloqué.


Je mis un moment avant de répondre :

- "Attends un peu. Je ne comprends pas. Mick est sanglé. Le Doc va bien. Pourquoi es tu venu me chercher si la situation est sous contrôle ?"


Je vis Ryo sourire dans la pénombre.

- "Parce qu'il te réclame."

- "Il ... Il ? Il ... quoi ?"

- "Il te réclame. Il crie ton prénom à tue-tête sans arrêt ... Je ne sais pas ce que tu lui as fait, "ma petite mariée", mais je crois que Mick n'est pas accro qu'à l'Angel-Dust ..."

- "Ne dis pas n'importe quoi, Ryo ... Tu l'as dit toi-même, c'est un coureur de jupons ..." dis-je en croisant les bras et en détournant le regard vers ma fenêtre, sentant monter en moi la culpabilité d'avoir abandonné mon patient. "Il doit avoir envie d'ajouter une blouse blanche sur sa liste ..."

- "Le connaissant comme je le connais, il n'a pas besoin de ce genre de trophées ! C'est un coureur de jupons qui a très envie que tu l'attrapes, je crois bien ..."


Je ne répondis pas, gardant les bras croisés, mon esprit voulant refuser ce que mon cœur avait déjà accepté. Il reprit d'un air joyeux et enfantin cette fois :

- "Mais moi aussi, je veux bien me faiiiiire attrappeeeeeer, Docteur de Mon cœur ! Allez ... Viens m'attraper !"


Il se pencha vers moi, la bouche mimant un baiser des plus baveux. Je plaquai ma main sur son visage, y plantant légèrement mes ongles :

- "Plus de ça entre nous, Ryo. Sinon, je raconte tout à Kaori ..."


Il redevint brusquement sérieux. Je ne saurais jamais si ma menace avait été efficace ou si c'était parce qu'il venait de se garer devant la Clinique. Comme je savais qu'il allait s'enfuir, je posai ma main sur son bras :

- "Alors, juste encore une chose, Ryo. Je ne sais pas ce qui s'est passé exactement entre vous sur ce fameux bateau mais dis-toi bien que Kaori retrouvera la mémoire un jour ou l'autre. Ce genre de trauma est rarement définitif, tu sais. C'est une question de semaines au grand maximum. Et quelque chose me dit que tu as intérêt à être honnête avec elle si tu ne veux pas la perdre ..."


Il me regarda et me sourit :

- "Allez, file. Qui sait ? "Ma petite mariée" remettra peut-être à nouveau une belle robe blanche ..."

- "Même pas en rêve ..." répliquai-je en sortant de la voiture.


A peine avais-je claqué la portière que la Mini rouge démarra et elle fut bientôt loin. La porte d'entrée de la Clinique franchie, j'entendis des hurlements qui ressemblaient presque à des grondements de bête sauvage :

- "Haaaaaaaaaaaaaaaaa ! Kazuuuuue ! Haaaaaaaaaaaaa ! Hrrrrrrrrrrrrrrrrr Kazuuuueeeeee !"


Arrivé au niveau de la chambre numéro trois, je trouvai Himika, adossée au mur, apparemment fortement chamboulée, des larmes plein les joues.

- "Que s'est-il passé ?"

- "Quand il s'est réveillé, c'est le Doc qui s'est occupé de lui et quand il a réalisé que tu étais partie, il a littéralement pété les plombs. Il a repoussé violemment Naoko qui est tombée contre le cadre du lit. Elle a un œil au beurre noir comme si on lui avait cogné dessus. Le Doc a tenté de le raisonner puis il a donné l'ordre d'appeler Ryo pour le maîtriser ..."


Elle prit une grande inspiration.

- "Il est arrivé même pas dix minutes plus tard. Mick l'a invectivé quand il est entré dans la pièce et puis ils se sont battus. Ryo a fini par assommer Mick en le frappant derrière la nuque avec la crosse de son arme ..."

- "Mon Dieu ..."

- "Ensuite, Ryo et le Doc l'ont sanglé sur son lit. Ça fait presque dix minutes maintenant qu'il crie de nouveau ... Toujours la même chose ..."

- "OK. Je ne suis pas prête à reprendre des jours de repos, moi." Dis-je en soupirant. "Mais, bon. Faut ce qu'il faut ... Va nous préparer un café très fort." lui murmurai-je, non seulement parce que je sentais que j'allai avoir besoin de caféine mais aussi pour l'éloigner de là.


Elle partit d'un pas pressé et j'entrai dans la chambre. D'un seul coup, les hurlements cessèrent. Je fus frappée par la puanteur qui régnait dans la pièce : une grosse dose de sueur séchée, un relent de vomi, le tout avec toujours cette légère odeur de chair brûlée qui ne quittait plus la pièce. J'en eus l'estomac retourné mais, j'en avais vu d'autres.


Doc se tenait près de la fenêtre, les bras croisés. Nous échangeâmes un regard entendu avant que je ne me tourne vers Mick. Ce dernier, attaché sur son lit, donnait de grands coups de pieds pour se libérer de ses sangles tout en grondant, laissant échapper de sa gorge un cri de rage caverneux. Il tirait sur ses bras entravés mais ses mains restaient malheureusement parfaitement immobiles.

- "Kazue ..." murmura-t-il quand il me vit et il cessa immédiatement de s'agiter. "Vous êtes là ..."


Je croisai son regard et j'en fus peinée. J'y lus du chagrin, du désespoir, de la résignation et de la honte aussi. Même la couleur de ses yeux semblait avoir changé et me paraissait plus foncée. Presque grise.


Le Doc se dirigea vers moi, me serra le bras en passant et sortit sans dire un mot. Je m'avançai vers Mick, bien décidée à ne pas lui dissimuler ma colère :

- "Vous vous croyez où, Monsieur Angel ? Vous pensez que vous pouvez vous comporter comme un goujat ici ? Vous croyez que je n'ai pas le droit d'avoir une vie ? Que je n'ai pas le droit de dormir ?"


Il me regardait, visiblement perdu. Mais je continuai sur ma lancée :

- "Je ne suis pas à votre service, Monsieur Angel ! Je suis votre médecin, au même titre que le Doc. Je suis là pour vous soigner, je vous ai donné à manger, je vous ai écouté, j'ai essayé de vous remonter le moral, je vous ai tenu la tête pendant que vous vomissiez tripes et boyaux, j'ai essuyé votre front en sueur ... Je veux bien faire tout ça mais quand je suis de repos, je suis de RE-POOOOOS !!!"


Il tira à nouveau sur ses sangles en hurlant :

- "Mais je vais crever ! Haaaaaaaa ! Y'a un truc dans mon bide ... Je suis sûr qu'il y a quelque chose qui est en train de me déchirer de l'intérieur ! Haaaaaaaa !!!"

- "Calmez-vous. Respirez, Mick. Je vous jure que vous n'avez rien."

- "Je vous dis qu'il y a une bestiole dans mon ventre qui me grignote petit bout par petit bout …” Murmura-t-il en gigotant.


Je m'approchai :

- "Il n'y a rien dans votre ventre, Mick. Ce sont les effets du manque. Vous n'avez rien. Absolument rien."


Je m'approchai encore, jusqu'à poser ma main sur son front. Il était brûlant.

- "Vous n'avez rien dans votre ventre. C'est votre cerveau qui vous fait souffrir. Mais, je suis sûre que vous pouvez surmonter cette douleur et tenir bon."


Il me regarda, complètement perdu, comme si j'étais la bouée de sauvetage d'un noyé. Il murmura, essoufflé :

- "Vous êtes sûre ?"

- "Oui, j'en suis sûre. Calmez-vous."


Il prit de grandes et profondes inspirations et il sembla se détendre un peu. Je repris, mais d'un ton plus neutre et professionnel cette fois-ci tout en faisant un pas en arrière :

- "Et c'est pour ça que vous m'appelez ? Pour me dire que vous allez mourir ? Lors d'une crise de manque, malgré toutes vos souffrances, votre pronostic vital n'est pas engagé. La douleur peut vous rendre fou, incontrôlable et violent mais elle ne vous tuera pas."


Il tira encore un peu sur ses sangles :

- "Pourquoi vous m'avez attaché ?"

- "Vous ne vous rappelez pas ?"


Il me regarda, à nouveau perdu :

- "Non. Je me souviens vous avoir demandé de rester ... Quand ... Quand je me suis réveillé ..."


Sa respiration s'accéléra et devint erratique et saccadée. Il ferma les yeux tout en secouant la tête.

- "Il faisait noir ... J'étais seul avec ce ... J'ai vu ... J'ai vu ... ces deux démons ... avec des ... des mains crochues ... Et ensuite, l'ange de la mort est venu ... Je suis sûr que c'était lui, je l'ai reconnu. J'ai cru ... J'ai cru qu'il venait me chercher pour m'emmener ... M'emmener en enfer ... Et puis, je vous cherchais ..."


Sa voix se brisa :

- "Et vous n'étiez pas là. Je ... J'ai peur de mourir seul."


Il resta silencieux avant de murmurer :

- "Pardon ... Ka ... Docteur Natori. Je ... suis tellement ... J'ai tellement mal ... Je sens que je vais crever ..."


Je sentis des larmes me monter aux yeux mais je pris une grande inspiration et répliquai alors d'une voix douce :

- "Tout va bien. Vous n'allez pas mourir. Pas maintenant."


Je fis une petite pause, le temps de le laisser reprendre son souffle :

- "Vous avez eu des hallucinations. Ce n'est pas rare, comme réaction à un sevrage, nous vous avions prévenu. Les démons, c'était Naoko et le Doc et l'ange de la mort devait être Ryo. Il m'a dit avoir été contraint de vous assommer pour vous maîtriser."

- "Vous m'avez sanglé ?" Demanda-t-il à nouveau, comme s' il n'arrivait pas à accepter cette réalité.


Sa voix était éraillée d'avoir crié et il semblait à bout de forces alors qu'il tirait encore un peu sur ses entraves. Je répondis :

- "Oui ... C'est une chose que le Doc déteste faire alors, c'est que cela devait être vraiment nécessaire. "


Je regardai l'arrière de son crâne. Comme l'avait dit Ryo, il s'en tirait avec une belle bosse. Nos regards se croisèrent et j'en fus à nouveau troublée.

- "J'ai tellement mal ... Donnez-moi quelque chose."

- "Non, Mick. On en a longuement discuté. Vous saviez que ça serait douloureux." Je passai ma main sur son front, humide de sueur. "ça s'arrêtera. Pas tout de suite, mais ça s'arrêtera ..."

- "Non, ça fait trop mal ... Donnez-moi quelque chose, s'il-vous-plaît ..."

- "Non. Plus vous prendrez des substituts, plus ça sera dur."

- "Je ne veux pas me sevrer ... Je ne veux plus ... Donnez-moi quelque chose." Son ton devenait suppliant, sa voix suraiguë.

- "Non." Répliquai-je fermement.


Soudain, il se redressa violemment, tirant sur ses sangles, me faisant sursauter en arrière et il hurla :

- "Putain de merde ! Vous êtes mon médecin ou pas !!! Donnez-moi quelque chose pour que cette douleur s'arrête !"


Je devais rester ferme. Je serrai les poings et je penchai vers lui. La fatigue, la frustration, l'inquiétude qui m'avaient envahie avant d'arriver ici, toutes ces émotions se déversèrent d'un coup et emplirent mes veines d'une colère sourde, une rage contenue et froide qui me firent dire, pointant mon doigt vers ses magnifiques yeux bleus :

- "Alors maintenant, vous allez m'écouter, Monsieur Angel. Finis les caprices de gosse. Vous prétendez être le tueur numéro un des Etats-Unis ? Alors, soyez à la hauteur de votre réputation !"


Il me dévisagea, soudain pétrifié. Je le vis déglutir.

- "Montrez-moi ce que vous avez dans les tripes ... Montrez-moi de quel bois vous êtes fait. Pour de vrai. Montrez-moi celui que vous êtes au plus profond de vous et battez-vous !"


Il resta silencieux un moment, retrouvant peu à peu son calme car j'entendais sa respiration devenir de plus en plus régulière. Je poursuivis, la voix ferme et sèche.

- "Bien ... Alors si je vous entends encore dire que vous ne voulez plus vivre, vous allez la sentir, ma main, et pas dans la vôtre, ça, croyez-moi !"


Je mis ma main en l'air, devant son visage, montrant ainsi clairement en quoi consistait ma menace. Il me regarda encore quelques instants dans les yeux et comme je ne flanchai pas, il baissa le regard et murmura :

- "Pardon, Kazue."

- "J'accepte vos excuses, Mick." Dis-je en baissant ma main.


Il soupira profondément, ferma les yeux et quand il les ouvrit, ce fut pour planter son regard dans le mien et me lancer un simple :

- "Pourquoi ?"

- "Pourquoi, quoi ?"

- "Pourquoi vous tenez tant à me sauver ?"

- "Parce que vous êtes mon patient ..."

- "Vous faites ça pour tous les patients, Kazue ? Vous vous impliquez toujours autant pour les gens que vous soignez ? Je veux dire ... Je suis plutôt envahissant, exigeant ... et pas très présentable en plus ..."


Je ris doucement à sa tentative d'humour mais je me sentis prise au piège. D'un certain côté, j'étais fatiguée d'esquiver et il était peut-être temps de faire face à ce qui se passait réellement au plus profond de moi. Il était peut-être temps d'avoir une petite conversation à cœur ouvert.


Je répondis :

- "Sincèrement ? Non ... C'est vrai. Je ne m'implique pas autant pour tous les patients. Vous êtes différent."

- "Différent ? En quoi suis-je différent ?"

- "Je ne sais pas. J'ai fait une promesse. J'ai promis de tout faire pour vous sauver."

- "Pourquoi ? Je ne suis pas quelqu'un de bien. Pourquoi vous voudriez me sauver, moi plus qu'un autre ?"

- "Toute vie mérite d'être sauvée si on le peut."


Il me regarda, voulut murmurer quelque chose mais se retint et un silence gêné s'installa entre nous. Je le vis frissonner.

- "Vous avez froid ?"

- "Oui. Froid à l'intérieur. Comme si mes os étaient faits de glace ..."

- "C'est un des effets du manque, oui." dis-je. "Vous resterez calme ? Je peux vous libérer ?"


Il hocha la tête pour toute réponse, sans me quitter des yeux. Détacher un patient aussi vite allait à l'encontre de la procédure habituelle. Normalement, il fallait d'abord s'assurer de certaines choses et attendre un temps de repos minimum. Mais, c'était Mick et je sentais que sa rage avait disparu et j'avais toujours eu en horreur d'avoir recours à cette technique d'immobilisation. Priver une personne de sa liberté m'avait toujours retourné le cœur.

- "Vous n'allez pas vous remettre à me crier dessus ou je ne sais quoi ?" demandai-je, soudain hésitante.


Il sourit tristement :

- "Non, c'est promis-juré ! Et je ne pourrais jamais vous faire de mal, vous savez ..."


Je détachai ses sangles une à une.

- "Merci. Kazue ..." Dit-il simplement en se redressant et en se mettant assis sur son lit.


Je replaçai ses oreillers avant de l'aider à s'allonger et remis les couvertures qui étaient tombées au sol en l'emmitouflant du mieux que je pouvais :

- "J'espère que ça ira mieux avec ça ..."


Et mon regard croisa le sien et je me sentis happée par ses yeux qui ne semblaient voir que moi. Je restai immobile quelques secondes, penchée vers lui, le visage près du sien, si près du sien que je sentis son souffle sur mes lèvres.

- "Embrassez-moi ..." murmura-t-il.

- "Quoi ???"

- "Embrassez-moi ... Et je suis sûr de ne plus jamais vouloir mourir ..."


Comme je ne répondais pas, il répéta :

- "Embrassez-moi ... Et je suis sûr de ne plus jamais vouloir mourir ..."


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