Yes or No ?

Chapitre 17 : Sœur à sœur

4286 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/03/2022 15:33


Finalement, le mensonge que j'avais fait au Doc ne fut pas un complet mensonge. Le jour même, je pris le train pour me rendre chez mes parents. Je ne vis pas les six heures de trajet passer, tellement j'étais perdue dans mes pensées. Plusieurs fois, je dus me retenir de pleurer, alors que je regardai le paysage défiler. Parfois, j'avais l'impression d'avoir été une parfaite idiote, de m'être laissée berner par un dragueur astucieux et expérimenté. Puis, quelques instants plus tard, je pensais tout le contraire, essayant de me convaincre que je n'avais pas tout inventé et que ce que nous avions partagé était réel et sincère. 


Je passai tout en revue, depuis notre premier échange de regard jusqu'à ses tentatives pour m'embrasser en passant bien sûr par notre confrontation au bord de l'étang. Et ses paroles ... ses mots chargés de désir et tout ce qu'il avait imaginé pour nous deux, ses mains sur mes genoux, les arabesques, les baisers dans le cou ... Mais, dès que ces images revenaient, d'autres apparaissaient immédiatement ensuite : sa distance, le regard qu'il m'avait lancé quand j'avais annoncé que je partais en congés, la poignée de main et le sourire qu'il avait donnés à Reïka Nogami ... 


Reïka Nogami ...


Rien que son nom éveillait une colère sourde et profonde en moi, un sentiment amer et dévastateur de jalousie qui faisait immanquablement monter des larmes de rage. Je m'en voulais alors de pleurer, de ressentir ça ... Bref, rien n'allait bien.


Les trois premiers jours, je retrouvai avec plaisir ma famille, la maison et la ville où j'avais passé mon enfance, le bord de mer et l'odeur de l'océan. Et puis, ma sœur et son mari vinrent partager un déjeuner et comme tout le reste de la famille fut mis au courant de ma visite, le déjeuner familial devint un vrai banquet avec tantes, oncles et cousins. 


Ce fut après le dessert que ma sœur et son mari en profitèrent pour annoncer qu'ils souhaitaient fonder une famille. Mes parents sautèrent de joie et je partageai pendant quelques instants leur enthousiasme même si je trouvai assez louche que ma sœur attende ma venue pour se décider, après presque six ans de mariage, à faire des enfants avec son mari.


Malheureusement cette annonce raviva d'anciennes tensions : ma mère me rappela tout de suite mon âge avancé : à trente-cinq ans, il va falloir penser à se réveiller. Mon père répliqua d'un ton amer qu'il serait bientôt impossible qu'un homme correct s'intéresse à moi, ce qui me fit sourire jaune étant donné que le dernier en date était un tueur à gage, ancien taulard, tatoué de surcroit et que j'avais sevré d'une drogue assimilée au PCP... Mon père en  aurait très certainement fait une crise cardiaque. Pour finir en beauté, une de mes cousines m'acheva en ajoutant :

- "Pourtant tu es médecin ... Tu sais comment ça fonctionne !"


Je me levai brusquement de table sans un mot et sortis marcher sur la plage. Nous étions en plein mois d'avril et le vent encore froid me balayai le visage. Une petite tempête arrivait de la mer, entraînant des vagues puissantes et grises qui éclataient sur les rochers de la grève un peu plus loin, créant de grands nuages d'écume. 


Et puis d'un coup, mes jambes lâchèrent et je tombai à genoux dans le sable froid et humide. Une boule monta dans ma gorge depuis mon ventre et je laissai échapper un grand cri de rage, un hurlement rauque qui se perdit dans le vent du large. Je déchargeai toute ma haine et ma révolte. Je serrai les poings en même temps et quand le souffle finit par me manquer, je tapai rageusement dans le sable des coups de poings libérateurs. J'imaginai des visages sous mes mains : Mick, en premier, puis Reïka Nogami, mon père, ma mère, mon idiote de cousine, ma sœur et son mari, et même Ryo.


J'en avais assez qu'on décide pour moi, qu'on pense pour moi, qu'on m'utilise, qu'on me reproche de ne pas faire "quelque chose de bien" de ma vie, de faire toujours tout de travers. J'hurlai :

- "Mais bordel de meeeeerde, c'est MA viiiiiiie !"


Et puis, je m'assis dans le sable, me sentant soudain étrangement vide. Je laissai alors mon regard se perdre dans les vagues grises qui s'écrasaient sur le sable, me laissant bercer par le rythme du ressac. 


Et puis, j'entendis une petite voix derrière moi :

- "Kazue ?"


Je me retournai :

- "Makino ? Qu'est-ce que tu fais là ?"

- "Tu es ma sœur, je te connais quand même un peu ..."


Makino s'assit à côté de moi, à même le sable, les mains entourant ses genoux pliés. Je l'observai un instant alors qu'elle regardait aussi les vagues se briser un peu plus loin, les cheveux balayés en arrière par le vent.

- "Je suis désolée, Kazue."


Je restai silencieuse attendant qu'elle aille jusqu'au bout :

- "C'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû parler de ça."


Elle soupira et continua :

- "En fait, je voulais profiter de ta présence pour dire à papa et maman que les petits enfants qu'ils auront ne seront pas de leur sang ..."

- "Quoi ?"

- "Ils ne m'ont pas laissé le temps de poursuivre ..." Elle soupira et je vis des larmes monter dans ses yeux. "Ça fait plus de cinq ans qu'on essaie, Irie et moi et, il y a un peu plus d'un an maintenant, le diagnostic est tombé ... Irie ne pourra jamais me donner d'enfant."

- "Oh .. Makino ... Je suis tellement désolée."

- "Nous n'avons encore rien dit à personne. Tu sais, on avait même programmé nos dernières vacances en Floride pour aller consulter un spécialiste là-bas. Il nous a dit que le seul moyen serait d'avoir recours à une insémination artificielle d'un donneur anonyme. Mais je refuse de porter un enfant qui ne serait pas de l'homme que j'aime. C'est peut-être bête mais je n'arrive pas à le concevoir. Je préfère adopter."

- "Oh ... Non ... Mais pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ?"

- "Ne le prends pas mal, Kazue, mais parfois ... Parfois, ce n'est pas facile de discuter avec toi. J'ai essayé quand je suis venue à Tokyo l'année dernière mais tu étais pressée, tu avais beaucoup de travail ... Et ..."

- "Et ?"

- "Et quand j'ai parlé de mon envie d'avoir un enfant, tu t'es fâchée et tu as cru que je venais te convaincre de te marier. Du coup, j'ai laissé tomber."

- "Oh Mon Dieu ! Non, je n'ai pas fait ça ?" Je me rappelais effectivement que lors de sa dernière visite, nous avions rapidement déjeuné ensemble, ce que j'avais pris comme une corvée. 


Par contre, je ne me souvenais pas qu'elle m'avait parlé d'enfant ... Ou alors ? Mais pourquoi me mentirait-elle aujourd'hui ? Je me sentis honteuse et profondément égoïste. J'avais le cœur serré par la tristesse et la culpabilité. Elle rit doucement :

- "Si ... Désolée. Mais je ne t'en veux pas. Enfin, pour être honnête, je ne t'en veux PLUS ... Parce que sur le coup ..."

- "Tu aurais dû réagir, me dire quelque chose, je ne sais pas moi ... me coller une baffe !"


Makino éclata de rire :

- "J'aurais dû, oui !"


Après un instant, je lui demandai :

- "Pourquoi on s'est éloignées comme ça, nous deux ?"


Elle me regarda franchement et me lança, un peu durement :

- "Après la mort de Shinishi ... Deux mois après son inhumation, j'ai annoncé que j'allais épouser Irie. Je crois que tu m'en as voulu d'avoir un fiancé alors que toi, tu n'en avais pas." 


Je restai un moment sans voix, retenant mes larmes :

- "Je suis une sœur horrible."

- "Non. Je ne crois pas. Tu as vécu quelque chose d'affreux. Tes rêves, tes envies, tes projets, ta vie ... D'un coup, tu as tout perdu et tu as dû tout reconstruire. Ce n'est pas simple, je le comprends maintenant. Parce que moi aussi, j'ai dû renoncer à certains de mes rêves."


Elle posa la tête sur mon épaule, comme quand je lui lisais des histoires quand nous étions petites et je passai mon bras autour de ses épaules :

- "Alors comme ça, vous allez adopter ..."

- "Oui. D'ici quelques mois, si tout se passe bien, nous pourrons accueillir un enfant chez nous."

- "C'est une décision remarquable ... Je ... Je dois avouer que tu m'impressionnes ..."

- "Pffff ... Tu parles ! J'ai bientôt vingt-neuf ans et j'ai la trouille d'annoncer à papa et maman que je vais adopter un enfant ! Et pourtant, c'est ce que je souhaite le plus au monde ! Je suis trop nulle ! J'aimerai tellement être comme toi !"

- "Comme moi ? Ça va pas la tête ! Je  ne suis absolument pas un modèle de réussite."


Elle se dégagea de mes bras, se tourna vers moi et me lança vivement :

- "Kazue, là, il faut que tu ouvres les yeux !"

- "Je te demande pardon ?"

- "Qu'est-ce que tu n'as pas réussi ?"

- "Plein de choses et j'ai la désagréable impression qu'en ce moment, tout le monde décide à ma place et que je ne maîtrise plus rien."

- "Attends, attends ..." Elle secoua la tête comme pour s'éclaircir les idées. "Qui décide à ta place ?"

- "Tout le monde ! Papa, maman, mes amis, ma logeuse ..."

- "Pfffff ... Papa ? Diriger ta vie ? Tu plaisantes, j'espère ? Tu lui as toujours tenu tête pour faire ce que tu voulais de ta vie."


Je me redressai et pris une voix grave, tentant d'imiter celle de mon père :

- "Trouve-toi un bon mari et tu seras heureuse ma fille ! Fais des études d'économie pour dégoter un homme qui gagnera correctement sa vie ! Non, ne fais pas médecine, les filles deviennent infirmières, pas médecins. Et les infirmières épousent des médecins qui les trompent avec d'autres infirmières ! Donc, non ! Tu feras "Economie et Finances"! "


Elle me regarda, abasourdie :

- "Et ! Dis-moi : quelles études as-tu faites ?"


Je baissai la tête. Je compris où elle voulait en venir quand je lui répondis :

- "Médecine."

- "Oui et ... comment ?"

- "J'ai menti à papa et maman pendant plus de quatre ans ..."

- "Ils étaient persuadés que tu faisais "Economie et Finances" à Kyoto alors que tu étais en faculté de Médecine à Tokyo. Et ensuite, tu te rappelles de la crise de papa quand il a appris que tu partais faire un an d'internat à Londres ?"

- "Houuuu là ! Oui !"

- "Est-ce que tu es partie ?"

- "Oui. J'en ai même profité pour visiter quelques villes d'Europe ..."

- "Et autre chose : quelle était la profession de Shinishi ?"

- "Médecin. Comme moi."

- "Est-ce que papa s'est opposé à vos fiançailles ?"

- "Au début oui. Mais il a changé d'avis ..."

- "Es tu mariée à un directeur de banque ou un trader ?"

- "Je ne suis pas mariée ..."

- "Tiens, tiens ... alors ?" Elle me désigna d'un geste du menton avant de poursuivre : "Qui dirige qui ?"


Elle me regardait avec un sourire en coin. Nous restâmes un moment silencieuses jusqu'à ce que je murmure, baissant la tête pour la poser sur mes genoux repliés :

- "Je n'avais encore jamais vu les choses sous cet angle."

- "C'est souvent ton défaut, Kazue. Tu regardes seulement avec ton angle de vue à toi."


Quand je levai les yeux vers elle, je vis qu'elle avait les joue pleines de larmes. Elle les essuya d'un revers de la main :

- "Je t'aime, grande sœur. Tu m'as manquée."


Je passai à nouveau le bras par dessus ses épaules pour l'attirer à moi et je posai la joue sur ses cheveux :

- "Moi aussi, petite sœur. Moi aussi, je t'aime. Et pardon de ne pas avoir été là ... J'ai été nulle."


Nous restâmes un moment enlacées puis, je glissai doucement, amusée et admirative :

- "Et toi, tu crains la réaction des parents ? Avec ce que tu viens de me balancer, je pense que tu tiendras sans problème face à papa ..."


Elle rit doucement :

- "Je sais déjà que maman va pousser des hauts cris en disant que je suis la seule à pouvoir donner des enfants puisque toi, tu refuses de le faire, que c'est un don de la nature de pouvoir sentir des enfants grandir en soi, que c'est là que naît l'amour d'une mère et tout le blabla habituel !"

- "Oui ... C'est fort possible ..." dis-je en riant.

- "Tu m'aideras ?"


Je ne pus me retenir de rire :

- "Je doute vraiment que tu aies besoin de mon aide, Makino, mais, bien sûr. Je te soutiens à cent pour cent."


Elle se serra encore un peu plus contre moi. Au bout de quelques instants, je dis :

- "Bon, on va livrer bataille ?"

- "Pas tout de suite. J'aimerai d'abord que tu me dises un truc."

- "Quoi donc ?"

- "Qu'est-ce qu'il se passe, Kazue ?"

- "Comment ça ?"


Elle s'éloigna de moi et le vent froid revint frapper mon corps et je serrai ma veste trop légère contre moi. Elle vint s'agenouiller devant moi :

- "La dernière fois que tu es venue ici à l'improviste, c'est quand Shinishi est mort. Alors ?"


Je restai muette, soufflée par son assurance. Elle reprit :

- "Alors ? Chagrin d'amour ?"

- "Je ne dirai pas ça."

- "Ah ... amoureuse contrariée ? Il est marié ?"

- "Ça va pas, non ?"

- "Alors ? C'est quoi le problème ?"

- "Y'a pas de problème. Y'a rien du tout."

- "Ah. A la façon dont tu le dis, j'en déduis que le "rien" est un problème en soi ... Il te plait et tu ne lui plais pas ?"

- "Je ne sais pas. Je ne dirais pas ça ..."

- "Tu es amoureuse ?"

- "Je ne sais pas."


Comme elle restait silencieuse pendant quelques instants, je pensai qu'elle avait lâché prise mais il n'en fut rien :

- "C'est juste physique ?"


Je sursautai :

- "Makino !"

- "Quoi ? Parce que je suis plus jeune que toi, je n'ai pas le droit de parler de sexe ?"

- "Mais, mais ..."

- "Mais quoi ?" Son sourire remonta jusque derrière ses oreilles. "Tu sais, je connaissais Irie depuis moins de vingt-quatre heures quand on a fait l'amour dans un des placards à balais de l'école."

- "Tu ... Quoiiiiii !!!! Non, mais ... Makinoooooo !!!" 


Je n'en croyais pas mes oreilles. Makino, ma douce et sage petite sœur, institutrice sérieuse et dévouée avait fait l'amour dans un placard à balais ! D'un coup, le monde tournait à l'envers ...

- "Vous avez fait quoi ?"

- "On a fait l'amour ... Tu sais ce que c'est, non ?"


Piquée, je répliquai :

- "Bah, oui, quand même ! Et vous avez ça où ?

- "Dans un placard à balai."

- "Dans un placard à balai ?"

- "Oui, Kazue. Un placard à balais. Tu sais, les petits cagibis qui ferment avec une porte et où on range les balais, les sceaux et les serpill..."

- "Merci, Makino, je n'ai pas besoin d'une définition de : placard à balais ! Mais un placard, quand même, c'est pas franchement sexy ..."


Elle me regarda, à la fois hilare et triomphante 

- "Détrompe-toi. Mais c'est surtout que c'était le seul endroit verrouillable de l'intérieur en dehors des toilettes. Parce que, entre nous, les toilettes, ça, c'est vraiment pas sexy ..."

- "Les toilettes ... c'est pas ? Pas sexy ?" Je secouai la tête, abasourdie qu'elle ait déjà réfléchi à ce genre de choses avant de poursuivre ma série de questions idiotes : "Et à l'école ? Au bout de combien de temps, tu as dit ?"

- "Le lendemain de notre rencontre. Je venais de prendre mon poste." Dit-elle, un sourire étincelant aux lèvres, les yeux pétillants. "Et je ne regrette pas, ça je peux te le jurer !"

- "M'enfin ... Comment ?"

- "Comment ça, comment ? Ne me dis pas que tu ne sais comment faire ?" Elle singea ma cousine avant d'éclater de rire : "Pourtant tu es médecin ... Tu sais comment ça fonctionne !"


Je la fusillai du regard et elle redevint sérieuse :

- "Nos yeux se sont croisés et j'ai su. Alors, il n'est pas une gravure de mode, je te l'accorde, mais c'était quelque chose dans son regard. Comme si ... Comme s'il voyait en moi comme dans un livre ouvert et inversement. Tu vois ? Et je ne me suis jamais sentie aussi à ma place que dans ce placard ... Enfin, ça n'avait rien à voir avec les balais !" ajouta-t-elle en explosant de rire. "Tu verrais ta tête, Kazue !"


Je répliquai, le plus sérieusement du monde :

- "Je ne pourrai plus jamais regarder Irie dans les yeux ..."

- "Mais siiiii ! ça ne change rien. Ce que je veux te dire, Kazue, c'est que, au début, ce n'était pas comme aujourd'hui. C'était ... physique. Essentiellement. Et ensuite, c'est devenu autre chose. Mais seulement avec le temps. Donc ... Tu n'as pas besoin d'être amoureuse pour avoir envie d'un homme. Je dirais même que c'est normal et qu'il serait temps que tu te lâches un peu !"

- "Makinooo !!!" Répétai-je, toujours horrifiée d'entendre ces mots dans la bouche de ma jeune sœur.


J'enfouis mon visage entre mes mains et je soupirai profondément. Elle revint à la charge :

- "Il est attirant ?"


Je soupirai à nouveau, le visage toujours dissimulé entre mes mains froides alors que je sentais mes joues prendre feu :

- "Ohhhh ... Punaise ! Makino ... Il est pire que ça ..."


Elle rit :

- "A ce point ?"


Je découvris mon visage et je la regardai, consternée :

- "Tu n'as pas idée ..."


Elle se pencha vers moi :

- "Ohhhh, t'es toute rouge !" Puis elle éclata à nouveau de rire.

- "C'est pas drôle ! Makino !"

- "Tu veux que je te dise un truc ?"

- "Vas-y ... de toute façon, même si je te dis non, tu me le diras quand même."

- "Exact."


Elle revint s'assoir à côté de moi et planta son regard droit devant elle dans les vagues qui grossissaient.

- "Tu as envie de lui ?"

- "Heuuu, Makino ? Ça me fait bizarre, quand tu me parles comme ça."

- "Quoi ? Tu veux que je le dise comment ? Tu préfères : est-ce que tu veux faire l'amour avec lui ?"

- "Non, non ... enfin ... je veux dire ... La première formulation était bien finalement."

- "Et donc ?"

- "Oui. Oui. Il me plaît bien ..."


Elle m'imita :

- " "Il me plait bien." La blague ... tu ressembles à une pivoine et il te plait juste bien ?"

- "Oh, oui, c'est bon. Tu es ma petite sœur ... Pas besoin de tout détailler non plus ..."


Elle rit puis ajouta d'un ton assuré :

- "Bien. Alors dis-lui."

- "Et puis quoi encore ! C'est lui qui a fait machine arrière !"

- "Tiens donc ? Alors, il avait avancé ?" Me demanda-t-elle, moqueuse avant de poursuivre plus sérieusement : "Je te dis pas d'aller le voir directement et de lui sauter dessus ... Comment dire ? Montre-lui qui tu es vraiment, Kazue : Kazue La battante. Celle qui ne se laisse pas faire. Celle qu'on ne dirige pas et qu'on ne mène pas en bateau. Celle avec qui on n'avance pas pour reculer ensuite comme si de rien n'était. En résumé : mets-le à tes pieds !"


Je soupirai :

- "C'est compliqué ..."

- "Explique !"

- "Non, je ne peux pas ... Je t'ai dit, c'est ... C'est compliqué !"

- "Bah, ça devrait pas."

- "Quoi ?"

- "Tu as envie ou tu n'as pas envie de lui ? Et la réponse n'a rien de compliqué. C'est : oui ou non. Et si c'est non, tu passes ton tour en silence. Si c'est oui, tu fais tout pour que ça arrive. Aimer, ça peut venir après, ou pas, mais c'est pareil : tu aimes ou tu n'aimes pas. Tu veux : être deux ou pas ? C'est simple."


Je souris :

- "Pas de demi-mesure avec toi, hein ?"


Elle secoua la tête :

- "Non, mademoiselle. Après, ce n'est que ma façon de voir."


Elle se pencha vers moi :

- "Tu as envie de lui ? Tu veux être avec lui ? Tu es amoureuse de lui ?"

- "Je te l'ai dit : je ne suis pas sûre d'être amoureuse ..."

- "Et lui ? Qu'est-ce qu'il en dit ?"

- "J'en sais rien. J'étais persuadée de lui plaire mais, ensuite ... Un jour, tout allait bien et le lendemain, c'est à peine s'il m'adressait la parole."

- "Ah ... Alors, quoi ? Il s'est passé quelque chose ?"

- "J'y ai déjà réfléchi ... Je ne vois pas ..."

- "Vous en avez parlé ?"

- "Non mais et ! J'ai rien fait, moi ! C'est pas à moi de venir parler ! D'un coup, tout a changé ! Il ne parlait plus que de lui et de ..." Je suspendis mes mots. 


Certaines choses ne devaient pas sortir de la Clinique, même avec mes proches, même sous le coup de la colère. Je poursuivis cependant pour conclure :

- "Je ne vais pas aller le supplier comme une collégienne ou une groupie de rock star, ça non alors !"

- "J'ai pas dit ça. Mais, regarde ... Nous deux. Il suffisait de pas grand chose."


Je baissai la tête.

- "Oui. Peut-être."


Ce fut elle qui passa son bras autour de mes épaules cette fois et elle me dit doucement :

- "Promets-moi juste d'y réfléchir. Tourner le dos tout de suite à un type "pire qu'attirant" serait peut-être une erreur. Et puis, si ça marche vraiment pas ... C'est que c'est un con."


Je la dévisageai : elle était tellement convaincue et déterminée que tout me parut soudain très simple et je ne pus me retenir d'éclater de rire. Elle rit avec moi et elle m'enlaça pour me serrer fort contre elle. Je lui murmurai :

- "Merci petite sœur. Merci de croire en moi. Et je te promets d'être plus disponible pour toi et de t'écouter pour de vrai dorénavant."


Nous rentrâmes toutes les deux et Makino annonça à l'ensemble de la famille réunie son projet d'adoption. Les réactions furent houleuses mais Makino et son mari tinrent bon et je n'eus même pas besoin d'intervenir. Je pris simplement sa main dans la mienne quand j'entendis sa voix faiblir mais je vis qu'Irie avait fait de même de l'autre côté et je souris. Ma sœur avait trouvé quelqu'un de bien, finalement. Je l'avais mal jugé.


Mon père quitta la grande salle à manger en colère et alla s'enfermer dans son bureau. Personne ne le revit de la soirée, sauf ma mère qui alla lui apporter son repas. Le lendemain, alors que je déposai mon sac de voyage dans l'entrée, sa porte resta fermée.

- "Tu le connais." dit ma mère. "Il est comme un volcan. Il explose et il s'apaise ensuite. J'espère que cette fois, il acceptera aussi. Comme pour toi. Au revoir, ma grande."

- "Au revoir, maman" et je la serrai dans mes bras.


Makino et Irie me conduisirent à la gare, juste avant de se rendre à l'école où ils étaient tous les deux professeurs. Je serrai la main de mon beau-frère :

- "Bonne chance, Irie. Je suis persuadée que vous ferez de formidables parents, Makino et toi. J'espère que vous aurez l'occasion de passer me voir à Tokyo avec le nouveau venu ou la nouvelle venue ..."

- "Avec plaisir, Kazue. Je suis heureux que vous ayez parlé toutes les deux."


J'eus envie de rire, imaginant sa tête s'il savait que je savais pour le placard à balais. Je me demandais alors ce qu'il se cachait derrière cette chemise blanche parfaitement repassée et cette cravate grise passe partout. Quand il se détourna vers la voiture pour nous laisser, Makino et moi, je ne pus m'empêcher de lorgner le contenu arrière de son jean et je dus reconnaître que ses fesses étaient loin d'être laides.


Je croisai alors le regard de ma sœur qui attendait de lui tourner le dos pour rire discrètement. Quand elle me serra dans ses bras, elle me murmura :

- "Promets-moi de le mettre à tes pieds, l'autre type-super-sexy ..."

- "J'ai jamais dit qu'il était super-sexy ..."

- "Tu as dit "pire qu'attirant", non ? Donc, c'est super-sexy !"


J'accentuai un peu mon étreinte :

- "Plus facile à dire qu'à faire ..."


Elle s'écarta de moi et me prit par les épaules :

- "Tu te rappelles la fin d' "Autant en Emporte le Vent" ? Quand Rett part et que Scarlett dit : "Demain est un autre jour. Je trouverai le moyen de le ramener ..." ?"

- "Si je m'en rappelle !" Dis-je en riant, car nous avions regardé ce film des dizaines, voire des centaines de fois, pendant que les parents dormaient, dans la pénombre du salon, tout en dévorant des crèmes glacées à même le pot. Ça remontait à plus de quinze ans en arrière.

- "Alors, fais pareil ... Tu trouveras bien un moyen ..."

- "T'inquiète, sœurette. Je vais le faire ramper ..."



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