Yes or No ?

Chapitre 39 : Mick Angel

4419 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 17/08/2022 14:57


14h43

Je vérifiai à nouveau ma montre. J'étais tendu à l'idée de passer la douane. Je connaissais la qualité de mon travail, j'avais beau me dire que tout était parfait, je ne pouvais m'empêcher d'être nerveux et de rouler et de dérouler le magazine que je venais d'acheter au kiosque de l'aéroport de Tokyo. 


14h45

Notre vol pour Londres était prévu dans une bonne heure et demie et j'étais sorti sur la terrasse pour voir les avions décoller. J'avais toujours aimé voir les avions décoller et là, j'aurais tout donné pour fumer une cigarette. D'ailleurs, le type à quelques mètres de moi venait d'en allumer une et je respirai l'odeur si particulière du tabac blond avec délectation mêlée de dégoût. Ça faisait trois mois que j'avais arrêté de fumer, trois mois que j'avais éteint ma dernière clope sur le toit de l'immeuble d'en face, trois mois que je combattais une de mes dernières addictions. 


Je reçus une bouffée de fumée dans le visage et je fusillai du regard l'homme à la cigarette. J'avais pris la bonne décision en arrêtant, j'en étais convaincu, pourtant, certains jours, je tuerais volontiers à nouveau pour reprendre une bouffée sans risquer de replonger. 


J'avais arrêté de fumer mais pas parce que ma tête de mule de Natori avait déployé des arguments de poids, tous aussi scientifiques les uns que les autres et tous aussi inutiles les uns que les autres. Non. J'avais décidé d'arrêter de fumer parce que nous allions commencer une nouvelle vie. 


Toute cette histoire avait débuté par un après-midi de février. Elle était rentrée, très discrètement, pendant que j'étais en train de dessiner. Ca faisait un moment que je ne percevais même plus sa présence quand j'étais concentré sur un travail. En fait, pour être parfaitement exact, j'avais perçu son aura mais elle était tellement apaisante, douce et familière que je n'étais pas sorti de ma bulle. 


Et puis, elle avait brusquement saisi une des feuilles sur laquelle j'avais fais un croquis. Les bouquins d'obstétrique qu'elle laissait traîner partout m'avaient donné envie de la dessiner autrement. Et là, le message était on ne peut plus explicite. 


Je l'avais dessinée nue, bien sûr, c'est comme ça qu'elle était la plus belle et de trois quart de dos. 


J'aimais beaucoup la dessiner de dos. Certainement à cause de ce souvenir qui était gravé dans ma mémoire : ce petit mouvement d'épaules, un roulement léger pendant qu'elle avait à peine incliné la nuque quand j'avais retiré son manteau au bar du Aman Tokyo Hotel. Ensuite, j'avais découvert la peau nue de son dos par l'échancrure diabolique de sa robe. Si nous n'avions pas été dans un lieu public, je lui aurais sauté dessus à cet instant-là. Sans même essayer de parler. Pendant une fraction de seconde, je m'étais senti comme un loup affamé. J'avais dû me maîtriser pour ne pas craquer. 


Depuis, quand je me la représentais en fermant les yeux, je la voyais immanquablement nue, de dos.


Donc, ce jour de février, le dessin qu'elle avait tenu entre ses mains légèrement tremblantes, la représentait nue, de dos et en train de se relever les cheveux. J'adorais quand elle faisait ça. Aussi parce que ce geste faisait référence à un souvenir important pour moi. 


Juste avant Noël, je lui avais montré mon nouveau tatouage : j'avais gravé sous ma clavicule, inscrivant dans ma chair notre formule magique : "- + - =  + ". Elle avait alors caressé les caractères d'encre bleue sur ma peau du bout des doigts. Puis elle s'était tout simplement retournée, avait relevé ses cheveux d'une main et de l'autre avait tracé un trait à la base de sa nuque :

- "Là ... Qu'est-ce que tu en penses ?"

- "Comment ça : qu'est-ce que j'en pense ?"

- "Bah c'est toi l'artiste, Monsieur Angel, pas moi." M'avait-elle répondu très sérieusement et elle avait insisté pendant plus d'une semaine jusqu'à ce que je cède et que je lui tatoue la même chose, juste à la naissance de sa nuque.


Depuis, elle dissimulait ce dessin sous sa cascade de cheveux noirs ou sous un col de chemise. Rares étaient ceux qui connaissaient ces symboles, démontrant que sa poisse et ma malchance s'annulaient au contact l'une de l'autre. Donc j'aimais la dessiner ainsi, se relevant les cheveux, dévoilant notre intime petit secret mathématique.


Mais, en ce jour de février, le croquis qui la représentait était un peu différent. Je l'avais représentée avec des formes beaucoup plus voluptueuses, la poitrine gonflée, les épaules et les bras légèrement épaissis, le ventre plus qu'arrondi ... 


Et, finalement, ces dessins qui n'avaient été au départ que des exercices de proportions, avaient éveillé de drôles de sensations en moi. Et quand Kazue m'avait regardé, ces sensations avaient déferlé comme un tsunami et j'avais alors répondu sans réfléchir : 

- "Oui, j'y pense. Et oui, j'en ai envie. J'ai très envie de te voir comme ça. Et, j'aimerais aussi recevoir cet amour-là et pouvoir le donner en retour, cet amour inconditionnel. Et entendre un petit être m'appeler papa. Je ne pensais pas que j'en aurais envie un jour mais oui. Peut-être pas tout de suite, hein, va pas commencer à paniquer. Mais oui."


Elle m'avait alors juste embrassé, doucement, tendrement, comme elle savait si bien le faire et j'avais pensé que la discussion était close pour un moment. Mais non. Deux jours après, elle était revenue de son travail un peu plus tard que d'habitude et, en s'asseyant sur le canapé, elle m'avait dit de but en blanc :

- "J'ai arrêté ma contraception."


Devant mon air effaré, elle m'avait alors calmement expliqué qu'à trente-six ans passés, il faudrait peut-être du temps pour qu'elle arrive à tomber enceinte, surtout qu'elle avait toujours été sous contraceptif et que ses ovulations ... et ... et là, je n'avais plus du tout écouté, car j'avais retenu une chose, une seule et unique chose, une seule et unique chose parfaitement essentielle : en faisant l'amour, nous allions faire un bébé. Voilà ce que mon cerveau avait retenu de son discours pragmatique, professionnel et réfléchi qui contrastait tellement avec ce qu'elle était au plus profond d'elle-même. 


Nous allions faire un bébé. 

Même si nous n'étions toujours pas mariés, nous allions faire un bébé. 

Nous allions faire un bébé et je n'avais jamais été aussi heureux de toute ma vie. Ce que je m'étais empressé de lui prouver en lui coupant la parole par un baiser très entreprenant.

- "Miiiick !" S'était-elle écrié en s'écartant un peu de moi. "Mais qu'est-ce qu'il te prend ?"

- "Bah ... On veut faire un bébé, non ?"


Elle m'avait regardé très sérieusement :

- "Alors, techniquement, si on veut optimiser nos chances, il faut att..."


Je l'avais encore embrassée tout en passant mes mains sous sa jupe et en l'allongeant sur le canapé. Elle s'était dégagée pour poursuivre :

- "Non, attends, le meilleur moment, ça sera dans quatre jours et ..."

- "Bon, alors, on va dire que tu as besoin d'une séance d'entraînement avant que je te le fasse pour de bon, ce bébé ..."


14h52

Je souris en repensant à ce souvenir. Malheureusement, malgré mon enthousiasme et de nombreuses séances d'entraînement, trois semaines plus tard, je l'avais vue sortir de la salle de bain avec des larmes aux yeux. Et j'avais compris. Ce n'était pas pour cette fois. Elle était venue s'asseoir à mes côtés et avait posé sa tête sur mon épaule. Je l'avais entourée de mes bras, restant silencieux puisque je ne savais absolument pas quoi lui dire pour la consoler. Je ne m'étais pas attendu à ce que cela l'affecte autant. 


C'est à ce moment-là que j'avais décidé d'arrêter. Le soir même, j'avais fumé ma dernière cigarette en regardant les lumières électriques danser dans le noir. 


En fait, elle m'avait répété tellement de fois que mon poison préféré rendait mes petits soldats moins toniques, que je m'étais dit que je devais la soutenir comme je le pouvais et je n'avais trouvé que cette solution. Elle me faisait un cadeau extraordinaire, je pouvais lui rendre la pareille ... Et aussi, très honnêtement, je m'imaginais mal bercer un petit bébé en sentant le tabac froid.

 

14h54

J'observai encore un peu l'homme alors qu'il écrasait sa cigarette dans le cendrier en inox. D'un certain côté, j'aurais bien aimé être à sa place, de l'autre, j'étais sûr d'avoir fait le bon choix. 


J'avais éteint ma dernière cigarette avec Ryo sur le toit de l'immeuble en face. Kazue avait ravalé dignement sa déception et était partie assurer une garde de nuit ce soir-là. Mon ami et moi avions parlé de tout et rien, comme d'habitude avant que Ryo ne se moque de moi et de mes motivations :

- "Tu crois que c'est vraiment obligé d'arrêter de fumer pour réussir à faire des mômes ?" M'avait-il demandé, à la fois dubitatif et moqueur.

- "Bah oui, tu me vois bercer mon gosse en sentant le tabac et le whisky ?"

- "Franchement ? Toi en train de bercer un mouflet ... c'est ça que j'arrive pas à m'imaginer !"


Et il avait éclaté de rire.

- "Si on m'avait dit un jour que le numéro un des States ..."


Je l'avais interrompu :

- "Non. Ne dis pas la suite, numéro un du Japon ... Moi aussi, j'ai mes sources ..."


J'avais éteint ma cigarette dans son cendrier avant de me diriger vers les escaliers :

- "Voilà. The last one (la dernière). Bon, je rentre. Ca caille."


A ma grande surprise, Ryo m'avait suivi. Je m'étais retourné :

- "Tu as oublié ton paquet sur la rambarde, Bro'."

- "Pas grave." Avait-il marmonné en remontant le col de sa veste. « Je crois que je vais arrêter aussi. Si tu y arrives, je devrais y arriver aussi, non  ... Pis c'est bientôt son anniversaire, alors depuis le temps que Kaori me casse les pieds ..."


Je m'étais arrêté pour le dévisager, tentant de sonder son visage impassible. Il avait continué sans me regarder en face :

- "Et ça coûte trop cher, en plus. On est complètement fauchés en ce moment."

- "Noooooon, Ryo ? Tu veux aussi être ...."


Il s'était alors tourné vers moi, défait :

- "Non, mais ça-va-pas-la-tête ! Mais t'es MA-LA-DE, l'Amerloque ! Pas de môme ! Déjà que j'ai toi à surveiller ! C'est déjà bien suffisant !"


J'avais éclaté de rire et nous étions rentrés. Nous venions de partager nos dernières cigarettes. 


14h57

Je souris en me rappelant la voix de mon père spirituel qui n'arrêtait pas de me répéter il y a presque quinze ans :

- "Tu devrais pas fumer autant, Miguel Angelo, c'est mauvais pour le tonus sexuel."


Ce à quoi je lui répondais généralement, du haut de l'arrogance de mes vingt-cinq ans :

- "N'importe quoi, j'en ai à revendre du tonus sexuel !"


J'aurais bien aimé qu'il puisse me voir aujourd'hui, qu'il puisse se rendre compte que j'étais enfin devenu celui que j'aurais dû toujours être. Et surtout, j'aurais aimé pouvoir lui dire que j'étais heureux. Que j'avais trouvé une famille, une famille composée du tueur numéro un du Japon, un tueur qui se faisait mener par le bout du nez par une jolie folle qui lui cognait dessus, et que nous prenions nos cafés du dimanche midi avec d'anciens mercenaires et que j'étais amoureux d'une femme médecin qui consacrait son talent pour soigner les marginaux.


Je me disais souvent que Shadow serait content et fier de connaître chaque membre de cette famille qui me correspondait bien, finalement, à moi, l'orphelin venu d'Alaska, le garnement des quartiers chauds de San Francisco, l'ancien taulard dragueur et insouciant transformé en tueur implacable par l'injustice de la mort. 


14h 58

Je jetai un œil à travers les baies vitrées et j'aperçus Kazue en train de flâner dans un des magasins de vêtements de la galerie commerciale. Elle ne faisait pas attention à moi et j'en profitais pour l'observer un peu. Elle était belle. 


JE la trouvais belle.


Alors certes, elle n'avait pas le sex-appeal et l'assurance de Saeko qui faisaient perdre le contrôle à n'importe quel homme, elle n'avait pas les formes voluptueuses de l'appétissante Reïka, le caractère enflammé et la compassion que j'avais tant aimés chez Kaori, la spontanéité de Miki ... Et je me retournerais toujours au passage d'une jolie fille ou d'une femme sexy, ça je pense que c'était inscrit dans mon ADN. Mais aucune jolie fille, aucune femme, aussi sexy soit-elle, aucune n'avait ce que, elle, elle avait. 


Elle était elle et elle était très bien comme ça. Je savais moi, quels trésors se cachaient derrière sa beauté douce et classique. Et Kazue Natori n'était ni douce ni classique. C'était d'ailleurs ce que j'avais dit à son père ... Car j'avais eu droit à une conversation des plus sérieuses avec Monsieur Natori il y avait deux jours de ça.


15h00

Nous étions partis le vendredi en fin de matinée. Presque huit heures de route mais j'avais envie de conduire et pour l'occasion, j'avais loué une décapotable, rêvant de rouler vers le bord de mer comme en Californie. Kazue avait été nerveuse pendant tout le trajet. 


Elle appréhendait beaucoup les réactions de son père me concernant et m'avait rappelé une centaine de fois qu'il ignorait dans quel genre d'établissement elle travaillait. Si on nous posait la question concernant notre rencontre, il faudrait transposer le tout à l'hôpital universitaire de Tokyo. Plus nous nous étions rapprochés de la côte, plus elle était devenue nerveuse et j'avais fait tout mon possible pour lui changer les idées. J'avais alors défait la capote, monté le volume de la musique à fond et petit à petit, je l'avais vue se détendre. 


Et pendant que je l'avais observée, les cheveux balayés par le vent et chantant ses chansons préférées, je m'étais imaginé rouler ainsi sur les routes américaines. Et puis, j'avais même poussé l'idée jusqu'à prévoir l'emmener en Alaska, chez moi. Peut-être serait-il temps que je me rende sur la tombe de mes parents ? Peut-être que je pourrais même retrouver des amis d'enfance ? Je m'étais toujours demandé ce que Ben Fergusson et sa sœur Rose étaient devenus. 


15h02

Comme un signe du destin, un avion de l'American Airlines s'élança sur la piste d'envol. Oui, un jour, je l'emmènerai en Alaska. Et ce serait aussi l'occasion pour moi de refaire mon passeport. Mon vrai passeport. Un passeport au nom de James Mickael William Carpenter. Pour redevenir celui que j'étais vraiment. 

Oui, prochain voyage au programme, Anchorage, Alaska, USA. 


15h04

Nous étions arrivés en fin d'après-midi chez ses parents. Sa sœur et son mari, Makino et Irie étaient déjà là, surveillant leurs trois enfants qui jouaient dans le jardin donnant sur la plage en contrebas. Une belle maison traditionnelle. Une maison de famille. Une vraie.


Madame Natori était venue nous accueillir avec un grand sourire. Et, après avoir enlacé rapidement sa fille, elle m'avait tendu la main :

- "Il me semble qu'on se salue ainsi dans votre pays ?"

- "Tout à fait Madame Natori." Et j'avais serré doucement sa main.


Elle avait observé mes gants d'un air intrigué mais n'avait rien dit. Makino était arrivée sur ses entrefaites et m'avait salué joyeusement. J'avais ensuite perçu une petite querelle tout féminine entre elle et Kazue concernant un de mes surnoms. J'avais failli éclater de rire car il m'avait bien semblé entendre "Mister Sexy Tout Court."


A cet instant, Monsieur Natori était sorti de sa maison. Grand, mince, sûr de lui. Il m'avait détaillé de la tête aux pieds, mesurant chaque détail de mon apparence, de ma tenue, de mes cheveux. Son regard s'était arrêté un instant sur mes mains et si je n'avais pas eu l'habitude de faire face aux plus redoutés patrons de la pègre de nombreux pays, je crois que j'aurais perdu contenance. Mais, s'il y avait bien un exercice que je maîtrisais, c'était garder mon self-control dans ce genre de circonstances. J'avais alors souris très légèrement et je m'étais incliné devant lui en disant simplement :

- "Monsieur Natori."


Passées les premières appréhensions, l'ambiance avait fini par se détendre, surtout grâce aux deux petites filles qui jouaient en riant. Le plus grand, Daisuke, était resté en retrait et nous avait lancé un regard de défi, refusant de venir nous saluer, ce qui avait fortement contrarié ses parents adoptifs mais Kazue leur avait dit de le laisser tranquille. J'avais croisé le regard du petit garçon et je crois que nous nous étions déjà compris à ce moment-là.


Peu à peu, les discussions avaient commencé à devenir fluides, et j'avais apprécié la patience et le calme d'Irie. Le père de Kazue était resté sur la terrasse, nous observant de loin pendant que sa mère avait apporté, dans le jardin, du thé et de petites pâtisseries fabuleuses. Bien évidemment, je n'avais pas manqué de la complimenter sur ses talents culinaires, la faisant sourire. J'avais gagné un petit point.


Et puis, le moment de passer à table était venu et là, les choses s'étaient envenimées. Makino avait simplement appelé le jeune Daisuke pour qu'il se joigne à nous et il avait violemment refusé, restant dans le fond du jardin. Monsieur Natori s'était immédiatement fâché, se levant d'un bond et le ton était monté quand Irie s'était interposé, tentant de calmer le jeu et empêchant son beau-père de sortir pour attraper le garnement. Rapidement, Makino s'était retrouvée en larmes, Irie soutenant le regard impénétrable de Monsieur Natori pendant que Daisuke escaladait un des cerisiers du jardin.


Je m'étais alors levé après avoir simplement serré les doigts de Kazue et j'étais volontairement passé entre les deux hommes qui étaient encore en train de se défier du regard. J'avais vite enfilé mes chaussures et j'étais allé vers le cerisier, contre lequel je m'étais assis, attendant une réaction du jeune garçon. Elle n'avait pas tardé à venir :

- "T'es qui, toi ?"

- "Question pertinente. Mais tu n'as pas besoin de savoir qui je suis. Moi, je sais qui tu es."


Il avait ri d'un petit air suffisant :

- "Pffff, n'importe quoi ! Tu peux pas savoir. On se connait même pas."

- "C'est vrai. Et si tu restes perché là-haut, tu ne me connaîtras jamais."

- "Pas grave. Tu m'intéresses pas."

- "Toi non plus."

- "Alors qu'est-ce que tu fais là. Casse-toi de mon arbre."

- "Ce n'est pas TON arbre. Et je me casserai si je veux. Soyons clairs, petit. Je n'apprécie pas ton comportement parce que tu es en train de blesser des personnes qui ne t'ont rien fait et qui essaient simplement de t'aider."

- "Pas besoin d'aide."

- "Si. Parce que tu es perdu." J'avais entendu avant de poursuivre. "Tu es perdu, seul et triste. Ton chagrin ne disparaîtra pas. Mais, eux là-bas, peuvent t'aider à te sentir moins perdu et moins seul."


Il était resté silencieux et j'avais ajouté :

- "Tu commences à les oublier, c'est ça ? Quand tu fermes les yeux, leurs visages deviennent flous et leurs voix sont lointaines, non ?"


Au bout d'un moment, il m'avait répondu :

- "La seule photo que j'ai, a été bousillée par un gros débile de l'orphelinat. Et en plus, y'a que papa et maman dessus. Même pas moi ou les filles ..."

- "Ah ... On peut peut-être arranger ça."

- "Comment ?"

- "Tu verras. Mais il faut que tu descendes pour ça."


Il resta silencieux :

- "Dis-moi, gamin, tu lui as fait une tête au carré au gros débile qui a bousillé ta photo ?"

- "Et comment ! Je lui ai fait payer ..."

- "Il a fini à l'infirmerie, au moins ?"


J'avais entendu un petit rire :

- "Bien sûr ! Pour qui tu m'prends ?"

- "Je ne sais pas. Je ne te connais pas."

- "T'es pas censé me dire que c'est mal ce que j'ai fait ?"

- "Si. C'est vrai. En tant qu'adulte, je devrais te dire que la violence ne résout pas les problèmes. Mais ça serait hypocrite de ma part, je suis mal placé pour te faire ce genre de reproches."


Il avait glissé le long du tronc et s'était posté devant moi, me sondant, les bras croisés sur sa poitrine :

- "T'es bizarre."

- "Je sais."

- "T'es vraiment bizarre."

- "Tu l'as déjà dit."

- "Pourquoi tu as des gants ?"

- "Ça ne te regarde pas. On ne se connait pas."

- "T'es bizarre."

- "Oui, peut-être. Montre-moi ta photo."


Il avait alors sorti de sa poche une petite photo toute couverte de scotch et pliée en quatre. Je l'avais prise précautionneusement et je l'avais observée quelques secondes. J'avais distingué assez nettement un jeune couple enlacé pour regarder l'objectif en souriant.

- "C'était devant notre maison. Ils disaient que c'était le jour où ils l'avaient achetée."

- "Ah oui ?" Et je lui avais rendu son trésor.

- "Oui." Avait-il répondu fièrement avant d'ajouter. "Tu peux la réparer ?"

- "Non. Je ne peux pas la réparer mais je peux faire autrement. Viens avec moi."


Et il m'avait suivi silencieusement pendant que je cherchais mes carnets et mes crayons dans la voiture.


Tous nous avaient regardés, effarés, quand j'avais demandé où je pouvais m'installer pour dessiner. Tous sauf Kazue bien sûr, avec qui j’avais échangé un sourire entendu. 


Madame Natori nous avait ouvert la porte du bureau de son mari et j'avais trouvé une table basse traditionnelle qui allait parfaitement faire l'affaire. J'avais pleinement eu conscience que, dans la pièce principale, Kazue devait être en train de faire face à de nombreuses questions mais j'avais confiance en elle. Elle était plus forte qu'elle ne le pensait.


Je m'étais tourné vers le petit Daisuke tout en prenant mes crayons :

- "Alors, gamin, tu me ressors ta photo, qu'on puisse travailler ?"


15h09

Un nouvel avion prit son envol dans un bruit sourd. Bientôt, ce serait le nôtre. Londres. J'allais bientôt découvrir les endroits préférés de Kazue mais aussi, j'allais pouvoir vider un de mes coffres de banque et qui contenait une photo de mes parents. La seule qui avait survécu au cours de ces dernières années. 


Elle avait été sauvée de l'incendie de la boutique de Shadow car ce dernier m'avait obligé à la mettre dans son coffre-fort. Ensuite, je l'avais planquée dans cette banque londonienne des années auparavant, avec quelques faux passeports et de l'argent liquide, un peu par hasard, pensant que ce reliquat de mon passé était assez inutile mais potentiellement compromettant. Avec le recul, je pensais que je n'avais simplement eu ni le courage ni l'envie de m'en débarrasser. J'avais bien fait finalement. J'avais hâte de la revoir.


Sans cela ... Sans cela, j'aurais été comme Daisuke.  


Le petit avait fini par s'endormir assis en tailleur au sol, la tête posée sur ses bras croisés sur la table basse à côté de moi. La nuit était tombée et j'avais perçu la douce présence de Kazue quand elle était venue nous apporter un plateau avec du thé et au moins six bols différents. Ca sentait bon mais je n'avais pas détourné mon attention de ma tâche. Kazue avait allumé la lumière, mis une couverture sur les épaules du petit avant de déposer un doux baiser sur ma tempe. Elle était repartie sans un mot. 


J'étais en train de terminer mon travail quand la porte s’était ouverte discrètement derrière moi. J’avais immédiatement reconnu son parfum et sa démarche un peu raide. Je ne m'étais pas retourné quand il était venu regarder par-dessus mon épaule.


J'avais réussi à dessiner Daisuke et ses deux sœurs avec leurs parents en arrière plan. Le petit avait vite compris le truc et peu à peu, il avait vu le visage de ses parents apparaître sous mes traits de crayons.

- "Punaise ! Tu te démerdes bien, toi !" avait-il soufflé.

- "Surveille ton langage, gamin."


Je n'avais pas pu m'empêcher d'ajouter un petit détail de mon cru, un détail très occidental, certes mais, très explicite : j'avais dessiné deux ailes d'anges, une chez son père, une chez sa mère et ces deux ailes ouvertes s'enroulaient autour des trois enfants, comme pour les protéger à jamais. 

- "Joli coup de crayon pour un  comptable ..."


C'était la première fois que Monsieur Natori s'était adressé directement à moi et le ton était froid et distant. J'avais alors remarqué que son regard était resté accroché à ma main droite, dont j'avais retiré le gant pour dessiner. Daisuke n'avait pas osé me poser la question que Monsieur Natori avait alors posée :

- "Que vous est-il arrivé ?"


Comme je restais silencieux tout en remettant mon gant en coton, il s'était lentement dirigé vers un placard et en avait sorti deux verres et une bouteille de saké. Il avait ouvert la porte coulissante et était allé s'asseoir sur la terrasse à pilotis puis m'avait désigné le fauteuil à côté du sien :

- "Venez."



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