De mauvais transit à joli transat

Chapitre 1 : De mauvais transit à joli transat

Chapitre final

6403 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 31/08/2022 23:52

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Mots et maux estivaux - (juillet août 2022).



« Oh, quel mauvais transit... »


Ryô Saeba était l’un des plus grands nettoyeurs au monde : un nettoyeur... d’hommes. Les coïncidences de la vie l’avaient conduit jusqu’à Tokyo, où il vivait désormais avec sa partenaire de travail, Kaori Makimura.


« Qu’est-ce que tu as dit, Ryo ?


— Oh, je disais simplement qu’on pourrait s’acheter un joli transat pour l’été ! »


Ce fameux nettoyeur sortait juste des toilettes, avec l’estomac quelque peu dérangé. Pourtant, en cette magnifique matinée estivale, il ne comprenait pas ce qui pouvait avoir perturbé son cycle digestif. A part le gratin de coquillettes englouti la veille, peut-être ?... Cependant, il se garderait bien de partager cette pensée avec la cuisinière, qui ne lui pardonnerait pas ne serait-ce qu’un début de critique culinaire.


« Tu veux quoi pour midi ? S'enquit la partenaire, de l’autre bout de l’appartement.


— Quelque chose qui ne me ferait pas chuter de trois mètres de hauteur...


— Oh, Ryo ! Je suis désoléeee. Je vais te faire un bon petit plat pour me faire pardonner. »


Il priait simplement pour que ce soit comestible... Egalement pour qu’il puisse l’avaler, malgré sa convalescence. En effet, le chasseur intrépide était blessé. Cela datait de sa dernière mission. Plus exactement, Kaori l’avait poussé par inadvertance du premier étage dans un accès de colère. Résultat : une jambe emplâtrée. Dans ces conditions, il était difficile d’avaler quoi que ce soit et quasiment impossible d’accepter une requête. Repos forcé pour l’homme hyperactif. Il s’assit à la table du salon, la jambe allongée sur le banc et la béquille posée contre le mur le séparant de la cuisine. De l’autre côté, la jeune femme chantonnait au rythme des crépitements du faitout sur le feu à gaz. Les rayons de lumière perçants dans le salon se reflétaient sur le récipient pour atteindre le journal que lisait Ryo. Gêné, il se décala péniblement. Il put ainsi reprendre sa lecture de l’article en quatrième page : “températures record ! Cet été est l’occasion de sortir bronzer. Les plages s’adaptent à la demande grandissante : paillotes, glaciers, beach-volley, location de maillots... Les éternels bikinis sont encore une fois de sortie pour fêter ce début de vacances brûlant !”


               « Eh, eh, eh... sourit-il bêtement.


               — Qu’est-ce que tu lis ? vint s’accouder la cuisinière à l’épaule du blessé.


… Cette intervention lui fit tourner sa page en un éclair.


               — Oh, rien de particulier... Ce serait dommage de ne pas profiter de ces vacances forcées. Pourquoi ne pas aller à la mer ?


               — Toi, à la mer ?! En sortie loisir ?! T’es malade ?!


               — Ah ! Je ne suis pas malade. Je me disais simplement qu’on pourrait se promener un peu, pour une fois.


C’était un mensonge. Les yeux plissés et penchés vers la face du nettoyeur indiquaient qu’elle s’en doutait.


               — Tu es sûre que c’est pour ça ?...


               —Enfin, ce n’est pas dans mes habitudes de te mentir !


C’était également un mensonge.


               — Hm... Bon, ok ! J’en profiterai pour bronzer, c’est le moment ! »


L’accroc aux bikinis extirpa tout l’air de ses poumons, ayant échappé de peu à la catastrophe, puis se réjouit à la pensée de l’après-midi à venir... Kaori, quant à elle, termina sa cuisine. Ils mangèrent ensuite dans l’ambiance animée dont ils avaient l’habitude avant de préparer leur départ à la plage : sandales, serviettes, parasols, maillots... sans oublier la crème solaire ! L’ensemble fut fourré dans le coffre de la Mini Cooper Mk-1 à la carrosserie rouge, avec les deux humains à l’avant. Kaori tourna la clé de démarrage dans un élan bienveillant, constatant la situation bancale de son partenaire blessé.


               « C’est parti !!


               — Pas trop vite, Kaori ! Pas trop viiite !! »


Et la voiture fila à la vitesse de l’éclair jusqu’au banc de sable aquatique.


La plage se profilait à l’approche du bord de mer. La rue perpendiculaire à la baie de Tokyo laissait entrevoir le paradis de relativement loin. Ryo était pressé d’arriver, mais pas pour les mêmes raisons. Son instinct de survie lui disait de descendre du transport lancé à plus de cent kilomètres heure dans les allées de la ville, même s’il savait que cela lui coûterait probablement la vie. La seule solution était donc de prier jusqu’à la fin du voyage… Ses prières furent d’ailleurs fort utiles lorsque la Mini grilla le feu rouge au bout de l’avenue pour faire un virage à quatre-vingt-dix degrés, qui leur évita de finir dans le sable. Ils longeaient maintenant les allées de palmiers qui séparaient l’océan des gratte-ciels. L’air marin commençait à filer dans l’habitacle dont les vitres étaient baissées, mais le pauvre handicapé ne pouvait toujours pas en profiter… Vivement que le voyage s’arrête.


Finalement, la Mini trouva un parking proche de la plage en s’avançant : précisément, trois places de parking. Elle avait été garée plus ou moins en urgence, sur toute la longueur. Une vraie prouesse de conduite étant donné les dimensions de la voiture !


               « Ryo, que se passe-t-il ?! Tu es tout pâle !


C’est ta faute, Kaori !... Cependant, il tenait à la vie.


               — J’avais simplement un peu de mal à digérer…


               — Tu veux dire que ma cuisine n’était pas bonne ?...


               — Non, non ! La voiture et la digestion ne font simplement pas bon ménage !


               — Hm… Bon, ok. Allons-y, direction la mer ! s’enjoua la partenaire.

               

Un corbeau fila devant Ryo.


               — Ah, ah… »


La fine équipe rejoignit le sable sans traîner, après avoir pris la précaution de sortir toutes les affaires du coffre. Ils s’empressèrent d’étendre leurs serviettes, de poser la glacière et de déplier le parasol à quelques mètres de l’eau. Le moment de détente était finalement arrivé ! Ryo souleva son t-shirt et courr… marcha comme il le pouvait pour aller tremper sa jambe valide… Jusqu’à ce que son flair légendaire, qui ne faillait jamais, sentit au loin une femme aux proportions parfaitement orchestrées. Il s’apprêtait à la rejoindre lorsque son instinct de survie, son second sens le plus aiguisé, lui rappela la présence de sa partenaire de travail. Elle ne tolérerait sûrement pas ses petites excursions de drague… Ou juste une ? Juste une fois ?


Ce fut ainsi obnubilé par sa nouvelle idée qu’il ignora complètement Kaori qui, elle aussi, retira son haut pour dévoiler son monokini rose échancré de dos.


               « Ryooo !


Il fit un bond en avant, ayant peur pour son matricule.


               — Tu me passes de la crème ? demanda gaiement Kaori.


               — Erk.


               — Comment ça « erk » ?


               — Je n’étale pas de crème sur des dos d’hommes.


               — Et puis-je savoir qui est un homme ?...


Alors qu’il n’était plus sous le parasol, une ombre gigantesque se mit à le recouvrir de part et d’autre. A ses pieds se dessinait une vague silhouette de massue, une massue de cent tonnes pour être précis.


               — Per… Personne, ah, ah. Qui a dit ça ? Un peu de crème ?


               — Oui, je veux bien ! sourit-elle innocemment en rangeant quelque chose. »


« Tempérament de chien » pensa le nettoyeur en train d’étaler la crème contre son gré. C’est le moment que choisit un duo de choc pour s’approcher du duo… de comiques. Un colosse chauve portant des lunettes de soleil s’accouda sur le parasol et salua son collègue de travail d’une sympathique pique.


               « U… Umibôzu et Miki !


               — Arrête de l’appeler Umibôzu, Ryo. Son nom, c’est Falcon, reprit Miki, la jeune femme qui se tenait à côté du géant.


               — Oh, bonjour Miki !


La salutation de Ryo dépassa ses paroles puisqu’il zyeutait arbitrairement le corps élancé de la partenaire de son collègue et rival, dont les longs cheveux noirs venaient se reposer sur son bikini bleu.


               « Eh !


               Ryô ! le ramena à la réalité Falcon. Ne touche pas à Miki…


               — Oh, et pourquoi ? répliqua sournoisement le provocateur professionnel. Miki, je peux te toucher, ou tu préfères que ce soit Falcon ?


               — Falcon, évidemment ! grogna la jeune femme tombée dans le piège finement amené.


Le concerné rougit alors jusqu’au sommet de son crâne brillant, particulièrement gêné par la remarque de sa comparse, ce qui amusa bien entendu l’éternel dragueur. Kaori ne put s’empêcher de soupirer tandis que la demoiselle en bikini, aussi maligne que son opposé masculin, y trouva plutôt une occasion de semer le trouble.


               — Eh bien oui, Falcon est plus beau que toi, c’est ainsi !


               — Ah ! Il pourrait à la limite être plus charmant s’il arrivait à parler à une fille sans bégayer.


               — Ryo… Je ne suis peut-être pas le plus charmant, mais je suis le plus fort !


               — Tu veux un duel ?... fusilla-t-il son rival du regard.


               — Ah ! Tu ressembles déjà à un paraplégique ! Je ne tire pas sur les handicapés.


               — Grrr…


               — Ok, stooop ! intervint Kaori. Pas de duel !


               — Non, mais un concours… Ça peut être marrant, reprit Miki, le sourire aux lèvres.


               — Un concours ?...


               — Un concours de plage ! La force, ce n’est pas juste foncer dans le tas. Il faut aussi de l’habileté. Vous vous départageriez sur trois épreuves choisies par nos soins… Ca te va, Kaori ?


               — Hm… Ok ! De toute façon, Ryo ne peut pas perdre.


               — C’est ce qu’on va voir…


               — Humpf ! C’est puéril, hors de question, cingla Falcon.


               — Bah alors, on se défile, Umibôzu ? Peur de perdre ?


               — Tu ne m’auras pas avec tes tours, Ryo. C’est puéril.


               — Oh allez Falcon, fais-le pour moi, demanda Miki en se collant au grand timide.


               — Je, je… Si tu veux.


               — Ah, ah, ah, il ne t’aura pas fallu longtemps !


               — Grrr… Tu ne perds rien pour attendre ! »


Et sur ces mots fut lancé le concours de plage du duo des meilleurs nettoyeurs de Tokyo. Que pouvait bien nous réserver la suite ?... Le club des quatre s’apprêtait à nous le dévoiler avec une pointe d’ingéniosité venant principalement des éléments féminins. Elles se concertèrent sous le parasol puis annoncèrent la première épreuve.


               « Ryo…


               — Falcon…


               — Bienvenue au festival des vacances d’été ! ouvrirent-elles en chœur.


               — Pour cette édition, moi, Makimura Kaori, ait décidé d’une première épreuve relativement simple… Vous allez construire un château de sable ! Suite au vote, le plus beau château sera déclaré vainqueur !


La présentatrice tout sourire se heurta à la face incrédule des deux participants… Mais l’un d’eux était disposé à jouer le jeu.


               — Muhaha, très bien, je ne refuse jamais un défi ! Avec ses grosses mains, l’éléphant de mer ne pourra jamais construire un château aussi finement que moi !


               — Humpf ! Je construirai un château plus grand que toi, macaque ! »


Après cette brève introduction, les adversaires se lancèrent un regard explosif puis se jetèrent sur les premiers pâtés de sable à disposition. Plus question de rigoler… Ryo s’engagea dans une muraille fine, mais étonnement bien modelée. Une jambe en moins ne l’empêchait pas de savoir se servir de ses mains ! Il poursuivit en ajoutant au milieu de la muraille un second pâté et en le modelant de façon bien ronde. Distrait par une fille passant par là, il réussit quand même à s’y remettre, la bave aux lèvres. Falcon, quant à lui, ne faisait pas dans la dentelle. Il construisit immédiatement une base ronde d’un demi-mètre de diamètre, empilant sans discontinuer le sable alentour. Cela creusait naturellement des douves autour de sa forteresse en forme de… tour ? Seul l’avenir nous confirmerait l’architecture des deux bâtiments. Pendant ce temps, Miki et Kaori bronzaient sur leurs serviettes respectives en savourant la délicieuse étreinte du soleil.


Après une trentaine de minutes, les deux femmes se délièrent lentement de l’anesthésiante étreinte pour rejoindre les deux maçons. Lorsqu’elles décollèrent du sol et se retournèrent vers les œuvres quasiment achevées, elles n’en crurent pas leurs mirettes. Se tenaient face à elles deux sublimes sculptures de sable qui valaient sûrement leur pesant d’or. Enfin…


               « Ryo, tu ne crois pas que les seins sont un peu trop gros ?... s’interrogea Miki, perturbée.


               — Je trouve les proportions parfaites, répliqua-t-il.


               — N… Non !! Ce n’est pas la question ! On avait dit un château de sable, pas un buste de femme !


               — Oh, un… Un château. Il y avait plein de filles qui passaient devant moi, de jolies formes… Le Mokkori a pris le dessus !!


               — Fal… Falcon ! Pourquoi as-tu construit un canon ?! Il est bien construit et j’aime bien le coquillage au sommet mais… Ce n’est pas un château non plus !


               — Ryoooo ! »


La massue de cinq cents tonnes qui venait de faire une apparition magique dans les mains de Kaori effraya le nettoyeur : malheureusement, il ne pouvait pas s’enfuir avec une jambe plâtrée ! L’arme lui percuta le bout du nez et l’envoya valser dans l’eau en rasant au passage la magnifique réplique du buste au bonnet G de l’artiste. La destructrice revint ensuite à elle, culpabilisant un petit peu.


               « Bon… La sculpture de gauche n’ayant pas fait l’unanimité, c’est le canon qui remporte la manche ! déclara Kaori.


               — Eh ! Moi, j’aimais bien la… tenta d’intervenir Miki.


               — Pas de mais ! plaqua la jeune femme. C’est donc zéro – un pour Falcon malgré ses… obsessions. Au moins, les siennes sont plus simples à présenter dans une fanfiction.


Le trio récupéra Ryo pour lui annoncer sa défaite et enchaîner sur la deuxième épreuve sans attendre son rétablissement. De toute façon, il était déjà blessé.


               — Votre attention ! Pour la seconde épreuve du festival, nous avons prévu un affrontement… culinaire ! Loin de nous l’idée de vous faire cuisiner. En revanche, vous allez devoir écumer les paillotes et les stands de snacks pour nous ramener le meilleur goûter… Avoir du flair dans la vie, c’est important ! s’exclama Miki. Pour se faire, vous disposerez de deux mille yens (NDLR : environ quinze euros) chacun… soyez créatifs ! »


Et sur ces mots, les deux jeunes femmes replongèrent dans leur bronzage, tandis que leurs homologues masculins allaient écumer la plage… Chacun partit d’un côté et commença son inspection. Umibôzu prenait ce jeu très au sérieux : pour lui, il s’agissait avant tout de faire plaisir à sa compagne… A sa manière, mais quand même ! Ryo, quant à lui… Il ne fallut pas longtemps pour qu’il soit confronté à une difficulté de taille : son Mokkori. Au milieu de la foule estivale, il ne parvenait pas à sentir autre chose que le plus redoutable des parfums féminins, celui de l’amour. Cette difficulté fut toutefois vite surmontée, puisqu’après avoir proposé un coup à une dizaine d’entre elles, son visage enflé et sa béquille tremblante faisaient fuir les potentielles partenaires restantes. Il n’eut donc d’autre choix que de se rabattre sur les stands… De préférence, tenus par des femmes.


De son côté, Umibôzu choisissait avec soin les meilleures pièces pour sa tendre compagne, assemblant avec minutie les goûts et les couleurs. Il est certain que le panier ainsi constitué aurait fait saliver même le moins affamé des êtres vivants. Sa victoire était-elle déjà assurée ?... Pas sûr, car l’étalon de Shinjuku ne pouvait s’avouer vaincu si vite lorsqu’il s’agissait de faire plaisir au sexe opposé. Il choisissait avec minutie les mets qui pouvaient lui permettre de gagner : un chichi moelleux à cœur, couvert d’une fine couche de sucre ; un petit biscuit de pâte sablée surmonté de pépites au chocolat encore fondantes, dont s'extirpait une fine odeur de cannelle ; ou encore une barbe à papa bien aérée, accompagnée d’un smoothie glacé à la vanille. Les idées ne lui manquaient pas ! Qui sortirait donc vainqueur de ce duel gastronomique ?... Réponse au paragraphe suivant… peut-être.


Revenus de leur escapade culinaire, les deux hommes de main se présentèrent sous le parasol, avec leur sac de produits fraîchement sélectionnés. Ils se jetèrent un dernier regard compétitif puis présentèrent leurs trouvailles au jury.


               « Madame, monsieur, salua Ryo, voici les petites gâteries de l’après-midi, avec, en premier lieu…


Il s’approcha de Miki gracieusement.


               — … Une coupe de glace vanille/caramel, noisettes grillées, sauce au chocolat et chantilly maison, à la française (d’après le vendeur…).


               — Oh, Ryo, ça a l’air délicieux !


Kaori faisait la moue. Et d’abord, c’était qui « monsieur » ?... Constatant l’agacement de ladite dame, Falcon lui tendit... fermement une autre coupe de glace.


               — Hm ! fit-il en détournant le regard.

               

               — C’est… pour moi ?


Elle attrapa la coupe en verre.


               — Oh, de la glace au chocolat, j’adore ça ! Mais… sur le dessus, c’est un mochi version brownie ? Je ne te pensais pas si raffiné, Umibôzu !


               — Hm !


Il continuait à détourner le regard… Les deux gourmandes se regardèrent un instant et décidèrent unanimement :


               — Match nul pour l’instant !


               — Alors, que reste-t-il dans vos besaces ?... »


Kaori, impatiente et surtout gloutonne, se jeta sur le sac de Ryo, tandis que Miki se penchait sur le sac de Falcon. La première parut plus que ravie ; la seconde tomba sur une surprise et se délecta de son insoutenable attente.


               « Une assiette sous une cloche, Falcon ?! Qu’as-tu donc trouvé ?!...


Elle souleva légèrement la cloche en inox. Un doux parfum pénétra ses narines… Mais ce n’était pas celui du sucre.


               — Oh… J’en bave ! Des tranches d’entrecôte de bœuf ! Des champignons shiitake ! Une petite sauce soja…


La jeune femme bavait réellement.


               — … Sauf que ce n’est pas du tout un encas !


               — Hm ! Pour moi, si, rétorqua-t-il.


               — Oh… tant pis ! 


Miki engloutit l’entrecôte tranchée assaisonnée au soja, dont les morceaux fondaient sous le palais comme des glaçons dans un verre d’eau.


               — Burp ! extirpa-t-elle en passant sa main devant sa bouche. Oh, c’était délicieux mon chéri, avoua-t-elle en enlaçant la montagne de muscles qui vira pivoine. Malheureusement, ce n’était pas du tout dans le thème du concours… Désolé, je crois que Ryo a gagné. »


Il se tourna vers la mer en boudant. Pendant ce temps, Kaori engloutissait sucrerie sur sucrerie. Etant obsédée par le véritable pique-nique que lui avait préparé son colocataire, la victoire lui semblait désormais toute acquise. Après une digestion effectivement méritée des deux comparses, le concours du festival d’été reprit son cours.


               « Bien, c’est maintenant égalité pour vous deux ! Le plus grand nettoyeur de Tokyo sera donc couronné sur cette épreuve… prépara Kaori en pivotant son regard de l’un à l’autre. L’épreuve final sera… un duel de pistolet à eau !

               

               — Un… quoi ?


Un corbeau passa lentement devant le nettoyeur désabusé.


               — Un concours de pistolet à eau ! L’objectif sera de mouiller les cibles en tissu scotchées sur le corps de l’adversaire.     


               — Humpf ! Un jeu d’enfant, flanqua le chauve.


               — Rêve toujours ! Tu ne tires qu’avec des bazookas, apprends donc de ma finesse légendaire. »


Les deux concurrents furent préparés sans attendre. Un peu moins d’une dizaine de cibles leur furent accrochées de la plante des pieds jusqu’à la nuque. L’équipement standard était un pistolet à eau haute pression, équipé d’un réservoir deux litres. Cependant, le terrain n’avait rien à voir avec Tokyo. La plage dégagée ne laissait que peu de chances aux embuscades et divers pièges préparés à l’avance. Les deux femmes se positionnèrent d’un côté et de l’autre du parasol. Les deux nettoyeurs se tinrent devant elles, sur un pan de plage dégagé dont la proximité avec l’océan offrait des opportunités de ravitaillement. Comme à leur habitude, les combattants se jetèrent un dernier regard foudroyant dont la tension laissait entrevoir un éclair. A peine une seconde plus tard, le tonnerre des pistolets à eau retentit.


La haute pression des deux armes propulsa l’eau dont la puissance tranchait l’air à la vitesse de la lumière. Seulement, qu’importe la technologue des deux pistolets, les deux professionnels n’avaient pas anticipé la faiblesse de leurs armes par rapport à la poudre et aux balles en métal habituelles. Ryo n’eut aucun mal à esquiver le jet d’une roulade dans le sable. Falcon, lui, effectua un vif saut de recul qui fit trembler la plage. Toujours en position, il continua donc à canarder son adversaire déstabilisé qui n’eut d’autre choix que de continuer à esquiver jusqu’à atteindre le banc de sable humide… Révélation soudaine ! Il ne pouvait pas se cacher dans la mer sans mouiller la totalité de ses propres cibles et perdre définitivement la bataille. Plutôt que de continuer à éviter le jet en roulant sur le côté, il se propulsa donc avec son pied vers l’arrière, malgré sa position presque assise dans le sable, qui le rendait vulnérable. La réalisation tardive de sa faiblesse le laissa pourtant à la merci de Falcon, qui toucha avec adresse la cible sur son épaule gauche alors qu’il exécutait son geste de recul maladroit. Zéro – un.


Malheureusement pour Ryo, les combats dégagés, ce n’était pas vraiment sa spécialité. Surtout contre un pro’ tel que le géant en face de lui. Il parvint malgré tout à se redresser, ayant pris une distance suffisante avec son adversaire. Les deux spécialistes marquèrent d’ailleurs une brève pause, à présent hors de portées respectives. Ce n’était pas du tout l’idée que l’étalon avait de cet affrontement… Il allait de ce fait lui-même faire tourner l’orage du bon côté. Se jetant au milieu du champ de bataille, il surprit Falcon qui ne s’attendait pas à ce que le gringalet vienne le chercher au corps-au-corps. Avec sa vitesse exceptionnelle, la distance fut réduite en un clin d’œil. Malgré tout, Umibôzu n’était pas un débutant : il avait déjà braqué son arme sur Ryo. L’homme ciblé fit alors une pirouette autour du canon à eau pointé sur lui, qui le plaça directement sur le flanc droit de son adversaire. Et il ne s’attendait sûrement pas à ce qui allait venir ! D’un geste vif, l’étalon dévoila la main droite qu’il gardait camouflée. Il tendit le bras pendant sa pirouette, atteignant le dos à nu du colosse désormais désemparé, et propulsa l’eau que contenait sa main droite sur l’une des cibles, avant de se repositionner à une distance plus sûre. Falcon se retourna pour faire face à Ryo de nouveau. Un – un. Ils marquèrent une nouvelle pause.


               « Hm ! Tu as profité de ta proximité avec la mer pour cacher dans ta paume de quoi m’éclabousser. Digne de City Hunter.


               — Ah, merci pour le compliment ! Tu n’as encore rien vu… »


Un silence s’ensuivit. La bataille battait son plein… Lorsqu’un groupe de dames en t-shirt blanc traversa le lieu de l’affrontement. Leurs longues chevelures papillonnaient dans leurs dos jusqu’à mi-hauteur. L’œil de l’étalon poursuivait son irrésistible plongeon jusqu’à leurs fessiers rebondis, que les cuisses dévoilées par le plus simple des bikinis mettaient étonnamment en exergue et… Umibozu n’avait pas que ça à faire. Il empoigna son pistolet et canarda Ryo qui esquiva de justesse tant il était concentré. L’esquive maladroite et soudaine le fit d’ailleurs basculer en arrière… Un dernier jet d’eau vint frôler la cible sur sa nuque et l’obligea à définitivement s’aplatir sur le sable. Surprise ! Le sable s’affaissa sous son poids, dévoilant un trou de deux mètres de profondeur que le géant venait de creuser à une vitesse phénoménale pendant que Ryo était… « distrait ». Perdu ? Presque !


Ryo comptait bien se sortir de cette situation, mais… Il avait oublié son pire ennemi.


               « Ryyoooo… Je t’encourage depuis tout à l’heure, je vante tes mérites…


Une ombre venait d’apparaître au-dessus du trou. Même Falcon baissa son pistolet et s’écarta.


               — Et tu batifoles ! Tu ne prends jamais rien au sérieux !


               — Non, attends, Kaori ! Ce n’est pas ce que tu crois !


               — Et puis, comment tu peux bouger comme ça avec une jambe cassée ?... Ce n’était pas de la comédie, n’est-ce pas ?...


               — Non, non, non ! Tu vois bien, aïe aïe aïe, j’ai mal ! s’exclama le nettoyeur en se tenant le plâtre.


               — Ryo… Ce n’était pas juste pour venir mater à la mer, cette histoire de plâtre ? Tu t’es vraiment blessé quand tu as dû sauter du premier étage la dernière fois, n’est-ce pas ?...


               — Oui, oui, oui ! Ma carrière est fichue, tu vois bien ! Je ne pourrai plus jamais marcher ! s’écria le nettoyeur en écrasant ses fesses au fond du trou.


               — Oh ça oui, je vais m’assurer qu’elle soit finie, ta carrière !


               — Tu n’es pas sérieuse !


Le bazooka qu’elle tenait dans ses mains était très sérieux, lui.


               — Je vais te faire cuire en papillote ! Te jeter une sandale dans tes… dents sales ! Tu vas bouillir, bourreau des cœurs !


               — Oh, la garce ! s’exclama le groupe de filles, choqué. Il était plutôt mignon, soutint l’une d’elle…


               — Tu as dit quoi ?! cria Kaori en braquant son bazooka sur la dévergondée.


… Qui revint sur sa position.


               — Rien. J’ai rien dit.


               — Banzaï ! Sus aux pervers ! »


Ils devinrent les derniers mots que prononça Kaori avant de tirer un boulet dans le trou béant dont Ryo tentait vainement de s’extirper. L’explosion énorme dégagea un bruit sourd et un nuage de sable et de fumée mélangés. Une fois la fumée dissipée, le corps noir du survivant ne bougeait plus d’un pouce. Il fut transporté d’urgence à l’hôpital.


Cette mésaventure, comme la plupart des mésaventures de City Hunter, lui apprit à ne pas contrarier sa colocataire. Notre protagoniste resta par la suite allongé trois mois sur son lit de convalescence, le corps plâtré d’un bout à l’autre. « Ainsi, il ne risque plus de se servir de son engin ! », remarqua la tortionnaire du blessé. Falcon avait donc, contre toute attente, gagné le duel du festival d’été par K.O.


A la suite de son séjour, Ryo Saeba revint à l’appartement. Il dormit les trois mois suivants seul, dans le couloir de l’étage, devant sa chambre : plus précisément, sur le palier.


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