La moitié de City Hunter

Chapitre 6 : Sur le pas de la porte

5789 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/10/2022 10:59

Chapitre 6 : Sur le pas de la porte


*** 25 Juin 1983 - 11h55 ***


Nerveuse, Saeko ouvrit la porte et se figea quand elle découvrit qui se trouvait sur son palier :

- "Makimura ? Qu'est-ce que tu fais là ? Tu ne dors donc jamais ?"

- "Toi non plus apparemment." Répliqua Hideyuki, en souriant à travers ses cheveux trempés de pluie.

Il tendit devant lui un grand panier en osier :

- "J'ai posé ma démission tout à l'heure et je me disais qu'on devrait fêter ça par le fameux pique-nique que je te dois depuis si longtemps. Mais, il pleut comme vache qui pisse, alors, je crois que ton tapis sera ..."


Saeko l'interrompit brusquement en s'exclamant :

- "Tu as fait quoi ?"

- "Des dashimaki, des tsukemono et des okonomiyaki au poisson. J'avoue que les umebochi, je les ai achetées au coin de ta rue. C'est les meilleures, je trouve. Komatsu ne m'a jamais avoué quelle épice il ajoute, mais j'ai jamais réussi à en faire des aussi bonnes. Ou alors, ça se joue au séchage ? J'ai fait aussi des sandwichs aux oeufs, avec supplément mayo, comme tu ..." Il s'arrêta et regarda la jeune femme qui le dévisageait, les yeux écarquillés, pétrifiée : "Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?"

- "Tu as fait quoi ?" Répéta-t-elle.

Comprenant très bien de quoi elle voulait parler, il la scruta par-dessus ses lunettes mouillées :

- "Je peux entrer ?"


Sans ajouter un mot, elle s'effaça pour lui céder le passage. Il pénétra dans l'appartement, posa son panier et se défit de ses chaussures et de son pardessus trempé qu'il accrocha au porte manteau, à son habitude puis, il entreprit de nettoyer ses lunettes :

- "Oui, je sais, tu m'en veux et tu as raison. Tu dois te sentir trahie et tu as raison. Mais c'était le moment. Ça fait quelque temps que j'y pense ..."

- "Ah .. tiens ! C'est gentil de m'en avoir parlé avant ... La confiance règne !" Lança Saeko, amère en allant se laisser tomber sur son canapé pour remplir son verre de vin. 

- "Je vais faire équipe avec Ryo. Il a besoin d'un partenaire ... surtout pour négocier les contrats et ..."

Elle allait porter son verre à ses lèvres mais suspendit son geste, stupéfaite et l'examina alors qu’il venait la rejoindre :

- "Tu vas faire quoi ?!?"

Il s’assit à côté d'elle, joignit les mains devant lui, évitant soigneusement son regard. Elle répéta, le verre toujours suspendu dans sa main :

- "Tu vas faire quoi ?"


Il s'éclaircit la gorge avant de répondre :

- "Je vais être la moitié de City Hunter."

- "Parce qu'être la moitié de mon équipe ne te suffit plus ?" Lança-t-elle en reposant brusquement son verre sur la table, faisant tanguer le liquide qui manqua de déborder.

Il regarda le verre, pensif :

- "Tu sais bien que ça n'a rien à voir avec toi."

- "Ouais, c'est ça !" Claqua-t-elle en croisant les bras.

- "Non, Nogami, je t'assure que non." Il la regarda enfin dans les yeux. "Je ne me sens plus à ma place au sein de la Police. Je n'arrive pas ... Je n'arrive plus. Et l'agent Tanaka est morte à cause de moi."

Saeko leva les yeux au ciel :

- "Makimura, ce n'est pas ta faute, combien de fois faudra-t-il que je te le dise ! Elle connaissait les risques en jouant les appâts. Ce sont eux les coupables, pas toi."

- "Peut-être. Mais je n'ai pas envie de remettre quelqu'un en danger pour une enquête. Avec Ryo, je n'aurais plus peur de ça. Il est fort et sait parfaitement se défendre."

Saeko explosa, furieuse :

- "Dis tout de suite que je suis faible et que je ne sais pas me battre !!!"

- "Ce n'est pas ce que j'ai dit. Et je suis parfaitement conscient que tu me mettrais au tapis en moins de deux, si tu le voulais. Tu es bien plus forte que moi."

- "Alors … pourquoi ?" Demanda Saeko en écartant les bras, paumes vers le ciel en le scrutant d'un regard perplexe et désemparé.

- "Ce qu'il s'est passé dans cette banque ... Ryo a pris tant de risques parce que Sozen a complètement déconné. Il a profité que j'occupais Tsukino Fujimaro pour désarmer un des braqueurs et neutraliser les autres tout en protégeant les otages. C'est Sozen qui aurait dû ramener ses fesses dans ce piège à rat, c'est lui qui aurait dû risquer sa peau avec ces illuminés. Mais non ! Monsieur le Commissaire est resté bien planqué, en sécurité à l'extérieur, lui et ces théories à la con de bureaucrate ... Je suis sûr que c'est lui qui a ordonné le tir qui a déclenché la fusillade mais l'officier qui a tiré persiste à le couvrir et prétend que le coup est parti tout seul. Comme Sozen compte un Ministre dans sa famille, il recevra juste un blâme pour son attitude devant la banque mais l'enquête interne s'arrêtera là. Ton père le regrette mais il a les mains liées. C'est injuste. Ça, ça a été la goutte d'eau ..." 

Il sourit cependant en ajoutant : 

- "Je regrette que ce soit Endo Shiki qui lui ait collé son poing dans la gueule. J'aurais préféré le faire. Il n'aurait pas été rétrogradé."

Il soupira et se laissa aller contre le dossier du canapé sous le regard peiné de Saeko et poursuivit :

- "Oui, oui, je vais répondre à tes questions ... En résumé, tout ça ne correspond plus vraiment à l'idée que je me fais de la justice. Je veux aider les gens, tout simplement. Pas faire des ronds de jambes ou supporter des bureaucrates et des commissaires idiots qui ne font que se vanter d'avoir réussi et récoltent nos lauriers. Je veux tenter autre chose. Faire autrement, en quelque sorte."


Saeko resta silencieuse un instant, saisit son verre d'une main un peu tremblante et avala une grande gorgée avant de lâcher d'un ton sec :

- "Alors, tu me laisses tomber ?" 

- "Non. Tu pourras toujours compter sur moi, sur Ryo et sur City Hunter. Tu as ma parole."

- "Mais ... et notre équipe ? Elle n'a pas d'importance pour toi, notre équipe ?"

- "Bien sûr que si ... Mais on n'a pas besoin d'être collègues pour être une équipe, si ?" 

- "Ah, et on sera quel genre d'équipe ? Un double au ping pong ?"

Il retira ses lunettes qu'il posa sur la table. 

- "Je suis nul avec une raquette en main mais si ça te fait plaisir, je peux enfiler un short ..." Répondit-il en souriant. "Mais plus sérieusement, non, je ne pensais pas à ça … Saeko."


Hideyuki avait bien insisté sur son prénom. La dernière fois qu’il l’avait appelée ainsi, c’était dans la ruelle, quelques heures auparavant, quand elle l’avait embrassé, quand il l’avait embrassée. Ce fut la première fois de sa vie que Saeko se sentit rougir en se remémorant un simple baiser. Les battements de son cœur s'étaient même accélérés quand elle avait entendu Hideyuki prononcer : Saeko. Elle lui lança, moqueuse pour dissimuler son trouble :

- "Ah, tu parles de quel genre d'équipe alors ?"

- "J'ai vraiment besoin de te l'expliquer ?"

Saeko ne pipa mot et attendit, suspendue aux lèvres de Hideyuki. Elle n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Elle avait toujours pensé qu'elle serait contrainte de refaire les premiers pas, qu'elle aurait un jour ou l'autre, à nouveau envie ou l'occasion de l'embrasser comme dans la ruelle alors qu'elle avait effectivement craint ne plus le revoir, qu'elle aurait avoué ... Même si ça lui fichait une trouille d'enfer …


Il la regarda dans les yeux :

- "Il y a certaines choses que des collègues ne peuvent pas dire ou faire ensemble, n'est-ce pas ? Et comme nous ne sommes plus collègues, nous pouvons être une autre sorte d'équipe ? Non ?"

Étrangement nerveuse, elle leva les yeux vers son ancien coéquipier et lui mentit :

- "Je ... Je ne sais pas de quoi tu parles, Makimura."

- "Ah ... Je te connais pourtant plus ... perspicace et ... instinctive pourtant."

- "Quoi ?" Murmura Saeko, d'une voix presque éraillée tellement sa gorge s'était brusquement nouée.

- "Oui ... Je pense à une équipe un peu particulière. Mais très exclusive."

- "Exclu ..."

- "Oui. Autant dire les choses comme elles sont, Saeko, je ne partagerai avec personne. Je ne suis pas Ryo."

Elle aurait dû se sentir blessée de ce genre d'allusion mais non. Pas venant de lui. Il avait remarqué les liens particuliers qu'elle avait tissés de temps en temps avec Saeba mais c'était sans importance pour elle et pour Ryo aussi. Hideyuki avait croisé par hasard deux ou trois de ses amants mais les histoires s'étaient souvent arrêtées à ce qu'elles devaient rester : de jolies histoires sans lendemain et ça lui convenait plutôt bien. 

Jusqu'à présent.

Malgré sa nervosité et son malaise, Saeko ne put empêcher ses lèvres de former un léger sourire. 

- "Alors, tu es jal ..."

- "Ah ! Enfin ! Tu vois de quelle équipe je parle ?"

Elle secoua négativement la tête, tentant de dissimuler son impatience en se forçant à prendre un air sévère tout en se donnant une contenance en jouant ostensiblement avec son verre de vin :

- "Non, je ne vois vraiment pas de quoi tu parles ... un duo au bridge peut-être ?"

- "Pffff ... C'est pas possible !" Soupira Hideyuki en se pinçant le nez. 


Saeko profita qu'il ait les yeux baissés pour laisser échapper un sourire, un sourire impatient, espiègle et chargé de jubilation presque enfantine. Ça faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas senti son coeur palpiter comme ça. Soudain son visage se referma : Hideyuki venait de se redresser pour la regarder dans les yeux. Il prononça dans un souffle : 

- "Bon, je pense que je vais devoir être plus explicite."

Il saisit le verre des mains de Saeko et le posa délicatement sur la table basse et se tourna vers elle. Elle tenta de prononcer quelque chose mais il l'interrompit, secouant la tête :

- "Chut. Finie la parlotte."

Hideyuki passa une main sous son menton, l'attira à lui et l'embrassa sans plus attendre. Quelques instants plus tard, peignoir, chemise et pantalon jonchaient le parquet impeccable. Le pique nique sur le tapis de Saeko allait attendre encore un peu.


*** 31 Mai 1995 - 14h03 ***


Contrariée d'être ainsi dérangée chez elle, Saeko ouvrit la porte brusquement en maugréant :

- "Je vous ai dit que je m'occuperai de la paperasse quand ..." Découvrant qui se trouvait sur son palier, sourire aux lèvres et une bouteille à la main, elle suspendit ses mots et lâcha, ébahie, les yeux écarquillés : "Qu'est-ce que vous faites là, vous ?"

- "Bonjour Madame la Commissaire Nogami."

Elle passa la main dans la poche de son peignoir, plus par réflexe que par réelle crainte, tout en prononçant :

- "Comment avez-vous trouvé mon adresse ?"

L'homme s'appuya nonchalamment contre le chambranle de la porte et lui adressa un clin d'oeil :

- "Vous savez comme moi qu'on ne grille pas un bon indic ..."

- "Un indic ?"

- "Oui. J'ai mes sources, moi aussi." Il écarta les bras, tenant toujours sa bouteille de vin dans une main. "Allez, Saeko, c'est moi. Vous pouvez garder votre revolver dans votre peignoir. Je ne suis pas armé." Il se pencha un peu vers elle pour lui chuchoter : "Vous pouvez même me fouiller si vous voulez en avoir le coeur net."

Saeko toussota, souffla sur sa mèche et répéta sa question :

- "Qu'est-ce que vous faites-là ?"

- "Je viens vous aider à honorer votre promesse."

- "Quoi ? Maintenant ?"

L'homme sourit, accentuant ainsi les rides qui ornaient le coin de ses yeux :

- "Il parait qu'il faut battre le fer quand il est chaud ... Si je puis me permettre l'expression, Chère Madame la Commissaire. Je n'ai pas particulièrement la patience d'attendre le prochain coup d'éclat d'un taré pour vous revoir ..."

Saeko ne put s'empêcher de rire et s'effaça pour laisser son visiteur entrer. Ca faisait étrange de le voir comme ça, en simple bras de chemise blanche et jeans, tellement différent de sa cuirasse noire ... et surtout ... elle voyait enfin son visage. Comme la veille quand sa question avait claqué dans le noir :

- "Elle a bien dit qu'elle s'appelait Makimura, c'est ça ?"


Saeko s'était sentie déglutir, songeant qu'elle avait peut-être manqué de prudence en prononçant aussi souvent le nom de ses amis.

- "En quoi cela est-il important ?" Avait-elle demandé, se forçant à se montrer méprisante.

- "C'est important pour moi. Si j'ai bien compris, la femme qui vient de partir est la soeur de l'Inspecteur Hideyuki Makimura, c'est ça ?"

- "Vous avez connu Makimura ?" Avait demandé Saeko, sans parvenir à dissimuler la tension dans sa voix.

- "J'ai eu l'honneur de travailler avec lui ... et avec vous par la même occasion. L'Inspecteur Makimura m'a laissé le souvenir d'un mec qui en avait là où je pense. Un peu comme vous. Sans vouloir vous offenser, Madame la Commissaire." Avait répondu l'homme en retirant lentement sa cagoule, sous le regard étonné de Saeko : ce geste allait totalement à l'encontre de la procédure.

- "Attendez ..." Elle avait alors posé sa main sur celle, gantée de kevlar du militaire, interrompant son geste. "Si vous faites ça ..."

- "Je serais considéré comme démissionnaire. Je sais, Madame la Commissaire. Et je m'en fous royalement."


Il avait fini de retirer sa cagoule, révélant enfin son visage. Tout de suite, elle l'avait reconnu, et pourtant, ça faisait des années qu'elle ne l'avait pas vu. Plus de douze ans. Ce n'était pas pour rien que sa voix et ses intonations lui étaient familières. Ses yeux noirs s'étaient parés de quelques rides supplémentaires, sa joue droite était marquée d'une balafre qui courait du haut de sa lèvre jusqu'à sa tempe, qui elle, était ceinte d'une chevelure maintenant argentée. 

Oui certes, il avait vieilli mais son regard était toujours aussi déterminé et sincère, sa silhouette toujours aussi imposante, n'ayant pas grand chose à envier à celle de Ryo, et son sourire était toujours aussi réconfortant.

- "Sergent Shiki !" S'était exclamée Saeko. "Qu'est que ..."

- "Qu'est-ce que je fais là, hein ? Je fais mon job. Tout comme vous." Avait-il répondu en souriant, amusé de voir la surprise et le trouble dans les yeux de la Commissaire. "Mais je ne suis plus Sergent."

- "Oh, pardon ... Mais, je croyais que vous aviez démissionné après avoir été rétrogradé.  Hideyuki vous a cherché pour vous remercier mais il n'y est jamais parvenu à vous trouver. Il pensait que vous aviez quitté le pays."

- "En quelque sorte ..." Avait-il répondu, énigmatique.

- "Et finalement vous faites partie des forces spéciales de mon père ?"

- "Et oui. Après ce braquage de la Banque Nationale, Monsieur le Préfet m'a proposé de développer son projet ... et nous voilà douze ans plus tard ..."

- "Je suis contente de vous savoir ici, Sergent Shiki." Avait avoué Saeko avant de demander, en voyant l'homme se défaire de ses armes de service. "Nom de Dieu de nom de Dieu, mais qu'est-ce que vous faites ?"

- "Je rends les armes, Madame la Commissaire Nogami. Veuillez prendre note que je ne suis plus en service actif à partir de maintenant."

- "Quoi ?"

- "Vous avez bien compris, je ne suis plus en service ... Je suis sûr que vous trouverez une raison plausible à écrire dans votre rapport : maladie subite, incapacité momentanée, impératif familial, délire paranoïaque ... qu'importe." Avait-il poursuivi tout en se défaisant de son gilet pare-balle et de sa ceinture de munitions.

- "Vous me laissez tomber ?"

- "Pas du tout." Shiki s'était approché d'elle et avait planté son regard acéré dans le sien. "Celui qui est parti tout à l'heure est vraisemblablement City Hunter, celui que l'autre réclame ..."

- "Comment ..."

- "Comment je sais ? J'ai mes sources, Madame La Commissaire Nogami et elles sont fiables. En plus, mon instinct me dit que ce type qui est parti est le même homme qui a accompagné l'Inspecteur Makimura dans cette banque, il y a douze ans. J'ai tort ?"

Saeko avait soutenu son regard mais comme elle n'avait pas répondu, Shiki avait alors continué :

- "Donc, si je comprends bien ce type part une nouvelle fois risquer sa vie pour sauver nos miches, à nous tous. Ensuite, pour couronner le tout, sa partenaire n'est autre que la petite soeur du défunt Makimura et elle vient d'aller le rejoindre pour l'aider, risquant elle aussi sa vie au passage, et nous, pauvres cons de flics et de soldats que nous sommes, nous attendons encore une fois qu'un ponte qui n'y connait que dalle, nous dise si oui ou non, on a l'autorisation d'aller faire notre boulot, c'est-à-dire, mettre des connards fous furieux hors d'état de nuire ... j'ai bien tout saisi, Madame la Commissaire Nogami ?"

- "Oui. Parfait résumé de la situation."

- "Donc, je ne suis plus en service et j'y vais aussi." Avait-il conclu en regroupant tout son attirail sur le capot de la Porsche flambant neuve et en ajoutant un clin d'œil appuyé : "Magnifique bagnole, cela dit en passant. Et elle vous va comme un gant."


Il avait alors commencé à descendre de quelques pas quand Saeko l'avait attrapé par le bras, son gilet pare-balle à la main :

- "Remettez ça, vous. Ils en ont un, alors vous aussi." Et elle passa le gilet au-dessus de la tête d'Endo Shiki qui n'avait pas eu d'autre choix que de se laisser faire, alors qu'elle ajustait méticuleusement les sangles.

- "Je sais mettre mon gilet, Madame la Commissaire Nogami."

- "Je me doute, Sergent Shiki mais j'aime être sûre que les choses sont bien faites."

- "Je vous l'ai déjà dit : je ne suis plus sergent."

- "Pardon. J'ai du mal avec vos numéros. Je trouve ça plutôt ... malvenu ... de s'adresser ainsi à des collègues."

- "Oh ... si ce n'est que ça ... Appelez-moi Endo." Avait-il murmuré en se penchant légèrement vers elle, effleurant la racine de ses cheveux de son souffle.


Saeko avait relevé la tête en souriant et avait soutenu le regard entendu de Shiki :

- "D'accord, Endo. Mais à une seule condition."

- "Laquelle ?"

Elle tira violemment sur la dernière sangle du gilet, faisant grincer des dents Endo Shiki avant de répondre, autoritaire : 

- "Que vous arrêtiez avec vos Madame la Commissaire Nogami ou je vous jure que je vous fais avaler votre gilet quand vous reviendrez ..."

- "Oh ... ça donne envie de revenir en vie, tiens ..." Avait ironisé Shiki, en levant les yeux au ciel.

Saeko avait mis les mains sur les hanches tout en soufflant sur sa mèche:

- "Oh, jouez pas avec ça, Sergent ...heuu ... Endo."

- "Si je ne peux pas dire Madame la Commissaire Nogami, comment dois-je vous appeler ?"

Consciente de ce qu'il attendait d'elle, elle avait cédé, sans regrets :

- "Si vous revenez en un seul morceau, vous pourrez m'appelez Saeko."

- "Oh ... C'est tout ?"

- "Je vous demande pardon ?"

- "Juste le droit de vous appeler par votre prénom ? C'est tout ce que je gagne ?"

- "Comment ça ?"

- "Franchement ... Je risque ma carrière quand même ... Et ma peau, par la même occasion, Madame La Commissaire Nogami ..."

- "C'est pas suffisant ?"

- "Bien, je ne vais pas y aller par quatre chemins, Saeko." Il s'était éclairci la voix avant de reprendre : "Vous me plaisez. J'aurais bien tenté ma chance il y a douze ans mais j'ai bien vu que vous attendiez après un autre et je ne suis pas du genre à m'imposer ... Donc, je n'ai rien fait. Mais, comme le destin nous réunit une deuxième fois ... pourquoi ne pas le pousser un peu pour qu'il y ait une troisième ? A moins que vous et l'autre gaillard … ? Mais j'avais plutôt l'impression que lui et sa partenaire ..."

- "Je ... Vous me proposez un rencard ? En pleine prise d'otage ?" L'avait interrompu Saeko, abasourdie de l'incongruité de la situation.

Shiki avait fait mine d'hésiter et puis avait conclu :

- "Oui. Et puisque que je suppose qu'on a déjà dû cherché à vous épater des milliers de fois avec des super restos ou des petits plats maison, je ne me risquerai pas sur ce terrain. Le ciné, c'est pour les ados, tout comme le bowling ou la fête foraine. Donc, je vous propose chez vous ou chez moi avec une bonne bouteille de vin français ou ... une virée à bord de votre bolide. Ca, j'avoue que ça ne me déplairait pas non plus."

Saeko avait souri, troublée, charmée par une approche si directe. Sincère.

- "Bien, Endo. Revenez en vie et on dégustera un bon Bourgogne et on ira faire une virée sur l'autoroute. Mais pas dans cet ordre, d'accord?"

Shiki avait éclaté de rire avant de s'élancer dans la pénombre :

- "Toujours aussi efficace et précise, Madame la Commissaire Nogami ! Et j'adore la Bourgogne, c'est un très bon choix !"


Il avait à peine fait quelques pas, qu'avait retenti dans leurs dos :

- "Non, Sergent, attendez !"

Shiki s'était figé avant de faire demi-tour. Quand Saeko s'était retournée, elle avait vu que trois autres hommes étaient en train de déposer sur le capot de sa voiture, leurs revolvers et fusils de service, ne conservant que leur armes personnelles. Il y avait là un des hommes en noir de Shiki, un militaire en treilli et un des analystes d'ondes radio, chargé de balayer la zone, à la recherche d'éventuelles communications des terroristes.

Shiki s'avança vers eux, les mains sur les hanches, visiblement ravi :

- "Si on m'avait dit que je retrouverais deux de mes anciens collègues de cette façon ..."

- "C'est fou, n'est-ce pas, Sergent ? On s'est dit la même chose avec Kokushi quand on s'est reconnu tout à l'heure." Avait répondu l'analyste avant de sursauter en reconnaissant l'homme en noir qui venait de retirer sa cagoule lui aussi : "Rinji !"

Rinji avait souri :

- "Numéro Six aujourd'hui ... Mais ouais ... Content de te revoir, Maresuke, c'est un honneur,  Kokushi !"

- "On vient avec vous, Sergent." Avait dit le militaire, celui qui répondait visiblement au nom de Kokushi.

- "Ouais, Sergent." Avait confirmé l'analyste en chemise à carreaux.

Shiki avait souri :

- "Maresuke, comme je disais à Sae... à Madame la Commissaire Nogami, je ne suis plus Sergent."

- "Nous ne faisons plus partie des forces d'intervention, mais vous restez notre Sergent, Sergent." Avait vivement répliqué le militaire.

- "Mais vous, vous l'êtes devenu, Sergent Kokushi." Avait observé Shiki.

Le soldat avait redressé les épaules avec fierté puis l'analyste les avait interrompus :

- "On fera peut-être le point C.V. plus tard, les gars ... On a un truc sur le feu, là."


Saeko s'était avancée vers eux et avait voulu demander quelque chose mais le Sergent Kokushi s'était adressé à elle en se mettant au garde à vous :

- "Nous démissionnons aussi, Madame La Commissaire Nogami. Nous trois, on était dans la banque ce jour-là. C'est nous, les trois policiers que l'Inspecteur Hideyuki Makimura et cet homme ont sortis de là. Ils ont risqué leurs vies pour sauver les nôtres."

- "Ils ont été impressionnants. On va pouvoir rembourser cette dette, même si l'Inspecteur Makimura est mort depuis. " Avait complété l'analyste, en glissant son arme dans sa ceinture avant de resserrer son attache de cheville retenant un couteau de chasse.

- "Et régler la situation par la même occasion." Avait ajouté Rinji, l'homme en noir de Shiki.

- "Pour Makimura ..." Avait conclu le Sergent Kokushi avant de s'élancer dans la nuit, suivi de ses deux anciens collègues.


Avant de leur emboîter le pas, Shiki avait regardé une dernière fois Saeko en hochant la tête d'un air décidé. La gorge serrée, elle n'avait rien trouvé à lui répondre. Il n'y avait rien de plus à ajouter et elle avait simplement hoché la tête en retour, admirative, inquiète, avant de les voir se fondre dans l'obscurité.


Elle avait pu suivre leurs silhouettes pendant encore quelques secondes puis, plus rien. Plus un mouvement, plus un bruit. Que du silence et des ombres. Il ne restait plus que la lumière régulière et hypnotisante des gyrophares derrière elle, les bruits discrets et feutrés des hommes restés en faction.

Attendre. Il ne lui restait plus qu'à attendre

Elle avait croisé les bras, souriant étrangement, sentant son coeur partagé entre des sensations parfaitement contradictoires. Angoissée de savoir que ses amis étaient en train de risquer leurs vies une fois de plus, triste et nostalgique de ne pas sentir Hideyuki à ses côtés, heureuse d'avoir retrouver un visage amical, étonnée de se sentir troublée,  charmée de savoir qu'elle lui plaisait, contrariée qu'il l'ait encore une fois appelée Madame la Commissaire, impatiente de le revoir,  inquiète pour lui, pour Ryo, pour Kaori ... 


Quand tout serait fini ... 


A cet instant, il lui avait semblé que cette histoire n'allait jamais se terminer ... Elle s'était appuyée à nouveau sur le capot de sa voiture, jouant avec le téléphone portable.

Était-ce vraiment si inutile de joindre son père pour demander si le Ministre autorisait l'intervention ? Endo Shiki avait-il raison ? 

Saeko avait soupiré, tourné en rond pendant quelques secondes, en marmonnant de nombreux jurons puis elle avait finalement cédé à son impulsion première : téléphoner à Monsieur le Préfet. 

Elle avait composé le numéro qu'elle connaissait par coeur depuis des temps immémoriaux puis elle avait attendu, encore et encore alors que les atroces sonneries s'égrainaient dans son oreille, tout en marmonnant :

- "Non mais … sérieux ?!?! Alors, ils vont tous jouer les héros et c'est moi qui dois trouver comment expliquer la présence de deux civils et quatre désertions sur une même intervention ! Mais, ils me prennent pour qui ?!? La mère Noël ? Si l'assaut n'est pas donné maintenant, je ne vois pas comment je vais pouvoir ..."

- "Allô, Saeko ?"

- "Ahhhh ... Enfin ! Tu décroches !"

- "Navré mais tu n'imagines pas à quel point j'en ai ..." Son père avait profondément soupiré avant de reprendre : "Je devine pourquoi tu m'appelles, Saeko, mais le Ministre n'ose toujours pas ordonner une intervention, il tergiverse, mesure les possibilités, calcule les risques, demande des analyses, des  ..."


Soudain, une déflagration avait résonné en contrebas, soufflant le bâtiment en une fraction de seconde, balayant tout sur son passage. Saeko avait senti une puissante vague de chaleur lui fouetter le visage et les cheveux et elle n'avait pas pu retenir un cri de surprise.

Le téléphone toujours collé à son oreille, elle avait murmuré :

- "Non, non, non, non, pas ça, pas ça ..."

- "Saeko, tout va bien ?"

- "Pas ça, pas ça, pas ça ..." Avait-elle répété, scrutant les alentours alors que les hommes restants étaient venus la rejoindre, gardant les yeux rivés vers le brasier en contrebas.

- "Saekooooooo !!!" Avait fini par hurler Monsieur le Préfet Nogami.

- "Je ... Je vais bien ... mais ..." 


Et puis, enfin sept silhouettes sombres s'étaient lentement découpées devant les flammes. Sept silhouettes qui marchaient vers eux. Oui, ils étaient bien sept, elle avait compté plusieurs fois.  Sept.

Ryo.

Kaori.

Le sergent Shiki ... Endo.

Et un. En treillis militaire.

Et deux. Celui-là, avec une chemise.

Et trois. Une silhouette sombre.

Et encore une dernière ombre, plus rondouillarde que les autres, soutenue par Shiki. Sozen.

Sept.

Ils étaient TOUS là.


Elle avait soupiré dans le téléphone avant d'annoncer :

- "Tu pourras dire à ton Monsieur le Ministre que l'otage est libre."

- "Oh ..." Avait soufflé Monsieur le Préfet Nogami. "Voyez-vous ça ..."

Comme le petit groupe était rapidement parvenu à sa hauteur, éclairé par les flammes en contrebas, elle avait pu interroger Ryo du regard de loin et il lui avait rétorqué :

- "Ton cinglé et ses molosses débiles sont maîtrisés."

- "Neutralisés et en attente d'évacuation dans une zone sécurisée." Avait complété Shiki, avec un grand sourire, tout en laissant Sozen se faire prendre en charge par une équipe de policiers en uniformes bleus en lui adressant un enjoué mais hypocrite: "Ravi de vous avoir sauvé les miches sans vous en vous en avoir collé une, Monsieur le Commissaire Sozen."

Le Commissaire avait maugréé quelque chose en retour, ce qui avait fait rire Shiki :

- "Allez, sans rancune Commissaire !"


Kaori s'était tournée vers l'incendie, triomphante, les mains sur les hanches et lança : 

- "Tu vois, Ryo, on avait largement le temps de remonter ..." 

- "Hummm ... Heureusement que j'ai retiré une partie des charges, sinon, on était tous cramés ..." Avait répliqué le nettoyeur.

- "Rooo ... jamais content toi ..." Avait-elle ronchonné. "Tu vas pas chouiner pour deux ou trois cheveux brûlés et de la suie sur ta veste, non ?"

- "M'enfin ... Heureusement que j'avais précisé d'y aller en douceur, hein !"

- "Mais t'as pas fini de râler ! On est tous entiers, on a gagné, tout est bien qui finit bien ! Et essaie pas de noyer le poisson, toi ! On a encore deux ou trois trucs à régler toi et moi ..."

- "Meuh nan ... Tout est bien qui finit bien, comme tu dis ..." Avait vivement répliqué Ryo tout en la prenant dans ses bras pour la serrer contre lui. 

- "Tu voulais encore me laisser en arrière ..."

- "Allez, arrête de ronchonner et profite du spectacle" Avait-il ajouté en la tournant vers le brasier en contrebas.


Saeko s'était ensuite tournée vers Shiki. Dans son regard, elle avait vu un certain soulagement mais aussi une joie non dissimulée, confirmée par ce qu'elle avait pu lire ses lèvres : 

- "Porsche ou vin, Saeko ?"

Madame la Commissaire Nogami avait senti son cœur s'accélérer un peu et son estomac papillonner. Elle s'était cependant vite reprise, soufflant sur sa mèche et lissant sa jupe de sa main libre avant de reprendre fermement  le combiné téléphonique qui n'avait pas arrêté de répéter "Saeko ?". 

Elle s'était éclairci la gorge pour déclamer fièrement, pour que tous puissent l'entendre :

- "Monsieur le Préfet Nogami, j'ai le plaisir de vous annoncer que les terroristes ont été mis hors d'état de nuire et que le Commissaire Okano Sozen est sain et sauf."

- "Voyez-vous ça ..." Avait ri son père après un silence.

- "Nous rentrons à la Préfecture pour faire notre rapport."

- "Voyez-vous ça, voyez-vous ça, voyez-vous ça  ... "

Saeko n'avait pu se retenir de sourire en entendant à nouveau l'expression favorite de son père qui avait poursuivi :

- "Commissaire Nogami, vous m'en voyez ravi. Transmettez mes félicitations à tous les hommes ... et les femmes ... qui ont travaillé à cette victoire !"

- "Merci Monsieur le Préfet, ça serait fait." Avait répondu fermement Saeko avant de s'éloigner de quelques pas pour murmurer discrètement : "Comment ça se fait que j'ai l'impression que tu n'es pas surpris ?"

Son père avait simplement éclaté de rire : 

- "Je sais à qui je confie les missions délicates, ma fille, question ... d'expérience, si je puis dire."

- "Voyez-vous ça ..." Elle avait souri en reprenant le tic de langage de son père puis avait posé la question qui l'avait préoccupée depuis qu'elle avait reconnu Shiki : "Dis-moi, tu les as pêchés où, les types que tu m'as envoyés ?"

Après un court silence, Saeko avait perçu un petit rire étouffé :

- "Je suis ravi qu'ils t'aient convenus, Saeko. Je les ai personnellement choisis pour leur grande connaissance du terrain. Triés sur le volet et selon des critères très ... précis."

- "Voyez-vous ça ... Des critères très précis ..." 

- "Oui. Je porte une attention toute particulière à l'expérience de tes collaborateurs."

- "Voyez-vous ça ... A l'expérience ..."

- "Tout à fait ... C'est l'expérience et non les titres ou les grades, qui nous permet de prendre les bonnes décisions en temps voulu."

- "Voyez-vous ça ..."

Monsieur le Préfet Nogami avait ri une dernière fois avant de conclure :

- "A tout à l'heure."


Saeko était ensuite rentrée chez elle dès qu'elle avait pu, se précipitant presque sous sa douche pour y rester très très très longtemps avant d'aller s'installer avec son verre de vin très très très frais ...


Et voilà qu'Endo Shiki débarquait chez elle et était déjà en train d'inspecter la bouteille qui trônait sur sa table basse, sifflant d'admiration :

- "Meursault 1987 ... Pas maaaal ..." Il posa la sienne juste à côté. "Pommard 1982 ... Je préfère le rouge."

- "Qu'est-ce que vous faites là ? Vous ne vous reposez donc jamais ?"

- "Apparemment, vous non plus ..." Dit-il en enfonçant les mains dans les poches arrière de son jean, la lorgnant avec un sourire charmeur. "Autoroute ou dégustation ?"

- "Maintenant ?"

Il fit quelques pas vers elle et prononça dans un souffle :

- "Disons ... Comme, grâce à votre intervention, aucun de nous n'a perdu son job, je peux être appelé à tout moment. Ca serait bête de perdre du temps. Qu'en pensez-vous, Saeko ?"

Saeko sourit et fit volte face pour filer vers sa chambre, enthousiaste, sentant son coeur battre la chamade, sautillant comme une adolescente :

- "Bougez pas, Endo. Je file m'habiller et je prends les clefs ! En plus, il fait beau, je pourrais retirer le toit ! Et on reviendra ensuite pour ..." Elle ouvrit la porte de son armoire et se retourna avant d'ajouter dans un murmure : "Pour ... déguster ..."


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