Entretien avec un Chasseur

Chapitre 4 : Le Convoyeur d'Âmes

4122 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/12/2022 10:20


- "Et pourquoi Mick vous aurait volontairement assommés ? Je veux dire ... Un ange n'est pas censé être doux et compréhensif ?"

J'éclate de rire, un vrai rire et j'en ai presque les larmes aux yeux :

- "Mick ? L'Archange Michel en chair, en os et en plumes, doux et compréhensif ? Vous rigolez ? En plus, on avait essayé de draguer sa petite protégée, Kazue, alors ... Il ne lui avait pas encore avoué ses sentiments mais vous auriez dû voir comme ça se tournait autour ces deux-là !"

Mon interlocuteur me dévisage, de plus en plus perdu :

- "Parce que ...il drague ? Vous êtes sûr que c'est un ange ?"

- "Affirmatif mon vieux. Mais avec le temps et les différentes représentations artistiques, les hommes ont parfois oublié que les Anges sont avant tout des combattants, des guerriers qui protègent leur monde et ne reculent devant rien pour accomplir leur mission. On les représente parfois comme de petits enfants tous nus et tous dodus ... Ça, ça les énerve beaucoup !" Dis-je en riant de plus belle, en repensant à la tête de Mick quand il avait découvert les images de ses camarades en petits enfants à peine culottés, tout en bourrelets et en plumes chatoyantes, armés de charmants arcs nacrés sur les cartes de la Saint Valentin américaine ... A mourir de rire !


L'homme aux lunettes rondes se cale contre le dossier de sa chaise, prend une grande inspiration et lâche :

- "Bon, de toute façon, j'y connais pas grand-chose en religion chrétienne, alors ... Je vais vous laisser continuer ..."

J'acquiesce :

- "Merci ..."


***

- "Qu'est-ce que vous avez encore fait à Kazue ?" Demanda Mick, les bras fermement croisés sur sa poitrine, nous toisant, le regard noir et ses énormes ailes grises déployées, imposant sa force.

- "Tout doux l'Angelot ..." Murmurai-je en me frottant l'arrière du crâne, fâché de ne pas l'avoir senti arriver.

Je repris lentement mes esprits, sentant déjà un petit mal de crâne s'éveiller juste au-dessus de ma nuque. J'ajoutai d'un ton cynique : 

- "Pas la peine de frimer autant avec toutes tes plumes, là ! On sait que tu es le plus fort !"

Il me jeta un regard assassin et fit claquer l'air avec son aile juste sous mon nez puis il se mit accroupi pour aider le Prof à se relever :

- "Pardon l'Ancien, mais vous saviez que je punirai de cette manière quiconque s'en approchera de trop près. Je vous avais déjà prévenu la dernière fois, non ?"


Les Anges ne s'encombrent pas de circonstances atténuantes et considèrent la tolérance comme une faiblesse. Ce qu'ils disent, ils le font. Ils n'ont qu'une seule parole et ne reviennent jamais sur un châtiment. Vous dérogez à la règle : punition. Vous pleurez ? Vous avez mal ? Tant pis : vous étiez prévenus. Pour moi qui ai été élevé dans la jungle avec les guérilleros, j'arrivais parfaitement à m'adapter à ce genre de fonctionnement mais, parfois, les humains avaient plus de difficultés et pensaient que les Anges pourraient faire preuve d'indulgence et leur pardonner certaines incartades. Peine perdue. Ils étaient tous parfaitement dépourvus de cette qualité. L'indulgence, c'était, apparemment l'affaire de leur chef incontesté, mais, ça, c'est un autre sujet.


Le Prof se redressa et se massa le bas du dos : 

- "Alors, oui, tu avais prévenu et j’ai appliqué les consignes à la lettre, je ne l’ai pas approchée du tout !" 

Mick le regarda en clignant des paupières, interloqué.

- "Vous croyez que j’ignore ce qu’il y a dans votre tête, vieux lubrique ?" 

- "Ah parce que maintenant on n’a même plus droit de penser à elle ?" Maugréai-je doucement avant de me prendre un coup d’aile violent derrière le crâne.

- "AIEUUUUUH !!! Ça fait mal, tes plumes lààà !!!"

- "Maitrise toi, espèce d'indécrottable pervers et cela n’arrivera plus !" Répondit-il sur un ton magnanime et en me regardant de haut, les bras croisés, histoire de bien me montrer sa supériorité. 

Mon sang ne fit qu’un tour et je me courbai dans une sorte de singerie qui ressemblait vaguement à une révérence :

- "Veuillez me pardonner mon offense, Ô Prince des Cieux, Ange en Chef et Champion des Emplumés Célestes." 

Au fur et à mesure que j’énumérais ses titres façon Saeba, son sourire et sa suffisance se transformèrent petit à petit en colère et son aura s’assombrit de plus en plus. 


Ce qui suivit, fut proche de l’apocalypse, croyez-moi, et, conseil d’ami, ne mettez jamais un ange en colère. Même si nos petites joutes étaient devenues des jeux et des taquineries entre amis et qu’il maitrisait sa force, je pense qu’il surestimait la mienne et j’en fus quitte pour quelques minutes de noir total supplémentaires. 

J’avais la chance de me trouver dans une clinique et les soins furent quasi immédiats. Heureusement, Mick ne voulait toujours pas convoyer mon âme de l’autre côté. Je crois que j’étais à l’époque ce qu’on pouvait qualifier de "son sujet d’expérimentation préféré". J’ose croire qu'avec le temps, il avait commencé à me considérer comme un ami et au final, ses coups d’ailes qui pesaient cent tonnes m’ont bien servi d'entraînement. 


***

- "D'entraînement ? Comment ça d'entraînement ?" 

-"Vous verrez, mon crâne n'était pas au bout de ses peines, je vous assure ... Il faut juste me laisser continuer pour le savoir", Fais-je en lui adressant un clin d’œil. 

- "Pardon, mais votre récit est vraiment déroutant et j’ai sans cesse besoin de précisions. Par exemple : convoyer votre âme ?" Me demande l’homme aux lunettes rondes en relisant ses notes. 

J’acquiesce :

- "Oui, c’est le rôle des anges ici-bas. Convoyer les âmes des défunts vers le paradis, de manière à ce qu’ils ne se perdent pas en route et pour qu'ils ne finissent pas à attendre bêtement au Purgatoire. Si vous ne voyez pas un ange quand vous mourrez, c’est que vous avez été condamné à la damnation éternelle. Et là, c'est destination l'Enfer ... et un démon viendra vous chercher à l'occasion. Sont pas pressés, les démons ... Ils aiment bien vous faire poireauter ... "


Je me retiens de rire de manière satanique afin de ne pas perturber davantage le pauvre homme même si l’envie est grande d’accentuer le côté dramatique de ce que je venais de lui annoncer. Je souris à cette idée, faisant se lever un sourcil circonspect à mon interlocuteur et j'ajoute :

- "En fait, Mick a été mon premier contact avec le monde de l'au-delà." 

Alors qu’il avait baissé à nouveau la tête vers sa feuille sur le bureau, prêt à reprendre, il relève la tête vers moi. J’avais piqué sa curiosité. 

- "Comment ça ?"

- "C’était Mick qui avait été chargé de convoyer mon âme de l’autre côté quand je suis mort dans cette jungle il y avait presque quinze ans. C’est là que je l’ai rencontré la première fois. Alors que j’étais entre la vie et la mort et que le Prof lui avait demandé de me renvoyer parmi les vivants. Mick est resté indécis pendant un long moment sur le chemin à me faire prendre. Devais-je vivre ou mourir ? Moi, pauvre gosse ayant joué de malchance, ayant rencontré les mauvaises personnes, drogué contre mon gré pour commettre des atrocités ? Méritais-je la mort pour mes crimes ? Est-on responsable de nos actes si on nous laisse le choix entre tuer ou mourir, sans même savoir qu'il existe un monde où cette question ne se pose pas ? C'était les arguments que le doc avait utilisés ce jour-là. J'avais eu l'impression d'assister à un match de ping pong entre lui et l'ange en chef…" 


Mon interlocuteur semble lui aussi aux prises avec les mêmes interrogations de Mick à l’époque. Je vois presque les rouages de son cerveau s’animer pendant que je poursuis :

- "Quant à moi, après avoir assisté un moment à cette joute verbale, j'avais essayé de tirer mon épingle du jeu : j’étais un gamin et tout ce je savais, c’est que je ne voulais pas mourir. J'étais persuadé que je pourrais faire autre chose de ma vie, quelque chose de mieux, quelque chose d'utile. C’est cela qui me maintenait attaché à mon corps. J’avais une furieuse envie de vivre pour prouver au monde entier que je valais mieux que ça. Au final, c'est la combinaison entre la force de caractère du Prof et mes arguments à moi qui l’ont convaincu et il a fait une chose incroyable ce jour-là : il m'a renvoyé dans mon corps. Depuis, il traine dans les parages, me servant d’ange gardien en quelque sorte et s’assurant que je fasse un truc bien de ma deuxième vie. » 

Je prends le temps d'observer un peu mon interlocuteur et j'ajoute :

- "C’est aussi comme ça qu’il a rencontré Kazue. Il a convoyé l’âme de son défunt fiancé et il a été touché par la beauté et la bonté de cette jeune femme. Depuis, elle est devenue sa protégée et beaucoup plus encore ..."

- "Vous voulez dire…. Kazue le voit ? Elle arrive à voir les anges ? Mais je la croyais humaine ?"

- "Oui, en tant qu'Ange, Mick a le pouvoir de se faire voir des humains si ça le chante. Avec ou sans ses ailes comme il le souhaite. Quant à Kazue, elle est bien humaine, oui. Mais Mick adore se faire voir des humaines, les charmer. Il en a dragué plus d'une… Mais Kazue était de loin sa préférée et je ne l'avais jamais vu aussi assidu, si vous voyez ce que je veux dire… A elle, il pouvait se montrer en entier…" 


Je lance un regard vers le binoclard qui semble digérer mes paroles. Il est pensif, se demande-t-il s'il avait déjà croisé un ange dans sa vie ? Probablement. Ce ne serait pas étonnant. Je lui laisse un moment et bois un nouveau verre d'eau avant de le sortir brusquement de ses pensées :

- "Bon ? On continue ?"

Il sursaute, me regarde et acquiesce avec avidité puis je replonge dans mes souvenirs.


***


J’émergeai un peu plus tard et rejoignis Mick alors qu’il était en grande discussion avec Kazue dans le couloir.

Je ne dis rien sur la façon qu’il avait de déployer ses ailes à moitié pour augmenter sa carrure. 

Je ne dis rien non plus sur sa façon d'amplifier son aura divine de manière à sembler plus lumineux. 

Et je souris mais je ne dis rien non plus en voyant Kazue replacer ses cheveux derrière son oreille, tout en baissant légèrement les yeux, les joues imperceptiblement rougissantes.

J’avais retenu la leçon et je laissai ce Cupidon grandeur nature faire son numéro de charme tranquillement. J’annonçai mon arrivée en accentuant le bruit de mes pas et en maudissant intérieurement l’angelot pour son coup en traître. Il tourna vers moi ses yeux bleus comme les nuages et pointa un index menaçant vers moi :

- "J'espère que ce petit évanouissement t’as remis les idées en place et que tu vas enfin me dire pourquoi tu m’as invoqué. J’ai un boulot fort prenant et une enquête à mener, tout ça de front, alors tu as intérêt que ce soit pour une bonne raison."

Je hochai la tête en guise de réponse :

- "Je n'attends que toi, Princes des nuées ..."


Il prit congés de la jeune médium en lui faisant un baise-main bien pompeux, mais qui sembla la toucher, puisqu’elle rougit fortement avant de tourner les talons et nous laisser parler de notre affaire. 

- "Mouais, j’ai pas eu non plus à te supplier ..." Je me tournai pour le regarder par-dessus mon épaule, lui jetant un regard moqueur : "Et tu arrives de plus en plus rapidement, je trouve ... Malgré tes nombreuses occupations et ton boulot "super prenant". Je soupçonne que la jeune et jolie brune qui vient de prendre congés y est pour quelque chose non ?"

Je voulus de lui donner un coup de coude dans les côtes mais il m'évita, faisant mine de ne pas m'entendre, et me dépassa en se dirigeant vers le bureau du professeur. J’aurais juré que son aura avait pris une teinte plus rosée mais ce fut tellement fugace que je n’en fus pas sûr. Aussi, je le rattrapai juste avant d’entrer dans la pièce où nous rejoignîmes le vieil homme, toujours penché sur ses bouquins. 


Alors que je prenais place dans un des fauteuils en face de lui, il releva la tête et referma son bouquin avec humeur.

- "Rien !! J’ai passé ma bibliothèque au peigne fin et je n’ai rien trouvé de plus. Mick est le seul à pouvoir te donner des réponses cette fois-ci, Babyface. "

- "Bon, alors de quoi s’agit-il ?" Demanda Mick.

Je répondis :

- "Il semblerait que je sois en présence d’une âme errante. Pas tout à fait morte, mais plus tout à fait vivante non plus. Elle ressemblait à un esprit, ça c'est sûr, mais en noir et blanc. "

Mick me dévisagea et me toisa de toute sa hauteur : 

- "Si tu as la réponse à ta question, pourquoi tu m’as fait venir ? Tu es en présence d’une âme errante. Point. Elle va tôt ou tard suivre son chemin ... En quoi puis-je t’aider davantage ?"

- "Je voudrais communiquer avec elle. L’aider. Elle semble en colère, révoltée. Et puis, son frère a été assassiné en bas de chez eux, il est mort dans ses bras. Elle a peut-être été témoin de quelque chose, parce qu’apparemment, les flics sont passés et s'intéressent à la question. C’est pas net, cette histoire, Mick !!"

Il me dévisageait, le sourcil levé. Je continuai :

- "Mick … Je sens un truc. Je SAIS qu'il se passe quelque chose et que je peux l'aider."

Il se pencha vers moi, toujours silencieux et j'ajoutai :

- "Et que je DOIS l'aider."


L’ange me sourit, goguenard. Apparemment, c’était la première fois qu’il me voyait dans cet état d’énervement. Il lança un regard de connivence au Professeur mais ne me taquina pas davantage. Je lui en sus gré, j’avais du mal moi-même à comprendre pourquoi je m’énervais autant mais un sentiment d’urgence m’oppressait. J’avais l’impression que le temps pour la sauver m’était compté et les mots du professeur tournaient en boucle dans ma tête : elle était une manifestation rare, peu dangereuse et éphémère car le corps auquel elle était attachée allait finir par mourir. 

Et elle disparaîtrait. 

Définitivement… 

Et plus ses mots tournaient dans ma tête, plus une autre certitude grandissait en moi : elle ne devait pas disparaître. Non, elle n'en avait pas le droit. Pas avant que je n'aie vu la couleur de ses yeux. 


Mick écarta les bras, impuissant :

- "C'est une âme errante, Ryo. Elle est vouée à mourir et un ange aurait dû venir la chercher. C'est étonnant qu'elle ne soit pas déjà perdue ou en route pour le Purgatoire."

- "Elle ne peut pas aller en Enfer, pas d'après ce que m'en ont dit les vieux de l'étage du bas. Elle semblait être la gentillesse incarnée d'après eux. Serviable, toujours souriante, jamais un mot plus haut que l'autre… Pas vraiment l'image que je me fais des personnes destinées aux Enfers non ?" 

- "Alors un ange aurait dû venir la chercher." Dit Mick.

- "Et si cet ange avait été repoussé ? Comme j'ai réussi à le faire avec toi quand il s'agissait de Ryo ?" Réfléchit tout haut le Professeur.

Mick se renfrogna et croisa les bras sur sa poitrine.

- "Alors… vous ne m'avez pas repoussé, le vieux, j'ai CHOISI de le faire revenir. C'est clair. Il m'avait fait pitié."  

- "Ce serait possible ça, Mick?" Lui demandai-je sans tenir compte de sa remarque. 

- "Ce serait possible oui, mais je n'ai pas eu vent d'ange qui a été dérouté de ses fonctions. Je vais me renseigner, mais j'ai été mis sur une autre affaire. Pas sûr qu'on me refile les infos." 

- "T'es pas le CFC ?"

- "Le quoi ? Qu'est-ce que c'est encore que ces conneries, Saeba ?"

Je lui lance en riant :

- "Le CFC, le Chef des Forces du Ciel" ?

- "Pfffff ... N'importe quoi ... C'est plus compliqué que ça. S'Il a décidé quelque chose, qui suis-je pour contrevenir à cette décision et changer l'ordre des choses ? Humm ?"

L'ange était piqué, il avait commencé à bouder et à cet instant, il ressemblait vraiment à ces cupidons des cartes de la Saint-Valentin. Je me retins de rire car j'avais besoin de mes réponses. 


Il finit par se tourner à nouveau vers moi : 

- "Bon, revenons à notre histoire d'âme errante. Ce que je peux te dire, c'est qu'une âme errante est encore intimement liée à son corps. Ce corps doit être maintenu en vie quelque part, mais il doit être dans un sale état pour être séparé de son âme. Un état proche de la mort, je suppose."

- "Tu penses à quoi ? Coma profond ?" Demandai-je.

- "Probable, oui."

- "OK." Dis-je en soupirant, tout en me calant un peu plus dans mon fauteuil, posant une cheville sur mon genou et regardant mon ami ailé droit dans les yeux. "Bon, on est d'accord tous les deux que, quand cette âme a été séparée de son corps, un de tes collègues aurait dû être là mais, apparemment, elle est restée seule."

- "Oui ..." Il soupira : "Oh, c'est bon, pas la peine d'en rajouter avec tes petits yeux, là. Je suis sûr qu'il doit bien y avoir une raison logique à cette défaillance."

Je levai la main pour l'interrompre :

- "C'est pas le problème. Je veux dire ... Il n'y a pas de corps dans l'appartement, ni dans l'immeuble. Elle a disparu depuis plus de trois mois maintenant et, si elle est dans le coma, c'est dans un hôpital, pas dans un immeuble d'habitation. Et l'hôpital le plus proche est à plus d'un kilomètre ... Pourquoi n'est-elle pas restée près de son corps ?"

Mick se tourna vers moi, intrigué :

- "C'est vrai, tiens, maintenant que tu le dis ... J'ai rencontré quelques âmes errantes au cours de ma carrière et toutes étaient restées à proximité de leur enveloppe corporelle. Ça m'est arrivé sur des champs de bataille ou dans des couloirs d'hôpital ..."

- "Donc ..." Murmura le Prof. "Que pouvons-nous en conclure ?"

- "Qu'elle s'est éloignée volontairement de son corps ... Mais pourquoi ?" Demandai-je en me penchant en avant, les coudes appuyés sur mes genoux.


Mick passa derrière moi et posa les mains sur le dossier de mon fauteuil et je sentis son aura puissante m'envelopper. Ainsi, nous avions toujours mieux réfléchi :

- "Elle est revenue dans son appartement, c'est ça ?" demanda Mick.

- "Pourquoi abandonner son seul et unique point de repère pour aller se cacher dans son appartement ?" Répliquai-je.

- "Pour retrouver quelqu'un à qui elle tenait ?"  

- "Son frère est mort dans ses bras, je te l'ai dit. Donc, ce n'est pas lui qu'elle voulait retrouver ..."

- "De la famille ou un amoureux peut-être ?"

Cette dernière éventualité éveilla un drôle de sentiment en moi. Mick poursuivit son raisonnement et je retrouvais avec un certain plaisir notre complémentarité. Je lui répondis un peu froidement :

- "Les vieux ne m'ont parlé que d'un frère et d'une sœur. Ils n'ont pas mentionné d'autre personne habitant avec eux. Un amoureux, je ne sais pas. Peut-être. Mais je n'ai pas vu d'indice d'une présence masculine dans sa chambre et il n'y avait que deux brosses à dents dans la salle de bain. Même si ça ne prouve rien."

- "Oui, parfois, certains d'entre vous ont des notions d'hygiène buccale déplorables ..." Souffla Mick, moqueur.

- "Pfff... sois sérieux, veux-tu ?" Maugréai-je.


Mick s'éclaircit la gorge avant de reprendre le cours de nos pensées : 

- "Bon, alors, si ce n'est pas pour retrouver les gens que vous aimez, pourquoi, vous les humains, rentrez-vous chez vous ?"

- "Pour nous sentir en sécurité."

- "Hummm ... Donc elle aurait eu peur et aurait retrouvé le chemin de sa maison ? Pourquoi pas, ça peut se tenir."

- "Une âme errante peut faire ça ? Je veux dire, se déplacer, retrouver son chemin, tout ça ?"

- "Apparemment ..." souffla Mick. "Ce serait la première fois que je verrais ce genre de chose mais pourquoi pas. L'esprit et les sentiments guident les âmes, alors, je pense que c'est possible. Ces derniers temps, de nombreux humains m'étonnent, alors, oui, je dis pourquoi pas. Mais alors cette âme doit être très attachée à cet endroit."

Je restai pensif un moment avant d'ajouter :

- "Très attachée, oui, mais ça ne l'empêche pas de balancer des objets sur les murs, de faire du bruit ... Pourquoi ?"

- "Je ne sais pas, moi ! Pourquoi tu tapes, toi ?"

- "Pour me défendre ... Et toi ?"

- "Pour me défouler ..." Mick me répondit, goguenard. "Quoi !!! C'est vrai ! Personne ne m'attaque, je n'ai pas besoin de me défendre ! Et oui, taper me détend ! Surtout quand c'est sur ta tête ..."

- "Donc ..." Répéta le Professeur, "Que pouvons-nous en conclure ?"

- "Qu'elle est en colère." Dis-je. "Elle a perdu son frère et elle est dans le coma, ça peut se comprendre. Mourir ou devenir un légume, cette perspective peut rendre de mauvais poil ..."


Nous restâmes silencieux un instant puis je murmurai :

- "Quelque chose me dit qu'il me manque des infos. Déjà, le frère est mort. Assassiné. Quatre balles dans le dos, m'ont dit les petits vieux."

Mick retira les mains de mon fauteuil et se dirigea vers le Prof. Ils me regardaient tous les deux, toujours silencieux et je leur demandai :

- "Et qui tue un flic de quatre balles dans le dos ? Hein ??" 

- "Un sale type, c'est certain." Répondit le Prof.

- "Et quel est le mobile ?" Ajoutai-je.

- "Je doute qu'il s'agisse d'un hasard ..." Souffla Mick avant de poursuivre sur le ton de la plaisanterie : "Même si les flics sont loin d'être des Anges ..." 

Je me retournai vers lui pour le fusiller du regard :

- "Tu peux pas être sérieux plus de trois minutes ?"

- "Non. Pardon ..."


Je repris, énumérant sur mes doigts : 

- "Ensuite, le coupable a-t-il été puni ? Et elle ? Que lui est-il arrivé ? Accident ou tentative de meurtre ?"


Je me levai et me dirigeai vers la porte :

- "Bon, je dois trouver de nouveaux éléments pour résoudre cette affaire ..."

Je me retournai quand j'entendis Mick m'interpeler :

- "Juste encore une chose, Saeba ..."

- "Yep, Angel ? Quoi ?"

Il se pencha vers moi, sondant mes prunelles, un sourire en coin sur les lèvres :

- "Elle doit être sacrément sexy pour que tu te démènes comme ça ?"

- "Reste en dehors de ça, Ersatz de Cupidon ! Tu m'as déjà piqué Kazue, celle-ci, c'est pas touche, pigé ?"

Je claquai la porte du bureau du Professeur derrière moi, retenant mon envie de lui voler dans les plumes alors que j'entendais son rire céleste faire résonner les murs de la clinique. Je n'avais ni le temps ni l'envie de reconnaître qu'il avait mis dans le mille, l'Angelot. Et même si je n'avais vraiment fait attention qu'aux yeux de mon âme errante, mon instinct me murmurait que le reste était tout à fait charmant ... 


"... Et vous savez quoi ? Mon instinct ne me trompe jamais ! Foi de Saeba !"



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