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Chapitre 1 : La disparition

3130 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/11/2022 15:25

Ce soir-là, le crépuscule nimbait le ciel d’un rose doré tandis que les habitants de la ville de Tokyo rentraient du travail, ravis de retrouver leur famille et l’ambiance chaleureuse de leur chez soi.

Néanmoins, ce n’était pas le cas de tout le monde. A l’intérieur de l’appartement de Ryo et Kaori, l’ambiance chaleureuse n’était pas du tout au rendez-vous. C’était même tout le contraire : le temps semblait s’être figé. Kaori s’était arrêtée de mettre la table du diner et regardait Ryo… avec un regard qui ne présageait rien de bon. Le nettoyeur, une goutte de sueur sur la tempe, n’osait même plus bouger. C’était à peine s’il respirait. L’assiette que Kaori tenait entre ses mains commença à se fissurer dangereusement. Les secondes s’égrainaient, interminables et plus terrifiantes les unes que les autres.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? demanda Kaori, menaçante.

Le nettoyeur leva les yeux au ciel, cherchant une façon de s’en sortir sans trop de séquelles. Puis il prit un air sérieux, croisa les bras sur sa poitrine, se racla la gorge et répondit :

— J’ai dit que si tu avais un peu de temps en temps l’air d’une femme, peut-être, je dis bien peut-être, que je voudrais bien rester diner avec toi.

— Et après ? articula-t-elle en serrant les dents.

— Après quoi ? paniqua Ryo.

L’assiette se brisa en deux. En faisant de gros efforts pour en pas craquer – pas encore – elle insista :

— Qu’est-ce que tu as dit après ça ?

— Euh… eh bien…

Voyant que retarder les choses ne faisait que les empirer, il finit par avouer, complétement terrorisé :

— Que ce n’est pas près d’arriver parce que je préfère passer la soirée avec des belles jeunes femmes plutôt qu’un travelo.

Il déglutit péniblement, conscient qu’il aurait mieux fait de la fermer pour une fois. C’était à croire qu’il aimait bien se prendre sans arrêt des massues sur la tête. Des éclairs traversaient les yeux de Kaori, l’explosion n’était plus très loin.

Pourtant, au lieu de s’énerver comme elle aurait dû le faire depuis longtemps, elle lui tourna le dos et ses épaules s’affaissèrent. Elle ne bougea pas d’un pouce pendant un long moment et Ryo se demanda si s’était une bonne ou une mauvaise chose. Il choisit de se taire et décida qu’il pouvait peut-être en profiter pour filer.

Malheureusement pour lui, Kaori serra les poings et se mit à trembler de rage. Il ne sut même pas comment elle s’y prit. Sans qu’elle ne se retourne et sans même lui jeter un seul regard, il se retrouva projeté à travers la pièce sans toucher le sol accompagné d’une massue. A priori elle était devenue championne de lancer de massue à l’aveugle. Il finit encastré dans le mur à côté de la porte, le corps parcouru d’une douleur dont il commençait à avoir l’habitude.

— J’en peux plus de toi ! Je te déteste Ryo Saeba ! J’espère que tu l’as senti passer ! explosa Kaori.

A grandes enjambées, elle sortit de la pièce abandonnant le repas qu’elle avait préparé avec soin en espérant le manger avec son stupide partenaire. Mais alors qu’elle passait près de Ryo et que celui-ci commençait à s’extirper de sous la massue, il aperçue une larme rouler sur la joue de Kaori. Elle claqua la porte en sortant et aussitôt, le silence revint dans l’appartement. Tout à fait remis maintenant, Ryo se gratta l’arrière de la tête. Pourquoi est-ce qu’il la faisait autant souffrir ? S’était plus fort que lui…

Il soupira. Décidemment, rien n’était simple. Bah, Kaori s’en remettrait, elle s’en remettait toujours. Demain ce sera comme si de rien n’était, elle continuerait de lui balancer des massues et elle se plaindrait que s’ils n’avaient pas rapidement un travail, ils ne finiraient pas le mois.

Bon, pour se changer les idées, il était temps de sortir faire la fête avec Mick jusqu’au petit jour. Il prit sa veste et sortit de chez eux, mais au moment de quitter l’appartement, il ne put s‘empêcher de ressentir un pincement au cœur.


La nuit était bien entamée, sur le point de laisser la place au jour. Dans une ruelle enveloppée par l’obscurité, deux énergumènes titubaient sur le trottoir après une soirée à courir les bars, les cabarets et les boites de nuit. Après s’être fait repousser pour la énième fois par une femme, Ryo et Mick avait décidé de prendre le chemin du retour avec plus ou moins de conviction. Bras dessus, bras dessous, et complétement saoul, ils chantaient tous les deux à tue-tête, très fort et surtout très faux :

— Weee are the champion, my friends, hic… and weeee’ll keep on fighting till the eeeend, hic… Weeee are the champions! WE ARE THE CHAMPIONS !!!

Et ainsi et de suite jusqu’à ce qu’il soit en face de chez eux. Arrivé au pas de la porte de leur immeuble respectif, ils se saluèrent et d’un pas mal assuré, ils montèrent les escaliers, chacun de leur côté. Ryo se demandait ce qui se trouvait dans le dernier verre qu’il avait bu, à moins que ce soit l’avant dernier, lorsqu’il se retrouva devant la porte de la chambre de sa partenaire.

Il redevint à peu près sérieux et il put entendre sa respiration lente et régulière de l’autre côté. Elle dormait, s’était toujours ça. Il se dirigea alors vers sa propre chambre, chancelant, où il s’écroula sur son lit sans prendre la peine de se changer, ni même de se glisser sous les draps. Il s’endormit seulement en quelques secondes.

A quelques mètres de là, Kaori ne dormait pas. Elle n’avait pas réussi à trouver le sommeil. Ses larmes s’étaient taries depuis longtemps et lorsqu’elle avait entendu les pas de son partenaire devant sa porte, elle avait fait semblant de dormir. Au cours des dernières heures, elle était passée par toutes les émotions : colère, déception, tristesse… Toutes ces années de rancœur et de douleur finissaient par ressortir. Puis finalement elle s’était sentie vide. Elle avait beaucoup trop éprouvé en si peu de temps.

Allongée dans le noir à écouter le bruit de sa propre respiration, elle se demanda si ça serait de plus en plus ainsi. Si à la place de la colère et de l’abattement elle ressentirait de plus en plus de vide et que son cœur se transformerait en un gigantesque trou noir.

Elle ferma lentement les paupières presque rassénérée à la pensée de ne plus rien ressentir un jour. Mais pourquoi avait-elle toujours aussi mal ? Alors, elle formula une prière qui s’échappa de ses lèvres avant d’être engloutie par la nuit et elle s’endormie.


Ryo se réveilla le lendemain matin, l’esprit encore embrouillé par les excès de la veille. Il sentait la lumière du soleil le couvrir tout entier, il ne devait être pas loin de midi. Sa première pensée de la journée fut qu’il était parvenu pour une fois à rentrer jusque chez lui et n’avait pas fini la nuit, couché sur un banc ou au coin d’une ruelle. Il se passa une main sur le visage et constata qu’il n’y avait aucun bruit dans l’appartement. Pas de bruit de pas ou d’eau qui coulait. Pas de bruit de vaisselle installée pour le petit-déjeuner. Pas de musique chantonnée par sa partenaire.

Kaori devait être sorti pour aller voir s’il n’y avait pas un message sur le tableau pourtant, il ne pouvait empêcher une sourde appréhension l’envahir. Elle aurait dû venir le réveiller comme tous les matins avec sa douceur habituelle... Bah ! Ce n’était rien. Pour une fois, il n’allait pas s’en plaindre. Elle devait juste encore lui en vouloir pour la veille. Il finit par se lever et décida qu’une bonne douche lui remettrait les idées en place.

Lorsqu’il fut lavé et complétement remis d’aplomb, son estomac se mit à gargouiller et il prit la direction de la cuisine. Il lui tardait de se remplir le ventre avec le petit-déjeuner préparé par Kaori. En baillant à s’en décrocher la mâchoire, il prit le journal, s’installa à la table en bois dans la salle à manger et commença à lire les premières lignes. Ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes qu’il prit conscience que quelque chose clochait. Il baissa lentement le journal et regarda par-dessus. La table était vide. Aucune trace de toast, de riz, d’œufs ou même de salade. Aucune odeur de petit-déjeuner, de plats entrain de mijoter ou de café ne parvenait jusqu’à ses narines. Les yeux ronds comme des soucoupes, il admit enfin qu’il avait dû y aller un peu fort avec Kaori hier soir…

— Kaori ? appela-t-il.

Seul le silence lui répondit. Il arriva enfin à décrocher ses yeux de la surface lisse de la table et…Son regard ne rencontra que du vide. Les meubles ! Où étaient passés les meubles ? Et la déco ? Qui avait bien pu faire ça ? Le peu qui restait était en mauvais état sale et terne malgré le soleil qui entrait à flot par la fenêtre. La grande table avec les bancs avait survécu aux ravages, le canapé était là mais différent, sale et tout défoncé, la télé était posée à même le sol et les voleurs n’avaient pas pris la peine de l’emporter – en admettant qu’il s’agisse bien de voleurs. Pas de décoration ni de fleurs en pot, pas d’horloge qui égrène les heures et de la poussière partout, des bouteilles vides et un cendrier placé près du canapé. Le cendrier était rempli de mégots alors qu’il ne fumait plus à l’intérieur de l’appartement depuis que Kaori s’était installée avec lui. Depuis que Kaori s’était installée ici…

Au fil des années, elle y avait ajouté des meubles, des bibelots qui rendaient l’appartement plus chaleureux, plus confortable. S’était devenu son chez lui, bien que l’immeuble soit régulièrement ravagé par les balles, les explosions ou une folle de la massue qui tapait partout.

Mais où était passé Kaori bon sang ! Elle lui devait des explications à propos du désordre qui régnait. Ou plutôt, du non-désordre. Ce vide était loin de le rassurer et il était certain que tout ceci ne présageait rien de bon. Néanmoins, il devait connaître la vérité même si elle risquait d’être difficile à entendre. « Faites que ce soient des cambrioleurs » pria Ryo intérieurement. Mais il savait très bien que si quelqu’un s’était introduit chez lui, il l’aurait ressenti. Même dans un profond sommeil et complètement saoul.

Rapidement, il se leva de table en abandonnant son journal et se dirigea vers la chambre de Kaori en l’appelant de nouveau. Lorsqu’il entra dans la pièce, il put faire le même constat qu’un peu plus tôt. Tout ce qui se trouvait dans la chambre était un lit et une armoire. Il ouvrit cette dernière et trouva les étagères vides. Les photos avaient disparu, plus aucune trace des massues que Kaori cachaient dans les placards, plus rien. Cette pièce était devenue une simple chambre d’ami sans propriétaire.

Il se passa une main dans les cheveux, et se demanda ce qui avait bien pu se passer. Où étaient ses affaires ? Et les meubles putain ! Comment pouvait-elle avoir tout déménagé en une nuit ? Mais surtout, où pouvait bien se trouver Kaori en ce moment ? Au Cat’s Eye ! Peut-être qu’elle était là-bas.

Il dégringola les escaliers et sauta dans sa mini. Sur le chemin, il se demanda s’il n’avait pas un peu trop bu la veille ou prit un mauvais coup sur la tête. On nageait un plein délire. Même si Kaori avait décidé de partir comme ça, du jour au lendemain, il y aurait encore des traces de sa présence malgré tout. Et il l’aurait entendu déménager les lourds meubles à elle toute seule. Non, ça devait être autre chose mais quoi ?

L’esprit tourmenté, il gara sa voiture devant le café et sortit nonchalamment, les mains dans les poches. Une façon à lui de faire comme si tout allait bien. Il poussa la porte du Cat’s Eye et repéra Miki derrière le comptoir. Aussitôt il lui sauta dessus, au sens propre du terme en s’exclamant « Ma Miki d’amour ! J’arrive ! » la bave aux lèvres. Evidemment tout ce qu’il réussit à récolter, se fut le plateau que la barmaid tenait entre ses mains. Il s’écroula par terre, complétement défiguré mais il ne s’en faisait pas trop pour ça – d’ici quelques lignes il serait tout à fait remis.

— Ce n’est pas une façon d’accueillir les clients ma Miki chérie, fit-il en essayant de l’embrasser.

— Un client qui passe son temps à sauter sur tout ce qui bouge oui, répliqua la jeune en femme en tentant de le repousser.

Les efforts de Ryo furent réduits à néant lorsqu’il sentit une main l’attraper par le col de sa veste, le soulever puis de le poser rudement sur un tabouret devant le comptoir.

— Maintenant tu t’assoies et tu ne bouges plus, gronda un géant.

Menaçant, Umibozu veillait sur Miki tandis que Ryo grognait dans son coin. Au bout de quelques minutes, une tasse de café devant lui, il posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu’il était entré au Cat’s Eye.

— Dites-moi, vous n’auriez pas vu Kaori par hasard ?

Miki et Umibozu se figèrent et fixèrent Ryo qui ne semblait pas se rendre compte du trouble dans lequel était plongé ses amis.

— Qui ça ? finit par demander Falcon.

— Bah, t’en connais beaucoup des Kaori toi ? répliqua Ryo.

Il prenait la tasse de café et la portait à ses lèvres, lorsque Miki lui demanda doucement :

— Ryo, qui est Kaori ?

Il se figea, la tasse fumante à seulement quelques centimètres de sa bouche. Un doute vint l’envahir. Une supposition tellement inimaginable qu’il ne pouvait pas y croire. Ou plutôt, il ne voulait pas y croire. Il choisit de faire comme si de rien n’était et préféra répondre :

— Bah, c’est ma partenaire. Depuis sept ans au cas où tu l’aurais oublié.

Il but lentement une gorgée de café et reposa tout aussi lentement sa tasse. Miki fronça les sourcils et Umibozu resta insondable. Ryo leva les yeux vers eux et les regarda tour à tour. Mais qu’est-ce qu’ils manigançaient à la fin ?

— Que je sache, tu n’as pas de partenaire. Tu travailles seul depuis que ton ancien partenaire, Hideyuki s’est fait tuer.

— Justement, Kaori est la sœur d’Hideyuki, insista Ryo.

Il avait la sensation de paraître idiot ou complètement à côté de la plaque. Devait-il vraiment leur expliquer qui était Kaori ?

— Ryo, Hideyuki n’avait pas de sœur, intervint Umibozu.

Comment ça il n’avait pas de sœur ? Bien sûr que s’il en avait une. Il n’était fou pour avoir rêvé à ce point-là quand même. Il se leva brusquement de sa chaise et dit :

— A quoi vous jouez ? Si c’est une blague, c’est vraiment pas drôle. Déjà ce matin, je découvre que l’appartement est complétement vide, la plupart des meubles ont disparu. Ensuite aucune trace des affaires de Kaori dans sa chambre, c’est comme si elle s’était volatilisée. Alors je vous le redemande : où est Kaori ?

Miki et Falcon ne savaient pas quoi répondre à ça, pour la simple et bonne raison qu’ils ne voyaient toujours pas qui était Kaori. Devant leur mutisme, Ryo ajouta un peu plus doucement :

— Je sais que je n’aurais pas dû lui dire tout ça hier soir, je m’en veux vraiment et vous devez m’en vouloir aussi, c’est votre amie après tout. Mais j’aimerais vraiment lui parler. Alors, laissez-moi la voir.

— Contrairement à ce que tu penses, il n’y a pas de Kaori ici, fit le géant à lunette, pas plus qu’on ne la connaît.

Ryo les contempla, complétement effaré. Il ne savait plus quoi dire, ni quoi faire. Au fond de lui, il savait qu’ils disaient la vérité. Ils avaient l’air sincère en tout cas, et puis, jamais ils ne lui auraient fait un coup pareil.

Mais cela confirmait l’horrible vérité – aussi étrange et inexplicable soit-elle – qu’il avait craint depuis le début. S’il n’avait pas rêvé et inventé Kaori – de ça, il en était certain – alors ça ne pouvait signifier qu’une chose…

Il inspira à fond et décida qu’il était temps de partir.

— Bah, c’est pas grave. Puisque ma très charmante partenaire n’est pas là, je vais en profiter pour aller draguer un peu sans risquer de prendre un coup de massue.

Il les salua et sortit sans même prendre le temps de boire son café.

— Qu’est-ce qu’il a tu crois ? demanda Miki à son mari.

— Aucune idée. Il a peut-être avalé un truc pas clair ce matin.


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