Pour trouver les bonnes réponses...

Chapitre 5 : Comme une première rencontre...

3325 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/12/2022 15:12

— De toute façon, j’ai appelé la police tout à l’heure et ils sont déjà en route. Si j’étais vous je partirais le plus rapidement possible.

Elle s’était levée et lui faisait face, le regard dur et déterminé. Ryo se leva à son tour et ouvrit ses mains devant lui afin de montrer qu’il ne lui voulait aucun mal.

— Je connais votre sœur, commença-t-il, et tout ce que je voulais s’était la revoir. Je ne lui veux aucun mal, ni à vous, ni à elle. Vous avez ma parole, mais je vous en prie, conduisez-moi à elle.

— Si vous n’êtes pas journaliste, vous êtes quoi alors ? voulu-t-elle savoir.

Ryo mit ses mains dans ses poches. S’il lui disait la vérité, serait-elle effrayée ? Il ne pouvait pas prévoir comment elle allait réagir mais avait-il le choix ? De toute façon, au point où il en était… Alors il lui répondit :

— Dans le milieu, on me connait sous le nom de City Hunter.

— City Hunter, murmura Sayuri, vous êtes City Hunter ? J’ai voulu faire appel à vous il y a quelques années.

— Mais vous ne l’avez pas fait.

C’était plus une constatation qu’une question. Sayuri baissa la tête.

— On est venu s’installer ici avec Kaori et ils nous ont laissé tranquilles, expliqua-t-elle.

— C’est pour ça que vous êtes parties de Tokyo ?

— Non, rétorqua-t-elle durement.

Ce point de la conversation était clos et Ryo n’insista pas, mais ça les ramenait à un autre sujet.

— Pourquoi voulez-vous voir Kaori ? demanda Sayuri plus doucement.

Ryo réfléchit quelques instants, cherchant le meilleur moyen pour formuler une telle réponse. Il se souvient de ce qu’il est venu chercher principalement.

— Si je vous disais tout vous ne me croirez pas mais… disons que je veux trouver des réponses.

Ils se fixèrent longuement sans rien dire. Sayuri semblait peser le pour et le contre de la situation. C’est en voyant le regard désespéré et sincère de l’homme en face d’elle finit par accepter. Il semblait dire la vérité, même s’il n’avait pas tout révélé. Mais avant toute chose, elle devait imposer des conditions :

— Premièrement, je veux que la rencontre se fasse dans un lieu public. Dans un café en ville où l’on a l’habitude de se retrouver avec Kaori. Si elle est d’accord, vous la verrez là-bas à quatorze heures.

— Bien, fit Ryo en hochant la tête.

A vrai dire, il était prêt à tout accepter du moment qu’il pouvait voir Kaori.

— Et c’est quoi la deuxième condition ?

— Que vous me promettiez de ne faire aucun mal à Kaori. Je veux dire… Ne soyez pas trop impatient avec elle et tentez de ne pas la brusquer.

Ryo fut surpris par cette demande. Kaori n’était pas du genre à se laisser abattre alors, qu’avait-il bien pu lui arriver pour que Sayuri émette un tel souhait ? Mais après tout, peut-être que Sayuri était juste une sœur un peu trop protectrice. Dans une autre vie, elle avait bien tenté d’emmener Kaori avec elle à New York afin qu’elle ne vive plus dans la violence de son monde.

— C’est promis, assura-t-il.

Un coup puissant frappé à la porte les fit sursauter tous les deux. Ils se fixèrent un instant en même temps qu’un « Police nationale ! Ouvrez » retentissait de l’autre côté. Recouvrant ses esprits, Sayuri se dirigea d’un pas assuré vers l’entrée et ouvrit la porte sur deux policiers en uniforme.

— Bonjour Madame, fit le plus grand des deux, vous nous avez appelé pour signaler un individu chez vous. Est-ce que tout va bien ?

Sayuri réfléchit rapidement. Elle pouvait toujours le dénoncer. Elle avait toujours ce pouvoir-là. Au lieu de ça elle répondit :

— Je n’ai jamais signalé quoi que ce soit.

— Pourtant, la voiture garée de l’autre côté du trottoir appartient à quelqu’un qui se trouve chez vous, non ?

Sayuri jeta un coup d’œil à la voiture en question et son visage s’éclaira.

— Oh, ça ? C’est la voiture d’un de mes anciens collègues. Il est venu me rendre une petite visite improvisée.

Au même moment, Ryo apparut dans l’entrebâillement de la porte en annonçant :

— D’ailleurs, je ne vais pas tarder à m’en aller moi.

Il adressa un bref signe de tête aux policiers en guise de bonjour puis se tournant vers Sayuri :

— Sayuri, ça été un plaisir de te revoir. Avant qu’on se quitte, j’aimerais que tu me donne l’adresse du café dont tu m’as parlé tout à l’heure.

Elle le lui donna après un moment de flottement puis Ryo s’en alla s’en demander son reste. Il entendit Sayuri derrière lui qui expliquait que le coup de fil devait probablement provenir d’un gamin du quartier qui voulait faire une farce. Sans entendre la fin de la conversation, il monta dans sa voiture et mit le moteur en marche. Ce n’est qu’une fois éloigné du quartier de Sayuri que Ryo prit conscience que le poids sur ses épaules qu’il trainait depuis des deux derniers jours se faisait plus léger. Maintenant, ne restait plus qu’à trouver ce qu’il allait bien pouvoir dire à Kaori.

Un peu plus loin, il s’acheta un sandwich qu’il mangea sur le pouce puis il fit le tour de la ville et s’arrêta au château de Matsumoto. Le paysage devait être encore plus saisissant au lever ou au coucher de soleil avec les reflets du ciel orange et mauve sur l’eau entourant le château. Le calme et la sérénité du lieux lui permirent de retrouver ses esprits après tant d’émotions traversées. Maintenant l’envie de voir Kaori se faisait plus pressante alors que l’heure du rendez-vous approchait. Il ne se serait pas cru aussi nerveux.

Comment réagirait-elle en le voyant ? Au fond de lui, il espérait qu’elle ne se souviendrait ne serait-ce qu’un tout petit peu de lui. Qu’en le voyant, elle ait un froncement de sourcil ou un geste qui témoignerait que tout n’était pas perdu. Il repensa à toutes ses années passées à ses côtés. Il devait forcément en rester quelque chose quelque part.

Les minutes s’écoulèrent et il constata subitement que l’heure n’était plus à la contemplation du paysage. Il arracha sa concentration du château et prit la direction du lieu du rendez-vous. Il se gara un peu plus loin et avant de sortir, remarqua qu’il n’avait toujours rien trouvé à lui dire. Comment est-ce qu’il allait faire s’il se mettait à faire l’imbécile et qu’elle l’écrasait sous une massue ? Coupant court à toutes pensées importunes, il sortit de sa voiture en même temps qu’un vent froid se mettait à souffler. De gros nuages s’amoncelaient au-dessus de sa tête et le temps s’assombrissait. La pluie n’était plus très loin. Il se dirigea vers le café et attendit devant l’entrée. Il était en avance pour une fois et était le premier arrivé.

Enfin, après quelques minutes qui lui semblèrent interminables, il vit Sayuri s’approcher. Elle croisa son regard et s’arrêta près de lui, le regard impénétrable.

— J’ai appelé Kaori, fit-elle, elle ne connait pas de Ryo Saeba. Mais vous avez de la chance, elle veut bien vous voir. J’espère que vous disiez vrai tout à l’heure et que vous ne lui ferez aucun mal.

— Ne vous en faîtes pas.

Ils attendirent en silence l’arrivée de la dernière invitée. Il était quatorze heures passées et elle n’était toujours pas là. Les secondes duraient désormais une éternité pour Ryo qui ne savait pas lequel de faire les cent pas sur le trottoir ou rester immobile le calmait le plus. A la réflexion, rien ne pouvait faire baisser son anxiété.

Elle arriva avec dix minutes de retard, fidèle à elle-même. Lorsque Ryo la vit, il n’en crut pas ses yeux. S’était bien elle, elle était là. Comme il avait pu le constater sur les photos elle n’avait pas changé. Elle était la même lorsqu’il l’avait vu pour la dernière fois avant qu’elle ne disparaisse mystérieusement. Il n’osa plus bouger, plus respirer ni même de cligner des yeux de peur que ce ne soit qu’une illusion et qu’elle ne s’envole. Kaori s’approcha d’eux et embrassa sa sœur. Elle s’arrêta ensuite devant Ryo qui était pétrifié.

Lorsqu’il croisa son regard, il oublia où il se trouvait et ce qui les entourait. Il perdit ses mots et toute capacité de penser.

— Enchantée de vous rencontrer. Sayuri m’a expliqué que vous vouliez me voir.

La voix de Kaori le ramena brutalement à lui et à la réalité.

— Euh… Oui…

— J’aimerais savoir une chose : comment me connaissez-vous ? demanda-t-elle, méfiante.

— C’est-à-dire que… C’est un petit peu compliqué à expliquer, fit-il en se grattant l’arrière de la tête. On pourrait peut-être entrer, il ne va pas tarder à pleuvoir.

— Non, avant, je veux savoir d’où vous me connaissez.

Toujours aussi têtue. Elle n’avait pas changé. Vraiment ? Pouvait-on rester la même personne lorsque nous menons une vie complètement différente ? Il la fixa et lui répondit :

— Je te connais… depuis que tu m’as sauvé la vie.

C’était ce qu’elle avait fait. Elle lui avait sauvé la vie, à plusieurs reprises, dans tous les sens du terme. Elle parut surprise par sa réponse mais en regardant dans ses yeux, elle le crut. Il disait la vérité et était sincère. Elle ne le connaissait pas pourtant, elle se sentait en sécurité à ses côtés. Elle se tourna vers sa sœur et lui assura :

— Tout va bien se passer, est-ce que tu pourrais nous laisser seuls quelques instants ?

— Tu es sûre ?

Kaori hocha la tête.

— Je vais faire des courses, je ne serais pas très loin en cas de besoin, assura Sayuri en jetant un regard d’avertissement à Ryo.

Elle s’éloigna, laissant Ryo et Kaori seuls tous les deux. Ils n’échangèrent pas une parole jusqu’à ce que les gouttes de pluie se mettent à tomber.

— On devrait rentrer, proposa Kaori.

Ryo poussa la porte et ils s’installèrent à une place reculée. Il y avait peu de monde à l’intérieur du café, tout était calme. L’un en face de l’autre, il ne savait pas quoi dire. Kaori parce qu’elle ne le connaissait pas et Ryo parce qu’il ne savait pas par où commencer. Ryo posa ses avants bras sur la table et se racla la gorge, sous le regard attentif de Kaori.

— Merci d’être venue, commença-t-il.

Elle opina la tête d’un air entendu. D’un regard, elle l’incita à continuer.

— Je ne sais pas par où commencer, avoua-t-il. Je dois bien avouer que je suis un peu perdu en ce moment.

Il se tut, ne sachant pas lui-même où il voulait en venir. Il aurait dû prendre plus de temps pour réfléchir et préparer ce qu’il allait lui dire. S’il lui disait toute la vérité elle ne le croirait pas et s’en irait aussitôt en le prenant pour un fou et il n’aurait pas le temps d’avoir des réponses. Les réponses à quelles questions ? « Pour trouver les bonnes réponses il faut savoir poser les bonnes questions » La phrase qu’avait prononcée la mystérieuse femme du cimetière refit surface dans son esprit. Peut-être que c’était ça le but des évènements des derniers jours, lui faire trouver les questions et leurs réponses, les bonnes cette fois, afin de ne plus refaire les mêmes erreurs. Devant le silence prolongé de Ryo en pleine réflexion, Kaori décida d’intervenir :

— J’aimerais savoir… Comment est-ce que j’ai pu vous sauver la vie ? Et quand ?

Ryo releva la tête et eut l’air de la voir pour la première fois. Il soupira et se passa une main dans les cheveux.

— A vrai dire… Si je te racontais tout tu ne me croirais pas…

— Stop ! fit-elle, je veux des vraies réponses cette fois. Je reformule autrement ma question : quand est-ce que l’on s’est rencontré pour la première fois ?

Il pouvait répondre à cette question sans trop en dire. De toute façon, s’il ne disait rien, il voyait bien qu’elle allait perdre patience. Il la connaissait bien.

— La première fois qu’on s’est rencontré, c’était un vingt-six mars. Tu étais encore au lycée à cette époque.

Il s’arrêta là, ne pouvant aller plus loin. L’image de son Sugar Boy passa furtivement devant ses yeux tandis qu’il clignait des paupières mais Kaori enchaîna avec une autre question, ne lui laissant aucun répit :

— Et j’aurais dû me souvenir de cette rencontre ?

Ryo la regarda, désespéré. Il n’allait pas pouvoir mentir. Alors il avoua :

— Oui.

Kaori se cala contre le dossier de sa chaise, plongée en pleine réflexion tout en le fixant de ses yeux noisette. Ryo évita de croiser son regard et préféra porter son attention sur la serveuse au loin. Pas un top model, mais pas mal non plus. « Non, allez Ryo, ce n’est pas le moment » se reprit-il. Au bout d’un long moment, elle demanda :

— Alors comment se fait-il que je ne me souvienne pas de vous ?

Ryo ouvrit la bouche pour répondre mais elle le coupa :

— Laissez-moi deviner, c’est compliqué et je ne vous croirais pas c’est ça ?

— Non, répondit-il avec un petit sourire, j’allais simplement dire que c’est parfaitement normal et que je m’y attendais. Après tout, c’est peut-être juste moi qui devient fou.

— Pardon d’avoir parlé trop vite, s’excusa-t-elle en rougissant légèrement. J’agis et je réfléchis ensuite.

— Je sais, j’ai l’habitude.

Aussitôt ces paroles prononcées, il les regretta. Lui aussi devrait réfléchir avant d’agir apparemment. Afin de noyer le poisson il enchaîna :

— Mais sinon, tu fais quoi ici ?

Elle baissa la tête vers ses mains qu’elle serrait devant elle et répondit :

— Je… Je travaille en tant qu’intérimaire pour la même boite que ma sœur pendant quelque temps.

— Et ça te plait ? voulut-il savoir.

— Non, lui répondit-elle du tac au tac en relevant la tête. J’étais infirmière avant… avant qu’on ne vienne habiter ici avec ma sœur. C’était un travail qui me plaisait, sauver les gens, les aider, les rassurer, me rendre utile… Et vous M. Saeba, c’est quoi votre travail à vous ?

— Moi… Tu as peut-être entendu parler de City Hunter ?

Demander à son – ancienne ? – partenaire si elle connaissait City Hunter était vraiment ironique. Il en aurait presque ri dans d’autres circonstances.

— City Hunter, murmura-t-elle en hochant la tête.

Il n’y eut aucune émotion particulière sur son visage en prononçant ce nom. Ce nom qui aidait tellement de vies…

— J’en ai déjà vaguement entendu parler, oui. C’est également le nom que Sayuri a prononcé au téléphone tout à l’heure. Vous aidez les gens qui ne savent plus vers qui se tourner c’est ça ? Ceux qui n’ont plus aucun autre recours ?

Ryo fronça les sourcils. Elle semblait bien mise au courant. Peut-être que sa sœur lui en avait parlé, à moins que… ce visage triste, ces épaules légèrement affaissées, ce regard lointain…

— Mais vous semblez bien me connaître ? dit-elle.

Il fallut quelques instants à Ryo pour comprendre qu’elle venait de lui parler.

— Ah, euh…Oui effectivement, réagit-il. Même si j’aurais aimé mieux te connaître finalement.

Conscient que ses propos pouvaient passer pour ceux d’un pervers aux yeux d’une inconnue, il tenta de rattraper le coup :

— Non ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

Devant sa panique apparente, une lueur amusée traversa le regard de Kaori. Une serveuse s’approcha, et Ryo remercia le ciel de l’avoir sauvé à temps. Ils commandèrent pour l’un un café et pour l’autre du thé. Une fois de nouveau seuls, Kaori reprit au plus grand désespoir de Ryo :

— Et qu’est-ce que vous vouliez dire Monsieur Saeba ?

— Tu peux m’appeler Ryo tu sais, fit-il pour gagner un peu de temps.

— Et qu’est-ce que vous vouliez dire, Ryo ? recommença-t-elle en appuyant exagérément sur son prénom.

— Je voulais dire que… euh, balbutia-t-il, que je te connais. Enfin, même si ta vie a changé, tu restes la même malgré tout.

Kaori s’était tout à coup renfermée, plus aucune expression ne filtrait sur son visage.

— Et d’après vous, je mène quelle vie ? lança-t-elle.

Ryo la contempla et réfléchit quelques secondes. Il jeta un coup d’œil sur ses mains et il remarqua la bague, celle qui lui venait de sa mère. Sayuri avait la même. Il n’y avait aucun autre bijou à ses doigts. Elle n’était donc pas mariée ni fiancée.

— Tu as travaillé en tant qu’infirmière mais vous êtes venu vous installer ici pour des raisons dont j’ignore la cause… Peut-être que vous en aviez assez de la grande ville et que vous vouliez un endroit plus calme... Tu n’as pas un travail qui te plaît mais tu te dis qu’un jour tout finira par s’arranger, toi et ton éternel optimisme. Tu… tu as dû rencontrer quelqu’un, un homme bien, et peut-être même que vous pensez déjà au mariage et aux enfants. Tu aimes cet endroit et tu voudrais finir ta vie ici, entouré de ta famille.

Il s’arrêta, espérant ne pas être trop à côté de la plaque, priant pour que cette version idyllique, même si elle pouvait rarement correspondre à la réalité, soit la bonne. Kaori lui jeta un regard navré et répliqua froidement :

— Vous dîtes me connaître mais en réalité, vous ne savez rien de moi.

Ryo eut le souffle coupé par le ton glacial et distant qu’elle employa. Evidemment, la réalité n’était jamais simple et joyeuse et l’expression sur le visage de Kaori ne laissait présager rien de bon. La serveuse revint avec les commandes mais c’est à peine si Ryo et Kaori l’aperçurent. L’ambiance avait perdu de toute sa chaleur. Dehors, la pluie tombait sans discontinuer et le ciel était de plomb.

Alors, Kaori ouvrit la bouche et raconta son histoire.


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