Un jour de pluie en plus

Chapitre 1 : Un jour de pluie en plus

Chapitre final

9227 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/03/2023 20:27

J’ouvre péniblement les yeux. Mon regard part à la recherche du réveil posé juste à côté de mon lit. 6h30. C’est l’heure à laquelle je me réveille chaque matin avant de partir au travail. Mais aujourd’hui, je n’ai rien de prévu. Rien d’autre qu’une journée de vide en perspective. Je remonte la couverture jusque sous mon menton, bien décidée à rester au lit alors que je n’en ai pas l’habitude.

Je me retourne et ferme les paupières. Les minutes passent et malgré moi, les rouages de mon cerveau commencent à s’enclencher. Même la chaleur des draps ne parvient pas à m’apaiser. J’enfonce un peu plus ma tête dans mon oreiller pour faire taire mes pensées mais il est déjà trop tard : je sais quel jour on est.

Dix ans. Dix ans aujourd’hui que tu es parti et m’a abandonné en me laissant seule. Chaque année, c’est comme si je recevais un coup de poignard dans le cœur en constatant qu’une année de plus me sépare de toi.

Je fais mentalement le récapitulatif des neuf autres anniversaires. Ils se ressemblent tous plus ou moins : une journée comme les autres où je fais tout pour t’oublier. Mais cette année… pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi est-ce si différent ?

Personne ne souhaite fêter un anniversaire comme celui-là…


           Days pass by and my eyes they dry and I think that I'm okay

           Les jours passent et mes yeux sont secs et je pense que je vais bien

           'Til I find myself in conversation fading away

           Jusqu’à ce que je me trouve dans une conversation qui s’efface


Mais aujourd’hui, c’est aussi le jour d’un autre anniversaire. Celui de Kaori. Elle a trente ans et une petite fête a été prévue au Cat’s Eye. Je ne peux pas y aller. Je risque de jouer les trouble-fêtes avec mon humeur sombre. Et ce n’est vraiment pas le bon jour pour attirer l’attention sur moi.

A vrai dire, je n’ai rien envie de faire aujourd’hui. Rester ici, sous mes draps me semble être la meilleur option. Si seulement je pouvais me rendormir et retrouver la douce quiétude du sommeil…

Je n’ai vraiment pas l’habitude de pouvoir penser autant à moi ni même de paresser. C’est mon père qui est la cause de mon repos forcé. Il est vrai que ces derniers temps, je suis constamment la tête dans les nuages. Je perds souvent le fil de la conversation et il en est de même pour les dossiers qu’il m’a été impossible de retrouver.

Me voyant dans cet état, mon père a voulu savoir ce qu’il m’arrivait. La vérité, c’est que je n’en savais rien moi-même jusqu’à maintenant. J’ai dit que j’étais juste un peu fatiguée ces derniers jours faute de trouver une meilleure explication. Il m’a cru mais il m’a imposé quelques jours de repos et j’ai refusé. La perspective de me retrouver seule sans rien avoir à faire de mes journées me paraissait inenvisageable.

Malheureusement pour moi, il a fallu que je me retrouve avec un père têtu et résultat, me voilà avec vingt-quatre heures devant moi que je vais devoir combler comme je peux.

Néanmoins, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’il m’a dit juste avant que je ne quitte mon poste hier soir. « Je sais quel jour on est demain, Saeko… » Il m’a regardé avec toute la tendresse qu’un père peut éprouver pour sa fille. Et j’ai même cru qu’il allait me serrer dans ses bras. Mais il n’en a rien fait et il a tourné les talons en me souhaitant un bon repos.

Après autant d’années à exercer ce métier, c’est la première fois que j’ai toute une journée devant moi à ne rien faire. Les quelques jours de repos que j’ai pu prendre par le passé étaient toujours bien remplis et j’en profitait pour effectuer quelques petites taches qui ne font pas parties de mes attributions… normales si on peut dire.

Ce travail, c’est toute ma vie. Je m’y consacre corps et âme, traquant sans relâche les criminels et ceux qui ont tenté d’échapper à la loi, les envoyant ensuite croupir en prison. Ce qui ne m’empêche pas moi-même parfois de contourner un peu les procédures habituelles pour parvenir à mes fins. Tenir mon esprit tout le temps occupé est un moyen pour moi je pense, de ne pas penser à toi. Au vide que tu as apporté en mourant.


           The way you smile, the way you walk

           La façon dont tu souris, la façon dont tu marches

           The time you took to teach me all that you had taught

           Le temps que tu as pris pour m’apprendre tous ce que tu avais appris

           Tell me, how am I supposed to move on ?

           Dis-moi, comment suis-je supposé aller de l’avant ?


Alors, lorsque la douleur devient trop lourde, lorsque la peine est insupportable, je me plonge encore plus dans le travail et ne compte plus mes heures. J’embarque quelques fois Ryo dans mes histoires en lui promettant monts et merveilles mais j’ai toujours réussi à m’en sortir d’une pirouette. De toute façon, aujourd’hui je ne peux plus rien lui promettre : il appartient à une autre… Malgré tout, cela ne l’empêche de me prêter de temps en temps un coup de main gratuitement. Le pauvre, il doit souvent se faire enguirlander par Kaori. Je le plaindrais presque.

J’ouvre les yeux en sachant pertinemment que je ne parviendrais plus à ma rendormir désormais. Je fixe le noir en face de moi. Il n’y personne pour me prendre dans ses bras, personne pour me réconforter, personne pour me dire « je t’aime » le matin. Je suis complètement seule. Et aujourd’hui, cette solitude se fait encore plus sentir. Généralement, je ne passe pas mon temps à me plaindre sur mon sort. Mais ce matin, je me retrouve seule avec mes pensées.

Peut-être que j’ai toujours voulu de cette vie finalement. Je ne suis jamais restée longtemps avec un homme, au grand désespoir de mon père, les rejetant les uns après les autres sans même prendre en considération leurs sentiments à mon égard. De toute façon, la plupart ne veulent sortir avec moi que pour être bien considéré par mon préfet de père. Le seul avec qui j’aurais aimé être n’est plus là aujourd’hui.

           These days I'm becoming everything that I hate

Ces jours-ci je suis devenu tout ce que je hais

           Wishing you were around, but now it's too late

Souhaitant que tu sois là, mais maintenant c’est trop tard

           My mind is a place that I can't escape your ghost

Mon esprit est un lieu où je ne peux échapper à ton fantôme


Je me retourne dans mon lit, agacée. Qu’est-ce qui ne va pas en ce moment ? Je pense tout le temps à toi. J’en fais même des rêves – ou des cauchemars – la nuit. C’est probablement ce stupide chiffre rond qui en est la cause. Dix ans… Quoi qu’il en soit, j’espère que cela va passer. Cette attitude ne me ressemble pas du tout.  

Tout le monde me croit froide, manipulatrice, séductrice et sans cœur. Mais la vérité est toute autre. Si je suis froide, c’est pour mieux traquer les criminels qui pullulent dans cette ville. Si je suis manipulatrice et séductrice, c’est pour mieux parvenir à mes fins dans ce monde géré par des hommes. Et si je parais sans cœur, c’est surtout afin de ne pas montrer ce que je ressens réellement. Tous les matins, j’enfile mon masque de glace avant de partir pour le travail. Le lieutenant Saeko Nogami prenant le pas sur Saeko, la femme tout simplement qui a des rêves et qui éprouve des sentiments comme tout le monde.

Je vois ton sourire dans le noir. Mon cœur se serre dans ma poitrine et me fait mal. Toi, tu savais. Tu savais que je n’étais pas ainsi. Tu savais voir au-delà de cette façade que je m’étais créée. Tu me comprenais mieux que personne. C’est comme si tu m’avais toujours connu.

Brusquement, je rejette la couverture. Je ne vais pas passer la journée à me morfondre. Je frissonne légèrement lorsque je sens le froid de la nuit m’envelopper. J’attrape le premier pull qui vient et l’enfile par-dessus ma chemise de nuit. Je me passe une main dans mes cheveux emmêlés et me lève afin de tirer les rideaux.


           Sometimes I wish that I could wish it all away

           Quelques fois, je souhaite pouvoir souhaiter que tout soit loin

           One more rainy day without you

           Un jour de pluie en plus sans toi

           Sometimes I wish that I could see you one more day

           Quelques fois je souhaite pouvoir te voir un jour de plus

           One more rainy day

           Un jour de pluie en plus

 

Le jour peine à se lever et le ciel est sombre, rempli de nuages noirs qui ne laissent pas passer l’aurore. J’entends les petites gouttes marteler la vitre telles de tous petits doigts. Et en plus il pleut. Il pleuvait aussi le jour où tu es parti…

Ma main retient toujours le rideau et mes yeux se perdent dans l’obscurité. Lorsque j’ai appris ta mort, je venais de rentrer d’une longue journée de travail. J’étais épuisée et je devais annoncer mon choix. La situation ne pouvait plus durer. C’était toi ou Ryo. J’avais longtemps hésité. Je te connaissais depuis plus longtemps que lui et on avait travaillé ensemble pendant plusieurs années. Mais je ne voulais pas choisir parce que mon choix aurait automatiquement blessé l’un de vous deux. Et je ne voulais pas vous faire de mal.

Mais ce jour-là, la sonnerie du téléphone a retenti et j’ai tout de suite senti que quelque chose n’allait pas. Légèrement tremblante, j’ai décroché et je suis tombée sur la voix de Ryo. Il m’annonçait que tu n’étais plus. Que tu étais parti. Je ne me souviens plus de ce qu’il a dit exactement mais il m’a affirmé qu’il allait te venger. Ensuite j’ai raccroché, sous le choc. Je me suis surprise à penser que finalement je n’aurais plus besoin d’annoncer mon choix. Ça ne serait pas toi. Mais jamais ça ne pourrait être Ryo.

Je me suis aussi demandé, pourquoi ? Pourquoi étais-tu parti aussi vite ? « C’est Ryo qui aurait dû mourir, pas toi » voilà ce que j’ai pensé et je m’en suis aussitôt voulu. Je devais être bien cruelle pour penser une chose pareille.

J’ai passé la nuit sur le canapé et j’avais dû m’endormir car je m’étais réveillée avec les rayons du soleil.

J’avais les yeux secs après avoir passé une partie de la nuit à pleurer mais mon cœur, lui, était brisé. Les jours qui ont suivi se sont passés dans un épais brouillard impossible à chasser. Comme si ce corps que je traînais ne m’appartenait pas. J’étais à mi-chemin entre la tristesse et l’irréel. Tout cela ne pouvait pas être arrivé si ? Tu n’étais pas réellement mort et tu allais de nouveau refaire surface. C’était obligatoire.

Pourtant, le jour de ton enterrement, j’ai dû me rendre à l’évidence. Plus jamais tu n’apparaitrais devant moi, les épaules basses, les mains enfoncées dans les poches de ton imper et tes lunettes glissant sur ton nez. Tu reposais maintenant sous une tombe en pierre parmi d’autres tombes en pierre toutes plus ou moins identiques avec pour seul témoignage que tu te trouvais bien là-dessous, ton nom gravé.

Ce triste jour-là, je m’étais faite discrète, ne voulant pas attirer l’attention de ta famille sur moi. A vrai dire, il y avait surtout tes anciens collègues et les gens de ton quartier qui te connaissaient bien. Tout le monde t’adorait. Ryo était là. Ta sœur aussi, qui était incapable de contenir ses larmes. Elle paraissait si jeune et dans son regard brillait un telle tristesse que je me suis enfuie, impuissante face à ce malheur.

Ensuite… Eh bien ensuite, j’ai appris à faire avec. Les jours se sont suivis et se sont ressemblé. J’arrivais presque à t’oublier. Les jours de pluie, il m’arrivait toujours de penser à toi mais je parvenais à garder la tristesse éloignée.

Je me détourne de la fenêtre et me dirige vers la cuisine où je me prépare du café. Je n’avale rien. Je n’ai pas faim ce matin. Comme la plupart des matins. Toi en revanche tu aurais pu manger un éléphant à chaque petit déjeuner. Tu racontais que ta sœur se plaignait de ta façon de manger et des kilos de nourriture que tu pouvais engloutir. Je la comprenais et ça m’amusait. Mais aujourd’hui, ces souvenirs sont teintés de nostalgie. Arriverais-je un jour à rire en y repensant ?

Tout en buvant par petites gorgés le café qui ne parvient pas à me réchauffer, je laisse mes pensées errées un peu plus dans le vide.


           Oh, I'm a wreck without you here

           Oh, je suis une épave sans toi ici

           Yeah, I'm a wreck since you've been gone

           Ouais, je suis une épave depuis que tu es parti

           I've tried to put this all behind me

           J’ai essayé de mettre tout ça derrière moi

           I think I was wrecked all along

           Je pense que j’ai été une épave tout le long

           Yeah, I'm a wreck

           Ouais, je suis une épave

Au bout d’un moment, je me rends compte que ma tasse est vide. Je prends donc la direction de la salle de bain d’un pas plus traînant que d’habitude. J’appuie sur l’interrupteur et la lumière vient inonder la pièce. Je me déshabille, essaie de me détendre dans un bain mais n’y parvient pas. La nuque appuyée contre l’émail froide de la baignoire, je fixe le plafond. Un plafond blanc, légèrement fissuré dans un coin. Je pense que ce plafond est comme moi. Lisse, parfait au premier abord mais fissuré en y regardant de plus près.

Je plonge la tête sous l’eau et l’eau chaude vient remplir mes oreilles et mes narines. Le silence total m’envahit, seul les battements de mon cœur résonnent dans ma poitrine. J’entrouvre les yeux et j’aperçois mes cheveux qui flottent autour de moi comme des algues au fond de la mer. Mais rien ne parvient à me réconforter. Aujourd’hui, je sens plus que jamais le poids des années qui passent. Aujourd’hui, plus que jamais, j’ai mal. Dix ans…

J’émerge hors de l’eau et je sors brusquement de la baignoire. Je m’essuie rapidement et m’entoure de ma serviette. Les cheveux gouttant sur mes épaules, je contemple le reflet que me renvoie le miroir. Celui d’une femme seule sur qui le temps a déjà marqué ses traits. Le jour où j’ai fêté mes trente ans me semble loin et je dois l’avouer, je ne vais plus pouvoir manipuler les hommes encore longtemps. Du moins, les hommes jeunes. J’ai un petit rire triste qui rebondit contre les murs carrelés de la salle de bain avant de s’éteindre rapidement.

Puis je remarque une ride entre mes sourcils qui n’était pas là il y a quelques jours. Je fronce les sourcils ce qui l’accentue encore plus. Je secoue la tête et mon reflet dans le miroir devient flou. Rapidement, je m’habille, me maquille, me coiffe et bientôt, les années semblent avoir arrêtées de s’écouler. Je suis telle que tout le monde me voit. Belle et jeune, avec un corps de rêve et un décolleté qui en fait baver plus d’un. Mais il suffirait que quelqu’un me regarde dans les yeux pour comprendre que la réalité est toute autre. Pour comprendre que j’ai peur. Peur de ces années qui passent et sur lesquelles je n’ai aucun pouvoir. Peur de finir seule jusqu’à la fin de ma vie. Peur qu’un jour, plus personne ne m’aime.

Je soupire et sors de la salle de bain. Le jour a enfin commencé à se lever et le ciel s’est légèrement éclairci même s’il reste toujours aussi gris et qu’une fine pluie tombe sur la ville. Je contemple mon appartement qui est aussi vide que ma vie. Il n’y a pas de photos, pas de décorations ni de bibelots qui témoignent que Saeko Nogami habite ici. Je me persuade que c’est à cause des journées que je passe à mon bureau plutôt que chez moi.


           They say that the time will heal it, the pain will go away

           Ils disent que le temps me guérira, que la douleur s’en ira

           But everything, it reminds me of you and it comes in waves

           Mais tout me ramène à toi et cela arrive par vagues


Après que tu sois parti, il a fallu affronter les regards des autres et toutes leurs condoléances. Tous tes anciens collègues venaient me dire qu’ils étaient désolés. La plupart soupçonnait que quelque chose nous reliait tous les deux au-delà du travail – difficile de cacher quoi que ce soit à un inspecteur de police ! Il y en a même un qui a dit que nous formions un « joli couple » … enfin, que c’était surtout grâce à moi que l’on pouvait être qualifié ainsi. Il s’était mis à rire tout seul de sa plaisanterie de mauvais goût et j’ai dû me retenir pour ne pas l’étouffer avec sa cravate. A part cet imbécile de première qui fut renvoyé dans les semaines qui suivirent, tous affichaient une mine de circonstance, le regard navré, les épaules basses.

Mon père, qui te voyait comme le gendre idéal fut lui aussi complétement atterré par ta disparition. Je pense qu’il te considérait comme le fils qu’il n’a jamais eu et qu’il rêvait d’avoir. J’ai surpris une ou deux fois une lueur de tristesse dans son regard lorsqu’il croyait être seul. Je suis sûre que tu étais la cause de ce chagrin. Il a néanmoins tenté de me remonter le moral à sa façon. Il m’a également dit qu’il était désolé comme tout le personnel de la préfecture de police l’avait fait avant lui.

Mais qu’est-ce qu’ils en savaient tous de ce que je ressentais vraiment ? Savaient-ils seulement à quel point j’étais attachée à toi ? Ce n’est qu’une fois que l’on perd un être qui nous est cher que nous comprenons à quel point nous tenions à lui. Pendant des semaines, j’ai laissé les regrets et les questions sans réponses m’envahirent. Et si j’avais fait mon choix un peu plus tôt ? Et si nous étions ensemble ? Est-ce que tu aurais été plus prudent ? Serais-tu toujours en vie ?

J’ai fini par me résonner. Personne ne fait le poids face à l’Angel Dust, même armé d’un révolver.

Il parait que le temps guérit les blessures. Mais lorsque je croyais être débarrassé enfin de ton souvenir, il refaisait surface, plus puissant que jamais. Puis les années se sont écoulées. Et le temps à finit par annihiler la souffrance. Jusqu’à aujourd’hui.

Tout ce temps et c’est à peine si je suis sortie avec un homme une fois ou deux malgré tous les efforts de mon père. Il tient à ce que je rencontre un homme afin que j’arrête de me morfondre et que je lui assure une descendance. Et des garçons de préférence. Je le connais bien…

Mais j’ai mon travail et cela me suffit amplement. Aujourd’hui est un jour un peu spécial mais pourquoi ne pas en profiter ? Après toutes ces années, j’ai bien droit à un peu de temps pour moi. Je vais pouvoir faire le point sur moi et me reposer un peu.


           The way you laugh when your shoulders shook

           La façon dont tu ris quand tes épaules se secouent

           The time you took to teach me all that you had taught

           Le temps que tu as pris pour m’apprendre tous ce que tu avais appris

           Tell me, how am I supposed to move on ?

           Dis-moi, comment suis-je supposé aller de l’avant ?

 

Je me secoue et me remets les idées en place. Je n’ai plus le temps de rêvasser. Je fais un peu de tri et de rangement dans mes placards. Je ressort des vieux trucs que j’avais oubliés : un pull trois fois trop grand, un aspirateur en panne, des verres en cristal que je n’utilise jamais… Mais j’ai vite fait le tour de mes quatre murs.

Alors, je me plonge dans un peu de ménage et découvre qu’il y en avait bien besoin. La poussière s’est accumulée un peu partout au fur et à mesure des mois qui se sont écoulés depuis la dernière fois où j’ai fait le ménage. Je frotte, astique, balaie sans m’arrêter un seul instant. Une fois l’appartement aussi brillant qu’un sou neuf, je me redresse, les mains sur les hanches et souffle sur une mèche de cheveux qui me bouche la vue. J’examine avec attention chaque centimètre carré de mon chez moi. Plus rien ne dépasse, tout est propre et débarrassé de la crasse et de la poussière.

 Alors, je relâche mes muscles et je m’écroule sur le canapé. La tête au milieu des coussins, je ferme les yeux. Cette fois, je ne lutte même plus contre les souvenirs qui refont surface.

Je repense à notre premier baiser.

Ça s’est passé quelques mois avant ta mort. Tu étais devenu City Hunter et nous nous voyions de moins en moins. Il est vrai que du temps où tu travaillais à la police nous faisions équipe ensemble ce qui nous amenait à nous côtoyer tous les jours. Ta démission a été regretté de beaucoup de personne, moi la première.

Mais un soir, à ma grande surprise, tu m’attendais à la sortie de la préfecture de police. Je sortais de mon travail après une journée plus harassante que d’habitude. Tu m’as proposé de marcher un peu après un long silence et j’ai accepté. Une fois assez loin, tu m’as demandé pardon d’avoir été si absent ces derniers temps. Entre City Hunter et ta sœur, tu n’avais pas une minute à toi. J’ai répondu que je ne t’en voulais pas. Je ne t’en ai jamais voulu à vrai dire. Je respectais ton choix de quitter la police et j’arrivais même à comprendre tes raisons. Même si j’aurais préféré que tu restes.

Nos pas nous avaient menés au parc, vide de monde à cette heure de la journée. Tu avais les épaules plus basses que d’habitude et ton regard fuyait le mien. Bien qu’heureuse de te revoir, je t’ai demandé avec une pointe d’agacement dans la voix ce que tu attendais de moi. Tu m’as fait face, osant enfin me regarder. Tout ce que tu as réussi à me sortir, c’est : « Saeko… Je… » Tu n’as pas eu besoin de finir ta phrase pour que je comprenne. Tu as paru soulagé en t’apercevant que je savais où tu voulais en venir. Même si j’aurais préféré que tu finisse ta phrase. Juste pour entendre à quel point tu tenais à moi.

Et puis, tu t’es approché de moi, et je n’ai rien fait pour m’écarter. Peut-être même que c’est moi qui ai fait le dernier pas, allez savoir. Tout ce que je sais c’est que l’on s’est embrassé. Quelques instants magiques que je n’oublierais probablement jamais. Mais mes bonnes vielles incertitudes avaient choisi leur moment pour refaire surface.

Je m’étais brusquement écartée. « Je n’ai pas encore fait mon choix » j’ai dit. Tu m’as regardé tristement. J’avais le sentiment qu’une barrière venait de se former entre nous.

Ryo ou toi ? J’aimais Ryo mais est-ce que je l’aimais autant que toi ? Peut-être. Peut-être pas. Maintenant que j’y repense, ce choix n’était qu’un prétexte afin de repousser le moment où je devrais choisir et briser le cœur de l’un de vous d’eux.

Je suis sortie de ce parc sans un mot et en éprouvant un millier de sentiments contradictoires. J’y ai beaucoup repensé ensuite, à mon geste, à tes lèvres contre les miennes, à nos souffles emmêlés. Et j’ai su… J’ai su de qui j’allais briser le cœur.

Je t’ai revu quelque fois après ça et c’était à peine si nous nous échangions quelques mots. Je voulais m’excuser pour mon indécision et pour l’autre soir mais il y avait toujours quelque chose ou quelqu’un pour venir nous déranger. Nous n’étions plus jamais seul et je crois que tu le faisais exprès aussi. Puis tu es parti et maintenant, il est tout simplement trop tard.


           These days I'm becoming everything that I hate

Ces jours-ci je suis devenu tout ce que je hais

           Wishing you were around, but now it's too late

Souhaitant que tu sois là, mais maintant c’est trop tard

           My mind is a place that I can't escape your ghost

Mon esprit est un lieu où je ne peux échapper à ton fantôme

 

Je me demande ce qu’aurait été notre vie à tous les deux si tu avais été là. Dans mes rêves les plus fous, je nous imagine mariés, avec des enfants. Nous aurions fondé une famille et nous aurions fait de cet appartement un vrai petit cocon. A moins qu’il n’ait fallut changer d’appartement pour en prendre un plus grand. Je souri face aux images qui font surface sous mes paupières.

Des cris d’enfants qui résonnent dans toutes les pièces. Des jouets qui trainent partout. Des biberons qu’il faut préparer. Des gâteaux ratés, cuisinés ensemble. Puis de la musique d’adolescent beaucoup trop forte. Des portes qui claquent aussi. Des anniversaires. Et surtout, de la joie.

La réalité me rattrape brutalement.

Nous n’aurions probablement pas eu tout ça. Nous nous serions peut-être mariés. J’aurais eu droit à une belle robe, à une belle fête, à tout ce que l’on peut rêver d’avoir pour un mariage. Mais finalement, est-ce que notre mariage aurait tenu au fil des années avec deux caractères comme le nôtre ? Sans compter nos deux travails respectifs aussi absorbants. Tu aurais sûrement voulu continuer à être City Hunter et moi… J’aurais eu constamment peur pour toi. Peur qu’un jour tu ne rentres pas. Que tu sois grièvement blessé ou pire… Les risques existaient également au sein de la police mais ce n’était rien comparé au danger que représentait ton métier « un peu » en dehors des clous.

Et ta sœur ? Qu’en aurait-elle pensée ? Aurait-elle été d’accord ? Serait-elle venue vivre avec nous ? Est-ce que ça m’aurait plus ?

Quant à l’idée d’avoir des enfants… Je ne sais même pas si tu en voulais. Pourtant, tu les adorais. Tu les écoutais comme s’ils étaient des adultes. Tu prenais en considération leur parole avec sérieux et tu ne les remettais jamais en doute. Mais moi, est-ce que j’aurais voulu en avoir ?

Je soupire. Tant de questions qui resteront à jamais sans réponse. Ce dont je suis sûre, c’est que je n’aurais jamais d’enfants désormais. Mon horloge biologique tourne et arrivé à mon âge, je ne serais plus jamais prête. Et puis, il me faudrait d’abord me trouver quelqu’un de bien…

J’ouvre les yeux et me redresse. Je tourne la tête vers la fenêtre et repousse toutes ces pensées. Le ciel est encore chargé mais il a cessé de pleuvoir. J’hésite un moment, puis finis par me lever et enfiler un manteau.


           Sometimes I wish that I could wish it all away

           Quelques fois, je souhaite pouvoir souhaiter que tout soit loin

           One more rainy day without you

           Un jour de pluie en plus sans toi

           Sometimes I wish that I could see you one more day

           Quelques fois je souhaite pouvoir te voir un jour de plus

           One more rainy day

           Un jour de pluie en plus

Lorsque j’arrive au pied de mon immeuble, l’humidité de l’air me frappe de plein fouet. J’inspire un grand coup. J’ai décidé de m’y rendre à pied. Marcher me fera du bien. L’odeur de la pluie m’emplit les narines et le vent fait voler mes cheveux. Respirer me revigore et me remet d’aplomb. Je sens mon cœur battre plus fort maintenant que je suis sortie de ma caverne telle Amaterasu, la déesse du Soleil.

J’avance à grand pas sur le bitume, traçant ma route sans m’arrêter. Ça fait un moment que je ne suis pas allée sur ta tombe. Pourquoi ? Pour me convaincre que j’ai tourné la page ? Que j’y arrive très bien sans toi ? Peu importe… Ce sont toutes des justifications stupides qui n’excusent en rien mon manquement. J’espère que tu ne m’en veux pas trop.

Un homme me hèle. Je ne me retourne pas. Des gens passent près de moi. Je ne les voie pas. Heureusement que je connais le chemin car mes pensées sont ailleurs pour la énième fois de la journée au moins. J’ai bien fait de ne pas travailler. Je commence à m’en rendre compte. Mêmes si les souvenirs continuent de me hanter comme un film que l’on serait incapable d’arrêter parce que l’on ne trouve pas le bouton de la télécommande. A moins qu’il n’y ait pas de commande d’arrêt.

Cette-fois, je repense à notre première rencontre.


           Oh, I'm a wreck without you here

           Oh, je suis une épave sans toi ici

           Yeah, I'm a wreck since you've been gone

           Ouais, je suis une épave depuis que tu es parti

           I've tried to put this all behind me

           J’ai essayé de mettre tout ça derrière moi

           I think I was wrecked all along

           Je pense que j’ai été une épave tout le long


Je venais d’intégrer la police depuis peu mais j’avais déjà entendu parler de toi. Mon père n’arrêtait pas de vanter les mérites du jeune inspecteur que tu étais. Malgré tout, la première impression que j’ai eue de toi ne fut pas la meilleure. Tu paraissais gêné d’être là, tu te grattais l’arrière de la tête en riant bêtement et tu remontais sans arrêt tes lunettes sur ton nez. A la pause, tu as renversé ton café sur moi et tu as cru que j’étais une secrétaire et non un agent de police ce qui m’a profondément énervé sur le coup. Je me suis défendue en répliquant que les femmes faisaient de biens meilleurs agents de police que les hommes, que je pouvais te montrer toutes mes compétences qui à coup sûr, étaient au-dessus des tiennes et que si ça te gênais, tu n’avais qu’à aller te faire voir.

Tu t’étais contenté de me regarder l’air ahuri. Puis tu t’étais confondu en excuse en promettant que tu ne reproduirais plus jamais la même erreur. Je ne t’ai plus revu du reste de la journée et j’ai avais été ravie.

Malheureusement, je pouvais compter sur mon père. Mon père qui était prêt à tout pour que je réussisse dans le métier. Entendant tes exploits de jeune inspecteur, il s’était empressé de nous assigner ensemble sur les mêmes affaires parce que « ce jeune homme va t’aider à gravir les échelons ». Plus nous résoudrions d’affaires, plus nous aurions de promotions. J’avais protesté contre ça, j’ai déclaré que je pouvais très bien me débrouiller toute seule, j’ai même supplié mon père de ne pas me mettre avec toi mais il a refusé.

J’ai dû donc faire avec et enfermer à double-tour mon ressentiment contre toi. Et puis, au fur et à mesure des jours qui passaient, je découvrais que notre équipe marchait mieux que ce que je pensais. Bien mieux même. Nous avons résolu notre première affaire ensemble en un rien de temps et ce fut ainsi pour toutes les autres affaires qui ont suivi.

Au bout d’un moment, tout le monde nous craignait dans le milieu et tous nos collègues nous admiraient et nous félicitaient sans arrêt pour les affaires que nous bouclions en un tour de bras. Nous étions imbattables. Un peu plus tard, on nous avait même surnommé « La belle et le clodo du commissariat ». Moi parce que j’étais la femme redoutable et toi parce que tu paraissais toujours misérable avec ton vieil imper et ton visage fermé. J’ai un petit sourire à ce souvenir.

Au fil des mois, j’ai appris à mieux te connaître. J’ai donc su que tu avais une sœur, Kaori, et que tu la chérissais autant que si vous étiez liés par les liens du sang. J’ai appris que tu avais perdu ton père très jeune et que tu n’avais quasiment jamais connu ta mère. J’ai compris également que tu étais quelqu’un de gentil, quelqu’un qui avait soif de justice tout comme moi. Mais j’ai aussi découvert que tu pouvais être affreusement têtu quand tu le voulais. Entre toi et moi, cela faisait parfois des étincelles même si ça ne durait jamais longtemps.

Malgré tout, nous nous assemblions parfaitement et nous formions une belle équipe. Et puis, tu t’es retrouvé obligé de démissionner et la belle s’est retrouvée sans son clodo.


           These days when I'm on the brink of the edge

           Ces jours-ci quand je suis au bord du bord

           I remember the words that you said

           Je me souviens des mots que tu disais

           "Remember the life you led"

           « Souviens-toi de la vie que tu menais »


Je me rends compte tout à coup que je suis arrivée au cimetière. J’étais tellement plongée dans mes souvenirs que j’en ai perdu toutes notions d’espace. Je remets en place mes mèches de cheveux malmenées par le vent et dépasse le portail.

Je vois sans vraiment les regarder les tombes qui bordent le chemin. Je me dis qu’il doit faire froid là-dessous. J’espère que tu n’en souffres pas trop. Le chemin avant de te rejoindre me parait soudain incroyablement long… Je prends conscience de chaque pas que je fais, de mon talon qui s’enfonce dans le sol, des muscles de mes jambes lorsque j’avance, des secondes qui s’écoulent. Je peux voir chaque imperfection sur une tombe, chaque brindille d’herbe qui dépasse, sentir chaque petit caillou qui roule sous ma chaussure. C’est comme si j’étais dans un film qui se déroulait au ralenti.

Puis, enfin, je tourne une dernière fois dans les allées et…

Je m’arrête soudainement à quelques pas de l’endroit où tu reposes. Il y a déjà quelqu’un. Kaori est en train de se redresser lentement tandis que Ryo, un pas derrière elle, les mains dans les poches, contemple la pierre tombale d’un air grave. Puis Kaori passe son bras sous le sien et ils s’en vont avant de se figer eux aussi quand ils s’aperçoivent que je suis ici.

Je songe soudain que je n’ai pas amené de bouquet. Tout le monde amène un bouquet de fleurs quand il va dans un cimetière, non ?

Je ne bouge pas. Je n’ai pas eu le temps d’enfiler mon masque. J’aurais pourtant dû me douter qu’ils seraient ici. J’essaie de reprendre contenance, de ne pas donner l’impression d’être aussi misérable que je dois en avoir l’air mais je sais que c’est perdu d’avance. La femme forte que je suis en temps normale n’existe pas aujourd’hui.

Soudain, Kaori se détache de Ryo et s’approche de moi. Je veux me détourner pour fuir en courant mais j'en suis incapable. J’ouvre la bouche mais aucun mot ne dépasse la barrière de mes lèvres.

Puis je sens ses bras qui m’entourent et elle me sert contre elle, sans un mot. Je me rends compte que c’est tout ce dont j’avais besoin. J’avais besoin de cette chaleur qui émane d’elle à l’instant et qui signifie qu’elle comprend ce que je ressens. Je ferme les yeux et la sert à mon tour.


           You'd say, "Oh, suck it all up, don't get stuck in the mud

           Tu disais « Oh, prends sur toi, ne reste pas coincé dans la boue

           Thinking of things that you should have done"

           A penser à des choses que tu aurais pu faire »

           I'll see you again, my loved one

           Je te reverrai un jour, mon amour


Je fais malgré tout attention à ne pas écraser son ventre déjà bien rond. J’ai été la première à qui ils ont annoncé que ce serait un garçon. Ils ont déjà choisi le prénom. Le tien. Ils m’ont demandé si ça ne me dérangeait qu’ils donnent ton prénom au bébé. Beaucoup plus émue que je ne voudrais bien l’admettre, j’avais répondu que j’en étais ravie. Que tu en aurais été content toi aussi.

Je me détache de Kaori. Elle me demande si je vais venir au Cat’s Eye tout à l’heure. Sans hésiter, je réponds que oui, ils peuvent compter sur moi. J’ai changé depuis ce matin. Je me sens comme quelqu’un d’autre.

Non.

En fait, je suis toujours Saeko Nogami, lieutenant de police, célibataire et bientôt quarantenaire. C’est juste que je me suis réveillée.

Ta sœur sourit et j’en profite pour lui souhaiter un joyeux anniversaire.

C’est au tour de Ryo de s’approcher de moi. Il me serre maladroitement et brièvement dans ses bras. Lorsque je me recule pour le regarder dans les yeux, je remarque que même cette triste journée n’arrive pas à altérer la petite étincelle qui brille dans ses yeux. Depuis qu’il a appris qu’il allait être père, je crois que c’est le plus heureux des hommes. Il en aura fallu du temps à ces deux-là pour prendre conscience qu’ils sont inséparables. En les regardant s’éloigner, j’avoue que je les envie. Un peu. Il forme le tableau que j’aurais aimé que nous formions.

Je me retrouve seule parmi toutes ces tristes sépultures. Le lieux me parait plus silencieux que jamais mais au lieux de m’attrister, ce sentiment m’apaise. Je fais quelques pas et m’approche enfin de ta tombe. Je contemple la pierre de longues minutes. Je me rend compte maintenant, que en réalité, je n’ai jamais réussi à tourner la page. Je pensais que pour passer à autre chose il fallait que je t’oublie or c’est impossible. Pas après tout ce que nous avons vécu. Pas après notre première rencontre ratée, nos missions, nos aventures, notre baiser et nos doutes. Non, là je devrais plutôt parler de mes doutes. De ceux qui nous ont maintenu à distance tous les deux alors que nous rêvions de la même chose. Et peu importe si notre histoire aurait été imparfaite du moment que c’était la nôtre. Je le comprends que trop tard…

Mais il n’est jamais trop tard pas vrai ? On peut toujours apprendre de ses erreurs. Je me suis repliée sur moi-même ces dernières années, m’enfonçant dans mon travail et ne m’amusant presque jamais. A quand remonte la dernière fois où j’ai fait le fête ? Ou j’ai bu un peu plus que la normale ? A quand remonte tout simplement la dernière fois où j’ai ri ? Vraiment ri ? Il est temps de remédier à toutes ces choses qui me manquent aujourd’hui.

Afin de tourner la page pour de bon – sans t’oublier pour autant – je m’agenouille comme Kaori un peu plus tôt et me mets à te parler.


           I'll see you again, my loved one

           Je te reverrai un jour, mon amour

           Yeah, I'm a wreck

           Ouais, je suis une épave

           I'll see you again, my loved one

           Je te reverrais un jour, mon amour

« Ça fait dix ans aujourd’hui, dis-je ne sachant pas trop par où commencer, et je crois que je ne m’y fais toujours pas. Dix ans… Le temps passe vite tu ne trouves pas ? Des années que j’ai l’impression d’avoir gâchées à vouloir me débarrasser de toi alors que tu es toujours aussi présent… En même temps qu’est-ce qui t’as pris de partir comme ça aussi vite ? Sans même me dire aurevoir ? Tu te rends compte de ce que ça m’a fait ? As-tu simplement la moindre idée de ce que j’ai ressenti lorsque j’ai appris que tu étais mort ? Comment as-tu pu être aussi égoïste ? »

Je crie presque mais je m’en fiche. Il n’y a personne pour m’en blâmer et ça me fait du bien.

« Tu t’es dit que tu préférais partir et nous laisser que de rester ? Que c’était plus facile de choisir la mort, hein ? Et Kaori ?! C’est ta sœur et tu l’as abandonné tout comme moi ! Tu n’imagines même pas le nombre de personnes qui te regrettent ! Tous tes anciens collègues, tes amis, tes voisins… Toutes ces personnes que tu as aidées et qui t’en étais reconnaissantes à vie. A vie ! Tu te rends compte du bien que tu provoquais autour de toi pour que les gens t’apprécient autant ? Sans compter ton meilleur ami et coéquipier que tu as laissé tomber misérablement. Quoiqu’il en soit, j’espère que tu t’amuses là-haut ! Profite bien parce que quand je te rejoindrais, ça ne sera plus pareil, crois-moi ! Tu arrêteras de faire la fête. »

Un pauvre sourire triste se dessine sur mes lèvres et je me radoucie. Mes derniers mots flottent dans l’air. Je n’ai pas l’intention de te rejoindre tout de suite néanmoins. J’ai encore beaucoup trop de choses à rattraper avant ça.

« Idiot, je murmure, tu me manques tu sais. »


           Yeah, I'm a wreck without you here

           Ouais, je suis une épave sans toi ici

           Yeah, I'm a wreck since you've been gone

           Ouais, je suis une épave depuis que tu es parti

           I've tried to put this all behind me

           J’ai essayé de mettre tout ça derrière moi

           I think I was wrecked all along

           Je pense que j’ai été une épave tout le long

           Yeah, I'm a wreck

           Ouais, je suis une épave

« Et maintenant, qu’est-ce qu’il me reste ? Absolument rien. Je vais devenir d’ici peu une vieille femme et plus aucun homme en voudra de moi tout ça par ta faute. Tu hésitais, tu ne voulais pas me forcer la main dans mon choix et regarde où ça nous a mené. Heureusement que j’ai des amis sur qui je peux compter de temps en temps… »

Je laisse le silence planer avant de continuer :

« Mais… Je vais essayer. Je vais essayer d’apprendre de mes erreurs passées. Je vais rendre ma vie plus agréable en commençant par donner à mon appartement un aspect un peu plus accueillant. Et je vais me dégager un peu plus de temps libre sur mon emploi du temps afin de sortir et de m’amuser. Je suis sûre que c’est ce que tu aurais souhaité… »

Te parler à fait s’envoler ce poids qui me compressait la poitrine depuis dix ans.  J’espère que tu m’as entendu là où tu es. Et je vais te montrer que je vais y arriver. Je te le jure.


           Sometimes I wish that I could wish it all away (but I can’t)

           Quelques fois, je souhaite pouvoir souhaiter que tout soit loin (mais je ne peux pas)

           One more rainy day without you

           Un jour de pluie en plus sans toi

           Sometimes I wish that I could see you one more day (but I can’t)

           Quelques fois je souhaite pouvoir te voir un jour de plus (mais je ne peux pas)

           One more rainy day

           Un jour de pluie en plus


Je me relève et contemple les inscriptions gravées sur ta tombe.

« Hideyuki Makimura

1956-1985 »

Mes yeux tracent les contours de chaque lettre, de chaque chiffre. Une inscription pour résumer qui tu étais. C’est bien peu. Tu étais bien plus qu’un nom et qu’une date. Tu étais…exceptionnel. Tu étais tout à la fois. La solidité et la tendresse. La gentillesse et l’implacable. Le juste qui contournait les lois. Tu étais celui que j’aimais.

Un rayon de soleil perce à travers les nuages et je le perçois comme une caresse. Je lève mon visage vers le ciel et ferme les yeux. Pour la première fois de la journée je me sens légère et sereine. Je vois ça comme un signe. Un bon signe.

Je me détourne et décide de me rendre directement au Cat’s Eye. Là-bas, je vais pouvoir avoir l’occasion de rire et de commencer à rattraper le temps perdu.

Je ne me retourne pas en m’éloignant mais je suis sûre d’une chose et je t’en fais la promesse : on se reverra un jour mon amour.


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