Pour quelques fleurs

Chapitre 1 : Pour quelques fleurs

Chapitre final

3883 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/04/2023 10:32

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Dansons sous la pluie - (mars avril 2023)




Elle court pour échapper à cette pluie torrentielle qui s’abat sur la ville. Même s’il est déjà trop tard et qu’elle est trempée jusqu’aux os, c’est au-dessus de ses forces de rester sous ces trombes d’eau un instant de plus.

Le souffle court, elle regarde autour d’elle à la recherche d’un endroit qui lui permettrait de s’abriter. Elle aperçoit uniquement des immeubles inaccessibles. Et son appartement à elle lui parait encore tellement loin…

Elle reprend sa course, les muscles crispés, la gorge nouée. C’en est beaucoup trop. Quand est-ce que ça va se terminer tout ça ? Elle ne parle pas seulement de la pluie qui noie toute la ville, mais aussi de la tempête qui fait rage dans son cœur. Une tempête de tristesse.

Elle s’engage dans une rue et aperçoit un couvercle de poubelle rond abandonné contre un mur. Sans plus réfléchir, Kaori s’en saisit et le porte au-dessus de sa tête, ne se protégeant qu’illusoirement de la pluie. L’eau martèle le couvercle avec force de petits bruits métalliques glacées alors qu’elle continue sa course. Ses mèches de cheveux retombent sur ses yeux et brouille sa vision.

Ses chaussures gorgées d’eau couinent sur le goudron du trottoir alors qu’elle ralentit de plus en plus son allure. Une petite bruine entoure son cœur désormais.

Quand est-ce que tout cela se terminera-t-il ?



Un peu plus tôt


De bonne humeur, Kaori contemple le paysage depuis la fenêtre entrouverte du salon. Le printemps est sur le point de faire son apparition. Déjà, le ciel est d’un bleu pur, sans aucun nuage à l’horizon pour venir troubler ce monochrome éclatant. Le soleil brille de mille feux, bien qu’il soit encore bas dans le ciel. Et les odeurs ! Des odeurs de soleil, de printemps et de fleurs. Kaori emplit ses narines de toutes ces effluves et de toutes ces sensations, heureuse de quitter l’hiver et sa grisaille pour un temps plus radieux.

Elle ferme les yeux et se laisse bercer par la chaleur des rayons du soleil sur sa peau. Elle pourrait rester ainsi pour l’éternité et prendre racine… De longues minutes, elle ne bouge pas d’un pouce, se vidant la tête de tous ses problèmes et de ses obligations.

En même temps, en ce moment, elle n’a pas grand-chose pour remplir ses journées.

Pas un client depuis deux mois.

Pas. Un. Seul.

Comment allaient-ils faire pour clôturer le mois alors qu’ils n’étaient que début avril ? Aussitôt dans l’esprit de Kaori, les chiffres de leur compte en banque au ras des pâquerettes se superposent aux factures engendrées par le coût de la vie. C’est clair, ils vont être dans le rouge ce mois-ci. Elle va encore devoir se restreindre, choisir de payer les factures les plus importantes en premières, se serrer la ceinture…

Tout ça pendant que quoi ? Pendant que son idiot de partenaire dépense LEUR argent dans les bars, court les rues à la recherche de jolies filles et se fiche totalement de trouver du travail, rechignant même à aller distribuer des tracts avec elle.

Kaori soupire profondément et rouvre les yeux. Elle ne ressent plus rien de sa bonne humeur d’un peu plus tôt. Seule une profonde lassitude de plus en plus présente ces derniers temps pèse de tout son poids sur ses épaules. Elle mettait ça sur le compte du mauvais temps une semaine plus tôt alors qu’il faisait encore gris et sombre, mais aujourd’hui ?

C’est comme si son cœur s’entourait un brouillard qui ne laissait passer aucune émotion. De temps en temps, le brouillard s’écarte légèrement pour laisser pénétrer une amorce d’émotion. C’était le cas ce matin par exemple, lorsqu’elle a aperçu ce beau ciel bleu, ou il y a quelques semaines, lorsqu’elle a admiré l’éclosion des magnifiques sakura du parc en l’occasion de Hanami. Mais le reste du temps… Il n’y a plus rien. Même lorsque Ryo lui lance une réplique acerbe ou deux et qu’il mérite la massue. Maintenant, quand c’est le cas, elle se contente de hausser les épaules et de lui tourner le dos. Et lorsqu’il se jette sur une fille dans la rue afin de voir si l’herbe est plus verte ailleurs, elle vérifie si celle-ci se défend très bien toute seule – ce qui est souvent le cas – et Kaori fait comme si de rien n’était. Sinon, si cet idiot persiste, elle lui balance une bonne vieille massue sur la tête, même si le cœur n’y est pas…

Que va-t-elle devenir si ce sentiment s’amplifie ? Finira-t-elle par se transformer en une coquille vide, incapable de ressentir des émotions ? Elle préfère ne pas y penser.

Elle s’arrache du coin de sa fenêtre et cherche mentalement de quoi s’occuper. Et en contemplant son intérieur, elle le trouve tout à coup vide. Étouffant même. Elle pourrait mettre de la musique ou bien allumer la télé en bruit de fond. Elle pourrait aussi ouvrir toutes les fenêtres en grand, mais elle sait que tout cela ne changerait rien. Ce qu’il lui faut, c’est de l’air.

Elle s’habille pour sortir, prend son sac et ses clés et quelques minutes plus tard, elle est dehors. Ne sachant pas trop où aller, elle bifurque à gauche, comptant sur ses pas pour la guider.

Elle plonge ses mains dans ses poches et tourne son visage vers le ciel paré désormais d’une fine bande de nuages. Elle aurait eu tort de se priver de cette sortie. Le fond de l’air est doux et c’est à peine si le vent fait remuer les mèches de ses cheveux. Elle redresse les épaules et marche d’un pas léger.

« Tout va bien. Tout va très bien même. »

Elle se vide la tête et se contente d’avancer tout simplement. Le poids sur son cœur s’allège avec son pas.

Elle flâne une bonne heure, mais ne s’attarde pas devant la devanture des boutiques. Cela ne servirait qu’à lui rappeler combien elle manque cruellement d’argent.

Un nuage passe et masque le soleil un instant. Kaori lève la tête vers l’horizon et constate, légèrement inquiète, que le ciel semble chargé par-delà les gratte-ciels. Elle n’a pas pensé à prendre un parapluie au cas où il se mettrait à pleuvoir… Elle hausse les épaules. Voyons, c’est ridicule. Il y avait un soleil radieux il y a quelques minutes. Ce n’est pas pour quelques nuages qu’elle va se mettre à paniquer !

Reprenant sa route, elle débouche sur une rue piétonne ou une petite foule se presse dans un va-et-vient organisé. Elle aperçoit une grande pancarte une vingtaine de mètres plus loin. Elle s’en approche et peut lire : « Fêtons le retour du printemps avec des fleurs ! ». Loin devant elle, tellement loin qu’elle n’en voit pas le bout, s’étend des stands et des stands de fleur. Les couleurs et les odeurs entêtantes l’assaillent de toute part. Elle ne sait même plus où poser son regard.

Piquée par la curiosité, elle s’avance dans la ruelle encombrée et prend le temps de détailler chaque stand, chaque composition. Certaines sont de vraies œuvres d’art, colorées et hautes de près de deux mètres et sont prises d’assaut par les appareils photos. Leurs concepteurs s’affichent fièrement à côté et répondent aux questions des visiteurs avec plaisir.

D’autres compositions florales plus petites et plus discrètes sont mises en valeur et méritent autant d’attention que les autres grâce à leur simplicité et leur pureté.

Certains stands proposent simplement des fleurs à l’unité et des bouquets. Les vendeuses affichent de grands sourires, attirant les clients. Des œillets, des tulipes, des hortensias, des lilas, des jonquilles… Il faudrait une journée entière pour énumérer toutes les variétés présentes !

Kaori se mêle aux passants et pendant un instant, elle se sent revivre. Oui, c’est le terme exact. Revivre. Telle une jeune pousse sur le point d’éclore.

Elle prend même plaisir à s’arrêter un instant et à échanger quelques paroles avec les fleuristes. Elle hume le parfum d’une fleur, effleure les pétales d’une autre, hésite à acheter une infusion à la rose… Elle ne se rend même pas compte que le soleil a disparu pour laisser place à un ciel complètement gris.

Elle aperçoit un stand au loin qui propose de raconter l’histoire de l’Ikebana, de son origine et de donner quelques conseils pour pratiquer cet art ancestral.

Puis son regard glisse sur une pile de livres décrivant toutes les significations des fleurs. Elle voudrait toutes les connaitre. C’est si beau le langage des fleurs…

Soudain, près d’un stand vendant des sachets de graines et des pots en terre cuite, elle s’arrête.

Elle plisse les yeux, se tord le cou afin de mieux avoir. Aurait-elle rêvé ? Il y a trop de monde qui lui bouche la vue. Pourtant, pendant un instant, elle avait cru…

Elle se fraie un chemin, avance de quelques mètres, pour s’arrêter à nouveau. Que fait-il ici ?

Elle contemple la silhouette de Ryo. Il semble en grande conversation avec la personne qui se tient dans le stand de fleur. Prenant garde de ne pas se faire repérer par son partenaire, Kaori se glisse un peu plus sur la droite pour voir qui est cette personne.

Son cœur bat un peu plus fort dans sa poitrine. Comme si la torpeur qui le maintenait prisonnier s’était envolé avec le parfum des fleurs.

Puis, elle l’aperçoit. Tout ce qu’elle voit, c'est qu’il s’agit d’une belle jeune femme. Tout à fait dans le style de Ryo. Plutôt grande, élancée, de beaux yeux noirs en amandes et de longs cheveux noirs piqués d’un bel hibiscus qui descendent en cascade jusqu'à ses reins.

Sa poitrine se serre lorsque la jeune femme inconnue se met à rire à ce que Ryo vient de lui dire. Un rire cristallin qui parvient jusqu’à elle. Quant à Ryo, il a une sincère, presque enfantine qui contraste avec sa tête d’imbécile baveux habituelle. Ils partagent une telle connivence, une telle complicité, que Kaori n’a qu’une envie. Fuir. Fuir loin d’ici et de leur bonne humeur à tous les deux. Jusqu’à maintenant, c’était son air idiot qui maintenait les femmes à distance, mais il semble avoir changé de technique. Et si les jeux de charme de Ryo se mettent à marcher, qu’allait-elle devenir elle ?

Une goutte tombe et s’écrase au sommet de sa tête. Elle prend enfin conscience des échanges soucieux autour d’elle. Une averse se prépare. Imprévue.

Non. Il devait faire beau. C’est pour ça qu’elle était sortie. Pour s’imprégner du soleil, de la chaleur, des fleurs et du printemps.

Elle se détourne et à toute vitesse, refait le chemin averse. Elle ne sourit plus aux vendeuses, ne regarde même plus les fleurs. À vrai dire, elle ne les voit plus. Et personne ne la remarque vraiment, tous trop occupés à jeter des coups d’œil préoccupés vers le ciel.

Chez elle. Elle doit rentrer. Elle n’aurait jamais dû sortir. Jamais.

Une nouvelle goutte tombe et s’abat sur sa joue, comme pour illustrer ses sentiments. Elle accélère un peu plus. Elle ne pensait pas être allée aussi loin.

Et soudain, le déluge. Ce qui n’était que quelques gouttes de pluie par-ci par-là se transforme tout à coup en une averse assourdissante. L’eau est froide et imbibe ses vêtements à une vitesse alarmante.

Non !

Elle ne veut pas être mouillée. Pas aujourd’hui. C’est au-dessus de ses forces. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle se retient pour ne pas hurler sa frustration. Pourquoi est-ce que tout ça lui arrive ? Pourquoi n’a-t-elle pas pris de parapluie ? Et Ryo…

Sa gorge se serre. Une larme lui échappe et rejoint la pluie.

Elle se met à courir. Elle fuit la pluie. Elle fuit son malheur. Mais rien ne va.

Les cheveux collés à son front, ses vêtements plaqués sur son corps, elle cherche quelque chose, n’importe quoi pour s’abriter de la pluie.

Elle trouve un pauvre couvercle de poubelle qui la protège à peine.

Elle ne veut pas être mouillée. Même si c’est trop tard et que tout déraille.

Elle ralentit la cadence. Elle ne voit même plus à cinq mètres d’elle. Où est passé le ciel éclatant de tout à l’heure ? Pourquoi le soleil est-il tout à coup englouti par la pluie ? Pourquoi son cœur retrouve ce brouillard qui lui pèse tant et qui lui permet de ne plus rien ressentir ?

Consciente d’être ridicule, elle abaisse son bras qui maintient le couvercle de poubelle. Elle le lâche et c’est à peine si elle perçoit le bruit métallique de sa chute sous l’averse tonitruante.

Un camion passe sur la route dans une flaque d’eau. Près d’elle. Des litres d’eau froide et sale finissent de l’arroser. Elle ouvre la bouche de stupéfaction. Elle est congelée jusqu’aux os désormais.

Elle tourne sur elle-même un instant, les muscles raidis par le froid. Elle ne sait même plus où elle est. Elle aperçoit la forme des immeubles à travers le mur d’eau opaque. Elle peut discerner la silhouette de quelques arbres au bord de la route dont les branches ploient sous les litres d’eau, les quelques fleurs de cerisier restantes écrasées par la pluie.

Elle exécute quelques pas, hagarde. L’eau glisse sur elle à présent et ne l’atteint plus vraiment. Ç'a aussi du bon parfois de ne plus rien ressentir. Elle croise quelques voitures qui roulent au pas et dont les phares percent ce rideau de pluie. Mais personne sur les trottoirs. Évidemment, il n’y qu’elle pour se fourrer dans une situation pareille.

Elle s’arrête à nouveau, ne sachant pas où elle va. Ses épaules s’affaissent et son regard s’éteint telle une fleur en train de faner.

Puis, elle entend une voix derrière elle qu’elle discerne malgré le bruit de la pluie :

— Kaori ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle se retourne à demi vers le son de cette voix qu’elle reconnaîtrait entre mille. — Ryo… souffle-t-elle.

Elle a froid, mais ne tremble même plus.

— Tu vas tomber malade si tu restes sous la pluie… Pourquoi tu n’es pas rentrée d’ailleurs ?

Il parait étonné de la voir ici. Abrité sous son parapluie, il semble attendre une réponse. Kaori se contente de hausser les épaules en fixant le sol. Elle doit avoir l’air misérable avec son allure de chien mouillé. Elle qui voulait prendre l’air se retrouve servie. Elle n’aurait jamais dû sortir…

Puis, c’est comme s’il avait tout à coup cessé de pleuvoir. L’eau ne s’abat plus lourdement sur sa tête. Elle lève le visage et s’aperçoit que c’est juste Ryo qui la protège avec son parapluie. Il aborde un regard sincère quoiqu’un peu soucieux.

— Allez, on ferait mieux de rentrer avant que tu n’attrapes une pneumonie ou un gros rhume, déclare-t-il.

— Oui…

Puis son regard descend le long du bras de Ryo, comme attiré par les couleurs chatoyantes qui représentent… un bouquet ?

— Qu’est-ce que c’est que ça Ryo ? demande Kaori, étonnée.

— Oh ! Ça ? Tu vas rire mais… c’est une longue histoire.

Il se met à danser d’un pied sur l’autre en riant nerveusement. Voyant que Kaori ne réagit pas, il prend son silence pour une demande d’explications.

— Eh bien… reprend Ryo en dansant d’un pied sur l’autre. Je me promenais dans le parc quand une femme m’a interpelée. Elle s’est pointée avec un bouquet de fleur et me l’a offert. Je sais que ça peut paraître bizarre, mais c’est la vérité… et puis tu me connais, je n’ai pas pu refuser, surtout lorsque ça vient d’une femme. Bon, c’est vrai, elle n’était pas canon et elle avait quelques années de trop… Mais avec la chance que j’ai en ce moment, je ne vais pas faire le difficile !

Il rit bêtement, attendant une réaction de Kaori qui pourtant ne vient pas.

Cette dernière fixe le bouquet qu’il tient toujours, plutôt gauchement, comme s’il ne savait pas quoi en faire. Des lys blancs légèrement rosés à l’intérieur des pétales. De magnifiques fleurs qu’une abeille rêverait de butiner pour récupérer tout le pollen… Si les fleurs en question n’étaient pas aussi trempées par la pluie…

La scène d’un peu plus tôt revient devant ses yeux. À tous les coups, c’est cette vendeuse qui lui a offert le bouquet. Ou bien il l’a acheté pour lui faire plaisir et gagner des points auprès d’elle.

Mais alors, pourquoi lui ment-il ? Il veut lui cacher qu’il voit quelqu’un c’est ça ? Qu’il a… une maîtresse ?

Kaori serre les dents et s’efforce de ne pas être atteinte. Étrangement, elle y arrive plutôt bien. Une bonne partie de cette histoire glisse sur elle et n’a plus d’emprise sur son cœur.

— Bon, on y va ? fait Ryo.

Et en même temps qu’ils se mettent en marche, il lui tend brusquement le bouquet. Les corolles mouillées penchent affreusement sur le côté et les feuilles toutes flasques retombent contre leur tige.

— Tiens, ce n’est pas pour moi ce genre de truc. Fais-en ce que tu veux.

En temps normal, elle se serait insurgée, les joues rouge pivoine, en déclarant que c’était le bouquet de Ryo et que s’il n’en voulait pas, il n’avait qu’à le jeter. Mais elle a froid, la fatigue lui tombe dessus et pèse sur ses épaules et surtout, son cœur s’est détaché de l’action, le couvrant d’une fine pluie.

Elle se met en route machinalement, son bouquet trempé à la main, reflétant parfaitement son état d’âme.


Un peu plus tard, alors que le ciel continue de décharger des trombes d’eau sur la terre, Kaori elle, sort d’une douche bien chaude qui ne l’a pourtant pas plus réchauffée que ça. Elle se passe une main dans ses cheveux humides et jette un regard morne à travers la fenêtre. Le ciel est de plus en plus sombre à mesure que le jour s’efface pour laisser place à la nuit.

— Ah ! Tu as fini, dit Ryo depuis le canapé, ça te dit un café ?

Elle hoche la tête sans prononcer le moindre mot. Elle a simplement répondu mécaniquement, ce qui n’empêche pas Ryo de déserter la pièce pour aller préparer du café.

Elle s’assoit lourdement à la table et triture distraitement entre ses doigts les fleurs qu’elle a laissées là sans même prendre le temps de les mettre dans un vase. Elle est si fatiguée. Elle voudrait pouvoir déjà se coucher. Mais arrivera-t-elle à dormir ? Avec la scène de cet après-midi qui se déroule bien malgré elle dans sa tête ? Elle ne sait pas…

Tout à coup, elle se redresse sur elle-même, les yeux rivés sur le bouquet. Son cœur cogne un coup dans sa poitrine. C’est impossible… Il n’a pas pu faire ça quand même ?! Si ? Elle n’ose pas y croire. Peut-être que son imagination s’emballe de trop, peut-être que c’est juste une coïncidence ou qu’elle est un peu trop fleur bleue…

Les doigts légèrement tremblants, elle dégage une fleur du bouquet et la lève à hauteur des yeux. Malgré les feuilles tombantes et les pétales flasques à cause de l’eau, elle reconnait cette fleur. Un tricyrtis… À toi pour l’éternité

Elle a soudain l’impression de se réveiller. C’est comme quelque chose qui se déploie dans sa poitrine et qui, brusquement, prend toute la place. C’est aussi doux que des plumes.

-Ryo… murmure-t-elle pour elle-même.

Puis, elle sourit. Un sourire sincère qui vient illuminer tout son visage. Ryo lui a offert des fleurs. À sa manière, maladroitement, mais il lui a offert des fleurs. Plus rien d’autre ne compte.


Cet après-midi-là, lorsque Ryo revint avec ses deux tasses de café, il trouva une Kaori endormie sur la table, tenant entre ses doigts une unique fleur. Et pas n’importe laquelle. Elle souriait dans son sommeil, heureuse de cette signification.

Sans un mot, il posa les tasses de café sur la table et se gratta l’arrière de la tête. Il essayait de rester nonchalant, mais un sourire menaçait de fleurir sur ses lèvres. Il avait juste voulu la faire réagir, n’espérant même plus un sourire. Juste un merci du bout des lèvres lui aurait suffi. Il avait conscience qu’en ne faisant rien, il risquait de la perdre. Il s’en était aperçu ces derniers jours alors qu’il cherchait à la rendre jalouse ou à la faire sortir de ses gonds. Sa partenaire s’effaçait peu à peu, se repliait sur elle-même et était en train de devenir inaccessible.

Puis toutes ses fleurs étaient apparues. La fleuriste était plutôt jolie en y repensant… mais c’était surtout la seule qui vendait des tricyrtis parmi tous les stands. Il avait fait taire la petite voix qui lui disait au fond de sa tête de laisser tomber et avait composé sa surprise.

Délicatement, il posa une couverture sur les épaules de sa partenaire qui ne bougea pas d’un pouce. Puis il s’installa en face d’elle et but son café pendant que la pluie continuait de tomber. Il sourit en pensant qu’il s’en sera donné bien du mal pour quelques fleurs !


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