Jade, l'apprentie humaine

Chapitre 6 : Les Cycles de Vie Modifiés

3460 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/01/2018 13:23

Livre 2 : Fraternité



Chapitre 6 : Cycles de Vie Modifiés


Quelques secondes plutôt, je marchais en suivant la troupe menée par Dana, qui semblait être la chef des armées à Thyrène, vers une destinée des plus fades.  


Maintenant, je suivais un sorcier, accompagnée de deux chevaucheurs, traversant un village détruit par des Gobelins.  


Le centre-ville duquel nous sortions semblait être majoritairement remplis de maisons, de commerces, à la fois tour ou simples cases. A l'épicentre, il y avait ce mystérieux hôtel de ville protégé par les deux tours d'archers que j'avais vu. Je ne sais pas s'il y avait autre chose. Les axes principaux qui y amenaient étaient pavés, et le reste des rues se faisait envahir par le gazon ou les mauvaises herbes. C'est ces rues là que nous empruntions, entre les maisons détruites, en essayant d'être le plus discret possible.  

Des remparts de quatre mètres maximums apparurent soudain dans mon champ de vision. 


— C'est notre chance, expliqua le sorcier sans s'arrêter. Normalement, il y a une entrée officielle sévèrement gardée. Les troupes n'ont pas le droit de sortir, et ce n'est pas tous les habitants du village qui peuvent rentrer dans cette zone. Nous, on va passer par les brèches créées par les Gobelins. Ah, et... ! 


Il s'arrêta puis se baissa si brusquement que je percutai de plein fouet son arrière-train, et culbuta par-dessus lui, en me réceptionnant avec les mains.  


— Encore plus brusque la prochaine fois, soupirais-je après m'être relevée, en époussetant ma robe.  

— Désolé... Oh mais c'est parfait, tu as été ironique ! 


Je le regardai, surprise par son enthousiasme. 


— Laisse tomber, tu vas bientôt comprendre, finit-il par dire avec un sourire gêné. Regardez plutôt cela... 


Il ouvrit sa paume devant nous et nous montra deux pièces d'or qu'il avait ramassé par terre.  


— Les Gobelins volent nos ressources et lorsqu'ils s'en vont, laissent tomber des pièces d'or. Ramassez-les systématiquement. Normalement, je les aurais mis dans ma bourse, mais étant donné qu'une certaine archère me l'a prise... ! 


"Hum... C'était pour la bonne cause, répliquai-je intérieurement". Nous continuâmes notre route vers les remparts et trouvâmes facilement une brèche dans les remparts. Nous débouchâmes sur un endroit sensiblement identique à celui qui nous venions de quitter, mais moins atteint par l'attaque. Ils se baladaient toujours de petites rues en petites rues, et pouvaient voir de là que les axes principaux étaient nettement plus utilisés.  


— Nous venons d'entrer dans le bloc sud, expliqua le sorcier. 

— Pourquoi n'y a-t-il que des femmes dehors ? demandais-je alors sans m'arrêter de courir.  

— Hein... ? Oh... 


Mais il ne répondit pas. En fait, je ne l'écoutais même pas. J'étais vraiment trop obnubilé par cette bizarrerie pour accorder de l'importance à la réponse. Si la situation n'était pas aussi dangereuse, je me serais arrêté net, trop préoccupée. Finalement, le sorcier s'arrêta devant le jardin d'une maison en rondins de bois. Il escalada la barrière, traversa le petit champ de gazon, et vint marteler la porte en bois jusqu'à ce que cette dernière s'ouvre précipitamment.  


— Mais enfin, qui-est-ce... ?! Oh, mais ne serait-ce pas mon cher Reford... ? 


L'homme qui avait ouvert était d'un certain âge. Ses cheveux gris étaient plaqués sur sa tête, et il avait une barbe ainsi qu'une moustache broussailleuse. Ses yeux étaient d'un bleu clair très vif, presque irréel. Il était un peu plus grand que moi, comme la totalité des gens ici en fait... ! Pourquoi étais-je si petite ? Quoique, les barbares n'étaient que quelques centimètres au-dessus de moi. Le sorcier aussi... C'était surtout les habitants qui étaient plus grands qu'eux de beaucoup, comme ce monsieur.  

Il portait un tricot rouge au-dessus d'une chemise blanche, un pantalon marron clair et un des sandales.  


— Tu... Tu as un nom ?! S'étonna un chevaucheur. Comme Dana !? 

—En effet, il en a un, répondit le vieux monsieur. Et moi aussi. Mais d'abord, entrez donc dans ma demeure. Reford, va attacher les cochons de ces deux chevaucheurs s'il te plaît... 


Pendant que l'intéressé s'exécutait, je suivis le vieux dans sa maison. Je ne connaissais pas encore leur nom, mais il y avait plus loin dur ma gauche un arc de cercle de canapés autour d'une cheminée au feu éteint, sur un tapis en peau d'un animal dont je ne pourrais pas dire le nom. Sur m gauche, une table ronde et un espace pour la cuisine. Puis au fond au centre, je voyais un trou dans le sol dans lequel descendait un escalier en colimaçon. Dès que Janus rentra dans la maison en fermant précipitamment la porte derrière lui, le vieil homme lui demanda : 


— Tu as faim ? 

— Je suis affamé, maître ! 


Le maître en question s'approcha alors des escaliers en colimaçon et s'écria : 


— Mélodie ! Peux-tu préparer quelque chose pour notre bon ami Janus ? 

— Bien sûr, mon amour ! S'écria une voix chantante en bas des escaliers.  

— Messieurs dames, je ne pense que vous ayiez faim par contre, devina le maître de sa voix bourru en me lançant un sourire. Par contre Janus, que compte tu faire de ces trois-là ? Ne me dis pas qu'ils comptent prendre la même destinée que la tienne ? 

— Si Janus, c'est mon choix... ! Affirma-t-il. J'en dois une à cette petite dame ici présente. Je te raconterais tout lorsque j'aurais des mets sur cette table ! 

— Tu m'aideras à les préparer j'espère mon petit magicien ! 


Je tournais le regard vers la voix chantante que j'avais entendue plutôt. 

Une femme sortait de l'escalier en colimaçon. Elle était mince, grande et d'une beauté que je n'avais encore jamais vu, avec ses yeux envoûtants et ses lèvres pulpeuses de couleur violette. Elle avait une longue robe aux cols de dentelles qui lui descendait jusqu'aux bas des tibias, ainsi qu'un tablier blanc. 


— Comment va-tu Mélodie ? S'enquit Reford en s'approchant d'elle pour l'embrasser. Je ne t'ai pas vu lors de mon dernier séjour ici.  

— Je te raconterais ça. Dis-moi Malphas... Tu nous as amenés... de la compagnie ? 

— Allons allons, ne perdons pas plus de temps, décida le maître qui s'appelait donc Malphas. Venez vous autres, vous devez sûrement être fatigués. Je vais vous amener dans dormir un peu. 


Je ne me sentais pas particulièrement fatiguée, mais au moins j'étais en sécurité ici. Alors que je pensais descendre ces fameux escaliers en colimaçons, Malphas nous amena au dehors, vers une petit cabane dans la jardin. Y étaient attachés les cochons à côté d'un tas de foin. Mais on pouvait aussi voir une petite trappe que le vieil home ouvrit.  


— Vous allez descendre ici, vous y serez à l'abri, leur dit-il. Mais avant tenez, buvez cela... ! 


Il porta la main à sa poche et en sortit une fiole en verre vert, rempli d'un liquide à la texture pas rassurante. Je portais le breuvage à mes lèvres et faillit vomir au moment où il traversa ma gorge. Les deux chevaucheurs qui me suivaient firent de même. Je me sentais petit à petit de plus en plus faible, au fur et à mesure que je descendais l'échelle. Au bas, du foin m'attendait sur lequel je m'endormis aussitôt, plongeant dans un sommeil plein de rêves étranges.  

Lorsque je me réveillai, j'étais dans le noir et sur le dos, allongé dans le foin. J'étais complètement épuisé, lassée. Comme quand... on supporte une situation insupportable depuis bien longtemps. Et puis, j'étais à la fois bien plus consciente de mon environnement. Je sentais l'odeur de renfermé de la pièce, pouvait ressentir son atmosphère lourde et dense. Quelques secondes plus tard, la trappe s'ouvrit sur une silhouette reconnaissable. 


—Comme prévu, vous êtes déjà réveillé, sourit le sorcier. Allez, venez. Nous vous attendons dans le salon.  


Je me chargea d'épousseter tant bien que mal ma robe et mes cheveux, rehaussa la bandoulière de mon carquois, et commença à remonter l'échelle. Suivie des deux chevaucheurs, je traversa le jardin jusqu'au salon et m'assit sur les canapés. Malphas était déjà installé sur un fauteuil confortable, avec un tube marron et tordu qui crachait de la fumée entre ses dents : cette dernière avait une odeur quelque peu enivrante. C'était le type de parfum qui vous empêchait de vous concentrer. Un feu crépitait dans la cheminée, et c'était la seule source de lumière. Au dehors, la rue était toujours autant animée et je pouvais voir à travers une fenêtre que des bâtiments étaient de nouveau comme neufs.  


— Bien bien, s'exclama Malphas en frottant ses mains. Soyez les bienvenus dans la demeure de Lisidior Malphas, aussi appelé maître Malphas, c'est-à-dire moi ! Reford m'a conté vos aventures. Je trouvais bizarre qu'il sauve quelques troupes lambda de cette façon, mais si j'ai bien compris, il vous doit une fière chandelle, n'est-ce-pas ? 


C'était moi qu'il regardait. Je maintint son regard sans ciller, jusqu'à comprendre de quoi il parlait : notre combat dans la forêt, et mon éclair de génie pour me sauver moi, Reford, deux barbares et un chevaucheur (que j’appellerais désormais chevaucheur1 par commodité. Quant au deuxième, qui nous as rejoint, dans l'après-midi, je l’appellerais chevaucheur2 — C'est l'inconvénient de ne pas avoir de noms...).


— Je n'ai fait que suivre mon instinct, lui dis-je, sincère. En fait, je pensais plus à me sauver moi qu'autre chose, dans l'élan de lâcheté qui m'a pris.  

— Vous avez eu peur à ce moment-là ? S'enquit soudainement Malphas en se penchant sur son fauteuil. 

— … Oui. J'ai honte de l'avouer, mais oui... 

— Et en plus vous avez honte... ! Souffla Malphas pour lui-même en s'adossant de nouveau. Formidable ! 

— je ne vois pas ce qu'il y a de formidable, répliqua chevaucheur1, les sourcils froncés. Un guerrier ne doit pas avoir peur. A ce moment-là nous devions nous battre et non pas fuir, pour protéger le village de Thyrène et ses habitants ! 

— Oui ! S'exclama Malphas de sa voix bourrue, manifestement heureux. Mais vous, vous avez fui ! Vous avez fui comme des lâches ! 

— Permettez-moi de vous dire que je n'étais pas là lors de cette guerre ! Rappela chevaucheur2. J'ai été créer au moment de l'attaque des Gobelins sur notre territoire. 

— Je ne vous permets pas de m'insulter ainsi, m'écriai-je en m'adressant directement à Malphas, empiétant sur la phrase de mon camarade. Ce n'est pas vous qui étiez au combat, encerclé par une centaine de Gobelins !

— Pourquoi avoir honte, s'enquit le vieil homme avec un sourire insondable. Avoir peur n'est pas une honte. Fuir n'est pas une honte. Au contraire : c'est la preuve que vous êtes humains ! 

— Humains... ? Répéta chevaucheur1. 


Quel était donc ce mot, me demandais-je à ce moment-là, perplexe. Ce Malphas se jouait vraiment de nous. Avec son sourire et ses yeux malicieux, il commençait à me taper sur les nerfs. Il se pencha sur la table basse centrale, ouvrit un tiroir et en sortit un bloc gigantesque dont je ne connaissait le nom. Puis, de l'une des poches de son tricot, il sortit des lunettes en demi-lune qu'il mit sur le bout de son nez. 


— Ceci est un livre, expliqua-t-il en frappant dessus, levant des volutes de fumées s'ajoutant à ceux sortant de sa bouche. Un très vieux livre que j'ai acheté à un de mes vieux amis. Il avait fait une aventure et s'était instruit, mettant le fruit de ses découvertes sur papier jusqu'à pondre ce livre aussi lourd qu'un boulet de canon. 

— Lettres sur l'humain, enchaîna Reford. C'est son nom. 


Malphas ouvrit la première page et nous montra des illustrations suivies d'annotations des plus étranges.  


— Voyez ces deux personnes qui vous ressemblent jeune archère, à vous ou à Reford ou encore à vous deux ? Ce sont des dessins d'humains. Regardez bien les caractéristiques de chacun : voici un homme, voici une femme.  


Je me mis à regarder attentivement les deux illustrations. D'un côté, le dessin d'un homme aux muscles saillants et au visage charismatique, légèrement plus grand et carrément plus bâtie que le dessin à côté, tout en courbes plus qu'avantageuses et douceurs. J'apprendrais plus tard que ces dessins étaient bien caricaturaux, mais ils me permirent tout de même de me faire comprendre que j'étais une femme. Je passai machinalement les mains sur ma poitrine, puis mes yeux s'écarquillèrent lorsque je posa mon regard sur l'entrejambe des hommes. Ils avaient une excroissance bizarre... Sûrement une tare... Oui, ce devait être cela. 


—Après avoir vu ces dessins, vous êtes en mesure de déterminer votre genre, n'est-ce-pas messieurs dames ? Devina Malphas. Mais ces dessins sont des illustrations d'humains à l'âge adulte. Or, sachez que l'humain passe par de nombreux stades avant ceux-ci.  


Quelques pages plus loin, il nous montra alors le produit de l'union d'une femme et d'un homme, qui donnait une version minime et moche d'humain. Un bébé comme disait Malphas. C'était la forme de l'humain lorsqu'il naissait. Puis il grandissait au fur et à mesure. L'homme grandissait plus vite que la femme, gagnait en muscles. La femme quant à elle gagnait en graisses, en courbes. Les hanches s'élargissaient de manière naturelle pour supporter un futur "adoubement" (ou était-ce accouchement... ? J'avais mal cmpris sur le moment) qui donnerait un nouvel enfant. Enfin, nous vîmes des images d'adultes vieillissants, avec la peau qui se détendait, les dents qui se faisaient rares, la faiblesse qui prenait le pas sur la vigueur des jeunes années. Et enfin, la mort.  


— La mort ? Demandais-je, perplexe. 

— La fin, répondit simplement Malphas. 

— Mais... pourquoi doit-il y avoir une fin ? 

— Parce qu'il y a un début pardi !  


Ma foi, oui, c'était recevable. Mais qu'est-ce qui se cachait après la fin ? Et avant le début ? Je laissai ces question pour plus tard, car une chose me turlupinait. Avant même que le vieil homme pose sa question, j'avais donc déjà la réponse : 


— Quelle est la différence avec vous, jeune gens ? 

— Nous sommes nés adultes, soufflais-je à voix basse, déstabilisée. 

— En effet, acquiesça Malphas.  

— Et on n'est pas né comme ces bébés, renchérit chevaucheur2. 

— Conclusion : vous n'êtes pas humains. Vous n'en êtes que des pâles copies. Des outils au service de véritables humains qui vous utilisent à tort et à travers. 


Sa froide constatation laissa place à un silence lourd. J'avais eu la même conclusion, mais de le dire rendait la chose irrévocable. Je me sentais comme dans un cul de sac, seule, perdue, sans aucune issue. Je n'étais pas humaine, et en plus j'étais inutile en tant qu'objet : je n'avais même pas pu effectuer ma mission première qui était de protéger le village de Thyrène. Alors que faire maintenant... ? Mourir ? Malphas sembla lire dans mes pensées et continua son speech.  


— On vous as créer, renchérit-il d'une voix faible, posant son tube marron et tordu sur la table. Vous n'êtes pas nés. C'est la première différence primordiale qui fait de votre existence une particularité. La seconde, c'est que vous ne mourrez pas, bien entendu. Un objet ne meurt pas.  

— Il se détruit, enchaîna Reford d'une voix triste.  

— Je ne comprends pas... murmura chevaucheur1.  

— Vous comprendrez quand vous verrez l'un de nos frères d'armes mourir, répondit le sorcier. Retenez simplement les deux points que nous venons d'évoquer. Autre chose : en arrivant ici, vous n'aviez pas faim, pas soif, et vous n'étiez pas essoufflés après avoir parcouru une grande partie du village. C'est une autre particularité de votre état.  


Soudain, je pensais à quelque chose : Reford avait dit avoir faim en arrivant ici. Pourtant, il était un frère d'arme lui aussi. Était-il... humain ? Je n'eus pas le temps de lui demander, Malphas enchaînait déjà. 


— Par contre, vous devenez humains au fur et à mesure que vous passez du temps hors du camp militaire. C'est pour cela que j'étais content lorsque tu as fait preuve d'ironie, archère. Car c'est un trait propre aux humains. Récapitulons : naissance, mort pour les humains, ajouta-t-il en se servant de ses mains pour mieux illustrer ses propos. Création et destruction pour vous. Vous suivez le même cycle de vie allant d'un début à une fin. Sauf que l'humain ne revient pas après être morts : Vous, si. Enfin, d'une certaine façon... 

— C'est la renaissance dont Dana a dû vous parler parlait, expliqua Malphas. En fait, vous êtes des troupes humaines augmentés. De la chair à canon illimitée : et pour cela, nous nous sommes tout simplement inspirés du déroulement de la vie humaine : les scientifiques ont appelés cela les C.d.V.M. Autrement dit, les Cycles de Vie Modifiés.  



— C.d.V.M, répétais-je pour moi-même. 


Je commençais à apprécier de plus en plus cette conversation. Certes les mots de Malphas envers notre piètre condition d'objet étaient durs, mais j'en apprenais tellement ! Des questions fusaient dans ma tête, et de savoir que j'en aurais les réponses, même partiellement, me faisait trépigner d'impatience. 




Chapitre tous les dimanches soirs (sauf imprévu... ou retard ;p)

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