Duel aux douze coups de midi

Chapitre 1 : Duel aux douze coups de midi

Chapitre final

3389 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/05/2020 16:06

Duel aux douze coups de midi

 



Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : Il était une fois dans l’Ouest (avril-mai 2020).

 




Tout a commencé à l’époque où je dirigeais une expérience de voyage dans le temps appelée Code Quantum. Lors de cette expérience, une horloge cosmique déréglée me fit passer de l’état de physicien à celui de pilote d’essai… ce qui aurait pu être amusant, si j’avais su piloter. Heureusement, je suis aidé par Al, mon ange gardien, qui me suit depuis le début. Malheureusement, Al est un hologramme et je suis le seul à pouvoir communiquer avec lui.


Bref, je me promène à travers le temps, passant de la peau d’un personnage à un autre en essayant de réparer les erreurs du passé, et j’espère chaque fois que mon prochain saut dans le temps me ramènera chez moi, et me rendra enfin mon vrai visage.

 


*



Au cours de mes voyages dans le temps, j’avais souvent été amené à « atterrir » dans le corps des personnes aux moments les plus improbables ou inopportuns qui puissent être. Que ce soit dans le Michigan en 1961 dans la peau d’une jeune femme victime de harcèlement sexuel, ou bien au Texas en 1963 au volant d’une voiture avec « ma » petite amie tandis que nous venions de kidnapper un bébé, en passant par la Californie de 1967 dans le corps d’un étudiant mêlé à d’inquiétantes manifestations, j’avais pour ainsi dire connu toutes sortes de situations plus ou moins rocambolesques.


Alors lorsque je me retrouvai propulsé dans un véritable décor de Far-West avec dans la main un pistolet à barillet dont la gâchette venait tout juste d’être actionnée, vous comprendrez que je ne fus pas vraiment étonné.


Ce qui me surprit davantage, en revanche, ce fut l’homme en bottes de cuir noires, au manteau poussiéreux et au large chapeau qui m’interpella sous le nom de Tyler, m’accusant d’avoir descendu ses trois frères, et bien décidé à en découdre avec moi, d’après le révolver qu’il s’apprêtait à dégainer de son holster pour le pointer sur moi.


Oh bravo.



***



Vous savez, on n’imagine pas le nombre de choses qui peuvent arriver en si peu de temps.


En l’espace de quelques minutes seulement, j’avais ainsi « tué » pour de faux mon opposant – un comédien censé incarner l’un des frères Kraget, une fratrie d’escrocs notoires –, appris que ma fille était serveuse dans le saloon de la ville, que mon petit-fils me vouait une admiration sans limites, et que lui et le shérif se détestaient cordialement. Il semblait en effet que j’avais la réputation de m’inventer des exploits et de raconter des histoires jugées invraisemblables par beaucoup des habitants.


Aussi, lorsqu’Al, mon acolyte de toujours et également physicien finit par arriver pour me donner, comme à son habitude, des informations sur l’époque où j’étais – le 18 novembre 1957 – ainsi que ma mission – ce qu’il ne put pas faire car il avait besoin de plus de temps pour trouver des données –, j’avais déjà glané quelques renseignements quant à mon identité et l’endroit où j’avais débarqué. Mais, laissez-moi vous dire que sans Al, je ne serais jamais allé bien loin. Il m’avait été d’une aide précieuse dans toutes les épreuves et aventures que j’avais vécues jusqu’à présent, et même s’il n’avait pu s’empêcher de se moquer de mes vêtements tout en fredonnant une vieille chanson texane un peu démodée, il restait mon guide et le plus fidèle partenaire que j’aie pu avoir jusqu’à présent.


En attendant un complément d’informations, j’étais allé faire un tour au saloon, où l’ambiance était exactement comme vous pouvez la deviner en plein Far-West de la fin des années cinquante. Imaginez une salle pleine à craquer de monde, un pianiste faisant défiler ses doigts sur son instrument avec, pour résultat, une mélodie entraînante qui emplissait l’air, ainsi que des verres de bière qui glissaient dans un bruit cristallin sur le comptoir, et, en ajoutant en touche finale des relents de vodka et de tabac, vous aurez une idée quelque peu fidèle du décor que j’avais sous les yeux.


–       Mesdames et Messieurs, le héro de Coffin Arizona, monsieur Tyler Means ! s’était exclamé le barman tandis qu’il me remplissait une chope pleine d’alcool.


Je n’y avais cependant pas touché, préférant rester pleinement lucide pour le moment. On ne sait jamais quel genre de problèmes vous attendent au tournant, et c’était sans doute là la leçon la plus précieuse qu’aient pu m’apprendre mes nombreux sauts dans le temps.



***



Si vous voulez mon avis, les ennuis commencèrent à l’arrivée en ville de « mon » ancien partenaire, Pat Knight.


–       Ce type a descendu plus d’hommes que Clint Eastwood, m’avait soufflé Al en grimaçant.


Vous comprendrez donc que ce n’était pas forcément une bonne nouvelle pour moi d’apprendre que j’étais le prochain sur sa liste.


En plus de cela, j’avais un autre problème sur les bras. On m’avait proposé un gros contrat pour avoir le droit d’adapter mes aventures à la télévision ; or dans l’histoire originelle, Tyler était mort dans l’affrontement avec Pat avant d’avoir pu finaliser ledit contrat, laissant sa femme et son petit-fils dans une position délicate. La mission consistait donc, vous vous en doutez, à empêcher Tyler de se faire abattre lors de l’affrontement, qui aurait lieu le lendemain à midi. Et le plus drôle, c’est que j’ignorais toujours pourquoi Pat en voulait tant à ma vie.


Tout compte fait, le retrouver au saloon pour tenter d’arranger la situation avec lui, pour au final finir tous les deux complètement saouls, n’était certainement pas l’idée la plus brillante que j’avais pu avoir ; et ce d’autant plus que, même ivre, Pat Knight conservait une précision et une dextérité effrayantes : suite à une pique que je lui avais lancée, il avait dégainé son révolver plus vite que l’éclair et il lui avait suffi de trois balles seulement pour briser une bouteille et en percer une autre.


Inutile de vous préciser que ce n’était qu’un élément parmi d’autres qui tendaient à prouver que demain, je me ferais descendre comme un lapin.


–       T’as quand même pas peur de te battre ? s’était étranglé Stevie, « mon » petit-fils, alors que j’étais écroulé par terre à cause de l’alcool.


Je n’avais jamais été homme à créer des conflits où à me bagarrer, mais prôner la paix dans un monde où les armes à feu et les tireurs les plus rapides font la loi… eh bien je ne pense pas avoir vraiment besoin de vous expliquer en quoi cela était complètement absurde ; et le regard mi-circonspect mi-dubitatif d’Al en train de fumer son cigare tandis que j’essayais de donner une leçon de vie à un garçon dont j’étais le seul modèle paternel depuis la disparition de son père durant la Seconde Guerre mondiale ne m’avait pas échappé. Le fait restait que, même si je persistais à vouloir empêcher que le duel entre Tyler et Knight ne se produise, aucune solution n’apparaissait être la bonne pour empêcher le drame de survenir.


Il faut que vous sachiez que, jusqu’à présent, j’avais toujours réussi toutes les missions qui m’avaient été confiées, en transmutant dans la peau de quelqu’un. Je n’avais donc aucune idée de ce qui se passerait si je n’arrivais pas à arranger les choses concernant le face-à-face de demain. J’avais été amené à avoir peur à de nombreuses reprises, au cours de mes aventures, vous imaginez bien.


C’était, peut-être plus que jamais, encore le cas cette fois.



***



J’avais beau avoir six doctorats dans diverses matières, il restait que je n’étais pas doué avec les armes à feu – ce qui ne devrait pas vous surprendre, puisque je vous ai précisé que j’abhorrais la violence. De plus, j’étais avant tout un garçon de la ferme, et je n’avais jamais eu besoin d’apprendre à m’en servir. Al, qui avait entre temps ressorti sa panoplie du parfait cow-boy, avait donc décidé de m’entraîner avant le moment fatidique, en me montrant comment dégainer avec succès mon révolver. C’était une technique qu’il avait apprise d’une strip-teaseuse de la Nouvelle-Orléans, et je préfère vous épargner les termes salaces avec lesquels il me l’avait décrite.


J’étais encore plus mauvais tireur que je ne l’avais cru au départ ; Pat qui s’était incrusté à notre entraînement improvisé avait lui réussi à pulvériser les trois bouteilles situées à environ une dizaine de mètres de nous quand moi avais été incapable d’en toucher seulement une.


–       Dis-donc, il descend aussi vite les bouteilles qu’il les boit !


Al et sa réplique à moitié fataliste, à moitié ironique, ne m’avaient pas réellement aidé à rester optimiste et à avoir confiance en moi. J’avais malgré tout, tenté une nouvelle fois d’arranger les choses comme je le pouvais. On ne pouvait malheureusement pas dire que ça avait été un franc succès. Au contraire même, la détermination de Knight n’avait fait qu’augmenter.


–       L’unique raison de ce duel, c’est ta fierté ! Et on ne peut décemment pas se lancer dans une aventure aussi grave par fierté !

–       Qu’est-ce qu’on a jamais eu d’autre, à part ça ? avait rétorqué Pat de façon rhétorique en haussant les sourcils, avant de me tourner le dos et de s’en aller, cigarette en bouche.


Ça avait été ses derniers mots avant notre duel.


Y avait-il eu un point positif, me demanderez-vous ? Eh bien, notre entrevue m’avait au moins permis de déterminer pourquoi mon ancien partenaire était si désireux d’en découdre : il prétendait être celui qui avait abattu les frères Kraget trente ans plus tôt, sauvant ainsi la petite ville des escrocs… Sauf que Tyler Means clamait pour sa part que c’était à lui qu’on devait leur mort, et pour tout vous dire, je ne savais pas du tout quelle version croire… Qu’auriez-vous fait, à ma place? Peu importait où se trouvait la vérité : le contrat pour adapter mes histoires devait absolument être signé, ou bien la fille et la petite-fille de Means se retrouveraient dans le besoin, et selon les prévisions d’Al, Stevie alternerait la prison et la liberté conditionnelle. C’était quelque chose que je ne pouvais pas accepter.


D’ailleurs, pour son jeune âge, ce garçon était sans doute celui qui me mettait le plus de pression.


–       Tu ne vas pas te dégonfler, grand-père ! Tu ne peux pas t’enfuit comme ça ! C’est toi… C’est toi qui m’as toujours dit ça ! Tout le monde en ville va dire que tu n’es qu’un lâche !


Croyez-moi, vous n’avez pas envie de voir la déception dans les yeux d’un enfant qui vous considère comme son modèle. Vous me direz que techniquement, je n’étais pas le grand-père de Stevie, et c’était la vérité, mais voir toute admiration quitter les yeux de quelqu’un, même lorsqu’il était il y a encore peu de temps un inconnu… je ne sais pas en ce qui vous concerne, mais cela me laissait une sensation particulièrement amère. Comme si j’avais déjà échoué, d’une certaine façon.


Et à part Al, malheureusement, personne n’était véritablement en mesure de m’aider, ou de me dire quoi faire. Il n’y avait personne à qui je puisse me confier, personne qui ne puisse comprendre la situation dans laquelle je me trouvais : une sorte de solitude perpétuelle qui me suivait et me collait à la peau depuis le début de mes voyages.



***



–       Steevie !


Je venais tout juste de débarquer dans le saloon lorsque l’horloge murale avait indiqué midi. Le garçon de douze ans avait pris mon ceinturon sans n’en parler à personne, dans le but d’aller lui-même affronter Pat, une tentative qui, selon Al, se serait inéluctablement soldée par la mort tragique de Stevie. Heureusement, j’étais arrivé à temps pour récupérer l’accessoire et éviter un drame.


Il ne me fallut pas longtemps pour me préparer et sortir du saloon, où Pat m’attendait. Mes bottes agrémentées d’éperons argentées résonnèrent contre les marches en bois menant au saloon. De chaque côté, des spectateurs s’étaient regroupés pour assister au dénouement ultime, dont l’issue était inévitablement… la mort. Les virevoltants se mêlaient à la poussière soulevée par le vent et l’odeur âcre de la terre sèche me prit à la gorge.


J’ajustai mes gants en cuir aussi noir que le large stetson vissé sur ma tête, tandis qu’Al me donnait ce qu’il pouvait comme derniers conseils. Il espérait rapidement trouver un « coup génial » – oui, c’était ses propres termes –, mais je doutais honnêtement que nous ayons le temps de parier sur un coup génial. J’avais appris avec l’expérience à ne pas trop me reposer sur la chance.


Ma main qui écarte mon manteau pour révéler mon holster en cuir. Mes doigts qui s’agitent nerveusement. Une tension à couper au couteau et un silence tel qu’on entend les mouches voler.


Et puis soudain, je dégaine.


Avant Pat Knight.


Je crois qu’il me fallut quelques longues secondes, à moi comme aux autres, pour me rendre compte que j’avais gagné. Al ne m’avait donné que dix-sept pourcents de probabilité de succès, vous vous rendez compte ? Il s’en était fallu de peu pour que j’échoue, et je pense que je ne saurai jamais vraiment pourquoi ce jour-là, ce fut moi qui gagnai.


Ce que je sais, par contre, c’est qu’après toutes ces émotions, la foule de spectateurs en liesse retourna précipitamment dans le saloon, et que ce fut une tournée générale offerte par la maison pour tout le monde. Le contrat pourrait être signé, « ma » famille, ou plutôt, celle de Tyler Means était désormais à l’abri et ne risquait plus rien.


Il y avait cependant quelqu’un qui peinait à profiter de la fête.


–       Pat, tu sais, ça ne veut rien dire du tout.


Il ne sembla pas surpris ou dérangé plus que cela par mon intervention. J’aurais plutôt dit qu’en réalité, il était résigné.


–       Pas pour eux, avait-il fait en désignant les gens accoudés au comptoir, en train de rire.


Un certain regret mêlé de tristesse perça dans sa voix, et je rendis alors compte que je ne pouvais pas laisser les choses en l’état. Vous savez, cette sensation qui brûle lorsque vous avez l’intime conviction que vous vous devez d’agir, envers et contre tout ? Eh bien celle que j’avais ressentie à ce moment-là faisait partie de cette catégorie. Peut-être qu’au fond, Tyler Means et Pat Knight avaient chacun eu raison ou bien tort à leur manière. De ce que j’avais pu constater, ils étaient tous les deux des héros, ou plus exactement des légendes de leur époque. Et j’avais peut-être une idée pour améliorer les choses.


–       Écoutez, monsieur Stener, l’interpellai-je en passant un bras autour de ses épaules. Je me demandais si vous aviez… un boulot de consultant ou de spécialiste en westerns pour Pat, dans ma série télévisée. On a besoin de quelqu'un comme lui, qui me rafraîchisse la mémoire !


–       Mais, Monsieur Means, il a essayé de vous tuer ! protesta le producteur, à moitié incrédule.

–       Oui, et alors ? Associés pour un jour, associés pour toujours !


Ce fut Al qui me pressa quelque peu en m’indiquant que j’allais bientôt repartir. Fini les duels à midi qui se règlent au révolver, les cow-boys à dos de cheval, les bottes qui claquent, les stetson trop grands et autres joyeusetés de l’Ouest. Ma mission ici était accomplie, et en toute honnêteté, j’avais cette fois-ci bien cru que je n’allais pas m’en tirer.


–       Et pourquoi pas lui donner un rôle dans la série ?

–       Dans la série ?


De nouveau, un air ahuri s’afficha sur le visage du producteur quadragénaire, et cela me fit quelque peu sourire. Ça ou bien peut-être était-ce le fait que je pouvais enfin décompresser, maintenant que ma vie et celle de tous les autres n’était plus en danger.


Et malgré sa façade froide et austère, je pouvais sentir que derrière ce masque, Pat Knight était tout simplement heureux de se voir offrir une telle opportunité, et sa fierté devait y être pour quelque chose. Finalement, non seulement j’avais accompli ma mission, mais en plus de cela, j’avais même été plus loin encore. C’était, je devais le reconnaître, la même satisfaction intense à chaque fois d’avoir résolu les problèmes de quelqu’un, et je pense que c’est un sentiment que vous devez sûrement connaître, vous aussi.


–       Il y a un problème, Stener ?


La voix grave et menaçante du vieux Pat aurait sans doute suffi à faire trembler les noms des plus grands bandits du Far-West, comme Billy the Kid ou bien Calamity Jane, en leur temps. J’étais certain qu’il n’aurait aucun mal à s’intégrer à la série, et puis Means lui devait bien cela, en guise de compensation pour leur différend. Désormais, le vieil octogénaire allait pouvoir raconter ses histoires légendaires à toute la ville, et j’espérais très sincèrement pour lui qu’il ne se ferait pas d’autres ennemis, mais si je me fiais à Al, il ne risquait plus de lui arriver quoi que ce soit de grave. Ainsi, on pouvait définitivement dire que tout se terminait bien pour cette famille.


Et ce fut sur un clin d’œil complice échangé avec Knight et un petit pincement au cœur que je quittai définitivement le monde des westerns et du Far-West pour une nouvelle destination qui m’était encore inconnue, mais avec cette même certitude qu’Al serait à mes côtés.


Comme à chaque fois, une nouvelle mission attendait que je l’accomplisse.

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