Code Quantum : les voyages oubliés

Chapitre 2 : 16 Juillet 1977, Blueberry Hill

1491 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/10/2022 14:53

Chapitre 2 :

16 Juillet 1977, Blueberry Hill


Une autre chose à savoir sur le voyage dans le temps, c'est que lorsque j'emprunte la vie de quelqu'un dans le passé, cette personne se retrouve à ma place dans le futur, dans la salle d'attente du projet Quantum. La nature a horreur du vide, voyez-vous. Lors de l'absence de Al, j'ai fini par comprendre que c'était également le cas de Kyle: C'était le départ de son ami qui lui causait autant de colère. Et c'est par crainte de cette colère que Dan avait gardé ses fiançailles, et de facto son départ, secrets.

Nous avions passé une bonne partie de la matinée à démêler les filets, et les mettre en place, sans s'adresser un mot. Après la pause casse-croute, Roscoe m'ordonna de remonter les caisses et les pains de glace de la cale.

Alors que j'empilai les caisses au pied de l'escalier, un grincement métallique se fit entendre, m'indiquant le retour de Al.

-Du nouveau ? Demandait je, optimiste.

-Un peu, commença t'il. Ce pauvre garçon est un plutôt désorienté, mais on a pu discuter. Son projet, c'est d'ouvrir un chenil sur la côte avec Teresa, il n'a parlé que de ça.

Mon ami fumait l'un de ses éternels cigares, et par chance, Al étant un hologramme, l'odeur du Havane m'étais épargnée.

-Vous n'avez pas parlé de Kyle?Continuais-je en empilant ma dernière boite.

Al avait vraiment de la peine pour le gamin qui était en salle d'attente. Il reprit avec de grands gestes, sans véritablement s'emporter :

-Si, mais le pauvre était resté sur son histoire de chenil. Le transfert l'a sacrement secoué.

-Qu'est-ce qu'il a dit ?

-Il a parlé de Blueberry Hill. Sûrement là où ils installeront le chenil, supposa mon ami dont le regard se perdit dans le vide, puis il ajouta, le sourire aux lèvres : c'était ma troisième femme qui aimait les chiens... Non la seconde...

-Blueberry Hill, c'est une chanson ?

Il eut un regard désolé :

-Ce ne doit pas être si simple Sam...


Le ciel était gris lorsque j'émergeai des entrailles du bateau avec la dernière caisse. Tout en gardant un œil sur les nuages, Roscoe faisait lentement tourner la grande roue de la potence, qui cliquetait à chaque tour, remontant à la force de ses bras le cordage et les filets. Kyle, en sueur, en dégageait d'énormes poissons argentés. Le chalutier commençait à tanguer méchamment. Le jeune homme me lança un regard mauvais :

-Tu traines vieux ! On s'active !

Il commença à me lancer un par un le lourd butin. Chaque thon faisait entre vingt et trente kilos, chaque filet en remontait des dizaines. Les remous et le pont glissant compliquaient légèrement l'entreprise. Le plus dur était de garder la cadence. L'ambiance était pesante. Dan et Kyle étaient amis depuis l'enfance, et travaillaient ensemble depuis l'adolescence, j'étais véritablement peiné d'imaginer une amitié si profonde malmenée par des choix de vie. Al nous avez rejoints sur le pont, m'incitant du regard à trouver une solution. Je commencai a remplir ma troisième caisse qu'une idée me vint. Sans trop y croire, je me plaçai de nouveau à la réception, et entonna d'une voix claire :

-I found my thrill, On Blueberry Hill...

Roscoe et Kyle stoppèrent leur besogne, posant sur moi un regard surpris. Je continuais :

-On Blueberry Hill, when I found you...

Inquiet, Al vint lentement me faire face :

-Sam, à quoi tu joues ?

Un poisson lui traversa la poitrine, Kyle venait de reprendre le travail en chantant :

-The moon stood still.

Accompagné par son père :

-On Blueberry Hill.

Nous chantions en cœur. Même Al, que mes compagnons ne pouvez ni voir ni entendre, chantait avec nous :

-Though we're apart

You're part of me still

For you were my thrill

On Blueberry Hill.

Kyle ne pu contenir son sourire lorsque son père éclata de rire :

-Haaaa, mes enfants ! Ça faisait des mois qu'on n'avait plus travaillé en chantant !

Cette remarque douce amère, finit par faire craquer Kyle qui m'envoya :

-On se verra toujours sur la jetée.

Avant de m'envoyer un thon massif dans l'estomac et d'ajouter moqueur :

-La pêche, c'est pour les hommes.

Pris dans l'ambiance bon enfant du moment, Al rétorqua, oubliant que personne ne l'entendait:

-Les hommes ont une femme qui les attend au port! Et il ajouta pour lui-même : Enfin, une femme dans chaque port, c'est pas mal non plus.

Amusé, je repris ces mots à mon compte, a l'attention de Kyle:

-Les hommes ont une femme qui les attend au port.

-C'est vrai ça fiston ! renchérit Roscoe. J'veux des p'tits Kyle junior moi!

L'heure qui suivie fut dédiée à l'évocation du passé, et bien évidemment, je feins de me souvenir de chaque détail évoqué par Roscoe, ainsi que de chacune des blagues de Kyle. Nous n'avions pas terminé de remonter le dernier filet, que le ciel avait viré au gris, le baromètre avait chuté, et une pluie lourde et continue s'abattit sur le Amélia. Roscoe délaissa sa poulie et se dirigea vers la cabine :

-Allez chercher les cirés, nous ordonna-t-il alors que, depuis la cabine, il allumait deux larges spots qui sortirent le pont de la pénombre.

Il ajouta :

-Les vents vont nous prendre de court, je pensais qu'on aurait plus de temps.

Kyle s'emporta :

-Tu n'as pas pris le temps de mieux vérifier la météo ?!

-Les cirés fiston! Vociféra son père.

Tandis que Kyle et son père était en pleine dispute, Al m'interpella de sa voix éraillée :

-Sam!

Sur le pont, Al était parcouru d'interférences.

-Sam! Ziggy me dit que nous sommes en train de perdre le signal!

La projection holographique trouble de mon ami était de nouveau fixe dans l'espace, traversée par le pont qui allait et venait verticalement.

-Je suis désolé... Pouvoir... Dès que possible.

Le contact avec Al venait d'être rompu, mon partenaire venait de disparaitre. Je ne le reverrai très certainement qu'après mon prochain saut dans le temps. Ce qui ne se produira qu'une fois le Amélia sorti de la tourmente.

Le navire balancé par la houle mettait à mal notre équilibre, les vagues se faisant de plus en plus haute. Après avoir encaissé le coup de la disparition de Al, je pris Kyle par les épaules, et je dû elever la voix tant la tempête prenait de l'ampleur :

-On va gérer une chose à la fois!

Une déferlante de plusieurs mètres de haut assombris alors le ciel, et se laissa tomber de toute sa masse à tribord.

L'espace d'un instant, je fus sonné, couché sur les caisses renversées, le visage contre le pont balayé par le vent. Je ne pus que constater l'étendue des dégâts en ouvrant les yeux: la cabine avait été en partie enfoncée sous le poids de l'eau, et toutes ses vitres avaient volé en éclats. Kyle était à genou, son père gisait au milieu des débris.

Le ronronnement du moteur s'était tu, mais le groupe électrogène alimentait toujours quelques écrans ainsi que le spot restant qui avait était épargné lors de l'assaut des flots. Kyle avait le regard paniqué alors que posait la main sur son épaule. Couché sur le dos, Roscoe avait le souffle lourd et une vilaine plaie sur le front.

-Ça pourrait être pire ! Hurlais-je par-dessus le vent. On n'a pas le choix : il faut le descendre à la cale !

Kyle acquiesça d'un hochement de tête. Le capitaine devait dépasser les cents kilos. Le trainer à deux sur le pont mouillé ne fut pas si compliqué, mais le descendre par l'escalier fut une épreuve. Je pris la tête des opérations :

-Retiens le d'en haut des marches, je vais soutenir son poids au mieux.

Si nous n'avions pas crevé l'abcès, je doute que Kyle aurait été disposé à écouter mes conseils.

Il y avait une dizaine de marches trempées pour descendre au cœur du Amélia. Et mon pied glissa sur la dernière, foulant ma cheville, et me faisant lâcher qui s'étala dans les cirés jaunes que la houle avait éparpillés sur le sol. Kyle se précipita vers son père. Il respirait toujours, mais le sang lui coulait sur le visage. Je me redressais tant bien que mal et resta assis. Kyle chercha sur quelques étagères et récupéra une mallette de métal rouge. Il en sorti une compresse, du bandage et entoura au mieux le crâne de son père, puis se tourna vers moi :

-Il faut qu'on remonte : le filet nous déséquilibre, et il faut relancer les moteurs pour reprendre la main sur ce rafiot.

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