Les Clairs de Lune d'Arlequin

Chapitre 4 : Les Gars Trop Entreprenants

3804 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/02/2024 23:50

La lune avait commencé à décroître, et à reprendre une forme gibbeuse. Des nuages épais passaient régulièrement devant elle, mais ce qui la masquait le plus, c’étaient les lumières de la ville. En effet, ce soir-là, toute la cité était en fête, car la plus grande foire de l’année s’était installée dans le quartier du palais, et des marchands étaient venus de toute l’Europe pour proposer leurs produits.

Ayant fermé sa boutique plus tard que d’habitude, afin de permettre aux badauds de récupérer une ultime commande avant de se rendre au festival, il faisait déjà nuit lorsque Arlequin traversa la place centrale, qui était sur son chemin. D’habitude très calme à cette heure-ci, elle était particulièrement animée ce soir-là. En son centre, un cracheur de feu et des jongleurs émerveillaient la foule compacte qui se massait tout autour d’eux. En périphérie, de nombreux troquets provisoires avaient été installés pour la soirée, afin de permettre aux participants de souffler et de se restaurer. En s’approchant de l’un d’eux, Arlequin entendit une voix qui lui sembla familière et, sans qu’il fût capable de mettre immédiatement le doigt dessus, désagréable. Il se tourna dans la direction d’où elle provenait et aperçut trois personnes assises autour d’un tonneau qui leur servait de table, et sur lequel étaient posées trois chopes. L’une de ces individus était frère Lubin, le moine qui s’était inséré sans y être invité dans la conversation qu’il avait eue avec la mère Michel, en compagnie de Pierrot, quelques jours auparavant. Son bras gauche enlaçait les épaules d’une jeune fille, vêtue comme une bergère, qui se tenait contre lui. Face à eux, un homme de haute stature, les épaules larges et la moustache négligée : le père Lustucru. Il réagissait aux propos que frère Lubin venait de tenir, et qu’Arlequin n’avait pas pu discerner précisément :

 

« Alors comme ça vous vous êtes connus à la confession ? Oh, c’est totalement incongru votre affaire.

– Oui, répondit le moine de sa voix sirupeuse, elle avait commis quelques menus péchés qui pesaient sur son cœur si noble et tendre, et a jugé nécessaire de venir m’en faire part.

– Oh ben ça, reprit Lustucru de sa voix rauque, quels péchés une jeune bergère d’apparence si innocente a-t-elle bien pu commettre ?

– Je suis dans le secret de la confession mon frère.

– Non mais ne vous en faites pas, j’assume mes actes, fit la bergère d’une voix traînante. J’étais en train de faire un fromage avec le lait de mes moutons, et un crétin de chaton est venu plonger le menton dedans. Je me suis un peu emportée, et la pauvre bête n’a pas survécu au châtiment que je lui ai infligé.

– Oh je compatis, reprit Lustucru. C’est pénible les chats. J’avais récupéré celui de la mère Michel, une vieille folle qui habite dans la maison d’en face. J’espérais réussir à le revendre. Quelle grossière erreur ! Il a complètement chambardé mon intérieur. Ce n’est pas l’envie de l’occire qui me manquait, mais il a réussi à s’enfuir de chez moi avant que je ne lui règle son compte. Remarquez, je n’ai plus de problème avec lui au moins, maintenant.

– Eh bien mon frère, lui répondit le moine sur un ton goguenard, il faudra envisager de venir confesser vos pensées impures.

– Je n’y manquerai pas à l’occasion, rit Lustucru. Mais dites-moi, mon frère, comment se fait-il que vous soyez à confesse, c’est une activité réservée aux prêtres normalement, pas aux moines.

– Ah mais figurez-vous que j’étais curé, jadis, cher ami. J’exerçais à Camaret, mais j’ai été muté et dégradé suite à des histoires sans importance. Disons juste que ma volonté d’intégrer les mœurs locales à ma mission n’a pas été très bien perçue par la hiérarchie. Ce qui est fort regrettable à mon sens. Mais vous savez ce que c’est, les évêques, les cardinaux, ils restent entre eux, et ne sont plus au contact de la population. Ils n’ont aucune connaissance du terrain, contrairement à nous.

– C’est injuste, appuya la jeune bergère, vous qui prenez si grand soin de vos fidèles !

– Tiens, reprit Lubin, ne serait-ce pas le marchand de bonbons que voilà ? »

 

Arlequin sursauta, surpris que leur attention se fût portée sur lui. Il s’inclina respectueusement pour saluer l’étrange trio, et s’apprêtait à reprendre sa marche, ne souhaitant pas s’éterniser avec eux, lorsque Lustucru l’interpella à son tour :

 

« Allez gamin, viens donc t’asseoir avec nous. J’offre la prochaine tournée !

– C’est que, hésita Arlequin, je n’ai guère l’habitude de boire.

– Eh bien c’est l’occasion d’apprendre. Il est temps qu’on fasse de toi un homme ! »

 

Ainsi, c’est sans entrain qu’il prit place à leurs côtés. Lustucru interpella une jeune serveuse d’une voix puissante, et siffla en faisant tourner son doigt autour des chopes vides.

 

« Mettez-en quatre cette fois ! »

 

La jeune fille revint rapidement avec la commande et repartit aussitôt vers d’autres clients. Lustucru la regarda s’éloigner en la fixant d’un air rêveur. Puis il déclara :

 

« Oh, elle a une fort jolie croupe, qui balance bien de gauche à droite quand elle marche. Quel dommage qu’elle ait l’air si farouche ! »

 

Puis, levant sa chope, il déclara :

 

« À nos deux jouvenceaux ! »

 

Les chopes s’entrechoquèrent au-dessus du centre de la table, et chacun ramena la sienne à soi. Lustucru et Lubin aspirèrent bruyamment la mousse, la jeune bergère trempa délicatement ses lèvres, et Arlequin manqua de s’étouffer, surpris par l’amertume du breuvage, plus prononcée que ce à quoi il s’attendait. Les malheurs de ce dernier déclenchèrent de vifs éclats de rires à la table :

 

« Alors gamin, demanda Lustucru, c’est la première fois que tu touches de l’alcool ?

– Non, non, c’est juste que…

– Faut te ressaisir bonhomme, regarde, même la petite arrive à avaler ça sans trembler !

– C’est que j’ai de la bouteille, répondit la jeune bergère avec un sourire malicieux.

– N’empêche, s’il est avec les filles comme avec l’alcool, il est pas sorti de l’auberge le pauvre ! reprit Lustucru, dont le rire devenait de plus en plus gras.

– Oh, fit Lubin les yeux brillants, je suis certain que les bonbons sont un merveilleux appât, et qu’il est moins innocent qu’il n’en a l’air.

– C’est pas vrai ! s’exclama Lustucru. Sous son air innocent se cacherait en réalité un vrai Don Juan ?

– Eh bien, fit Arlequin en rougissant sous la pression des regards tournés vers lui. Ce n’est pas ce que vous pensez. Mes clients me demandent des bonbons, je les leur vends, et c’est tout. Il n’y a rien de particulier à imaginer. C’est important qu’ils puissent faire leurs courses tranquillement... »

 

Les deux hommes poussèrent un soupir de déception.

 

« Je crois qu’il va falloir qu’on le forme, dit finalement Lubin. Là, ça ne va pas du tout.

– Je veux bien m’en occuper, si tu n’y vois pas d’inconvénient, chéri, dit la bergère. Ou alors on peut faire ça ensemble. En tout cas faut l’aider le pauvre, parce qu’il n’arrivera à rien tout seul si on n’en fait pas un vrai mec…

– Une petite démonstration serait sans doute une bonne chose, ma mie, répondit Lubin avec son sourire licencieux et le regard luisant. Procédons par étapes.

– Oh, mais faut carrément commencer par le début, là, s’exclama Lustucru. Ça ne sert à rien de lui apprendre à cuisiner la truite s’il ne sait même pas comment fixer un bon appât à son hameçon ! Il est important qu’il apprenne d’abord à pêcher la gueuse ! »

 

Arlequin trouvait la situation de plus en plus inconfortable. Il n’avait vraiment pas envie d’aborder ce genre de sujet avec des gens pour lesquels il ne ressentait aucune affection ni proximité particulière, et qui ne lui inspiraient pas confiance. Il sentait des palpitations au niveau de la tempe, et de la sueur sur son front. Son visage avait dû rougir, et son malaise était immanquablement perceptible. Mais cela ne semblait pas déranger ses compagnons de tablée.

Lustucru se pencha afin de se rapprocher de ses interlocuteurs et reprit sur le ton de la confidence :

 

« Le truc, avec les poulettes, c’est de leur montrer qui est le coq. Elles ont besoin qu’on décide pour elles. Au début, si tu n’es pas à l’aise, vise plutôt les moches, elles seront flattées que tu t’intéresses à elles. C’est pas mal pour se faire la main. Tu peux y aller accompagné aussi, ça leur coupe l’envie de tenir tête. Si tu veux on t’emmènera… »

 

Arlequin sentit soudain une pression sur son bras, puis une force le tira de sa chaise. Il trébucha légèrement sur les pavés, mais parvint finalement à trouver son équilibre, bien aidé par la poigne étonnamment solide de Colombine, qui venait de l’extraire avec autorité de ce marais boueux dans lequel il commençait à sombrer et à s’étouffer. 

 

« Laissez-le tranquille ! »

 

Arlequin suivit docilement la brune alors qu’elle le tirait toujours aussi fermement à l’extérieur de la place. Ses trois ex-compagnons de tablée les regardèrent s’éloigner avec perplexité, avant de se plonger dans leurs pintes. Un certain malaise semblait s’être installé entre eux. Lubin sembla tenter de recadrer le débat en évoquant l’art de la séduction, mais déjà, la distance et la foule ne permettaient plus de saisir distinctement ses propos.

Colombine relâcha la pression sur le bras d’Arlequin au moment de quitter la place, et ils parcoururent quelques hectomètres en silence dans les ruelles dortoirs. Les clameurs de la foire ressemblaient désormais davantage à un grondement lointain, et à l’exception de deux ou trois fenêtres à travers lesquelles on pouvait percevoir la lueur d’une chandelle, tout était éteint. Seuls les rayons de la lune, perçant à travers la couche nuageuse, éclairaient partiellement la pénombre.

Colombine se tourna alors vers Arlequin, l’air grave :

 

« Tu as compris de quoi ils parlaient au moins ?

– Eh bien… c’était assez grivois je dirais. Ils avaient bu, et ont sans doute ce genre d'humour un peu déplacé...

– Non, ce que racontait Lustucru, ça va bien au-delà de l’humour. Ah, ce que tu peux être naïf, c’est vraiment agaçant ! »

 

Arlequin encaissa la critique, alors que Colombine se tenait la tête entre les mains.

 

« Par où commencer ? reprit-elle après une longue inspiration. Vois-tu, j’ai grandi dans une ferme, où ma mère m’a élevée seule. Du coup, je devais beaucoup l’aider dans les travaux. On habitait près de la mer. Un jour, je devais avoir treize ou quatorze ans, j’ai pris mon panier, et je suis partie seule pour aller ramasser des moules. Il y avait une plage très réputée pour ça, où l’on en trouvait beaucoup. Seulement, il fallait traverser la ville pour y accéder. Et quand on est une petite paysanne qui débarque là-bas, on est très vite repérée. Je ne sais pas si c’est à cause des vêtements, de la démarche ou du manque d’assurance. Toujours est-il que j’ai rapidement été encerclée par un groupe de gars un peu trop entreprenants. Ils ont commencé par me faire des compliments embarrassants. Puis ils ont resserré le cercle qu’ils formaient, de sorte que me mouvoir me devenait malaisé. Ils cherchaient à me faire des caresses, à obtenir des baisers, et ils s’encourageaient mutuellement. Par chance, j’ai réussi à m’échapper, à saisir l’opportunité que m’offrait un petit espace qui s’ouvrait. L’un d’entre eux a tenté de me retenir en saisissant mon panier. J’ai dû le lui abandonner. Je n’y suis jamais retournée après cela. Mais ce n’est pas le pire… »

 

Arlequin retint souffle. Une étrange sensation, proche de la douleur, le tenaillait au niveau du ventre. Il redoutait ce qu’il allait entendre.

 

« Le pire, c’est que si je n’ai pas de père, si ma mère n’a jamais pu se marier et a dû m’élever seule, c’est parce qu’elle m’a eu en allant à la pêche aux moules, dans des conditions similaires. »

 

Colombine s’arrêta comme pour reprendre son souffle, qui ressemblait à un grognement bestial. Elle avait laissé échapper cette dernière phrase comme un sifflement entre ses dents serrées. Ses yeux noirs habituellement si envoûtants ressemblaient désormais à deux trous sans fond qui aspiraient jusqu’à la lumière de la lune, et ne laissaient plus rien ressortir. Sa bouche se tordit en un rictus de haine, alors qu’elle déclarait d’une voix glaciale : 

 

« Tout ce que je sais de mon père, c’est que c'est une ordure de la même trempe que Lustucru ! »

 

Ils poursuivirent leur chemin dans un silence de mort. Arlequin osait à peine tourner les yeux vers son amie. Il était encore secoué parce qu’il venait de se passer, et tout se mélangeait dans son esprit. Il voyait les regards noyés dans l’alcool de Lustucru et Lubin, les yeux emplis de haine de Colombine, le sourire moqueur de la bergère. Tout était si confus. Il avait chaud, et pourtant, il frissonnait, car son corps était devenu froid.

 

Au fur et à mesure qu’ils avançaient, Colombine ralentit légèrement le rythme, et sa respiration, qui jusque-là ressemblait davantage à un râle, s’adoucit. Après quelques minutes, elle rompit le silence qui s’était installé :

 

« Très tôt dans mon enfance, j’ai compris que ma mère souffrait. Je ne savais pas pourquoi, mais je voyais que quelque chose n’allait pas. Je ne pouvais pas le nommer, et pourtant, c’était très concret. Un jour, je me suis perdue en forêt avec une voisine qui avait à peu près le même âge que moi, nous devions avoir entre huit et dix ans peut-être. Nous avons eu très peur ce jour-là, et les adultes aussi, ils se sont mis à notre recherche. C’est le père de cette voisine qui nous a retrouvées. Ils se sont jetés dans les bras l’un de l’autre en pleurant de joie, puis nous nous sommes dépêchés de rentrer, et sa mère est venue se joindre aux embrassades. C’était tellement beau de les voir, et ça me faisait tellement mal. »

 

Un grand frisson parcourut son corps. Elle essuya rapidement ses yeux avec un coin de sa robe, inspira profondément, et reprit :

 

« Quand ma mère est arrivée, elle m’a prise doucement dans ses bras, et m’a reproché d’avoir inquiété tout le monde, et nous sommes rentrées en silence chez nous. Je suis à peu près certaine qu’elle m’aimait, mais j’ai toujours ce doute : qu’a-t-elle pensé ce jour-là ? Est-il possible qu’elle se soit dit, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, que peut-être j’allais disparaître et, avec moi, le dernier vestige de l’horreur qu’elle a subie ? Nous nous ressemblions assez peu physiquement, ce qui doit fatalement impliquer que c’est à lui que je ressemble. »

 

Un voile de ténèbres passa sur ses yeux. L’espace d’un instant, elle sembla noyée dans un tourbillon de pensées obscures. Arlequin ne disait toujours rien, ne s’y sentant pas invité. Finalement, elle reprit, d’une voix beaucoup plus douce :

 

« Ma mère était une bonne mère. Elle a toujours fait ce qu’il fallait pour moi. Elle avait besoin de moi aussi, il fallait que je fasse ma part à la maison, bien plus que les autres enfants de mon âge. Mais elle était toujours traversée par cette souffrance diffuse et permanente. J’aurais tant aimé que quelqu’un la prenne sous son aile, quelqu’un avec qui nous aurions pu assembler nos morceaux informes, les coller ensemble pour construire une famille, bancale peut-être, originale sans doute, et qui aurait résisté à tout. J’aurais tellement aimé qu’elle vienne, cette personne que j’aurais pu appeler Papa. Mais elle n’est jamais venue, et ma mère n’a jamais eu que moi, avec tout ce que je représentais pour elle, en bien comme en mal. »

 

Elle avait raconté tout cela sans jeter un seul regard vers Arlequin. Ses yeux étaient restés fixés vers l’avant, comme perdus dans le vide, comme si ses souvenirs avaient défilé sur sa cornée pendant qu’elle les relatait, masquant de fait le présent et toute la réalité matérielle qui l’entourait.

 

Enfin, ils arrivèrent devant la maison de Colombine. La lueur d’une lanterne, jaune et chaude, vint éclairer le visage de la brune. Ses yeux avaient retrouvé leur éclat, et ses joues brillaient là où des larmes avaient coulées.

 

« Merci de m’avoir raccompagnée, dit-elle doucement.

– Oh, ce n’est rien. Tu ne m’as pas vraiment laissé le choix à vrai dire, répondit Arlequin avec un sourire maladroit.

– Je suis désolée de t’avoir secoué comme ça. Je me suis un peu laissé dépasser par mes émotions. Tu es un peu naïf, mais il n’y a pas de mal à cela. Je ne te demande pas de changer. Je ne veux pas que tu changes. Je veux juste que tu fasses attention à toi. Il y a des gens dangereux, et j’ai le sentiment que tu as du mal à le percevoir. Tu ne veux voir que leurs bons côtés et relativiser leurs parts obscures. Mais certaines personnes sont foncièrement mauvaises, et tu dois te prémunir d’elles.

– Je veux bien croire que Lustucru, par exemple, soit un type immonde. J’en suis même convaincu maintenant. Mais il ne m’aurait rien fait, je ne suis pas son genre de cible. J’attendais juste poliment de trouver une opportunité de m’éclipser.

– Ce n’est pas seulement ça. Tout ce qu’ils peuvent te dire, c’est un poison qui infuse lentement. Est-ce que tu arrives à rester serein quand tu vis seul, et que ce type t’explique qu’il te suffit de te servir ? Qu’un moine censé être abstinent vante son expérience ? Et que sa putain te considère comme un gamin ? Est-ce que finalement, ils ne vont pas finir par te faire croire que les femmes ne méritent pas d’être traitées comme des humains, qu’il suffit de nous cueillir comme des mûres, et que c’est de toute façon ce que nous désirons ? C’est cela le vrai danger, que tu te laisses envahir par de telles pensées, quand tu seras seul chez toi, sans personne à serrer dans tes bras, alors que ces enflures prétendent n’avoir qu’à se baisser pour ramasser tout ce qu’ils veulent !

– Non, je ne pense pas, répondit naïvement Arlequin. Il ne s’agit pas juste de serrer un corps contre soi. Bien sûr que, parfois, j’en ai envie. Mais j’ai surtout envie de sentir que je compte pour quelqu’un, que cette personne est heureuse d’être avec moi comme je suis heureux d’être avec elle. Et ça, je ne pense pas que ça se ramasse facilement. »

 

Tout en détournant le regard, Colombine afficha ce petit sourire mutin qu’il aimait temps.

 

« Tant mieux si tu penses comme cela », dit-elle finalement.

 

Arlequin se sentait fébrile. Il avait envie de lui crier que jamais il ne la considérerait comme un bien qu’il suffit de ramasser, qu’il souffrait de ne pas réussir à lire dans ses pensées. Il cherchait ses mots en vain, se mordillant les lèvres pour masquer leurs tremblements. Et finalement, ne les trouvant pas, il se contenta de dire :

 

« Bon, je vais y aller. Je te souhaite une bonne nuit. »

 

Il s’en retourna alors chez lui, perdu dans des pensées et des sentiments très variés qui semblaient s’affronter pour prendre le contrôle de son esprit, l’un chassant l’autre sans cesse. Et finalement, sans qu’il ait vraiment fait attention à ce qu’il y avait autour de lui, il se rendit compte qu’il était devant sa porte. Il se tourna alors vers sa fidèle amie, qui luisait dans le ciel nocturne. Les nuages s’étaient écartés, lui permettant d’illuminer les environs de ses doux rayons bleutés. Remarquant sa bosse, Arlequin lui dit doucement :

 

« Toi aussi tu es toute cabossée ce soir. Combien de personnes ont été cabossées comme toi dans leur vie ? Toi, ta bosse, tu n’as pas peur de la montrer, elle brille et nous éclaire. Mais tous ces gens, sont-ils contraints de la dissimuler toute leur vie, de faire comme si elle n’existait pas ? Que dois-je faire quand j’en découvre une ? Faire semblant de ne rien voir, la fixer bêtement, la caresser ? Je suis un peu perdu, entre l’envie d’apporter du soutien, et la peur d’aggraver une situation déjà difficile par maladresse. Le mieux, c’est peut-être juste d’écouter, se proposer, sans s’imposer. Qu’en penses-tu ? 

C’est vrai que tu ne réponds pas beaucoup. 

Enfin, bonne nuit Lune ! »


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