UN VRAI CONTE DE FÉES
Chapitre 1 : Un vrai conte de fées.
1852 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 05/08/2025 11:10
Cette fanfiction participe au jeu d'écriture "Les dés sont jetés"
Mon tirage : Caractéristique 9 - Femme. Lieu 11 - Château. Objectif 7 - Amour. Objet 17 - Cassé. Rencontre 2 - Pacifique. Obstacle 15 - Jeu.
Le Roi donnait un bal, non, le Roi donnait LE bal. Il organisait cette réception en l'honneur du baptême de son fils, son héritier, son petit Prince. Pour ce Prince qui était beau comme seul un prince peut l'être et charmant comme il sied à un prince. Le monarque convia tous les nobles de son royaume : ducs et duchesses, comtes et comtesses, marquis et marquises, barons et baronnes. Il invita également toutes les sorcières : jeunes et... très jeunes, belles et... très belles (quiconque oserait qualifier une sorcière de vieille et laide risquerait fort de se retrouver à croasser dans un étang pour le restant de ses jours). Il n'omit personne ! Le Roi fit les choses en grand, tout était impeccable, des cartons d'invitation à la salle de bal, en passant par la décoration florale du château, des couverts dorés à l'or fin et des assiettes en porcelaine de Limoges la plus délicate.
La fête était une réussite. Les invités mangeaient, dansaient, glorifiaient le Roi et la Reine en leur souhaitant une longue vie, et s'extasiaient devant la beauté et le charme du Prince. Seule une sorcière, que nous ne risquerons point qualifier de vieille et laide, semblait mécontente. Elle s'approcha du couple royal et prononça, en fronçant les sourcils :
— Mon carton est arrivé corné et sa dorure est moins éclatante que celle sur l’invitation de ma voisine, cette pimbêche de Morgane !
Elle plaça l'objet du délit, ledit carton, sous le nez royal. Le Roi, stupéfait, ne put que balbutier :
— Mais ! Mais...
Puis elle extirpa de son petit sac de bal une assiette en porcelaine de Limoges, seul Merlin sait comment elle avait pu l'y loger.
— Mon assiette présente une ébréchure…
— Mais ! Mais... recommença à bredouiller le Roi.
La sorcière tapa du pied et laissa échapper l'assiette de la discorde qui se brisa en mille morceaux, comme savent si bien le faire les assiettes en porcelaine, qu'elles soient de Limoges ou non :
— Cesse ces « Mais », avant que je ne t'envoie bêler tes « Mééé » dans un pré avec des moutons, tu pourrais t'y faire des amis, qui sait ? Mon assiette était déjà ébréchée et maintenant elle est cassée ! conclut-elle d'un ton vengeur.
— Mais..., balbutia le Roi, incapable de trouver d'autres mots.
— Ça suffit, s'exclama la sorcière avec une joie maléfique, on me méprise ici, je vais donc jeter un sort à ton héritier !
— Non ! crièrent en chœur le Roi et la Reine, rejoints par les ducs et les duchesses, les comtes et les comtesses, les marquis et les marquises, les barons et les baronnes et même par tous les serviteurs !
— Si ! se frotta les mains la magicienne, j'annonce que votre fils tombera amoureux fou à ses dix-huit ans et convolera en justes noces sur-le-champ !
« C'est fichtrement trop tôt », songea le Roi, « ce n'est guère important », estima la Reine.
— Il s'unira donc à dix-huit ans avec une femme...
Le Roi et la Reine exhalèrent à l'unisson un soupir de soulagement.
— Une femme plus âgée que lui...
« Fort bien, elle possédera de l'expérience et le déniaisera », se dit le Roi. « Le malheureux », pensa la Reine.
— Une femme considérablement plus âgée, une centenaire, hideuse, stupide et cruelle ! acheva prestement la sorcière puis, dans un rire terriblement démoniaque, s'évanouit dans un éclair.
***
Dix-huit années s'écoulèrent. Le Prince était devenu un séduisant jeune homme, un véritable beau gosse et coureur de jupons.
Il aimait toutes les filles sans distinction,
Qu'elles soient duchesses ou bien souillons.
« Un vrai Cœur d'artichaut, disait-on.
Cela lui passera avec l'âge, espérons. »
Ses parents, souverains du royaume, le chérissaient tendrement et lui laissaient toutes les libertés. Ils se confiaient entre eux : "Pourvu qu'il trouve vite une demoiselle charmante, plaisante et surtout jeune, son rang social nous importe peu, nous l'accueillerons avec joie dans notre famille."
Le jour où le Prince fêta ses dix-huit ans, le roi organisa une réception somptueuse, surpassant même en splendeur celle de baptême. Il invita tous ses sujets sans exception, à la seule condition qu'ils eussent une fille en âge de se marier, espérant ainsi briser le maléfice jeté par cette mégère de sorcière.
Et les jeunes filles affluèrent à cette magnifique réception : des filles de ducs et duchesses, de comtes et comtesses, de marquis et marquises, de barons et baronnes. On y distinguait également les demoiselles issues des parents moins titrés, appartenant aux familles de juristes, médecins, banquiers, architectes et grands industriels. Venaient ensuite les jeunes personnes de familles moins fortunées, celles de commerçants, apothicaires et bâtisseurs. Et enfin, les filles du peuple, provenant des foyers de marchands ambulants, ouvriers, fermiers, palefreniers et même d'indigents.
Toutes ces demoiselles étaient parées de leurs plus beaux atours, reflétant naturellement leur fortune et condition. La salle resplendissait de diamants, émeraudes, rubis, saphirs et leurs imitations presque parfaites, scintillait de soieries, de dentelles de Calais et de leurs contrefaçons, si admirablement exécutées qu'aucune douane n'y trouverait à redire.
Les tables ployaient sous les mets raffinés et fort coûteux, tandis que l'orchestre interprétait valses et mazurkas. Le Prince passait d'une cavalière à l'autre, leur murmurant à l’oreille des compliments aussi délicats que les victuailles disposées sur les tables. Il était transporté, envoûté, ne sachant plus où porter son regard, quelle splendeur admirer en premier, lorsqu'il la vit, non, il LA vit. Elle était belle comme une aube printanière, énigmatique comme une nuit d'été, éclatante comme l'astre solaire, délicate comme le dernier croissant lunaire... Le Prince n'aurait su dire si elle était blonde, rousse ou brune, tant ses yeux bleus, sa robe vaporeuse évoquant l'écume dont se parait Aphrodite, sa manucure parfaite et ses souliers translucides qui semblaient tissés de lumière, l'éblouissaient.
Durant toute la soirée, le Prince évoluait comme dans une brume ou un songe passionné d'amour. Son regard ne se posait que sur elle, et il n'accorda aucune danse à quiconque d'autre. Il lui proposait les breuvages les plus exquis, les mets les plus raffinés et lui adressait les compliments les plus ingénieux. Cependant, lorsque minuit sonna, la ravissante inconnue disparut subitement, ne laissant derrière elle qu'un soulier diaphane sur les marches de l'escalier principal du château.
Le Prince serra sur son cœur la chaussure et courut voir ses royaux parents. Il tendit l'escarpin vers eux et prononça d'une voix dramatique :
— C'est elle l'élue de mon cœur ! C'est elle que j'épouserai !
Le Roi, un peu éméché (même pas qu'un peu, mais chut !), questionna :
— Une chaussure ?
— Mais non, celle qui l'avait portée et perdue ! expliqua patiemment le Prince, nullement étonné, car il avait déjà eu l'honneur insigne de contempler son géniteur couronné en état d'ébriété.
— Parfait ! se réjouirent en chœur le Roi et la Reine, rejoints par les ducs et les duchesses, les comtes et les comtesses, les marquis et les marquises, les barons et les baronnes, et même par tous les serviteurs ! – Nous te donnons notre royale approbation, qu'elle soit une noble ou une souillon, dans notre famille avec joie nous l'accueillerons.
***
Et tous se mirent à la recherche de la belle inconnue. On chercha chez les ducs et duchesses, comtes et comtesses, marquis et marquises, barons et baronnes. Puis chez les juristes, médecins, banquiers, architectes et grands industriels, ensuite dans les familles moins fortunées des marchands, apothicaires et bâtisseurs. Enfin, dans celles du peuple le plus ordinaire, des marchands ambulants aux indigents, en passant par les ouvriers, palefreniers et fermiers.
Comme dans un conte, ils finirent par la découvrir dans une demeure assez modeste, occupée à nettoyer l'âtre, toute couverte de cendres et guère ressemblante à la belle inconnue. Mais elle possédait la deuxième chaussure, ce qui lui valut d'être conduite au palais sous les yeux du couple royal et du Prince amoureux qui, n'obéissant qu'à l'élan de son cœur, lui débarbouilla le visage à l'aide de son mouchoir de chez Dior.
Et tous, le Roi et la Reine, les ducs et les duchesses, les comtes et les comtesses, les marquis et les marquises, les barons et les baronnes, constatèrent qu'elle était d'une rare beauté et pensèrent à l'unisson : « Parfait, c'est peut-être une souillon. Mais elle n'est ni centenaire, ni hideuse, et l'on peut espérer qu'elle n'est ni stupide, ni cruelle ! »
Donc :
Le Prince la souillon épousa,
De cette fête on se souviendra
Tous mangeaient, dansaient, buvaient
Le Roi et la Reine félicitaient.
EPILOGUE
Quelque part dans l'univers, dans un chaleureux salon, autour d'une table sur laquelle trônaient une bouteille de champagne et un énorme plat rempli de pâtisseries diverses, deux vieilles sorcières…non, plutôt, une magnifique magicienne et une bonne fée (c’est plus prudent de dire ainsi), portaient pacifiquement des toasts.
— À la tienne ! Bien joué ! prononça la fée.
— Je suis assez contente de moi ! se rengorgea la sorcière. - Voilà que cette souillon miséreuse, cette bonne à pas grand-chose, ta filleule est casée et bien casée ! Un vrai Prince, rien que ça ! Ce n’était pas facile-facile ! J'ai rempli ma part de marché ! Mais qu'en est-il pour ma nièce au second degré, La Petite Sirène ?
La fée se redressa en vacillant légèrement, la dernière coupe de champ’ étant manifestement en trop et répondit sans fausse modestie :
— Moi aussi j'ai rempli ! Sinon ce n'est pas du jeu ! Je me suis fait passer pour un oracle visionnaire et j'ai prédit au Tzar du Vingt-septième royaume que son héritier Jeannot le Prince le jour de ses dix-huit ans tombera éperdument amoureux du dragon tricéphale, l'épousera dans la foulée, et sera bouffé par ce dernier lors de la cérémonie nuptiale !
— Quelle imagination ! s'émerveilla la sorcière.
— Oui, je suis très créative ! se gonfla de fierté la fée. Donc tu t'imagines bien qu’après un tel augure, une belle-fille qui n'a pour défaut qu'une queue de poisson à la place des jambes sera accueillie à bras ouverts par le Tzar et son épouse…
La sorcière leva son verre en s'exclamant :
— Cela passera comme une lettre à la poste ! Alors à nous !
Et les deux conspiratrices trinquèrent joyeusement.
FIN