A la rescousse !

Chapitre 4 : Martin Lutin dans "Leprechaun en folie"

5074 mots, Catégorie: K

Dernière mise à jour 08/09/2021 21:47

Une fois de retour sur le navire de Capitaine Barbedécume, elles purent alors quitter l’île, enfin libérée de son étreinte brumeuse. L’air marin revigorant pénétrait par leurs narines, les laissant apprécier, après ces quelques péripéties, la beauté de ces îles recouvertes de verdure et de ces falaises de craie blanche qui maculaient le paysage, des îles peintes à l’aquarelle avec un soin digne des plus grands maîtres. Les nuages dans ce ciel bleu leur rappelait les champs de cotons illuminés de mille couleurs par la lumière du soleil, allant du rouge au jaune en passant par un gris menaçant.

Cependant, après s’être laissé aller à apprécier le paysage, Milly se rappela soudainement qu’elle n’avait aucune idée des endroits où se cachaient ces fameux trésors qu’elles avaient pour mission de débusquer. Curieuse, elle interrogea alors le Capitaine sur leur destination prochaine. Ce dernier, d’abord réticent, décida de leur expliquer la légende qui entourait le premier lieu, prenant le rôle du conteur d’histoire qui lui seyait à merveille tandis qu’il tenait la barre. Bercées par le son des vagues, le flot incessant de l’océan et le balancement de leur navire, Milly et Jenny s’assirent en tailleur sur le pont en bois et écoutèrent son histoire avec une attention de chaque instant.

« Il était une fois une petite île peuplée de bergers et de tisserands appelée Ile-de-Jade. Elle constituait aussi un refuge pour les pêcheurs du coin, qui adoraient passer des jours attablés à la taverne locale. Mais cette île abritait également un autre habitant bien peu commun, un leprechaun connu sous le nom de Martin Lutin, qui n’avait cure que pour son chaudron rempli de pièces. Rien d’autre ne comptait pour lui que de garder son or si précieux. Mais à la suite d’une banale querelle avec l’un des pêcheurs du coin, il décida de quitter le port et de s’installer dans les terres, afin de pouvoir surveiller son merveilleux trésor, en clamant haut et fort qu’il arriverait malheur à celui ou celle qui déciderait de s’approcher de son chaudron. Depuis ce jour, les habitants n’osent plus s’aventurer dans les terres, terrorisés à l’idée que leur vie puisse se terminer sur un quiproquo. Les bergers détournent leur chemin et tous les enfants ont interdiction de s’approcher de son territoire. »

Les deux jeunes filles furent complètement absorbées par cette petite légende, si bien qu’elles en oublièrent pendant un instant où elles se trouvaient. Ce fut Jenny qui, finalement, brisa le silence.

« Comment on trouve ce… Monsieur Lutin ?

— D’après la légende, il vit au pied d’un arc-en-ciel, au sommet d’une colline.

— Alors, réalisa Milly, on va devoir lui prendre son chaudron, c’est ça ?

— Et tout son or avec, aye, acquiesça le Capitaine, en hochant la tête. Mais attention, marins d’eau douce, il risque de ne pas beaucoup apprécier votre visite. »

Un sourire se dessina derrière la barbe fournie de ce cher Capitaine, qui désigna du doigt l’île juste en face d’eux. « D’ailleurs vous allez bientôt faire sa connaissance », lâcha le Capitaine, avant de faire ralentir le navire progressivement jusqu’à atteindre le petit port, niché près des côtes.

Le moins que l’on puisse dire sur Ile-de-Jade, c’est qu’elle était verte. Depuis le bateau, on ne voyait que du vert à perte de vue, allongé sur toutes les collines de l’île ; un véritable écrin de verdure au milieu de l’océan. Comparé à la vastitude de cette île, le port n’était pas très grand. Dans un quai aux pierres polies par le sel et le vent, une vieille auberge et quelques cottages grisâtres résidaient ces maigres atours.

L’autre particularité d’Ile-de-Jade, c’est qu’il pleuvait. Beaucoup. L’île tout entière était surmontée par des nuages de pluie qui ne cessaient de déverser des trombes d’eau sur les quelques habitants qui vaquaient à leurs occupations. De temps à autre, quelques éclaircies venaient apporter un peu de chaleur à cette île qui en était fort dépourvue. Mais cela ne suffisait pas à réchauffer Milly et Jenny, qui, avec leurs habits légers, commençaient véritablement à sentir le froid s’insinuer en elles. Au surplus, ces nuages tenaces ne les aidaient pas à trouver le leprechaun.

A peine débarqué sur le quai, après s’être équipé de capes en toile cirée pour s’abriter de la pluie, le petit groupe d’aventurier eut droit à quelques regards glaciaux de la part des pêcheurs locaux qui démêlaient leurs filets avant une journée de pêche dans laquelle ils plaçaient beaucoup d’espoir. Si on omet le courage et la fatigue qui se retrouve sur le visage de chaque pêcheur, ceux-là possédaient chacun quelque chose de singulier : un crochet à la place de la main, un œil plus grand qu’un autre ou bien encore une barbe qui avait poussé jusqu’aux chevilles. Tout cela n’aidait pas à les rendre sympathiques et Milly et Jenny ne purent réprimer quelques grimaces devant certaines figures.

Aux pieds d’anciennes bâtisses en pierre aux toits d’ardoise, abrités sous des échoppes, des tisserands s’affairaient à unir et désunir les fils aux couleurs vives qui se confondaient au centre de leurs métiers à tisser, en prenant soin de ne pas sortir leur griffe. Car tous ces artisans étaient encore plus étranges que les pêcheurs : il s’agissait en réalité de grands chats, vêtus de chemises misérables ou de robes indigentes. Apparemment, les cordonniers d’ici étaient bien les plus mal chaussés.

Outre ces personnages hauts en couleur, le petit village comportait bien d’autres profils. Mais ceux qui frappèrent le plus Milly et Jenny furent les bergers, des chiens qui menaient leur troupeau à la perfection, armés d’un bâton et parés à résister au froid du bord de mer et à la pluie insidieuse grâce aux nombreuses couches de vêtements qui recouvraient leur corps. Au moment où Milly et Jenny se présentaient sur l’île, certains d’entre eux partaient d’ailleurs du village pour faire paître leurs moutons, en disant au revoir à leurs femmes et leurs enfants.

« Vous avez des gens normaux dans votre monde ? demanda Jenny, bouche-bée face à tant de bizarrerie. A part vous, je veux dire… »

Le Capitaine lui lança un regard offusqué, comme s’il ne comprenait pas la question.

« Normaux ? Je ne vois pas de quoi tu parles. On est tous pareils, ici ! »

Milly aussi resta coi, mais pas pour les mêmes raisons. Elle admirait en effet cet effacement de l’apparence au profit d’un sentiment d’unité indescriptible, mais diablement remarquable. Chaque personne sur ces îles avait ses ennemis, ses litiges, ses disputes, mais rien ne semblait concerner l’apparence de l’un ou de l’autre. Toutes ces personnes paraissaient même ne pas se rendre compte de leur différence. Pour une jeune fille noire, qui avait vécu le début de sa vie dans une indifférence notable, ce phénomène était fascinant. Car si même les chiens et les chats pouvaient vivre ensemble, pourquoi pas les hommes ?

Milly, Jenny et le Capitaine s’avancèrent sur le quai en direction de la vieille auberge, toujours cernés par les coups d’œil curieux et les chuchotements indiscrets. D’un coup sec, Capitaine Barbedécume ouvrit la porte de la vieille auberge, qui pouvait se targuer d’avoir résisté au temps et aux intempéries. Malgré la pénombre qui y régnait, à cause de la crasse sur les fenêtres, les deux filles purent distinguer plusieurs chaises au dossier de cuir, retournées sur quelques tables poussiéreuses. En face d’elles, un comptoir en bois massif prenait une bonne partie de la pièce. Derrière celui-ci, un Border Collie tenait le bar, nettoyant avec un chiffon ses verres les plus sales. A l’approche de Capitaine Barbedécume, ses oreilles se dressèrent au-dessus de sa tête. Il détourna le regard du verre qu’il tenait dans sa main pour aviser le nouvel arrivant.

« Barbotin ! s’exclama le chien, habillé d’une chemise maculée de tâches jaunâtres et d’un gilet marron sur-mesure, en assénant un grand coup de patte sur le bar.

— Ricky Bouvier ! répondit en retour le Capitaine, en ouvrant les bras. C’est bon de te revoir ! »

Le Capitaine fit un signe de la tête à Milly et Jenny pour les inviter à se rapprocher du bar avec lui. Il recula l’un des tabourets qui grinça sur le parquet avant de s’y asseoir et de poser son coude sur le bar. Les jeunes amies firent de même, un peu impressionnées.

« Ça fait un bail qu’on ne t’avait plus vu dans les environs, fit remarquer Ricky, avant de se lécher la truffe.

— Ah, tu sais, j’ai été très occupé sur l’Ile Aquarelle.

— Qu’est-ce que je te sers ?

— Un bon verre de rhum ! »

Il tourna son regard vers Milly et Jenny, intrigué par ces deux petits bouts de femme, avant de s’adresser à Capitaine Barbedécume.

« Et pour tes deux amies ?

— La même chose ! tenta Jenny, avec un petit peu trop d’assurance.

— Non, non, non ! rassura le Capitaine. Deux verres de grenadine, ce sera parfait ! » La moue de Jenny après cet échec était à se tordre de rire, et Milly ne put s’empêcher de pouffer de rire.

Après que tout le monde fut servi, les véritables discussions purent enfin commencer. « Alors, qu’est-ce qui t’amène ici ? s’enquit ainsi le barman.

— Je viens m’occuper de Martin Lutin. »

Le canidé leva un sourcil en hochant la tête.

« Ah, ce fichu gredin ! lâcha-t-il. Pourquoi t’y intéresses-tu soudainement ? Toi non plus, tu n’as jamais osé t’approcher de son repaire.

— Car, cette fois, rétorqua le Capitaine, en passant ses énormes bras au-dessus des frêles épaules de Milly et Jenny non sans une certaine fierté, ce seront ces deux jeunes filles qui lui règleront son compte.

— Elles ? s’étonna Monsieur Bouvier. Ha ! J’aimerais bien voir ça !

Milly fronça les sourcils, excédée par les moqueries. « Vous allez le voir, ne vous inquiétez pas, répliqua-t-elle.

— Oh, je n’en doute pas une seconde ! Vous n’êtes pas les premiers à vous frotter à lui, vous savez. Mais vous serez sûrement les derniers.

— N’en sois pas si sûr, Ricky, rappela le Capitaine Barbedécume. Ces petites sont déterminées ! Moi, je crois en elle.

— Eh bien ! Ça fait au moins une personne, alors ! »

Ne souhaitant pas s’éterniser, le Capitaine but d’une traite son verre de rhum, rapidement imité par Milly et Jenny, qui fixaient intensément du regard le barman pessimiste.

« Merci pour le verre, lâcha le Capitaine. On se revoit tout à l’heure, lorsque l’île sera débarrassée des nuisibles. » Le Capitaine se dirigea vers la porte, suivi par ses deux jeunes acolytes.

« Si tu le dis, l’ami, conclut le barman, en retenant un énième rire. »

Laissant les filles passer devant lui, il adressa un dernier signe de main à Ricky, avant de fermer la porte, qui claqua sous l’effet du vent.

 

*

*         *

Malgré son enthousiasme, le Capitaine était bien incapable d’atteindre Martin Lutin, à cause de sa jambe de bois, qui rendait son crapahutage affreusement pénible ; il laissa donc à Milly et Jenny le soin de chercher Martin Lutin et de lui régler son compte une bonne fois pour toute. Un peu déçues par l’absence de leur capitaine, mais toujours aussi déterminées, les deux jeunes exploratrices s’engagèrent dans les terres d’émeraude, portées par le vent qui grondait à leurs oreilles. Leurs pieds, trempés par l’eau qui perlait dans l’herbe, épousaient à chaque pas la forme des collines et des reliefs. La pluie avait cessé pour le moment, mais le froid et le vent rendaient l’île toujours aussi peu accueillante pour y passer des vacances d’été, comme le ciel gris, qui ressemblait aux turbulents griffonnages d’un enfant en bas-âge. Heureusement pour elles, ce ciel gris qui avait rendu leur progression si difficile s’étiola soudainement au bout d’une bonne heure de marche, dévoilant entre quelques nuages un grand soleil accompagné de rayons dardant de toute part. Milly pensa à la bonne nouvelle que leur octroyait le retour de l’astre providentiel, celle pour elles d’apercevoir l’arc-en-ciel qui menait au repaire de Martin Lutin. Et effectivement, à peine quelques secondes après que le soleil eut pointé le bout de son nez, une longue traînée multicolore apparut devant elles dans le ciel. Elle les conduisit directement à un tertre jonché de pierres taillées de façon abrupte, les antiques vestiges d’un passé révolu.

Au-dessus de l’une d’entre elle, les jambes croisées, plongé dans une sorte de méditation, il y avait Martin Lutin. De prime abord, il n’avait rien d’impressionnant. Il était plutôt petit, en vérité. Mais Milly et Jenny se doutaient bien, au vu de sa réputation, qu’il n’était pas à sous-estimer. Des cheveux et un collier de barbe d’une rousseur détonante, un costume fait de soie verte et de cuir noir, un énorme chapeau bien plus large que sa tête, voilà qui remplissait le parfait portrait d’un leprechaun comme le narrent si bien les légendes.

En dépit du vent qui hurlait, Martin perçut le bruit de leurs pas sur l’herbe peinte à la gouache et ouvrit furtivement un œil pour révéler un iris aussi vert que son costume. Il ouvrit rapidement son deuxième œil et dévisagea celles qui débarquaient sur son territoire.

« Encore de petites fouines qui viennent pour me voler mon or, siffla-t-il d’une voix stridente. »

Il se leva et toisa depuis son rocher les nouvelles venues. Dans sa pose pleine de grandiloquence, sur son piédestal, il avait l’air bien plus élancé qu’il ne l’était en réalité.

« Dites-moi, vous autres, dit-il, en continuant crescendo, comment dois-je m’y prendre pour vous faire comprendre que vous n’avez rien à faire ici ?

— Nous… Nous avons simplement besoin de votre chaudron, tenta Milly, en ignorant la question. »

Jenny leva les sourcils et se pencha vers Milly.

« Euh… Je ne suis pas sûre qu’il le lâchera comme ça, chuchota-t-elle à son oreille.

— On peut toujours essayer la manière douce, rappela Milly à voix basse, qui n’avait aucunement envie de se battre.

— Mon chaudron ? répéta le leprechaun, abasourdi, en posant ses mains sur ses hanches. Ha ! Vous ne manquez pas de culot ! Je crois que vous ne savez pas bien à qui vous avez affaire, mesdemoiselles.

— Si, on le sait ! s’emporta Jenny, en grimpant sur le dolmen, au centre. Vous êtes un monstre, qui ne s’intéresse qu’à son argent !

— Cet or, c’est toute ma vie ! rétorqua Martin Lutin. Et maintenant, sous vos yeux ébahis, je vais vous mettre au tapis !

Et ainsi commença la lutte contre le leprechaun d’Ile-de-Jade. Les filles retirèrent les capes en toile ciré de leurs épaules et les laissèrent se faire emporter par le vent, avant de se mettre en position. Les combattants se regardèrent droit dans les yeux, avant que Martin ne dégaine le premier. Il lança son chapeau, qui se dirigea vers elles tel un boomerang. Le chapeau survola la colline et manqua de peu Milly et Jenny, qui réussirent à l’esquiver en sautant par-dessus. En revenant vers Martin, le chapeau rasa le sol avant de réattérir entre ses mains. Durant ce temps, Martin Lutin eut le temps de révéler une autre de ses cartes : il façonna un sortilège vert au creux de ses mains et se mit à envoyer des boules de feu vert en direction des filles, qu’elles furent capables d’esquiver de justesse, tandis qu’elles essayaient d’échapper au chapeau dans le même temps.

Mais il était l’heure pour elle de riposter en testant leurs nouveaux pouvoirs. Milly plaça ses mains comme un pistolet face à Martin Lutin et tira. Une sorte d’éclair s’échappa du bout de ses doigts, un éclair qui zébra l’air ambiant avant de toucher avec précision le leprechaun. Ce que Milly réalisa, et ce qui faisait toute la beauté de son pouvoir, c’est qu’elle pouvait contrôler le rayon de son arme une fois le bout de l’éclair sorti de sa main, de sorte qu’elle pouvait même tirer en arrière et changer la direction du faisceau pour toucher sa cible. Milly regarda Jenny avec étonnement, les yeux complètement écarquillés. Inspirée par son amie, Jenny se sentit enfin prête à faire usage de sa force. Elle positionna ses mains de la même façon que son amie, bien que l’effet ressenti fut différent : Jenny dut charger l’arme pendant quelques secondes avant de pouvoir relâcher son étreinte et libérer son potentiel. C’est alors qu’apparut devant ses yeux une onde violette au spectre immense, suivie de quatre ondes de tailles à chaque fois de moindre importance. Cet enchevêtrement de cercles concentriques rappelait à Jenny les formes que prend l’eau lorsqu’elle est touchée par un caillou à sa surface. Cette arme se devait d’être utilisée à bon escient : une fois le cycle lancé, Jenny devait se rapprocher à tout prix de l’ennemi afin de continuer à le toucher sans discontinu. Mais sa puissance était indiscutable.

Martin était touché, mais il avait vu bien pire. Il lança à nouveau son chapeau, en commençant par le bas, ce qui obligea les filles à sauter sur le dolmen, avant d’en descendre. Pendant ce temps, Martin en profita pour faire apparaître de nouvelles boules de feu. Mais ce qui surprit les filles, et ce qu’elles ne purent éviter étaient à chercher au niveau du sol. En effet, Martin avait également envoyé à son secours une paire de chaussure noire à souliers pourvue de dents, qui ne manqua pas de mordiller Milly. Elle put s’en défaire juste à temps pour se soustraire au point d’impact d’une énième boule de feu. Une deuxième paire de chaussures, marron cette fois, fit son chemin jusqu’à elles, en sautillant comme un lapin. Heureusement, en dépit de ce changement de stratégie, elles n’eurent qu’à donner une légère impulsion afin de se faufiler sous la paire. Cependant, Martin était loin d’en avoir terminé avec elles. Il fixa les deux énergumènes qui lui donnaient tant de fil à retordre, et dévoila son nouveau tour. D’un geste de la main, il fit pousser un trèfle géant à quatre feuilles de l’autre côté de la colline. Un visage terrifiant y était logé, au milieu de toutes ces feuilles. Le trèfle les regarda et commença à faire tourner ses feuilles de plus en rapidement, comme les pales d’un ventilateur. Ou d’une scie.

« Bon, tu prends le trèfle géant, et moi je prends cette saleté de leprechaun », ordonna Milly à Jenny, qui acquiesça promptement.

Les éclairs et les ondes fusaient, tandis que Jenny et Milly faisaient de leur mieux pour esquiver les attaques du trèfle et les boules vertes du leprechaun. Finalement, au bout de plusieurs intenses secondes de combat, le leprechaun commençait montrer des signes de faiblesse, pendant qu’au même instant, le trèfle retournait à l’état de poussière au cœur de la terre.

Affaibli mais pas vaincu, le leprechaun changea radicalement de stratégie : il empoigna l’arc-en-ciel qui se trouvait derrière lui et sauta dessus, tel un surfeur sur les vagues d’Hawaï. Il s’envola haut dans le ciel et se mit à les survoler sur sa planche colorée avec un grand sourire. Une fois son passage achevé, l’arc-en-ciel laissa une traînée de poudre, qui se déposa lentement sur le sol, comme les premières neiges de décembre. Fascinée, Jenny ne put bouger un muscle malgré les suppliques de Milly, qui se cacha sous le dolmen au centre de la colline. La poussière de l’arc-en-ciel piquait les yeux de Jenny, qui se mit à se les frotter avec vigueur. Sa vitalité venait de s’amenuir. Alors, lorsque Martin Lutin repassa au-dessus d’elle, Jenny n’attendit pas qu’on le lui dise deux fois pour déguerpir et courut rejoindre son amie à l’abri. Au troisième passage du leprechaun, ce gredin se mit à rire de façon incontrôlable. Milly jeta un coup d’œil par-delà le dolmen et remarqua le mauvais coup qu’il était en train de leur préparer : il sortit de son chapeau une armée de fées de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et les envoya à la rencontre des filles, en les pointant du doigt comme le chef d’une armée de barbares. Forcées de sortir de leur cachette pour éviter de heurter l’une d’entre elles, Milly et Jenny durent à nouveau faire fonctionner leurs méninges pour lui tenir tête : Milly visait Martin tandis que Jenny et son attaque à large portée se concentrait sur les fées.

Une fois toutes les créatures minuscules anéanties, le leprechaun s’adapta à ces filles pleines de ressources et alterna ses passages, en survolant la colline avant de revenir dans l’autre sens en volant au plus près du sol, ce qui obligeait Milly et Jenny à sauter sur la plateforme et à en descendre à chaque fois. C’est alors que Jenny se rendit compte de quelque chose : elles pouvaient sauter sur le dégradé rose* de l’arc-en-ciel à l’instant précis où Martin Lutin passait en-dessous d’elles. Jenny souffla l’idée à Milly, qui comprit immédiatement où elle voulait en venir. Mais la tâche ne serait pas de tout repos, à cause des fées qui continuaient d’affluer. L’arc-en-ciel finit enfin par se disperser, laissant le leprechaun vulnérable, sans moyen de transport. Il s’écrasa sur la boue en rebondissant sur ses fesses avant de tomber la tête la première sur l’herbe, laissant dépasser du sol son postérieur, comme une autruche.

Il poussa contre le sol avec ses deux bras et réussit à se sortir de cette situation embarrassante, non sans quelques séquelles. Avec des dents manquantes et un regard hagard, le visage couvert de terre qu’il présenta à Milly et Jenny était devenu absolument terrifiant. Cependant, le combat n’était pas terminé, et Milly et Jenny campèrent sur leurs positions. D’un bond maladroit, il se retrouva sur son rocher, et commença à formuler des paroles étranges en les accompagnant de gestes bizarres. Soudain, le sol trembla et le rocher se mit à prendre vie sous les yeux ébahis de Milly et Jenny. Des bras se détachèrent de l’énorme bloc de roche, puis les jambes firent de même avant qu’un visage ne se matérialise en son centre. Petit à petit, le golem se leva, et hurla en direction des filles, un filet de bave au coin des lèvres. Milly et Jenny firent quelques pas en arrière, intimidées par ce nouvel arrivant de taille.

Le monstre de pierre, chevauché par un Martin Lutin aux portes de la folie, s’accroupit légèrement afin de se préparer à sauter. Il s’élança et atterrit sur le dolmen au milieu de la colline, le réduisant littéralement en morceaux. Heureusement, Milly et Jenny furent assez réactives pour échapper aux pieds du géant. Grâce au saut suivant, il se retrouva de l’autre côté de la colline. De là, il fit volte-face vers Milly et Jenny, qui n’avaient de cesse de lui tirer dessus, avec l’espoir d’en finir une bonne fois pour toute avec ce leprechaun de malheur et ses illusions machiavéliques. Mais le leprechaun et sa créature n’en démordaient pas : le golem frotta le sol avec ses pieds, comme un taureau se préparant à charger. Milly fit remarquer l’imminence de l’attaque à sa coéquipière, qui comprit que leurs derniers instants étaient sans doute venus. Cependant, un coup d’œil en direction du sol sur lequel s’était éparpillé les débris suffit à rassurer Milly sur leur chance de survie. Car dans leur malheur, une étincelle brillait. Elle brillait même d’une couleur rose : le cœur de la pierre qui constituait le dolmen était de cette couleur. Grâce à un seul signe de tête, Milly fit comprendre à Jenny sa stratégie. Cette dernière lui renvoya un grand sourire, parée à déjouer les plans du golem grâce au travail d’équipe. Le monstre, toujours surmonté de son maître, prit son élan et fonça. A la dernière seconde, Milly et Jenny se ruèrent sur les débris au sol et, avec la grâce des cygnes, procédèrent à une impressionnante roulade au-dessus du monstre, frôlant au passage les mains du leprechaun qui tentèrent de les agripper. Une fois passées de l’autre côté, elles se retournèrent afin d’observer la bête et son cavalier, qui avaient réussi à stopper net leur course à l’endroit précis où ils se tenaient la première fois que les filles les avaient aperçus. Tandis que Milly et Jenny continuaient les attaques contre leurs deux adversaires, Jenny discerna dans le mouvement de bras du géant de pierre sa prochaine initiative : il les leva, prêt à les abattre sur le sol dans une rage inimaginable. Jenny hurla à Milly de sauter et de prendre de l’élan ; ce qu’elles firent toutes les deux au moment opportun. La force incroyable du golem fit trembler le sol pendant quelques secondes, dans un bruit sourd et grave. Toujours en suspension dans les airs, Milly et Jenny eurent un éclair de génie lorsqu’elles virent toutes les deux le point faible de ce monstre. Comme les pierres du dolmen qui leur avait servi de couverture, l’intérieur du monstre était recouvert de rose. Avec toute la force avec laquelle la créature avait frappé le sol, des fissures avaient fait leur apparition sur ses bras, révélant des traces de rose qui n’attendaient plus qu’une estocade. Distinguant le monde au ralenti, Milly et Jenny se renvoyèrent un sourire plein de satisfaction, avant de diriger chacune leurs pieds vers un bras et de les réduire en mille morceaux. A la suite de cet exploit, les deux jeunes combattantes reculèrent de plusieurs pas et constatèrent les dégâts qu’elles venaient de causer, non sans un certain contentement.

Le golem de pierre n’était plus qu’un tronc, qui tentait vainement de rester en équilibre. Mais tout son corps pesait hélas bien trop lourd. Tandis qu’il vacillait comme un homme ivre, son maître le leprechaun tomba à la renverse et atterrit violemment devant le golem. A terre, mal en point, et voyant que le géant allait s’écraser sur lui, il supplia le golem en levant les bras de ne pas se pencher en avant. C’était sans compter sur le vent d’ouest, qui n’eut qu’à donner une pichenette au golem pour l’achever. Le corps du géant se balança lentement en avant et terrassa Martin Lutin sous son poids, égrugé sur le corps de son cavalier. A la fin du combat, seule la main du leprechaun au milieu des décombres tenait encore debout, s’évertuant à demander de l’aide.

Soulagées et fières de ce qu’elles avaient accompli, les filles se regardèrent et se tapèrent dans la main, comme de vraies championnes. Milly et Jenny étaient exténuées, tant par l’effort que par la concentration qu’elles avaient dû fournir, elles avaient beaucoup de mal à reprendre leur souffle. Mais elles espéraient que cela en vaudrait la peine. Ni une ni deux, elles s’emparèrent du trésor tant convoité. Cependant, le chaudron était bien plus lourd que ce qu’elles avaient imaginé. Elles prirent sur elle et réussirent tant bien que mal à s’en emparer et à le traîner sur le chemin, avant d’atteindre le port sous les applaudissements des habitants, qui invitèrent leurs fils et leurs filles à aller jouer dans les grandes plaines de l’île, désormais pacifiées.

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* Dans le jeu vidéo, la plupart des objets ou des ennemis de couleur rose peuvent subir un « parry », c’est-à-dire qu’il suffit de leur sauter dessus en réappuyant sur le bouton de saut pour les éliminer.

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