« Bien sûr, je le protègerai ! »
C’est ce qu’il avait promis avant de prendre la route avec Nico. L’ambiance, en sa présence, était vraiment trop tendue. Après deux jours de voyage, Girolamo avait suggéré de partir en éclaireur avec Nico, pour laisser aux autres l’occasion de voyager sans entendre sans cesse la petite musique grinçante de la rivalité. Leonardo et Da Peretola avaient besoin de se retrouver seuls. Enfin, pas tout à fait seuls tout de même, le Comte n’était pas confiant à ce point-là et avait en secret confié à Lucrezia de’ Pazzi une mission de pacification, de surveillance, pour le cas où la discussion s’échaufferait.
Et maintenant, ça !
« Nico ! Dis quelque chose. Parle-moi !
Pas encore une parole distincte, juste une plainte :
En ce moment, il gommait d’un trait épais les récriminations qu’il nourrissait parfois envers ses fonctions de soldat et émissaire de Rome car elles lui avaient appris à prévoir les embûches, tout ce qui pouvait survenir lors de ses nombreuses missions. « Calme, Dante, on va remédier à ça ! » dit-il en flattant l’encolure du cheval tout en prenant une longue corde dans le sac à selle.
De retour au bord du puits - heureusement presque entièrement asséché, il noua la corde à la poutre à laquelle était fixé le treuil et fit un noeud de chaise à l’autre extrémité. Il y glissa le pied, comme dans un étrier et entreprit la descente.
Par bonheur, dans cette plaine, le puits n’était pas profond. Sa corde était suffisamment longue. Il fut rapidement à la hauteur de Nico, l’eau lui arrivant à la taille.
« Je… c’est sûrement une ou deux côtes, murmura ce dernier. J’ai un peu de mal à respirer…
Il se courba pour aider Nico à nouer les bras autour de son cou et les jambes à sa taille… Les idées égrillardes surgissant parfois aux moments les moins opportuns, Nico ne put réprimer un bref éclat de rire, qui le punit aussitôt de cette incorrection en torturant ses côtes.
Nico se concentra donc sur une image du paysage qui l’attendait dehors et sur la perspective de l’air frais qu’il respirerait dix mètres plus haut. Le souffle lui revenait déjà. Il supposa qu’il avait surtout été coupé par la peur et par une certaine angoisse de se savoir enfermé. Dans son enfance, l’un de ses précepteurs avait l’habitude de le punir en l’enfermant dans une armoire, il en conservait une forte détestation pour les pièces exiguës. Il évita de penser à l’effort que devait fournir le Comte pour les hisser tous deux à bout de bras. Nico n’aimait pas être une charge, ni au propre, ni au figuré. C’est ce qui l’avait encouragé à quitter la maison si jeune pour entrer en apprentissage chez Verrocchio, qui l’avait ensuite « prêté » à Leonardo… de manière définitive s’avéra-t-il.
Enfin, Riario reprit pied hors du puits et s’agenouilla pour permettre à son cavalier de descendre… « J’ai l’impression de lire de l’ironie dans l’oeil de mon cheval ! plaisanta-t-il en aidant Nico à s’adosser contre un arbre tout proche. Je vais te chercher de l’eau… Tu t’es salement écorché les mains et le visage !
Pour toute réponse, l’homme lui donna trois tapes amicales sur l’épaule et s’en fut chercher l’outre à eau. Nico espéra qu’il penserait également au vin, il avait soif. *
C’est alors qu’il décrochait les deux outres que huit hommes surgirent de derrière les fourrés, épées et poignards en main en criant : « Plus un geste, Comte ! »
Désarmé et trop mal en point pour tenter quoi que ce soit, Nico assista, impuissant, à l’enlèvement de son compagnon de voyage et - une bouffée de rage et de détresse mêlées, le disaient - surtout son ami.
***
Les trois autres le trouvèrent attaché au tronc de l’arbre, en pleurs. Larmes de colère et de douleur, car les hommes n’avaient montré aucun égard et avaient malmené ses bras et serré la corde beaucoup trop fort.
Zo, les yeux exorbités, le visage en feu :
Leo, hagard, livide, les yeux brillants :
Seule Lucrezia se précipita vers le pauvre Nico pour le libérer et s’inquiéter de son état. Il nota ces réactions et lui sourit.
Il fit le récit des événements et conclut… « Il a pris mon cheval et m’a laissé Dante. Il a bien fait, ces sales types étaient de vrais sauvages.
Lucrezia nettoyait les écorchures de Nico, il était à présent tétanisé et cramoisi, elle fit mine de ne pas s’en apercevoir :
Le jeune homme retrouva ses mots et foudroya Zo :
Zo ébouriffa sa crinière noire dans un geste rageur :
On devinait la réprobation sous l’intonation, Zo en fut déstabilisé :
* On ne buvait pas d’eau lorsqu’on voyageait à l’époque, car elle transmettait évidemment de nombreuses maladies.