Girolamo Scrooge

Chapitre 3 : Carpe Diem, Carpe Noctem, Carpe Omnia

Chapitre final

1251 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/12/2019 18:10

Il reprit vraiment conscience de son environnement une demi-heure plus tard, quand un passant posa une pièce devant lui et , lui touchant l’épaule, dit : « ne désespérez pas, l’ami, tout finit un jour ou l’autre par s’arranger ! 

Riario sursauta puis, avisant le sourire bienveillant du bonhomme, sourit à son tour, timidement, toujours un peu ailleurs :

  • Merci à vous, mais ce n’est pas ce que vous croyez… Reprenez votre pièce et donnez-là à une autre personne, mes soucis ne sont pas d’ordre financier.
  • Oh ! Désolé, dit l’homme.
  • Il n’y a vraiment pas de quoi, le geste est appréciable… Les mots encore plus. »

Sur ce, le passant fit un petit signe de la main, reprit sa pièce et disparut.

Girolamo n’aurait pu dire à quel moment le Fantôme de Noël Présent l’avait quitté, ni s’ils avaient encore échangé quelques paroles.

Il s’était assis sur les escaliers de la bibliothèque municipale et avait tenté de sonder son incertitude : il ne savait ce qui, de la réprobation opiniâtre de Zo ou de la déclaration ouverte de Leo, le perturbait le plus.

Pourquoi, après tout ce temps, les insultes de Zo l’agaçaient-elles encore ? Après tout, l’homme avait tous les droits de le maudire car il avait été à un cheveu de le tuer à deux reprises. Cette inimitié était logique, fondée, acquise et en tout domaine Girolamo avait appris à ne jamais contester ou questionner les évidences.

Pourquoi les confidences de Leonardo à ses amis le surprenaient-elles ? Ou plutôt, non, ce n’était pas de la surprise, c’était plus flou que cela. Elles l’interpelaient, le touchaient au coeur, le bouleversaient et l’inquiétaient tout à la fois. Un mélange de tout cela, qui ne portait pas de nom, qu’il ne parvenait pas à définir. 

Et puis, que quelqu’un pût l’aimer… cela dépassait tout entendement.

C’est en se levant pour prendre le chemin de leur appartement que le Comte réalisa l’une des raisons de cette petite méprise du passant : sans la présence du fantôme, il était bel et bien visible et portait sa tenue négligée favorite : un vieux pull troué de Leo et des jeans qui avaient vu tous les conflits depuis la guerre de sécession. 

Il pressa le pas…

Pour se retrouver dans une espèce de terrain vague qui lui rappela le film « La vie est belle », de Frank Capra, dans lequel James Stewart vit la même situation.

« Une nouvelle aberration de Noël, maintenant ! » pensa-t-il.

Il regarda autour de lui et vit alors le troisième spectre, une silhouette revêtue de rideaux sales et déchirés, maigre comme la mort : « Je suis le Spectre des Noëls Futurs, dit une voix menaçante, et je suis là pour te montrer ton avenir… Suis-moi ! »

Les tennis de Girolamo semblaient avoir été coulés dans des blocs béton tant il peinait à avancer vers des scènes qu’il devinait redoutables.

Les lumières de la ville étaient bien loin, seule la bise semblait avoir des choses à chuchoter en se frayant un passage dans un brouillard mat et collant.

Le Spectre s’arrêta devant une pierre tombale. Girolamo eut un hoquet de surprise : c’était son nom qui y était gravé. Girolamo Riario della Rovere, Comte de Forli, 1984-2019.

La tombe était nue et couverte de terre et de mousse. 

L’horrible apparition posa alors sur lui une main squelettique pour l’entraîner un peu à l’écart et de là, il put assister à ce que personne, à sa connaissance, n’a jamais eu le triste privilège de voir, à savoir son propre enterrement !

Eh bien… l’ensevelissement de beaucoup de chiens attirait la plupart du temps au moins une personne, ce qui n’était pas son cas ! Pas un seul ami venu l’accompagner.

« C’est impossible ! Au moins, Leo devrait être là… Il m’aime, j’en suis certain à présent.

  • Et vous, l’aimiez-vous ?

Girolamo nota l’usage de l’imparfait et tout en lui se glaça. 

  • Je donnerais ma vie pour lui, celle-ci et toutes celles qui suivent s’il y en a !
  • Le sait-il ?
  • Bien entendu.
  • Parce que vous le lui avez dit ?
  • Non… Je… j’ai trop de pudeur pour dire ces mots-là. 
  • Le lui avez-vous montré d’une autre manière ?
  • Je… »

Mais il se tut.

Il repensa à la tristesse de cette soirée chez eux, à l’appartement glacial et sans décorations, au « repas de tous les jours » qu’il avait préparé. 

Oui, il rangeait, cuisinait, se chargeait de toutes les tâches ménagères chez eux, mais était-ce pour Leonardo ?

Non. Son artiste de compagnon n’avait rien à faire de tout ça, c’était pour lui même, pour son esprit amoureux de discipline et d’ordre qu’il le faisait !

« Comment suis-je mort ? murmura-t-il, comme si peu lui importait à présent.

  • Une simple bronchite mal soignée. Vous avez perdu connaissance dans votre studio et on ne vous a découvert que deux mois plus tard.
  • Ce n’était pas ainsi que cela devait finir. En toute logique, je devrais être mort de mort violente, dans une bagarre ou tué par un quelconque sniper payé par mon père.
  • Non, rien d’aussi spectaculaire… Les voisins ont été averti par l’odeur qui provenait de chez vous. 

Girolamo imagina la scène, la décomposition de son corps et se retourna pour vomir dans une haie en lambeaux.

  • Je pourrais vous montrer bien d’autres conséquences néfastes de votre façon de vivre et de penser, mais je crois que vous avez vu et compris suffisamment de facettes de votre existence pour cette nuit. C’est Noël, même les gens comme vous ont droit à un peu de clémence. Mais sachez que si vous ne changez rien, si vous continuez à négliger vos promesses et à vous fermer aux autres, la scène à laquelle vous venez d’assister se déroulera exactement comme cela ! »

Et tout à coup, ce terrible fantôme avait disparu et Riario était dans sa chambre, assis sur son lit, à fixer sans la voir la trompette que le deuxième visiteur avait laissée.

La sonnerie de son portable le tira de cette stupeur. Machinalement, il décrocha.

Le visage de Giovanni della Rovere apparut :

« Et maintenant, bouge-toi, cousin ! Bon dieu, tu vaux mieux que ça, agis, merde ! Depuis quand est-ce que mon guerrier de parent se laisse mener par le bout du nez par un destin qui se trompe de gars ?

Girolamo sourit et se leva d’un bond :

  • Tu as raison, Gio ! Oui, bien raison… Bon, tu m’excuses, mais je raccroche, je dois m’habiller pour aller retrouver Leo et ses amis.
  • Ses amis ? fit Giovanni, grondeur.
  • Nos amis » corrigea le Comte. »

Une demi-heure plus tard, vêtu de son plus beau costume, Riario quitta l’appartement en prenant soin de régler le thermostat à la température idéale, les vingt degrés qu’aimait Leo et cette nuit-là, ils volèrent tous deux bien plus haut que d’habitude, car Girolamo avait veillé à prononcer la formule magique que tous les amoureux espèrent.


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