LES TEMPS D'AVANT

Chapitre 16

1436 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/05/2020 22:35

Vanessa passait un savon à l’un de ses prétendus assistants dans la cuisine du Shelter. Elle se promettait, ce faisant, d’arracher les yeux de Leonardo dès qu’elle le reverrait. Combien de fois l’avait-elle déjà promis en deux jours ? Au moins vingt !

Ces deux bons à rien lui donnaient plus de travail que si elle avait été seule. Sans cesse, ils interrompaient les clients au moment inopportun, elle oubliait ce qu’on lui avait demandé et s’en retournait, confuse, prier le consommateur de bien vouloir répéter.

Ou alors, ils confondaient les chutneys et les desserts, faisaient des fautes extravagantes au tableau noir du menu…

Elle perdait la tête !

Quand son téléphone sonna, elle lança un juron au plafond.

Mais elle se détendit tout de suite : Nico ! 

(Bien sûr, Leo n’osait pas appeler en personne.)

« Nessa !

— Nico ! Je suis si heureuse de t'entendre ! Comment vas-tu ? Ils ne t’ont pas fait de mal, au moins ?

— Non, je vais bien. Leo et Riario veulent que tu nous rejoignes en Sicile. Ils sont inquiets et disent qu’il faut absolument que tu viennes. Et surtout sans rien dire à personne.

— Oui, c’est ça, attends, je vais cueillir les billets de banque sur l’arbre de mon jardin et j’achète mon billet aussi vite.

Il rit :

— Ils ont pensé à ça aussi. Ils disent que tu dois vider la caisse, que ce sera bien fait pour Lucas.

— Et au retour je me ferai pincer pour vol… merci bien !

— Nessa, sans vouloir t’effrayer, le Comte dit que son père pourrait s’en prendre à toi. Alors, remplis un sac, là, tout de suite, et disparais ! Il y a beaucoup de vols pour Palerme. Tu atterris au Falcone-Borsellino, on sera là pour t’accueillir.

— Comment va Riario ? Ils ne l’ont pas capturé, si je comprends bien.

— Non, il pète la forme, t’inquiète.

— Pourquoi je ne peux pas l’imaginer pétant la forme ? rit-elle à son tour.

— Parce qu’il n’était pas comme ça à Londres… Allez, je raccroche parce que là, tu plantes tout et tu pars. MAINTENANT ! »

Il raccrocha.

La jeune fille jeta un regard autour d’elle, à la salle pleine, aux quatre touristes en tenues hippies (ils revivent le Londres de leur jeunes années), à la table des acteurs habitués et à Humphrey et son chapeau mou, qui venait tous les jours manger un sheppard’s pie avec le même plaisir manifeste.

Puis, Rowan laissa tomber une assiette toute pleine en cuisine.

Elle vida la caisse et fila par la porte du vestiaire du personnel, vers un pays qu’elle n’avait jamais visité.

Sur son chemin, les pavés riaient.

***


Girolamo avait un peu de rose aux joues en tendant sa liste à Leo et Laura, assis côte à côte pour tenter de résoudre le casse-tête des messages nocturnes de Fausta. 

« Ils parlent beaucoup d’amour, de passion… et je ne parviens pas à y voir de suite logique. Je les ai notés dans l’ordre de ses visites, mais est-ce bien ainsi qu’il faut les lire ? »

Ils lurent :


Fureur

Il n’est pas fait de vent

L’amertume se transforme en douceur

L’abondance de plaisir intense

Des âmes soeurs

Des ennemis confessent leur amour

Déchire la nuit de lumière

Un coeur emballé

Des amis s’éloignent

Un désir rayonnant

Il soigne vos blessures en vous blessant

Beau visage

Les tout premiers désirs

Le doux regard

Prends garde au sentier

Te sens-tu séparé de ton ombre ?

Il me donne la vie et ce faisant, la prend.


« Parfois, elle disait la même phrase plusieurs nuits d’affilée, comme pour insister. Parfois, elle ne disait rien, elle fredonnait et me regardait fixement. Je n’étais pas plus capable de dormir quand elle se taisait, car je sentais son regard, comme posé sur ma joue. »

Leo se surprit à penser que le Comte avait eu droit à un discours bien plus sexy de la part de Fausta, mais ne dit rien. Manifestement, ce genre d’allusion le gênait.

Voilà ma liste, dit-il . Autant vous dire qu’elle ne m’évoque rien, sinon une certaine urgence…


Cherche ta vraie famille

Sauve des vies, sauve MA vie.

L’oiseau du vent

Cherche, cherche !

La terre du sentier est sombre

Vois mon ombre, je vis.

Hâte-toi de voir et d’écouter

Abats ce qui te sépare de toi-même

L’âme de ton ennemi.


Laura Cereta ne disait pas un mot, mais auprès d’elle, les deux hommes sentaient les ondes d’une tension, et ne furent pas surpris de l’entendre proposer : « Essayons de les entremêler… la clef est peut-être là ? Vous avez remarqué, il y a des mots communs… et si, en fait, ils se répondaient ?

— Essayons, ça, dit Leo. 

— Procédons avec logique, suggéra Girolamo : nous allons recopier chacun le deux listes, ça nous empêchera de nous distraire l’un l’autre, de court-circuiter sans le vouloir une intuition de l’un des deux autres.

— Vous avez raison, dit Leo… c’est comme ça aussi quand je peins : l’idée passe et c’est le moment qu’un autre choisit pour m’en suggérer une autre. Adieu, l’idée !

Ils se mirent au travail.

Ils étaient appliqués comme de bons étudiants quand Tom entra : 

— Merde ! Ça serait trop demander que d’avoir une bon dieu de place à soi pour faire la sieste ?

Leo ne leva même pas les yeux, il leva le bras pour désigner la sortie du doigt.

Son ami bougonna mais sortit.

Laura ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais la referma aussitôt. Ce n’était vraiment pas le moment.


Au bout d’une grosse demi-heure, Leonardo se leva en silence pour aller se servir un café. Laura l’interrogea du regard en mimant sur ses lèvres : « Vous avez quelque chose ? » Il fit oui de la tête et agita la main dans un message « plus ou moins ».

Cinq minutes plus tard, Girolamo se levait d’un bond, chiffonnait rageusement sa feuille et se précipitait hors de la tente.

Les deux autres regardèrent le papier chiffonné avec convoitise, mais n’y touchèrent pas.

Ils devinaient assez vaguement pour l'avoir fait eux-mêmes, que ce genre d’exercice pouvait faire surgir à la surface des images et idées inopportunes et l’inconscient du Comte ne devait pas manquer de souvenirs plus glauques que les leurs.

Leo se rassit à côté de Laura et lui présenta ce qu’il avait assemblé. 


Cherche ta vraie famille

Te sens-tu séparé de ton ombre ?

Vois mon ombre, je vis.

Des âmes soeurs

Sauve des vies, sauve MA vie.

Hâte-toi de voir et d’écouter

Cherche, cherche !

Des amis s’éloignent

Le doux regard

Des ennemis confessent leur amour

Il n’est pas fait de vent

Prends garde au sentier

La terre du sentier est sombre

L’oiseau du vent

Un désir rayonnant

Il me donne la vie et ce faisant, la prend.

L’amertume se transforme en douceur

Fureur 

Un coeur emballé

Les tout premiers désirs

Beau visage

Il soigne vos blessures en vous blessant

L’abondance de plaisir intense

Déchire la nuit de lumière

Cherche, cherche !

Abats ce qui te sépare de toi-même

L'âme de ton ennemi.


« Oh, mon dieu, Leonardo ! Regardez le mien : il est presque identique !

Et je parie bien que celui de Riario l’est aussi ! » dit Leo.


Mais le Comte avait poussé le défi plus loin et avait fait de cet assemblage un texte plus fluide :


Cherche ta vraie famille, toi qui te sens séparé de ton ombre.

Vois la mienne : je vis... et nous sommes des âmes soeurs.

Sauve des vies, sauve MA vie.

Hâte-toi de me voir et de m’écouter.

Cherche, cherche, quand des amis s’éloignent.

Vois le doux regard des ennemis, il confesse leur amour, qui n’est pas fait de vent.

Prends garde au sentier, car la terre du sentier est sombre,

Alors que l’oiseau du vent est un désir rayonnant.

Il me donne la vie et, ce faisant, la prend.

L’amertume se transforme en douceur-fureur.

Un coeur emballé par les tout premiers désirs 

Fait qu’un beau visage soigne vos blessures en vous blessant

Et l’abondance de plaisir intense

Déchire la nuit de lumière.

Cherche, cherche, ce qui te sépare de toi-même et de l'âme de ton ennemi.


Comment aurait-il pu le leur montrer ?


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