Pensées d'un shinigami

Chapitre 1 : Pensées d'un shinigami

1301 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:50

Planté sur le haut de cette tour, je contemple les petites fourmis qui s'agitent dans tous les sens, sous mon regard incrédule. Elles marchent, courent, vers où, vers quoi ? Pas sure qu'elles le sachent elles-même.

A leurs yeux d'humains bien vivants, je vis dans un monde invisible. Souvent, ils passent près de moi, mais ils ne peuvent me voir. D'ailleurs, s'ils le pouvaient quelle pourrait bien être leur réaction.

A quoi je ressemble ? Je ne sais pas. Pas à eux en tout cas.

Même eux ne savent pas comment m'appeler, certain la faucheuse, d'autre le shinigami, ou encore la mort...

Que j'aimerais pouvoir exister comme eux, toucher, sentir, croquer ces choses sucrées dont ils raffolent. Comprendre ce que sucré , âpre, amer veut dire.

Parmi eux, certains pensent que je suis seul, d'autres que nous sommes plusieurs et d'autres encore que je n'existe pas.

N'est ce pas étrange, sans me voir, ils me devinent, m'idéalisent, me redoutent, me définissent, alors que même moi, je ne sais pas trop ce que je suis.

 

Et quand enfin, ils me voient, du moins me ressentent près d'eux, il est trop tard. Ils sont morts. Ils ne peuvent revenir en arrière pour rassurer leur famille, leur amis qui les pleurent.

Là assis, je fais ma pause. Ce soir, il va me falloir une ou deux victimes quand même. Mais, je suis un peu las.

Mes collègues m'ont dit que cela arrivait parfois, qu'être insensible était dur à tenir sur le long terme. Je ne croyais pas être un jour atteint de cette lassitude. Dés mes débuts, j'emportais avec sourire mes âmes, presque comme eux lors de leurs fêtes d'anniversaire.

D'ailleurs, voilà un cérémonial bien étrange. Je n'ai jamais compris leur système de comptage. Ils font une journée spéciale, pour chaque personne, tous les trois cent soixante cinq jours voir un de plus parfois...pourquoi ce chiffre? Ne serait-il pas plus sympa, de fêter le millième jours puis le deux millièmes, bref un compte rond ! Du coup, pour s'en sortir, ils en ont fait des plannings, des calendriers comme ils disent. Gare, à celui qui a le malheur d'oublier !

 

Au delà du comptage, quel intérêt de célébrer sa progression dans la vie. Dès qu'ils naissent, leur jours sont comptés et au lieu d'en profiter, ils les organisent, les paramètrent. De tel âge à tel âge, tu seras à l'école, à tel autre, tu seras autonome, à tel autre, tu pourras procréer...

Peut-être que célébrer ce temps qui passe les rassure. Faut dire qu'à leur naissance, ils ne savent pas combien de temps ils ont devant eux : vingt, trente, quarante ans, voir seulement quelques minutes.

Hum, ces dates sont des fêtes quand ils sont vivants et elles deviennent des souffrances quand ils ne sont plus !

Souvent, quand je les emmène avec moi, leur premier réflexe est de me demander :

 

  • « Pourquoi si tôt ? J'avais encore du temps devant moi et plein de projets  ;

  • Mais non, tu n'as jamais eu ce temps. Je ne t'ai pas enlevé trop tôt, c'était le moment. »

 

Certes, je peux comprendre que mourir, avant d'avoir pu goûter à tous les plaisirs de la vie, peut paraître injuste et bien cruel. Ceci dit, ce n'est pas ma faute, s'ils vivent en pensant à leur futur avant leur présent. Aujourd'hui vivant , demain mort.

Par contre, un autre fait étrange avec eux, les humains, c'est qu'ils veulent mourir le plus tard possible, voir même pas du tout. Ils trouvent horrible et injuste quand je viens. Pleurent toutes les larmes possible quand je leur prends un être cher...et pourtant, ils se tuent entre eux! N'est-ce pas ridicule comme situation ?

Au lieu de profiter de la vie, de vivre en harmonie, ils se jalousent, se battent, se font souffrir et se tuent puis pleurent de leur tourment.

Ils n'ont qu'à vivre et apprécier leur chance de pouvoir sentir toutes ces exaltations, ces odeurs et apprécier les couleurs . Mais non, ils préfèrent gâcher leur vie et celles des autres.

Ah ces humains! Ils ne sont pas logiques avec eux-même.

Sans compter que c'est le capharnaüm après. Ces âmes, elles sont effectivement mortes avant leur date, du coup il n'y a personne pour les accueillir.

 

Nous, nous ressentons leur appel à l'aide mais il faut les trouver et ce n'est pas une mince affaire.

Moi, je n'aime pas jouer au chat et à la souris comme ils disent ou ce jeu  cache-cache peut être. Une âme perdue, c'est plus difficile de lui expliquer et de la convaincre de passer dans l'autre phase de son existence.

Parfois, on n'y arrive pas . Elle déambule alors dans ce monde,parfois pendant plusieurs années, avant de réaliser qu'elle doit accepter. Cela a donné lieu à d'étranges phénomènes, car parfois ils arrivent à communiquer avec leurs semblables.

 

Mais, pendant qu'on fouille les recoins, les âmes qui devaient partir, attendent...Certains nous réclament même, mais on doit les faire patienter, sans pouvoir leur expliquer. Parfois, j'aimerais pouvoir dire :

  • « Bonjour monsieur Untel, je suis la mort. On avait rendez-vous à quatorze heure trente, mais, vous comprenez, une bombe a tué trente-quatre personnes ce matin et je fais partie de l'équipe de « secours des âmes » ;

  • Mais, je souffre moi sur mon lit d’hôpital, je n'en peux plus, je veux mourir . J'ai été gentil toute ma vie. Pourquoi m'infliger tant de souffrance. Je ne le mérite pas . Les cachets ne font plus effet, les médecins n'ont pas le droit de m'aider à mourir. S'il-vous-plaît, moi d'abord ;

  • Monsieur, je suis désolé, eux, ils sont déjà morts et se sentent perdus. Nous ne pouvons pas les laisser errer dans ce monde. Je comprends bien que vous soyez pressé, mais je vous assure que je vais me dépêcher. Je reviens vite vous chercher, avec la chambre deux cent douze et trois cent vingt quatre, demain matin si tout va bien. Veuillez m'excuser pour le retard. »

 

Il y a tant de façons de s'approcher de moi, la maladie, la fatigue du corps. Pourquoi faut-il qu'ils en rajoutent ?

 

J'ai déjà assez de travail en temps normal. Je n'ai vraiment pas besoin qu'on m'en donne en plus.

Y a des jours ou j'aimerais faire grève.

 

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