Si Vis Pacem...

Chapitre 8 : VI- Are you dead yet?

Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/10/2008 01:03

 

VI -Are you dead yet ?
 
 
 La neige tombait doucement sur Harrogath, recouvrant toute chose de son manteau pur et protecteur. Pour une raison qu’il ignorait, Hösrok adorait la neige. Il s’agissait certainement de l’une des dernières chutes, car le printemps ne tarderait pas à poindre.
 La cité s’éveillait peu à peu. Bientôt, la foule arpenterait les rues, et sous ses pas innombrables, le linceul d’une perfection irréelle se muerait en une boue infâme lorsqu’elle aurait fondu. Fallait-il donc que l’homme gâche tout ce qui était beau dans la nature ?
 
 Mais le plaisir de fouler la neige en premier n’était pas la seule raison qui poussait Hösrok à se lever deux heures avant la plupart de ses concitoyens. Il appréciait le calme des rues désertes. Il se sentait plus libre. C’est ainsi qu’il avait pris l’habitude de se rendre régulièrement seul auprès du mémorial aux morts de la guerre contre Baal, derrière le temple consacré aux esprits de la montagne, tôt le matin. Ce jour-là, cependant, il constata avec surprise la présence d’un autre homme. Qu’il connaissait bien, d’ailleurs.
« Emund ?
 Le capitaine de la garde leva le regard, soudainement tiré de ses pensées.
-Monseigneur ?
-Que fais-tu ici ?
-C’est la tombe d’un soldat que j’ai connu. Il s’appelait Alerssen. Nous étions dans la même compagnie pendant la guerre. Nous avons été capturés. Les démons nous ont retenus prisonniers et nous ont torturés pour obtenir des renseignements. Ce furent… les pires moments de ma vie. Mais nous avons fini par nous évader, Alerssen et moi. Sans son aide, je serais resté dans l’enclos jusqu’à ce que les démons se lassent et me tuent. Il est mort de ses blessures. Il avait une femme et un fils.
 Hösrok ne sut que répondre. Il se souvint de ce que lui avait dit Besakssen. « Cesse de vivre dans le passé. La guerre est finie. » Mais à Harrogath, la guerre était encore dans tous les cœurs, treize ans après. Il n’y avait pas un habitant qui n’ai perdu un père, un frère, un cousin, un fils ou un ami lors d’une bataille.
-Vous avez l’air fatigué, Hösrok. Et votre escorte est rentrée très tard. Qu’est-ce qui vous a retardé ?
 Il hésita. Personne pour l’instant, en dehors de Besakssen, n’était au courant de la tentative d’assassinat. Mais Emund était un homme de confiance.
-Nous avons été attaqué par des mercenaires.
-Un assassinat ?
-Sans aucun doute.
-Anya est-elle au courant ?
-Pas encore.
-Et le conseil ?
-Non. Ecoute, Emund, cela doit rester secret. Nous devons trouver le ou les commanditaires de l’assassinat, mais l’enquête doit se faire dans l’ombre. Personne ne doit être mis au courant.
-Avez-vous une quelconque idée de…
 Hösrok le fit taire d’un geste discret de la main. Le capitaine comprit aussitôt. Sa main se porta à la garde de son épée. Le frère de Katenbau attendit. Le silence retomba autour d’eux. Rien ne bougeait dans le cimetière.
-Repartons, dit-il. »
 Les deux hommes quittèrent le mémorial tout en scrutant les rangées de tombes autour d’eux. L’attaque survint alors qu’ils contournaient le temple. Une flèche siffla tout près du crâne d’Hösrok, manquant de peu sa cible. Il se mit en garde, exhibant sa faux de guerre, tandis qu’Emund dégaina l’immense épée à deux mains qui pendait habituellement dans son dos.
 Cinq hommes jaillirent d’entre les piliers, tandis que celui qui se trouvait sur le toit encocha une autre flèche à son arc court. C’étaient également des assassins, et, d’après leur équipement, ils ne débutaient pas dans la profession. Trois se ruèrent sur Hösrok, tandis que les deux autres se chargeaient d’éloigner Emund. Le capitaine de la garde d’Harrogath ne l’entendait cependant pas de cette oreille. Il empala le premier assassin qui arriva à sa portée. Le second le chargea avant qu’il n’ait pu dégager son arme. Il évita le coup en se baissant, puis répliqua par un crochet du gauche dans le menton de son assaillant qui tituba quelques pas en arrière. Il en profita pour dégager son épée d’un coup de pied dans le cadavre qui l’encombrait, avant de s’en servir de bouclier contre l’estoc du second mercenaire.
 
 Hösrok se fit encercler. Ses trois adversaires attendirent, comme s’ils hésitaient. « Ils ont sûrement eut vent de l’échec de leurs collègues » pensa-t-il. Soudain, celui qui se trouvait dans son dos passa à l’attaque. Le barbare se retourna et para; ce fut comme un signal d’attaque pour les autres. Ils attaquèrent de concert, et le frère cadet de Katenbau les repoussa à grand peine. Comprenant qu’il ne pourrait tenir très longtemps ainsi, le prince d’Harrogath prit l’initiative du combat. D’un revers fulgurant, il décapita l’un de ses ennemis, puis se saisit du corps encore dressé pour se protéger des deux estocs qui visaient son dos. Il se trouvait maintenant en face de ses deux adversaires.
 Il se lança dans une trombe, mais ne parvint qu’à blesser l’un de ses adversaires. L’autre se fendit à l’extrême, espérant atteindre son dos. Hösrok se retourna, et le désarma d’un court revers, avant d’achever son mouvement en le décapitant. Le barbare se préparait à attaquer son dernier adversaire lorsqu’il entendit le sifflement caractéristique d’une flèche.
 Emund se retourna et vit Hösrok tituber, une flèche entre les deux omoplates. Une soudaine rage s’empara de lui, et il attaqua de front ses deux adversaires, les forçant à reculer. L’un d’eux se déporta sur un côté, cherchant à le prendre en traître. Il continua d’attaquer celui qui lui faisait face.
 Hösrok respirait avec difficulté. La flèche n’avait sans doute pas touché d’organes vitaux, sans quoi il serait déjà mort, mais la blessure était incroyablement douloureuse. Il entendit un autre sifflement. Le mercenaire qui s’apprêtait à le tuer s’effondra, un couteau de lancer planté dans la gorge. Il entendit une voix qu’il connaissait bien :
« Celui sur le toit ! Tuez celui sur le toit, tas de bons à rien !
 Malgré la douleur, Hösrok eut envie de rire. Qual-Kehk n’était pas tendre avec ses hommes. Il entendit le bruit de bottes martelant les pavés, puis le sifflement d’un autre projectile, et enfin, le bruit mat du corps de l’assassin heurtant le sol.
-Qu’attendez-vous, larves ? Allez secourir le capitaine !
 Qual-Kehk s’agenouilla auprès d’Hösrok.
-Est-ce que ça va ?
-J’ai une flèche dans le dos… grommela le barbare.
-Ne le prends pas si mal, Hösrok. Nous allons t’emmener chez Malah.
-Elle exerce encore ?
-Non, mais je ne fais confiance à aucun autre guérisseur.
 Il était inutile de protester.
-Gardez-en un en vie. Il faut les interroger pour savoir qui les envoie.
 Deux soldats le soulevèrent et l’étendirent sur une civière.
-Qui sont ces hommes ? Ce ne sont pas des gardes de la ville ?
-Non ; disons qu’ils remplissent la même fonction, mais qu’ils ne reçoivent pas leurs ordres des mêmes autorités.
-Je vois. Et qui t’a demandé de prendre leur commandement ?
-Es-tu donc naïf au point de croire qu’Anya te laisse arpenter la cité comme un vagabond ?
-Je crois que nous aurons une discussion, dès que cette maudite flèche ne me fera plus un mal de chien.
-J’ai connu le vieil Aust, son père, et je peux te dire que toute discussion avec elle est vaine. Le même sang coule dans leurs veines. Et pour l’interrogatoire ?
 Hösrok réfléchit un moment, puis dit :
-Je n’aime pas que l’on m’attaque dans le dos. Tu as carte blanche. »
 Qual-Kehk eut un sourire réjoui.
 
 
 
 
……………
 
 
 
 
 « En vérité, il semblerait que ni les archanges ni les démons aient jamais comprit la véritable nature de la création. Toute chose, tout homme, tout animal est fait de chaos et d’ordre. La passion est le chaos, et il faut qu’il y ait la raison, qui est l’ordre, pour la canaliser, mais sans elle, nous serions des machines ! De même, la lumière ne peut être seule. Elle produit toujours une ombre, lorsqu’elle touche un objet. Et l’ombre ne peut-être totale, tant que des choses existent, car toute chose émet une lumière, si faible soit-elle. Ainsi, tout dans l’univers nécessite l’union de deux éléments contraires mais complémentaires : la lumière et l’ombre, l’ordre et le chaos, le yin et le yang, l’esprit et la matière.
 L’équilibre est nécessaire dans tous les êtres, pour le corps comme pour l’esprit. Un homme dont l’esprit n’est que chaos est un fou, un autre dont l’esprit n’est qu’ordre, est un maniaque froid et calculateur, dénué de sentiments. D’ailleurs, ne dit-on pas de quelqu’un en bonne santé mentale qu’il est équilibré ? Quant à la morale, ne prescrit-elle pas généralement l’équité plutôt que l’excès, et l’usage tantôt de la raison, tantôt du cœur, tantôt des deux ?
 Il en découle que vous devez également fonder votre technique de combat sur ces notions d’équilibre. En position défensive, l’épéiste doit être une forteresse d’équilibre, un bastion inexpugnable. Vos appuis comme vos réflexes doivent être parfaits. Ainsi, vous pourrez parer toutes les attaques qui se présenteront dans certaines limites de vitesse et de puissance.
-Que voulez-vous dire par là ?
-Je veux dire que toute technique a ses limites. N’espérez pas arrêter un rhinocéros en furie parce que vos appuis sont parfaits.
-Vous voulez dire que votre enseignement est inutile ?
-Etait-ce une boutade, Katenbau ?
-Une petite.
-Je vois. Abstenez-vous à l’avenir, à moins qu’elle ne soit bien meilleure.
-N’avez-vous aucun humour ?
-Disons que mon humour est différent de celui des humains. Et maintenant, si vous le voulez bien, passons donc à la pratique. »
 
 
 
 
……………
 
 
 
 
 La porte s’entrouvrit lentement, et un rai de lumière pénétra dans la pièce étroite où était allongé Hösrok. Qual-Kehk entra.
„Je suis heureux de te voir remis, commença-t-il. C’était une sale blessure.
-Malah en a vu d’autres pendant la guerre.
-On a quand même eu une sacrée frayeur quand elle nous a dit que la flèche était empoisonnée, surtout Anya. D’ailleurs elle est passé te voir ce matin, à ce qu’on m’a dit.
-Oui, répondit simplement Hösrok.
 Il y eut un court blanc, puis Qual-Kehk demanda :
-Ca c’est mal passé ?
-Elle m’a reproché de ne pas lui avoir parlé d’un problème aussi important.
-Elle n’a pas tort, tenta le vieux stratège. Je pense que tu ne lui fais pas assez confiance.
-Pour ce qui est de la confiance, je crois que me faire suivre dans les rues de ma propre cité n’en est pas une marque. C’est d’ailleurs ce que je lui ai dit.
 Qual-Kehk grimaça.
-Comment l’a-t-elle prit ?
-Plutôt mal. Elle m’a dit que je prenais tout trop à la légère. Elle a insinué que je ne serais peut-être pas un bon père pour notre enfant…
-Tu penses que c’est du sérieux ?
 Hösrok parut pensif, puis il sourit.
-Non, c’est sans doute sa grossesse qui la travaille.
-Tu ne devrais pas en plaisanter.
-Très bien, dans ce cas, parle-moi donc de l’interrogatoire.
 Le visage las de Qual-Kehk s’éclaira subitement.
-Figure-toi que ce cher bougre refusait d’émettre le moindre son. Il a commencé à causer quand on lui a mis les petites lames sous les ongles, et il s’est jeté à l’eau quand on est passé à l’écarteleur…
 Ce fut au tour d’Hösrok de grimacer.
-Je ne parle pas de la procédure.
-C’est Meyneld qui l’a contacté et payé.
-Meyneld du conseil des patriarches ?
-Lui-même. Evidemment, c’est une sacrée nouvelle.
-Certainement. Je savais que les patriarches ne me portaient pas vraiment dans leur cœurs, mais de là à engager des assassins…
-Quelle manque de finesse! Ils auraient au moins pu avoir la décence de t’empoisonner au lieu de te faire abattre en pleine rue.
-Tu as parfois d’étranges réflexions, Qual-Kehk. Mais comment savoir s’il n’a pas lancé ce nom au hasard ?
-J’ai mené mon enquête. La nuit dernière, le siège du conseil a «accidentellement» brûlé. Officiellement, toute la paperasse récente y est passée.
-Tu as récupéré leurs correspondances ?
 Qual-Kehk sourit.
-Figure-toi que ces imbéciles consignaient par écrit toutes leurs décisions, mêmes les plus secrètes. Il est écrit noir sur blanc sur un de ces précieux papiers officiellement réduits en cendres qu’ils ont résolu de te faire assassiner.
-Je vois.
-Que vas-tu faire?
 Le frère cadet de Katenbau ne dit rien pendant quelques minutes.
-Je crois qu’il faut rendre publique la tentative d’assassinat, et décréter la mise en quarantaine totale de la ville. Personne, pas même un patriarche ne doit pouvoir quitter la cité. Ensuite, nous organiserons le procès de l’assassin, si possible en place publique, devant toute la population. Evidemment, le conseil sera invité. Vous placerez des hommes de confiance de manière à les empêcher de fuir lorsque notre bougre les aura dénoncé. Il serait dommage que la foule en colère les abîme tant que la justice ne puisse plus faire son œuvre.
-Ca me paraît être un bon plan, acquiesça le vieux chef de guerre d’un air enthousiaste. »
 
 
 La rumeur commença à se répandre, et bientôt, il était sur toutes les lèvres qu’on avait tenté d’assassiner le prince Hösrok, et qu’un grand procès aurait bientôt lieu afin de démasquer les conspirateurs. Le conseil des patriarches avait désapprouvé le procès, arguant que « quiconque attentait à la vie du noble prince d’Harrogath de façon aussi vile devait être pendu sans plus attendre ». Hösrok éclata de rire lorsque Qual-Kehk lui rapporta ces propos, et le procès eut lieu, malgré la réticence du conseil. Le mercenaire se trouvait au centre de la place des fêtes ; en face de lui se tenaient Qual-Kehk, interrogateur de la partie publique, et, plus loin, une estrade où étaient assis Hösrok et Anya. Les patriarches, dont certains avaient la mine fort blême, étaient installés derrière le tueur à gages, se trouvant ainsi dans l’incapacité de communiquer avec ce dernier. Le reste de la place était occupé par le peuple d’Harrogath, autour duquel s’étirait un périmètre de gardes ne répondant qu’aux ordres d’Hösrok, qui d’ailleurs avaient déjà eu à plusieurs reprises affaire à des membres du conseil des patriarches qui tentaient de s’éclipser en prétextant une urgence à régler au plus vite. Tous avaient été raccompagnés à leur place.
 Après les formalités d’usage, l’interrogatoire à proprement parler commença. Le mercenaire avoua sa tentative d’assassinat sous les conspuassions indignées de la foule. Le silence tomba brutalement lorsqu’il révéla le nom de son commanditaire. Tandis que la foule était saisie par la consternation et que les patriarches criaient à la diffamation, Qual-Kehk sortit une pile de documents d’une poche de son vêtement.
 Lorsqu’il eut achevé sa lecture, la foule hurlait à la trahison et réclamait la pendaison des patriarches qui s’étaient effondrés sur leurs sièges. Le procès fut bouclé et les anciens patriarches furent tous sans exception condamnés à l’échafaud. Le calme revint peu à peu et la foule se dispersa. Hösrok se tourna vers Anya, qui garda le silence pendant quelques instants.
« D’accord, d’accord, maugréa-t-elle, j’admets que tu t’en es bien sorti.
-Bien sorti ? Je viens d’éviter une tentative d’assassinat et de récupérer au passage les pleins pouvoirs !
Anya sourit d’un air malicieux.
-Erreur, mon cher, je récupère les pleins pouvoirs.
Hösrok feignit d’être horrifié.
-Bon sang, qu’ais-je fait ? »
  Elle le gifla, puis l’embrassa.
 
 
 
 
……………
 
 
 
 
 « Le seigneur de guerre se redressa et hurla longuement, un cri de triomphe qui retentit sur le charnier qui abreuvait de rivières de sang la terre couverte de cendres du champ de bataille, se répercutant dans les montagnes avec des échos terrifiants, avant de s’élancer à la conquête des cieux d’un pourpre apocalyptique. Tout autour de lui n’était que mort et désolation. Des éclairs zébraient le ciel où apparaissaient les vortex rouges, toujours plus nombreux. Des armées titanesques jaillissaient de ces plaies ouvertes dans le firmament rougeoyant, cherchant l’une après l’autre à s’emparer de la cité noire. Mais toutes étaient destinées à l’échec. Car il était le Seigneur de Guerre Vanathrim, et Sanctuary était son territoire.
 Une autre armée jaillit des cieux et fondit sur lui. Il dégaina Fendremonde, son épée, et s’apprêta à les accueillir. Un fleuve de sang allait encore couler. »
 
 
 Menarnar se réveilla en sursaut, le corps baigné de sueur. Pendant un instant, un cri terrible lui vrilla les oreilles tandis que des visions de cieux ardents au dessus de montagnes desséchées rôdaient devant ses yeux. D’instinct, il saisit la garde de Sorrow, puis, voyant qu’il n’y avait pas de danger immédiat, il se rendormit.
 

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