Le Noël de Maléfique
Chapitre 1 : Le Noël de Maléfique
2231 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 03/12/2025 08:50
La neige tombait en silence sur les Landes Enchantées, étirant un voile blanc et scintillant sur les étendues sauvages. Chaque flocon semblait hésiter avant de se poser, léger comme un soupir, sur les branches noires des arbres tordus par le vent hivernal. Le paysage, d’ordinaire sombre et austère, ressemblait presque à une illustration d’un vieux conte, baigné de reflets argentés. Derrière la vitre de son antre, Maléfique observait la scène avec une expression mêlant lassitude et irritation. Son coude reposait sur l’accoudoir de son large fauteuil d’ébène, son menton posé contre une main fine gantée de cuir. La lueur glacée du dehors accentuait le vert doré de ses yeux, où dansaient des éclats peu patients.
« Encore cette période étrange… Noël. »
Elle laissa tomber le mot comme une pierre au fond d’un puits, son visage se crispant légèrement. À ses oreilles, il sonnait comme une insulte, un concept inutilement bruyant. Elle détourna le regard de la fenêtre, exaspérée par cette ambiance insaisissable qui envahissait jusque son territoire. Depuis plusieurs jours, elle avait dû supporter la vision d’Aurore courant dans le château, virevoltant d’un couloir à l’autre avec une énergie presque dangereuse. La jeune reine disparaissait sous des guirlandes étincelantes, des rubans rouges et dorés qui semblaient s’accrocher à elle comme des lianes lumineuses, et une joie contagieuse, irritante, insupportablement rayonnante, qui, aux yeux de Maléfique, aurait pu donner des boutons à un troll. Pourtant, alors qu’elle resserrait son châle sombre autour d’elle, Maléfique dut reconnaître une vérité désagréable : cette année, quelque chose en elle se montrait… curieux. L’esprit de Noël, ce concept étrange qu’elle avait toujours refusé de comprendre, venait chatouiller son esprit comme une plume insolente. Et la curiosité, quand il s’agissait de Maléfique, annonçait souvent l’arrivée d’ennuis. De grands ennuis.
Sous un sort de dissimulation, car il était hors de question d’admettre qu’elle voulait comprendre cette agitation festive, Maléfique se glissa dans la grande salle du château. Ses pas semblaient glisser sur le sol de marbre, invisibles et silencieux comme une ombre portée par la lune. L’odeur chaude des bougies mêlée à celle de la résine fraîchement coupée lui chatouilla les narines, et elle fronça aussitôt le nez, peu habituée à un parfum aussi… joyeux. Aurore, quant à elle, se tenait près de la longue table en chêne. Penchée sur un tas de parchemins colorés, les sourcils froncés, elle murmurait pour elle-même, un doigt glissant le long de la liste.
« Si je mets les cadeaux des fées ici, et ceux des habitants là… oh ! Et il manquera un dernier ruban sur le grand sapin ! »
La jeune reine parlait avec un enthousiasme débordant, complètement absorbée par l’organisation de la fête. Ses cheveux blonds, relevés à la va-vite, laissaient échapper de fines mèches lumineuses qui tremblaient à chaque geste brusque. Maléfique leva alors les yeux, malgré elle, vers l’arbre monumental dressé au centre de la pièce. Un véritable colosse de verdure, touchant presque les arches du plafond. Des centaines de bougies flottantes l’entouraient, suspendues par magie comme un essaim d’étoiles captives, projetant sur les murs dorés des ombres mouvantes. Elle souffla, exagérément lasse.
« Tout ça pour un arbre mort… »
Elle commença à reculer, prête à quitter cette scène trop lumineuse pour être supportable. Mais au même instant, un petit lutin maladroit surgit d’une pile de paquets, trébucha, vola presque sur deux mètres et heurta violemment un meuble derrière lequel Maléfique s’était dissimulée. Le choc fit vibrer les décorations… et paff : le sortilège se dissipa comme une bulle éclatant à la surface de l’eau. La silhouette sombre de la sorcière apparut en plein milieu de la pièce. Aurore leva immédiatement la tête, ses yeux s’illuminant d’une joie pure.
« Maléfique ! Tu es venue nous aider ! »
La sorcière se redressa avec une dignité offensée.
« Je ne viens pas aider. Je… inspectais. On m’a parlé d’un complot de décoration. »
La jeune reine retint un éclat de rire et lui adressa un sourire tendre, visiblement habituée aux excuses absurdes de sa marraine féerique.
« C’est parfait, tu es là. On a justement besoin de quelqu’un pour mettre l’étoile tout en haut ! »
Maléfique écarquilla les yeux, outrée.
« Hors de question. »
Dix minutes plus tard, pourtant, elle était perchée à près de dix mètres du sol, en équilibre précaire sur une branche robuste du sapin. Son manteau sombre pendait comme une immense aile déployée, et elle tenait l’étoile dorée du bout des doigts, une grimace théâtrale déformant ses traits. En bas, les mains jointes et le sourire rayonnant, Aurore l’encourageait.
« Encore un tout petit peu à gauche ! Oui, comme ça ! C’est parfait ! »
Maléfique, elle, se jura intérieurement de maudire chaque boule et chaque guirlande présents dans cette pièce… une fois redescendue vivante.
Malgré son humeur sombre, Maléfique se retrouva rapidement happée par un tourbillon de préparatifs festifs, comme si la frénésie du château avait décidé de l’engloutir toute entière. À peine avait-elle posé un pied au sol que l’on réclamait déjà ses pouvoirs. Elle fit fondre la couche de glace épaisse qui emprisonnait le traîneau royal, d’un simple geste du doigt. Une vapeur blanche s’éleva, enroulant les patins du véhicule dans une brume argentée. Les décorateurs applaudirent, émerveillés, mais Maléfique ne leur accorda qu’un froncement de sourcils soupçonneux, comme s’ils venaient de l’accuser d’un acte charitable. Plus loin, elle souleva sans effort des caisses que même Philip, pourtant solide et courageux, avait peiné à déplacer. Les lourds coffres débordaient d’ornements scintillants, de tissus veloutés et de friandises multicolores. Maléfique les souleva d’une main, l’air profondément blasée, tandis que le prince, un peu gêné, essuyait discrètement une goutte de sueur sur son front. Puis vint l’ultime affront. Le crime suprême. Aurore, rayonnante, lui tendit un biscuit en forme de renne, couvert d’un glaçage blanc et d’un minuscule nœud rouge. Par politesse, ou par faiblesse momentanée, Maléfique accepta de le goûter. Elle croqua dans la petite tête du renne et resta un instant immobile, comme si elle évaluait sa propre survie. Elle reposa le biscuit sur la table d’un mouvement sec, presque indigné, comme s’il venait de tenter de l’empoisonner.
« Trop sucré. »
Le mot claqua comme un jugement royal. Aurore, elle, ne pouvait plus cacher son sourire. Ses yeux pétillaient de malice et de tendresse. Voir Maléfique participer, même involontairement, même avec la grâce d’un chat forcé de prendre un bain, était un petit miracle de Noël en soi. Chaque petit geste de la sorcière semblait illuminer un peu plus la pièce. Et le cœur d’Aurore. Mais le meilleur restait à venir.
Lorsque le soir tomba, enveloppant le château d’un voile bleu profond, tout le monde se réunit autour du grand sapin brillant. Les bougies flottantes, désormais toutes allumées, faisaient danser sur les murs des éclats d’or et de cuivre. L’air avait cette douceur propre aux soirées d’hiver : chaud près du feu, froid sur la peau, rempli de rires étouffés et de murmures émerveillés. Au milieu de ce cercle vivant, Aurore se leva lentement, tenant dans ses mains un petit paquet soigneusement emballé. Le papier était d’un vert mousse, noué d’un ruban clair qui scintillait sous la lumière. Ses doigts caressaient nerveusement le nœud, comme si elle redoutait la réaction de celle à qui il était destiné. Elle inspira, puis déclara d’une voix douce :
« Celui-ci… est pour toi, Maléfique. »
La salle, jusque-là animée, se figea d’un seul mouvement. Même les bougies semblèrent hésiter à crépiter, leurs flammes se redressant comme pour mieux écouter. Le silence se posa, dense et presque sacré. Maléfique, immobile comme une statue d’obsidienne, cligna lentement des yeux.
« Pour moi ? » répéta-t-elle, comme si le mot lui brûlait la langue, comme s’il appartenait à un univers auquel elle n’avait jamais eu accès.
Aurore s’approcha d’un pas léger, ses yeux brillants d’une émotion sincère.
« Oui. Parce que sans toi, ce royaume n’aurait jamais connu la paix. »
Elle marqua une pause, cherchant le regard de sa marraine féerique.
« Et parce que tu fais partie de notre famille. »
Un murmure d’étonnement parcourut l’assemblée. Maléfique resta immobile, presque pétrifiée, comme si la moindre réaction risquait de briser un équilibre fragile. Aurore tendit le paquet vers elle avec une délicatesse infinie. La sorcière finit par avancer une main gantée, d’un geste lent, mesuré. Aurore posa le cadeau dans ses paumes sombres, où il paraissait presque minuscule. Maléfique rompit le ruban et ouvrit le paquet avec la prudence d’un dragon dérangé dans son sommeil. Le papier froissa dans un chuchotement ténu. À l’intérieur reposait une petite sculpture de bois tendre. Le grain délicat révélait Aurore, représentée en train de poser une couronne de fleurs sur la tête de Maléfique. Le geste était doux, plein d’affection, presque sacré. Chaque détail, la courbure d’un sourire, la légèreté d’un pétale, témoignait du soin apporté à l’œuvre. La sorcière sentit quelque chose lui serrer la gorge, un poids étrange, familier, mais oublié… un sentiment qu’elle n’avait pas éprouvé depuis très, très longtemps. Une chaleur discrète, infiltrée dans sa carapace.
« C’est ridicule, » souffla-t-elle enfin. Sa voix, pourtant, manquait de sa dureté habituelle.
Aurore sourit, un sourire doux et sûr.
« C’est sincère. »
Il n’y eut plus un son. Maléfique baissa la tête vers la jeune femme, ses yeux luisant d’une lueur qu’elle n’aurait jamais admise. Lentement, avec une hésitation presque imperceptible, elle posa une main protectrice sur la tête d’Aurore. Un geste rare. Un geste précieux. Un cadeau silencieux en retour.
Plus tard, quand la fête battait son plein et que la grande salle résonnait de rires clairs, d’éclats de voix et de musiques légères jouées par les fées, Aurore aperçut Maléfique à l’écart. La sorcière s’était réfugiée dans un coin plus sombre, près d’un pilier sculpté, là où la lumière devenait plus douce et les ombres plus longues. Sa silhouette élancée se découpait nettement sur le fond doré du sapin. Elle observait l’arbre illuminé avec une attention silencieuse. Les flammes des bougies flottantes dansaient sur ses traits, dessinant sur ses joues des reflets d’ambre et de cuivre. Pour la première fois, Aurore eut l’impression que cette lumière ne glissait pas seulement sur Maléfique… mais se reflétait dans ses yeux, y réveillant une douceur inattendue, fragile comme un flocon prêt à fondre. Aurore s’approcha d’elle à pas feutrés, le cœur léger.
« Alors ? » demanda-t-elle d’une voix douce en se plaçant à ses côtés. « Tu comprends un peu mieux l’esprit de Noël ? »
Maléfique ne répondit pas tout de suite. Elle inspira lentement, comme si elle goûtait l’air festif qui vibrait autour d’elles : le parfum du pain d’épices, le crépitement des bûches dans l’âtre, les rires des enfants courant entre les adultes. Son regard resta fixé sur l’arbre, mais ses lèvres s’entrouvrirent enfin.
« Peut-être… que ce n’est pas seulement du bruit, des lumières et des cookies trop sucrés. »
Elle marqua une pause, les yeux légèrement plissés, comme si elle admettait l’impensable.
« Peut-être… qu’il y a quelque chose de supportable, là-dedans. »
Aurore rit doucement, une chaleur affectueuse illuminant son visage.
« On progressera l’année prochaine. »
Maléfique pivota légèrement vers elle, une expression faussement menaçante étirant un coin de sa bouche.
« Ne pousse pas ta chance, Aurore. »
Mais la pointe de sourire qui adoucissait ses lèvres contredisait ses mots plus sûrement qu’un aveu. Et ce soir-là, pour la première fois, Maléfique resta jusqu’au dernier éclat de rire, jusqu’à ce que les dernières bougies vacillent et s’éteignent. La petite sculpture, soigneusement enveloppée dans un pan de son manteau, demeurait serrée contre son cœur. Comme un trésor qu’elle n’aurait jamais avoué posséder.