Divergente 4 - Résurgence

Chapitre 18

7455 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 01:36

Tris est soulagée de quitter l’hôpital, elle s’y est ennuyée. Et la conscience de Tobias dans la chambre voisine occupait toutes ses pensées, comme un aimant contrarié de ne pouvoir rejoindre son autre. Elle a réalisé à l’occasion de cette séparation forcée, que le manque de lui pouvait lui faire physiquement mal. Maintenant qu’il est près d’elle dans la voiture, son attraction semble encore plus violente. Elle cherche un dérivatif pour libérer ses pensées de son obsession.

Johanna a accordé l’accès aux registres d’état civil, et elle a hâte de s’y mettre. Elle voudrait aussi aller constater le résultat de l’opération Résurgence. Elle a vu des images, dans le journal, mais ce n’est pas pareil. Tobias profite de la voiture pour l’emmener au bord de la rivière.

Les ouvriers travaillent d’arrache-pied, par équipes, pour aménager de nouveaux ponts et enjamber en plusieurs endroits, comme autrefois, le lit de la rivière qui reprend vie. Tris voit les plantes du fond disparaître dans le courant du gros ruisseau qui a repris possession du lit ancestral de la rivière. Johanna a obtenu une aide du gouvernement, par l’envoi d’ingénieurs spécialisés. Ils assistent et dirigent les équipes. Tris n’aurait jamais cru que tout cela aurait pu se réaliser dans un délai aussi court. La volonté de ce peuple de se reconstruire, de renaître, lui gonfle le cœur de reconnaissance. Oui, elle aime la vie, même si elle est parfois dure et cruelle.

En arrivant à l’appartement, Tris et Tobias y trouvent Christina qui les y attend avec des hamburgers. Elle avait prévenu Tobias qu’elle s’y rendait pour les y attendre.

  • J’ai pensé que vous n’auriez rien de prêt à manger ! dit-elle joyeusement.
  • Chris, tu es un génie ! dit Tris.
  • Les mômes de l’orphelinat vous ont préparé un gâteau au chocolat façon Audacieux pour fêter votre retour, ajoute la jolie brune.
  • Le meilleur médicament ! affirme Tobias.

Les amis se mettent à table et repassent les événements des deux jours passés. Puis, Tobias, heureux de retrouver sa propre salle de bain, laisse les filles pour aller se doucher. Christina en profite :

  • Tris, un truc m’a étonnée, commence-t-elle.
  • Mmmh ? articule son amie, la bouche pleine de gâteau.
  • Sur l’aéroglisseur, tu m’as appelée « Chris », tu ne l’avais jamais fait, j’ai pensé que tu avais coupé ton mot en tombant dans les vaps, mais tu l’as redit ici en arrivant tout-à-l’heure. Pourquoi maintenant ? interroge Christina.

Tris avale sa bouchée, et regarde son amie un peu inquiète. Elle ne sait pas trop si elle peut se confier, ça a l’air tellement idiot.

  • Je sais pas trop, j’ai l’impression des fois, par vagues, de recevoir des informations qui ne viennent pas de moi, articule Tris.
  • Je comprends rien à ce que tu dis !
  • Je reçois des parcelles de la mémoire de Beatrice… complète la jeune fille en scrutant l’effet que cette annonce va provoquer sur son amie. C’est elle qui t’appelait comme ça… Et ça m’est venu un jour comme ça dans la tête, venant d’elle, comme si je l’avais toujours fait moi-même…
  • Quoi ? s’étouffe à moitié Christina avec sa part de gâteau. Qu’est-ce-que tu veux dire ? Qu’elle te « parle » ??
  • Non, mais c’est comme si je récupérais des morceaux de sa vie.
  • C’est dans ta tête, tu as dû l’entendre ou le voir dans une simul !

Tris fait un signe de dénégation.

  • J’ai cru ça aussi, au début, mais c’est souvent maintenant, et… Tobias me l’a fait remarquer aussi. Je ne m’en rends plus compte. Ce que je dis, j’ai l’impression que c’est à moi, ma mémoire, mon passé, mais en fait, c’est les siens, et il me faut parfois du temps, et de la concentration, pour m’en apercevoir !... Tu dois me prendre pour une folle, hein ?
  • Heu, nan, t’es normale, comme Beatrice pouvait l’être ! ricane Christina. Comme quoi d’autre ? T’as d’autres exemples ?

Tris fait oui de la tête, vaguement gênée.

  • Des trucs personnels aussi, que Tobias m’a jamais dits, ni montrés.

Christina tousse en riant.

  • La vache ! C’est génial !
  • Je ne trouve pas, moi… J’en fais des cauchemars, Chris, je me réveille en sursaut, toutes les nuits ! Je rêve que je piétine Beatrice pour entrer dans son corps et prendre sa place, c’est affreux !
  • Tu te rends malade pour rien ! Qu’est-ce qu’il en dit, Quatre ? s’écrie Christina.
  • Chuuut ! Je veux pas qu’il le sache, il serait pas content !
  • Tu lui as pas dit ? Pourquoi ? chuchote la jolie brune.
  • Non, je ne veux pas… qu’il… je sais pas moi ! Qu’il nous confonde, ou qu’il souffre, j’en sais rien !
  • Et s’il a compris ? suggère Christina à voix basse.
  • C’est juste impossible, comment on peut imaginer ça ? s’effraie Tris.
  • Il y a trois ans, la vie hors de la clôture, c’était impossible, le Bureau, ça existait pas, et le clonage, c’était pour dans mille ans ! assène Christina. Tris, tu es… Tris ? Enfin, tu crois que tu deviens Beatrice ?
  • J’en sais rien, une sorte de mélange, je ne sais plus qui je suis vraiment.
  • Tu en as parlé à quelqu’un ?
  • Matthew, répond Tris en jetant un regard furtif vers la salle de bain. Il l’envisageait depuis le début. Certaines choses lui confirment. Il parle de mémoire collective, héréditaire ou transgénérationnelle, un truc comme ça, murmure Tris. J’arrive à recréer des ponts de mémoire entre les bribes que j’ai vues en simul’. Et adopter une partie de la mémoire de mes parents et de Beatrice, même ce que je n’ai pas vu ou vécu moi.
  • Ça expliquerait ce que tu as vu dans le laboratoire d’armement ?
  • J’en sais rien, Chris ! s’emporte Tris. C’est… perturbant !

Christina fait un signe de tête vers la salle de bain.

  • Parle-lui ! souffle-t-elle.
  • Pas encore, si je peux éviter, répond Tris en remuant la tête en signe de dénégation.
  • Ne lui mens pas !
  • C’est la Sincère qui parle ? ironise Tris avec un demi-sourire un peu triste.
  • Ouais, des fois, ça avait du bon. Beatrice n’était pas toujours franche et ça fichait le bazar avec nous !
  • Non, je ne mentirai pas, j’ai promis.

Tris est consciente que les secrets entre Tobias et Beatrice leur ont fait du mal, elle a vu ça dans les simulations. Mais elle ne veut pas induire Tobias en erreur, elle n’est finalement sûre de rien.

L’ancien petit ami de sa sœur sort justement de la salle de bain, dans ce courant d’air mentholé que Tris aime tant, rayonnant de son aura d’énergie dansante et vive. Il a quelques coupures rosées sur la tempe et le front, sur les bras et les mains. Il est rasé de près, a revêtu un tee-shirt noir tye and dye dont dépassent les bribes finales de son tatouage, si attirant pour Tris. La jeune fille a de plus en plus de mal à dissimuler son attirance, surtout depuis qu’elle sent en elle aussi celle que ressentait sa sœur Beatrice. Tobias lui manque. Comme s’ils avaient été juste séparés, trop longtemps. Tris baisse les yeux et se concentre sur son gâteau au chocolat pour ne pas dévisager Tobias de façon trop visible.

  • Je vais vous laisser, tu dois te reposer, Tris, dit Christina.
  • Merci, Christina, c’était sympa de venir, lui dit Tobias. On se revoit pour les travaux. Tu trouves des logements à tous les ouvriers qui viennent ?
  • Pas évident, on a à peine le temps d’en rénover qu’il en faut d’autres. Mais il y a de la solidarité aussi, j’en ai pris un chez moi ! s’amuse-t-elle.
  • Tu nous caches des choses ! rit Tris.
  • Ouais ouais, on verra hein ! dit Christina en se levant pour partir.

Elle leur jette un signe de main et quitte l’appartement, le sourire aux lèvres.

  • Ça va ? demande Tobias. Fatiguée ?
  • Non, j’ai fait que ça, me reposer, et toi ? La tête ?
  • Ça passe doucement. Le gâteau, ça fait des miracles ! dit-il avec un demi-sourire. On vérifie ta température, et tu te reposes, d’accord ? J’ai promis au médecin de te surveiller.
  • D’accord, concède la jeune fille, plus fatiguée qu’elle ne se l’avoue.
  • On parlera demain, ok ? Je vais aller voir Johanna le matin, mais je reviendrai après.
  • Ok, répond Tris le souffle plus court, en baissant les yeux pour dissimuler sa nervosité.

Elle sent que Tobias est plus distant que lors de sa visite à l’hôpital. Il a retrouvé son masque sombre et fermé. Elle ne sait pas si elle pourra lui dire tout ce qui se passe dans sa tête, elle ne veut pas qu’il croie en une sorte de fantôme qu’elle n’est pas. Enfin, elle l’espère… Elle lui sourit quand il prend sa température. Elle décide que se reposer, ça l’arrange, pour ce soir. Malgré la perspective stressante de cette discussion, Tris s’endort en quelques minutes.

Quand elle se réveille le lendemain matin, embuée par ses cauchemars, son ami est déjà parti. Elle entreprend ses premières recherches dans les registres d’état civil. Elle fouille depuis quelques minutes les premières ressources documentaires quand elle reçoit un message de Tobias, sur sa montre. Il l’informe que George Wu emmène ses nouvelles recrues au siège des Audacieux pour les former au lancer de couteaux, et qu’il réclame sa présence, pour faire des démonstrations.

Intriguée, Tris fronce les sourcils. Pourquoi Tobias lui demande ça, alors que le médecin a recommandé le repos pendant plusieurs jours ? Cela lui semble étrange que le jeune homme passe outre ces conseils. Sauf si…

La jeune fille décide de suivre sa subite intuition. Depuis l’ordinateur, elle contacte Johanna. Elle sait que la dirigeante doit travailler avec son assistant ce matin, elle va sans doute la déranger, mais elle veut avoir une certitude. En quelques secondes, la dirigeante apparaît sur l’écran.

  • Bonjour Tris, que me vaut l’honneur ? Comment vas-tu ?
  • Johanna, je suis désolée de te déranger, répond-elle rapidement, mais est-ce que Tobias travaille avec toi ce matin ? Je viens de recevoir un message de lui m’invitant à l’aller au siège des Audacieux, mais ça me semble étrange.
  • Qu’est-ce-qui se passe ?

Tris entend la voix de Tobias à côté de Johanna. Sombre et les sourcils froncés, il s’approche de l’écran.

  • Tris ? Ça ne va pas ?
  • Tobias, tu viens de m’envoyer un message pour aller chez les Audacieux ! s’exclame son amie.
  • Je n’ai rien envoyé ! Bon sang… Evelyn ! Elle a dû pirater les montres ! Ecoute-moi bien Tris ! Ma mère ne doit pas être au courant pour l’accident dans l’eau et notre hospitalisation, elle ne sait pas que tu ne pouvais pas sortir.

La jeune femme sent son corps se vider de son sang, Evelyn passe à l’attaque, elle a résolu de l’éliminer !

  • Alors, Tobias, je crois qu’il faut y aller, dit Tris fermement en se ressaisissant. La police peut me suivre plus tard, à distance, au cas où elle me fasse surveiller, c’est l’occasion d’être sûrs. Il faut en finir !
  • Tobias ! Elle ne doit pas faire ça ! Pourquoi ne pas appeler la police tout de suite !? s’insurge Johanna affolée, derrière l’épaule de son assistant penché sur la tablette.
  • Si la police va là-bas maintenant, ils trouveront Evelyn et il ne se passera rien, ils n’auront pas de preuve ! argumente Tris. Tout ce qu’ils pourront lui reprocher, c’est d’avoir piraté un communicateur ! Si on veut la coincer, il faut qu’elle soit prise en flagrant délit ! Je vais y aller, appelez George quand je serai arrivée sur place dans quinze minutes !
  • Tris, bon dieu ! Ne fais pas ça ! hurle Tobias devant l’écran.
  • Je ne la laisserai pas faire, Tobias. Je ne veux pas me cacher toute ma vie. Je lui réponds que j’arrive. Envoie la police, et je t’en prie, ne viens pas. Je… suis désolée, soupire-t-elle.

Elle touche l’écran du doigt et coupe le contact. Dans le bureau de Johanna, Tobias est fou furieux.

  • Je n’ai même pas d’arme ! Johanna ? s’écrie-t-il.
  • Je te donne la mienne, j’en ai une sous clé ! Je t’en prie, ne fais pas d’imprudence, tu n’as pas tiré depuis des années et tu es convalescent ! dit Johanna le front barré d’une profonde ride, en ouvrant son coffre personnel.
  • Appelle George dans précisément dix minutes, répond Tobias d’une voix blanche sans écouter l’avertissement. On suit le plan de Tris maintenant.

Il saisit vivement le pistolet que lui tend son amie, vérifie le chargeur, l’arme et, sous les yeux inquiets de Johanna, il sort en courant du bureau, crispé par la douleur lancinante qui lui vrille le crâne.

Tris sort de l’orphelinat et prend le train normalement. Evelyn sait sans doute parfaitement le temps que prend son trajet, elle ne doit surtout pas se méfier. Elle essaie de paraître normale et détendue, au cas où Evelyn la fasse suivre. Habillée en Audacieuse, les cheveux attachés comme Christina lui a conseillé, elle pense avoir la tenue adaptée à la prétendue invitation de Tobias. Elle a conscience de le placer à nouveau devant le fait accompli, comme sa sœur Beatrice l’avait fait en se rendant à Jeanine pour faire cesser les massacres. Mais elle se sent furieusement solidaire de sa sœur à cet instant, elle n’a pas hésité une minute à faire ce choix. Dans tous les cas, tout sera fini aujourd’hui. Elle doute que Tobias reste sagement près de Johanna, à attendre que sa mère se livre à sa vendetta, mais au moins le lui a-t-elle demandé, spontanément, pour sa sécurité, tout comme Beatrice avait fui le siège des Sans-faction en pleine nuit pour l’épargner.

Elle repasse dans sa tête tous les conseils que Tobias a pu lui donner. Paraître fragile et apeurée… Scruter le visage de l’assaillant en guettant des micro-mouvements révélateurs de son intention de tirer... En arrivant au siège des Audacieux, Tris inspire profondément et entre. Elle parcourt les couloirs, passe devant l’ancien dortoir des novices et le réfectoire et va directement vers la salle d’entraînement. Elle est déjà venue, avec Christina, mais la mémoire de Beatrice la guide à travers le dédale aux murs de ciment et de pierre. Elle ne sait pas si George a eu le temps d’arriver avec sa brigade et s’il est dissimulé quelque part. Elle essaie de ne pas regarder partout, elle n’est pas censée être inquiète. Se souvenant de la raison pour laquelle elle est supposée être là, dans la salle d’entraînement, elle appelle :

  • George ? Tu es là ? Je suis arrivée, c’est Tris ! crie–t-elle avec ses mains en porte-voix. Où es-tu ?

Elle approche de la grande salle d’entraînement et voit au fond les panneaux d’entraînement de lancer de couteaux. Elle frissonne en repensant à la longue cicatrice que lui a infligée Evelyn, échappant de peu à l’égorgement. Mais elle doit savoir.

Elle doit.

C’est une Audacieuse. Ou presque.

Non.

« Divergente, je suis Divergente. » psalmodie Tris dans son for intérieur pour se donner du courage.

Tout doit éclater au grand jour, même si… Elle chasse de ses pensées la perspective d’une nouvelle agression, fatale cette fois, pour se concentrer sur le piège qu’elle espère avoir tendu à Evelyn. Ou qui que ce soit d’autre.

  • George ? Je suis en avance ?
  • Comme c’est mignon ! Le toutou qui accourt au sifflet de son maître ! ricane une voix de femme derrière elle.

Tris se retourne d’un coup, le cœur tambourinant dans sa poitrine, et essaie de paraître surprise, et non paniquée comme tout son corps lui dicte.

  • Evelyn ? Qu’est-ce-que vous faites là ? Où est George ? dit Tris en déglutissant difficilement.

Evelyn lève la main droite, et vise Tris de son arme. Sans effort. Sans hésitation. Sans scrupules. La jeune fille sait parfaitement quelle guerrière a été l’ancienne leader des Sans-faction, elle ne ratera pas son coup. « Gérer ce que l’on a devant soi ». Tris a beau jeter de petits regards vifs un peu partout, elle ne voit pas d’échappatoire. Blanche et tremblante, elle tente pourtant de se placer face à l’entrée de la salle pour qu’Evelyn, elle, ne puisse pas voir entrer George. S’il arrive à temps… Comme elle l’espérait, Evelyn pivote avec elle et se retrouve dos à l’entrée.

  • Qu’est-ce-que vous faites ? Qu’est-ce que vous me voulez ? s’affole Tris.
  • Tu n’as pas encore deviné ? Tu es encore plus stupide que je ne le pensais ! assène Evelyn d’un ton dur. La Divergence n’est pas si évidente chez toi que chez cette petite peste de Beatrice !
  • Je ne vous ai rien fait ! C’est vous qui m’avez fait cette cicatrice ? dit Tris sur un ton apeuré mi-feint, mi-réel.
  • Oh mais je n’avais pas l’intention de te faire une cicatrice ! Une large ouverture sur la gorge m’aurait mieux convenu ! L’arrivée de ton amie a… compromis mon projet ! crache Evelyn. Tu n’auras pas cette chance, cette fois !
  • Mais enfin, pourquoi ? Pourquoi cette haine envers ma sœur et moi ?
  • Ta sœur, pfff ! Tu n’es rien qu’une immonde expérience  dégoûtante d’un sbire de Jeanine ! Tout se passait bien jusqu’à ce que Beatrice arrive ! J’avais repris contact avec Tobias, il était prêt à coopérer, je l’aurais convaincu ! Mais il a fallu qu’elle s’immisce entre nous et l’influence ! Elle a permis la diffusion du message et après cela, terminé, impossible de tenir tous ces imbéciles dans la ville ! Ils n’avaient plus qu’une envie, se jeter  dans la gueule du loup ! Et maintenant, toi ! Je pensais être débarrassée de ton engeance ! Une créature de laboratoire, issue de la folie des Erudits et du Bureau ! J’ai été très patiente, je savais que Tobias me reviendrait, il n’avait plus que moi ! J’y étais presque arrivée !
  • Tobias n’était qu’une marionnette dans vos mains de tyran, comment pouvez-vous encore vous regarder dans une glace ?! Manipuler et faire souffrir votre propre fils ! crie Tris d’une voix vibrante de colère, incapable de paraître veule et faible comme son instructeur le lui a pourtant conseillé.
  • La justice nécessite des sacrifices, je ne pouvais pas en demander à mes hommes sans en faire moi-même ! crache Evelyn.
  • La justice ! Comme c’est bon de votre part ! ironise Tris avec un rire sarcastique. Jeanine avait le même discours. ! Vous pensiez la combattre, mais vous êtes son clone ! Ironique, non ?!

Evelyn est manifestement très agacée, malgré sa froideur, d’être comparée à Jeanine, qu’elle méprisait de tout son être. Déformée par la haine, sa bouche tordue fait apparaître les rides d’une vie de privation et de guerre. Son nez long et busqué se plisse de colère et découvre une bouche grimaçante de mépris. L’insécurité et l’ambition ne sont pas des élixirs de jouvence. Comment une âme si laide à pu donner naissance à un Juste comme Tobias ? Elle arme son révolver.

  • Tu ne comprends rien, comme Beatrice ! Les gens comme toi sont des utopistes !
  •  Si l’amour est une utopie, alors oui, je veux bien l’être, répond Tris soudain très calmement. Vous n’avez toujours pas compris que vous auriez bien plus gagné en aimant qu’en détestant ?
  • Comme c’est attendrissant ! ricane Evelyn. Comme tes « parents » par exemple ? crache la mère de Tobias d’une voix méprisante. Qu’est-ce qu’ils ont gagné à aimer, et obéir comme des moutons ? Ils sont morts !

Tris réalise parfaitement qu’elle n’arrivera pas à convaincre la furie devant elle, enfermée dans sa transe délirante. George n’est pas là, elle ferme les yeux pour attendre la fin, son cœur cogne dans sa poitrine, mais elle ne bouge pas.

  • Lâche ça Evelyn ! tempête soudain une voix d’homme.

Tobias sort de sa cachette près de l’entrée de la grande salle. Tris ne l’a pas vu arriver, souple et discret comme un félin. Audacieux.

  • Tu ne vivras pas assez longtemps pour tirer ! Je n’hésiterai pas une seconde à t’abattre ! lui crie-t-il d’une voix blanche et déterminée.
  • Tobias ? Qu’est-ce-que tu fais là ?! Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tu ne tireras pas sur moi ! Cette fille est maudite, elle ne peut pas te rendre heureux ! Je suis ta mère, moi seule peux te libérer de son emprise, elle te manipule ! Fais-moi confiance !
  • Te faire confiance ? Alors que tu as livré toute une faction en pâture à Jeanine ? Que tu as laissé Beatrice aller à la mort ? Te faire confiance et te ressembler ? Plutôt mourir ! Je n’ai plus de mère depuis très longtemps ! Lâche ça je t’ai dit !

Sans cesser de viser sa mère, Tobias s’approche en crabe de Tris et prend place devant elle. Sa main tendue vers sa cible ne tremble pas et il a le doigt en appui sur la gâchette.

  • Tobias, elle va te tuer ! Va-t-en ! souffle Tris paniquée en tentant de repousser le dos inamovible de Tobias.

Mais le jeune homme fait une tête de plus qu’elle, il est puissant et planté sur ses pieds, tenant en joue sans frémir le front de sa mère. Il ne bouge pas d’un millimètre.

  • Jamais. Plutôt moi que toi. Si elle tire, prend mon arme et tue-la, répond-il à voix basse d’un ton sans équivoque.

Derrière lui, Tris passe ses bras autour de son torse et superpose ses mains à l’endroit de son cœur. Les Audacieux ont appris à tuer d’une balle dans la tête en combat. Les meurtriers autodidactes visent plutôt le cœur.

  • Tobias, je t’assure que tu me remercieras un jour ! s’écrie Evelyn. Tu ne sais pas qui elle est, elle n’est même pas humaine comme toi et moi, comment pourrait-elle t’aimer plus que moi ! Pousse-toi ou je tire sur toi pour l’atteindre ! crie Evelyn dans un accès de rage en agitant nerveusement la pointe du canon de son arme.
  • Elle a plus d’humanité et d’amour dans un seul cheveu que toi dans tout ton corps de folle ! Tu n’as pas la moindre idée de la signification de ces mots ! Je bougerai pas ! Tu devras me tuer !

La détonation fait vibrer l’air et Tris hurle. En une fraction de seconde, elle se dit qu’aucune douleur n’a déchiré ses mains, Evelyn n’a pas tiré dans le cœur de Tobias ! Elle guette avec horreur la chute de son petit ami en agrippant compulsivement son tee-shirt.

Dans la même seconde, le jeune homme se dit qu’il ne sent rien, ça ne fait pas mal de mourir, en fait. Il attend le vertige, et le noir qui va suivre.

Mais, sans un mot, ni même avoir changé d’expression, la rage toujours imprimée sur sa bouche déformée par sa folie dominatrice et meurtrière, Evelyn s’effondre sur le ciment.

Les yeux arrondis de peur et de stupéfaction, Tris et Tobias voient alors le sang couler doucement de sa tempe et se répandre sur le sol à côté de sa tête. Ils cherchent vivement des yeux tout autour d’eux le tireur. Derrière un pilier, une silhouette sort de l’ombre et approche sans cesser de viser Evelyn au sol.

  • Marcus !?

Tobias a à peine expiré le nom de son père, interdit. Quand Marcus est certain qu’Evelyn a cessé de vivre, il abaisse son arme vers le sol et lève les yeux sur les deux jeunes gens atterrés. Par réflexe, Tobias passe une main derrière lui pour y protéger Tris, et agrippe son poignet à tâtons en tenant son père en joue.

Marcus esquisse un sourire triste et tend son arme à Tobias en la tenant par le canon. Sans cesser de le viser, Tobias l’attrape de la main gauche avant de reculer d’un pas, Tris collée contre lui dans son dos.

  • Qu’est-ce que tu fais là,  Marcus ? jette Tobias en lançant un regard sur le corps de sa mère.
  • C’est Jeremy maintenant, plus Marcus, répond tranquillement le père de Tobias
  • Jeremy ? De la ferme Fraternelle ? articule péniblement Tobias.

Marcus acquiesce. Tris jette un œil à sa tenue, il a adopté la tenue des anciens Fraternels, une tunique turquoise large, un pantalon ample, et une chemise verte assortie. Il a vieilli, ses cheveux blancs ne sont maintenant plus guère parsemés du brun sombre transmis à son fils. Les rides en patte d’oie, accentuées par la vie agricole, cisaillent le coin de ses yeux. Tris reconnaît en lui certains traits de Tobias, pommettes hautes, menton volontaire, couleur des yeux, bleu sombre. Il tient ses mains ballantes le long de ses cuisses.

  • Je n’ai plus rien à perdre, fils, dit-il en regardant Tobias dans les yeux. J’ai déjà perdu mon fils unique, ma femme, ma maison, ma faction, ma position, mon honneur. Je ne pouvais plus offrir que ça : t’éviter cette menace, et ces remords pour le reste de tes jours. Te permettre d’être heureux avec ta petite amie, tu l’as mérité. J’ai vu Beatrice se détruire à force de culpabilité parce que ses parents se sont sacrifiés pour elle. Elle était trop Altruiste pour laisser Caleb mourir à sa place. Ni toi, ni Tris ne devez avoir à supporter ça à nouveau.

Méfiant, Tobias abaisse son arme mais ses doigts restent crispés sur la crosse. Il se sent soudain froid, vide.

Orphelin.

Il ne sait pas si c’est une libération ou un terrible, horrible, effrayant constat d’échec.

  • George Wu va arriver, Tobias, ne t’inquiète pas, je l’ai prévenu, aussi au cas où je n’arrive pas à temps. Je vais l’attendre, tente de rassurer Marcus.

Atterré, le jeune homme regarde amèrement sa mère, baignant dans une mare de sang. Un goût de bile envahit sa gorge, mais il n’arrive pas à ressentir quoi que ce soit. Peine, chagrin, douleur. Rien. Ou peut-être tout à la fois. Cette femme n’est pas sa mère. Sa mère est morte quand il avait six ans, et cette forme au sol n’en est que le double diabolique. Il n’a même pas envie de la pleurer. Quelle est donc cette pierre qui lui compresse la gorge ? Il cherche un dérivatif à son étouffement pour ne pas y céder.

  • Tu nous as suivis ? demande Tobias avec méfiance.
  • C’est elle que je suivais, répond Marcus avec un signe du menton vers Evelyn. Je ne voulais pas qu’elle fasse à nouveau basculer Chicago dans le chaos, c’est tout l’espoir qu’il me restait.

Le groupe entend soudain les pas précipités des policiers arriver sur les lieux en se protégeant derrière les piliers et mobiliers de la salle, le genou fléchi en position d’attaque et fusil en avant, leur intimant l’ordre de lever les mains. Leur tenue d’Audacieux et leur détermination ne laissent pas de doute sur leurs intentions en cas de rébellion. Le jeune homme s’incline sans lâcher Tris et pose les armes au sol ; il met un pied dessus. Puis Marcus, Tobias et Tris lèvent les mains. Le jeune homme ne lâche pas son père des yeux. Devant lui se tient tout ce qui lui reste de ses parents : celui qui a tué l’autre.

Pour lui sauver la vie.

Le dilemme est trop lourd, il cherche à l’avaler, pour le digérer, l’oublier. Et il comprend. Enfin.

La torture morale que s’infligeait Beatrice, ses conflits intérieurs, ses cauchemars. Et son choix de ne plus vivre ça à nouveau, quand Caleb aurait dû se sacrifier.

Beatrice n’était pas une Audacieuse.

Elle était Altruiste, dans toutes les fibres de son corps, au fond de chaque cellule.

Aucun Altruiste ne peut survivre à une guerre.

D’une certaine façon, il sait maintenant pourquoi il était impuissant pour aider Beatrice. Car il n’y avait pas de solution à son déchirement. Tout l’amour du monde ne l’aurait pas résolu.

George approche vers eux et son équipe entoure la scène. L’un de ses hommes pose ses doigts sur la jugulaire d’Evelyn, par acquit de conscience, mais il est évident que le tir lui a été fatal. Il fait un signe négatif à son supérieur.

  • Tobias, qu’est-ce-qui s’est passé ? demande George.
  • Tobias… murmure Tris en le regardant avec tendresse.

Pendant toute l’opération des policiers, Tobias n’a pas quitté son père des yeux, transpercé par ses pensées, à l’affût du moindre geste, prêt à bondir. Il abaisse finalement son regard sur celui de Tris puis se retourne vers George. Sa voix est mal assurée.

  • Ma mère nous a attirés ici dans un piège pour tuer Tris. Marcus est arrivé et a abattu Evelyn avant qu’elle ne nous tire dessus.
  • Vous confirmez ? interroge George en s’adressant au père de Tobias.
  • Oui. Je suis Marcus Eaton, mais je suis connu comme Jeremy maintenant, de la ferme Fraternelle, confirme Marcus en tendant ses poignets aux policiers.
  • Tris ? demande George, guettant aussi une confirmation de la jeune fille.

Tris hoche la tête :

  • Il nous a sauvé la vie, Evelyn aurait tiré sur Tobias pour pouvoir m’atteindre, affirme-t-elle. Elle ne se contrôlait plus.

Un policier attache les poignets de Marcus avec un lien magnétique et le guide vers la sortie pour l’emmener au siège de la police, pendant que d’autres ramassent les armes au sol et les placent sous scellé.

Tobias baisse les mains et entoure Tris de ses bras. Il soupire en la serrant contre lui.

  • C’est fini, murmure-t-il à son oreille. Ça va ?

La jeune fille pose sa tête sur son épaule en fermant les yeux :

  • Je suis désolée, Tobias… Tout ça c’est horrible !
  • Ne le sois pas, elle a fini comme elle devait finir. Et tu es sauve, c’est tout ce qui compte, répond le jeune homme en posant un baiser sur ses cheveux.
  • Suivez-nous tous les deux au poste pour les formalités, demande calmement George, c’est la procédure.

Tobias acquiesce, passe son bras autour des épaules de son amie en lui adressant un sourire compatissant. Ils suivent George, pendant que les renforts s’occupent du corps d’Evelyn. En partant, Tobias ne lui jette même pas un regard.

Au poste, les déclarations de chacun sont enregistrées.

  • Comme la procédure le prévoit pour les crimes, après l’enquête, Marcus subira un interrogatoire sous sérum de vérité, lors d’un procès présidé par Jack Kang, le responsable de la Justice, explique George à Tobias.

Tobias acquiesce. Il raconte à George comment Evelyn a voulu attirer Tris dans un piège pour l’isoler, comment Tobias l’a suivie. L’arrivée de Marcus était une surprise totale pour eux. Le jeune homme le croyait dans une autre ville depuis plus de trois ans, et sous influence du sérum d’oubli. Tout cela reste à éclaircir. Le couple repart libre, mais susceptible d’avoir aussi à témoigner lors du procès de Marcus. Tous deux doivent voir Johanna et Jack, ils se rendent donc à la gouvernance. A leur arrivée, Johanna et Jack les attendent.

  • Que se passe-t-il, Tobias ? s’inquiète Johanna.
  • Marcus vient d’être arrêté, lâche Tobias en s’asseyant avec Tris autour de la table de travail du bureau de Johanna.
  • Marcus ?! Ton père était à Chicago ? Et pourquoi a-t-il été arrêté ? s’indigne Jack Kang. Il avait été chassé !

Tobias raconte le piège d’Evelyn, et l’intervention de Marcus, se présentant comme Jeremy dans la nouvelle ferme. Johanna est très peinée.

  • Dieu merci, vous n’avez rien, tous les trois ! s’exclame–t-elle.

Malgré les accusations portées tout au long de sa vie contre Marcus, il était son ami, et son collègue, ils avaient beaucoup travaillé ensemble, ils étaient liés, d’une certaine façon.

  • Non, ça va, confirme Tris.
  • George va sans doute te contacter très vite, Jack, pour organiser le procès de Marcus. Pourrais-je l’interroger aussi, j’ai des questions sans réponse depuis très longtemps, demande Tobias.
  • Je suis le seul à pouvoir l’interroger, sur la base des accusations portées contre lui. Il n’est pas légal d’utiliser le sérum de vérité à des fins privées, Tobias, je suis désolé.
  • Dans ce cas, en tant que citoyen, je l’accuse de violence sur moi et sa femme, et de conspiration.
  • Tobias, ce sont des accusations graves ! dit Jack.
  • Et vraies, intervient Tris, vous le savez, et je l’ai… vu.
  • Comment as-tu pu le « voir », Tris ? demande Johanna.
  • Lors des transferts mémoriels. Sa mère l’a avoué quand Beatrice était chez les Sans-faction avec Caleb, explique la jeune fille.
  • Ce ne sont que des preuves indirectes, constate Jack.
  • S’il n’avoue pas, je peux être interrogé sous sérum, intervient Tobias en baissant la tête.
  • Il ne pourra pas résister au sérum de vérité, je vais soumettre cela au conseil de justice, dit Jack, et organiser le procès.

L’ex-Audacieux pince les lèvres. Marcus a avoué à Jack, chez les Sincères pendant la guerre civile, être Divergent. Si c’est le cas, peut-être est-il comme Beatrice : résistant aux sérums, et auquel cas, Jack n’obtiendra aucune réponse, ou fausses. Pourtant, lui-même Divergent n’a pas pu y résister. La violence du produit l’a contraint à répondre aux questions. Il espère qu’il en sera de même pour son père.

  • Je vais m’occuper des obsèques d’Evelyn, dit Johanna. Tobias, tu dois me dire ce que tu souhaites.
  • Ça m’est totalement égal, lance le fils de Marcus sèchement.

Tris pose une main sur son bras.

  • Elle n’est plus là, Tobias, essaie de lui pardonner, comme j’essaie aussi. Ses défauts faisaient d’elle un être humain, victime de la folie des Hommes.

Le jeune homme regarde sa compagne avec étonnement.

  • Tu es… incroyable, lui répond Tobias d’un air surpris. Johanna, qu’elle soit incinérée et ses cendres dispersées. Je paierai les frais.

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