"Sandshoes"

Chapitre 1 : Oi, Spaceman !

4496 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/11/2022 16:26

Cette fanfiction est la réponse à un défi d'écriture sur un autre site : Mots et maux estivaux - (juillet août 2022).

Une liste d'imposés (voir tout en bas) et le thème "Convalescence".


Seule la bouille du 14e Docteur (monsieur cent mille what) m'a incitée à profiter éhontément et démagogiquement de la situation récente pour refaire une brève incursion dans ce fandom. :-D Si bien sûr vous ne savez pas qui est le 14e et que vous vivez dans une grotte, ne lisez pas.


Continuité : Il faut au moins avoir vu la saison 4 et l'épisode spécial des 50 ans de la série. Et savoir que la 13e incarnation est une femme. Quelques allusions aux autres Docteurs (le 11e, le 12e).

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« SANDSHOES »

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« Spaceman, I've always want you to go into space, man! » (Babylon Zoo)

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"I don't wanna go" (10e Docteur)

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Aucun de mes récents compagnons n'a jamais osé me poser la question. « Docteur, est-ce que ça fait mal quand vous devenez un autre ? » De l'extérieur, c'est sans doute impressionnant. Même pour les tout jeunes Seigneurs du Temps, le concept est vertigineux. Un corps dont les cellules fondent comme celles d'une chrysalide, se subliment au niveau atomique en une bourrasque de lumière dorée, et puis se redensifient presque aussitôt pour créer un être nouveau… il faut le voir pour le croire. Il y a de la douleur. D'abord modérée, elle se fait plus vive au point de transmutation mais se trouve assortie d'une telle ivresse et excitation qu'elle s'efface vite.

Et c'est alors la surprise de la découverte. Qui suis-je à présent ? Comment vais-je me manifester dans l'univers ? J'ai l'habitude de dire que c'est une loterie. Je garde mon intellect, mes aptitudes et mes souvenirs. Mais tout le reste est réécrit et souvent, comment dire, je suis vraiment préservé de tout risque de vanité sur ce plan... La première chose que je fais, en général, est de numéroter mes abattis, très littéralement. Poids, respiration, première déglutition, premiers pas… Je me ressens de l'intérieur comme une expérience inédite. Suis-je restée une femme ?

La vision de mes mains me détrompe. Bon, un homme à nouveau. Sauf que… Je connais ces mains aux longs doigts habiles, je connais les méplats de ce visage, le grain de cette peau, la texture de ces cheveux !

— Quoi ?!

Aucun vrai doute n'est possible. J'ai le corps et manifestement la voix d'une précédente incarnation. En fait d'expérience inédite, celle-ci se pose là ! En fait de changer, je suis revenue à une antéversion de moi et par le fait même… une fantastique anomalie.

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Encore sous le choc de cette révélation, je me précipite pour entrer dans le Tardis et étudier cette incongruité sur le champ. Et je stoppe net. Le décor valse autour de moi. Le grand surplomb rocheux, la mer en face de moi, le ciel ouvert… C'est le grand huit de la fête foraine... Je n'aurais pas dû dire que c'était « vertigineux ». Cherchant à ouvrir la porte de mon vaisseau, je titube et me raccroche à ses arrêtes comme a une bouée de sauvetage. Mes deux cœurs battent une samba désordonnée. Vaseux. Au bord de l'évanouissement.

Mais qu'est-ce qui se passe encore ?!

Est-ce que le spectacle magnifique et paisible me rassérène ? Nah. Et l'air iodé du grand large me revigore-t-il ? Nah. Vous parlez d'une régénération où l'on se sent pire qu'avant ! Oh, ça ne va pas !

Et je suis là, appuyé d'un bras sur l'encadrure, à contempler stupidement la console au milieu de la pièce comme si je ne la reconnaissais pas. Les spots bleus qui constellent la coupole lui donnent un air de boule à neige. J'aime les boules à neige. Mais le poste de pilotage me donne l'impression qu'il est encagé par les sept pattes d'un gigantesque arachnide, hautain, renfrogné, jaune et lumineux. Alors j'en ai vu des splendeurs animales dans ma vie, mais pas des araignées manchotes ! Avec ma précédente paire d'yeux, ça ne rendait pas pareil, je dois bien l'avouer. Nouveau corps, nouveaux goûts… Je voudrais avancer mais mes jambes refusent tout bonnement.

Puisqu'on en reparle, regardez-moi ce travail ! Me voilà redevenue une grande perche maigrichonne avec tout le packaging ! Ce nez convexe et pincé, la dentition serrée, le menton court – Oh, ça va, j'ai eu pire comme menton ! – les cheveux raides qui ignorent les lois de la gravité… Et dire que je me trouvais ainsi assez séduisant pour Rose… Allez, pas la peine que je m'éternise là-dessus, je sais de quoi j'ai l'air. Vous aussi, sans doute, puisque vous êtes là.

Mes cœurs font n'importe quoi mais pas à cause de Rose. Je ne me sens pas bien. Pas bien du tout. Et incapable de réfléchir. Je dois dire que c'est une sensation très étrange.

Bon an mal an, j'essaie de me propulser vers l'une des « pattes » et je finis par m'avachir à moitié dessus. Je voudrais lancer le Tardis dans le vortex mais ce n'est pas gagné. Est-ce qu'il y a mes strapontins dans cette salle de navigation ? Nah. Il n'y en a plus depuis mon avant-dernière incarnation. De toute façon, c'est secondaire si je suis re-mort de tachycardie dans deux minutes… Ta ta ta ta… ta ta ta ta… tata ata ta… tat at atta.

At ta-ta-taque cardiaque oui ! Je me frappe la poitrine comme un Tarzan désespéré. Elle est plate. Je ricane mais je ne suis pas bien. Pas bien du tout. Ah zut, je l'ai déjà pensé.

Il fait chaud non ? Brusque élévation de température de deux degrés ! Vous n'avez pas chaud ? Mon nœud de cravate m'étouffe. Plus l'habitude. Tirer dessus. Oups ! Il y a un machin noir et rond qui vient de rebondir par terre avec un shping perçant… Ah, pas de chance, c'était le dernier bouton qui tenait ma veste ! Honnêtement, je ne sais pas pourquoi je les portais si serrées… Non, pas par vanité ! Vanité de quoi ? Vous avez vu ma tête ? Ah, bah, oui. Du coup.

Ce n'est tout de même pas possible que j'aie pris du ventre ? Non. Je vois mes pieds et mon lacet de basket défait.

« Ce ne sont pas des sandales de plage ! ».

Est-ce que je sais recoudre, au moins ? Je l'aimais cette veste marron. Notez que je peux mettre ma bleue à la place, le Tardis me l'a sûrement gardée.

Oh, oh. Il y a comme un problème. Qu'est-ce qu'elle fait sur moi mon ancienne veste ?!

Nom d'un cyberbug, je me sens complètement à la ramasse…

Non parce que ce qui se passe, je vais vous le dire, c'est que je devrais porter un bermuda qui devrait m'aller aux fraises sur mes grandes cannes. La régénération ne fait pas les vêtements. C'est d'ailleurs toujours une galère de se retrouver avec des trucs qui ne vont pas ou… ne tiennent plus. Où sont allées mes bretelles ?

Et si j'avais fini en bikini ? Répétez très vite : j'ai fini en bikini à boire du daiquiri.

Je rigole. Je dois être à 18°, ça grimpe vite…*

Inspire, expire, inspire, expire…

Encore une bonne idée, ça, de me régénérer encore tout seul comme un(e) grand(e) crétin(e) mélancolique… Bravo Docteur !

La tête me tourne. J'ai une envie galopante d'un bon thé réconfortant… Mais où est la planète de l'Earl Grey quand on en a besoin ?

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D'accord. Vous savez, j'ai l'habitude. La transition complète se fait un peu par paliers. On a la sensation d'être pas tout à fait cuit pendant une petite heure, mais ça va. Eh bien, je pensais que c'était fini tout ça. Mon douzième moi pétait la forme ! Juste le temps de me plaindre de mes sourcils, de ramasser des frusques et j'étais sur la brèche !

Vous voyez ces trucs sur les murs, entre l'enjoliveur et l'écrou… Eh bien, ils me regardent bizarrement mais c'est surtout le sol qui m'inquiète. Il se rapproche dangereusement. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve que vomir est tout de même indigne d'un Seigneur du Temps.

Je note qu'il y a de la poussière et que j'ai mal aux dents. J'espère que je ne les ai pas cassées en m'étalant, elles étaient propres. Je déteste avoir les dents sales, surtout après une régénération…

Inspire, expire. Zut, une volute… Elle est dorée. CQFD, je ne suis donc pas terminé.

Je suis désolé. J'ai tellement de mal à garder les yeux ouverts, je papillote, mais je vois toujours trouble. J'ai l'impression d'avoir deux kilos de poudre de coquillages broyés sous les paupières. Miséricorde. Le marchand de pâtés de sable oculaires est repassé. Je me suis déjà battu contre les Chassieux, vous savez ? Non pas « chiasseux », faites gaffe à bien mettre les lettres dans le bon ordre, même si ce sont des cacas d'œil… Clara trouvait que « marchands de sable » était plus poétique.

Bon. Non, vraiment, je pense que vous allez devoir me donner la main pour me relever, madame.

.°.

— Hey ! L'homme de l'espace ! Ça va ? Vous êtes avec moi ?

Il fait doux. C'est agréable. Je garde les yeux clos.

Je sens un oreiller sous ma tête mais le matelas est un peu ferme – et c'est un euphémisme.

— Non mais parce que vous croyez que j'allais pouvoir vous traîner jusqu'à votre chambre ? Vous avez beau être roulé comme un clou de girofle, vous pesez votre poids. Debout grand paresseux, assez dormi !

Mues par une volonté propre que je suis loin d'avoir, mes lèvres esquissent un sourire. Cette voix et ce ton irrévérencieux me rappellent quelqu'un. Une sœur, une amie… Mais si, une rousse pleine de tempérament. Ah, c'est vrai, il y en a eu deux… Vous savez, je suis un imbécile super intelligent. D'habitude. Mais là, j'ai un grand courant d'air entre les neurones et il n'y a pas grand-chose qui percute.

J'ai toujours aimé qu'elles me disent franchement ce qu'elles pensent sans me ménager ou craindre d'avoir l'air stupides. J'aimais qu'elles m'ouvrent leur unique petit cœur… – Tatatatam, tatatatam, tatatatam. Tiens, ça va mieux de ce côté-là… – leur cœur pour me dire tout ce qu'elles avaient dessus. Je suis un empoté émotionnel, il faut dire ce qui est. Je sais pourquoi il en est ainsi, mais je suis bien le seul et j'entretiens le mystère. Il n'y a rien à raconter de cette horrible histoire. Auprès d'elles, j'apprends ce que je ne sais plus et que j'aime tellement chez les humains.

— Et qu'est-ce que c'est au juste ? La recette des sablés à la confiture ?

Pas faux. J'ai aimé ça déraisonnablement autrefois. J'en mangeais des kilos. Le stress et l'adrénaline me donnent faim et j'en avais toujours dans mes poches pour me faire un petit pique-nique impromptu entre deux coups de bluff face aux sans-cœur, aux sans humanité. Daleks, Cybermen, ou n'importe qui d'autre. River me donnait aussi envie de descendre tout le paquet. Pas pour les mêmes raisons.

— Non mais vu l'état de vos dents, la pâte sablée, c'est pas pour tout de suite. J'ai fait les gâteaux pour moi. Vous, vous avez des pâtes pour bébé, à la fois froides et trop cuites. Il y avait une raison pour laquelle je préférais courir les aventures avec vous dans l'espace, hein ?

Quand j'étais le onzième, j'aimais la nourriture régressive. Personne ne me l'a vraiment fait remarquer mais je mangeais comme un gamin… L'espoir me gagne.

— Des alphabets ?

— Ah non. Des coquillettes. C'est tout ce que j'ai trouvé et c'est déjà beau. Elles étaient au fond d'un placard, heureusement que ça ne se périme pas. J'aurais pu aller en chercher des nouvelles mais je ne voulais pas vous laisser tout seul…

Je connais les accents gouailleurs et taquins de cette voix. Ils m'enveloppent autant que la chaleur que je sens sur mon visage.

Pour info, c'est un rayon d'étoile jaune. Je ne sais pas sur quelle planète on se trouve, mais ça ressemble à l'été ou le printemps sur Terre. Pour chaque planète, les saisons varient, selon leur inclinaison sur l'écliptique et leur orbe autour de leur soleil, plus ou moins circ...

— C'est ça, c'est ça. Allez maintenant, ouvrez les yeux. On va clopiner jusque dehors, vous allez mettre votre cul blanc dans ce joli transat, là-bas, sous le palmier qui a une tête de plumeau déplumé… Au fait, ça bronze un Seigneur du Temps ?

Je continue à faire défiler sous mes paupières serrées un festival exubérant de souvenirs heureux qui lui ressemblent. Très heureux. Sauf le dernier.

Je sens une main qui se pose doucement sur la mienne démentant, par là-même, les propos qui me malmènent.

— Docteur, regardez-moi.

J'obtempère mais ma gorge est nouée et son prénom est à peine un souffle. Elle est vêtue de la même manière qu'autrefois. J'ai visité des dizaines de planètes, je peux vous dire que personne ne s'habille d'une robe pull ceinturée sur un jean et d'une veste longue en cuir fauve.

— Donna.

Ce n'est pas une question, juste une constatation. Je sais que c'est elle depuis qu'elle a dit « homme de l'espace ». Ses yeux gris-verts teintés d'inquiétude clignent sous sa sempiternelle frange droite qu'elle n'a pas coupée. Un lumineux sourire étire ses lèvres fines, éclairant son visage pâle quand elle constate que je lui ai enfin « obéi ».

Docteur Donna, corrige-t-elle malicieusement. Vous m'avez fait peur. Ce n'est pas la première fois que je vous vois vous régénérer mais là… Vous êtes resté catatonique pendant presque deux jours !

Je comprends pourquoi « le matelas » était dur. J'étais en effet allongé à même le sol de la salle de pilotage du Tardis avec juste un oreiller et mon manteau pour me recouvrir. Les décorations murales hexagonales cuivrées me contemplent de moins haut, tandis que je me remets debout.

Elle babille et me pousse vers la porte ouverte du Tardis. Elle m'a refait mon lacet et me soutient pendant le court voyage où je me translate du point A au point B. Dehors, la vue est époustouflante. On n'est pas sur Terre. On n'est pas chez elle. Que fait-elle là ? Tant que j'avais les yeux fermés, je pouvais lâchement repousser ce mystère à la périphérie des urgences à traiter. Mais cela en devient une maintenant que j'ai enregistré la signification de « Docteur » Donna.

— Il va falloir vous requinquer un peu, hein ? Je vous ai installé une petite paillote par là. On ne sera pas trop dérangés par les voisins, dit-elle avec geste large pour désigner les alentours.

C'est un rêve de carte postale estivale extrasolaire. Le sable fin est presque blanc, incrusté de petites perles dépolies qui créent des arcs-en-ciel quand les rayons les frappent. Quelques rares crustacés remontent de la mer au flot presque immobile. Un minuscule crabe qui en revient interrompt sa marche précautionneuse et lève une pince comme pour nous saluer au garde-à-vous – avec la solennité d'un Sontaran. Derrière lui, l'eau est transparente, parce que le ciel n'est pas bleu mais d'une teinte plus lumineuse que n'importe quoi.

Elle me tire par la manche en me tendant un objet qui me laisse bouche bée.

— Hé, vous oubliez ce… je ne sais pas trop quoi ! Ne me dites pas que c'est votre nouveau tournevis sonique ? Il est louche…

Je me sens rougir. C'est vrai qu'il a une forme… très spéciale. Même gravé de symboles gallifréens et incrusté de cristaux bruts lumineux, il m'évoque plutôt irrésistiblement un vibromasseur de Jack-le-paillard Harkness qu'autre chose. Oh, Seigneur, par pitié, ne me dites pas que…

Mal à l'aise, je l'escamote au plus vite dans ma veste sans bouton… Avec bouton. Je comprends qu'elle l'a recousu pendant que j'étais hors-service.

Alors je relève la tête, conscient que je ne peux pas fuir plus longtemps mes responsabilités.

— Donna, comment peut-on être ici tous les deux ?

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A ce point, il faut que vous sachiez que Donna a dû m'oublier pour ne pas devenir folle. Oh pas comme vous croyez, car elle s'accommodait très bien de ma dinguerie ordinaire. Ce n'est pas ça.

Les cerveaux humains adultes ne sont pas faits pour une recombinaison avec l'énergie démentielle dégagée par une régénération. C'est pourtant ce qui lui est arrivé.

A l'occasion d'une énième aventure apocalyptiquement foireuse, j'ai été frappé d'un tir dalek. C'est raide, un tir dalek on en meurt. C'est précisément ce que je commençais à faire en m'illuminant comme un sapin de Noël quand j'ai bloqué le processus pour rester sous cette forme un peu plus longtemps, au lieu de passer la main au suivant.

Longue histoire embrouillée que je vous fais courte, Donna s'est trouvée involontairement exposée à l'énergie de ma transmutation avortée... et ses charmants petits neurones de terrienne ont muté.

J'étais fier quand elle a brillamment sauvé le monde en mobilisant à son compte mes connaissances et compétences pour le faire. Et dévasté quand j'ai dû lui effacer la mémoire et tous ses souvenirs de moi.

Le processus de régénération est un pouvoir invasif, destructeur qui aurait fait frire irrévocablement ses synapses si je n'avais rien fait. S'il lui était resté un seul petit souvenir de mon nom, de mon visage ou de ce qu'elle avait traversé, tout se serait réenclenché en elle, sans que je ne puisse rien faire d'autre que de la regarder mourir en quelques dizaines de minutes.

J'ai dû la laisser sur Terre mais c'est moi qui me sentais si cruellement seul et abandonné. C'est toujours ce qui m'arrive. Tout le temps.

— Allez, je sais tout ça, mais bougez-vous un peu. Votre bouillie va finir par réchauffer à force…

Je suis plus grand qu'elle, d'une demi-tête au moins, et c'est à mon tour de la toiser d'en haut avec inquiétude. Parce que si elle se désigne comme le « Docteur » Donna, c'est qu'elle s'est souvenue de tout et qu'elle court un grave danger.

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— Je voulais dire pourquoi ne…

Elle me coupe avec une impolitesse qui ne pense pas à mal.

— Vous n'avez pas pensé à une plage ? C'est une bonne raison pour qu'on y soit allés directement.

Je fronce un seul sourcil. Une plage ? J'en doute parce que récemment, je n'étais pas trop en état de penser à quoique ce soit. Et puis, pour diverses raisons personnelles, je ne suis vraiment pas fan des plages… Donc non. Je ne…

Oh mais… OUI !

Tirée d'un souvenir, j'entends la voix rocailleuse du Docteur de guerre qui se foutait de mes Converse en les traitant de « chaussures de plage », et celle de « M. Menton », ma onzième incarnation, me rebaptisant de ce surnom stupide… Je peux faire le lien maintenant entre le lacet, la basket et un atterrissage en bord de mer. L'inconscient des Seigneurs du Temps est comme le cœur quantique des Tardis : un gouffre sans fond.

J'ose un sourire et prends ses doigts dans les miens pour les serrer.

— Non. Enfin si, j'y ai pensé, mais ce que je voulais dire c'est : comment pouvez-vous être là, vous ?

Un petit sourire en coin et un plissement de son nez en trompette plus tard, elle me présente le bol froid où la fourchette tient plantée, raide comme la Justice. Un peu penaude et soudainement attristée, elle acquiesce.

— Je sais pourquoi vous dites cela.

Mais avec obstination, elle me tire vers la chaise longue et me la désigne d'un geste autoritaire. Je me coule dans sa toile écrue et elle me flanque le récipient dans les mains.

— Et ne me forcez pas à vous donner la becquée !… Pas sûr que ça vous arrange votre mauvais transit vous n'avez le temps de rien et vous ne mangez pas assez de fibres (les bananes, ça ne compte pas). Mais il faut que bien que vous avaliez quelque chose.

Mhh. Je ne sais pas si j'aime bien qu'elle me materne. Je pose ma pitance sur le côté et passe mes paumes sèches sur mes joues et mon front, comme pour frotter l'angoisse indélébile qui me prend en revoyant son cher visage.

— Donna, comment êtes-vous venue ? Pourquoi vous souvenez-vous de moi ? Comment pouvez-vous être là ? Répondez-moi !

Elle croise les bras en affichant un air amusé.

— Mais qu'est-ce qui peut bien vous faire penser que je suis là ?

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J'ouvre la bouche et je suis à peu près sûr que j'ai une bonne tête d'ahuri. J'attrape la fourchette en l'agitant un peu en l'air, essayant de réfléchir.

— Je suis en pleine hallucination post-régénération ?

— Peut-être.

— Mais je vous ai tenu les mains, vous êtes tangible !

— Ah, ça commence à revenir. Les échanges entre votre petit cerveau musclé et avec ce que vous voyez, entendez, sentez, ne sont pas à sens unique. Lors d'une autre régénération, n'avez-vous pas intégralement recréé une Amy Pond – l'autre rousse de votre vie – afin de lui faire les adieux dont vous aviez besoin ?

Elle a raison mais je me demande comment elle peut savoir tout ça. Certes Donna avait eu toutes mes connaissances transférées en elle, mais les événements qu'elle évoque là sont bien ultérieurs…

Elle semble s'impatienter de ma lenteur et soupire lentement.

— Docteur ! Vous êtes en train de chercher à survivre. C'est pour ça que je suis là : pour vous aider.

Je secoue la tête, je suis perdue et… perdu. Je me sens si mal. Mon corps souffre dans cette forme.

Je ne suis pas coopératif c'est sans doute pour ça que Donna s'éloigne tristement en direction du Tardis. L'idée qu'elle s'en aille m'est pourtant insupportable. Je veux la retenir mais ma supplique n'est qu'un murmure honteux et inaudible.

— Ne me laissez pas !

— Quand l'ai-je donc fait ?

Découpée sur le bleu intense de mon vaisseau, elle y reste adossée à me contempler avec patience et bonté.

— Reposez-vous. Je reviendrai plus tard. Par exemple… quand vous vous serez nourri.

— Qui êtes-vous ?

Elle ne répond pas tout de suite, souriant légèrement, comme si je venais de dire quelque chose de plaisant.

— Ah Docteur, répond-elle, toujours perpétuellement coincé entre une fille et une boîte.

Je sursaute encore et l'un de mes cœurs se remet à tambouriner, l'autre reste calme. C'est toujours ça de pris. J'essaie de me relever de ce foutu transat trop profond pour la rejoindre et renverse les coquillettes. Le crabe va m'en vouloir. Mais tout ce qui m'importe à l'instant, c'est de dissiper ce mystère qui me taraude, qu'elle me le dise et me libère.

Je l'appelle mais elle rentre et disparait à l'intérieur du Tardis. Et le temps que j'y arrive – avez-vous essayé de courir dans le sable ? Moi si, et plusieurs fois – elle a quitté la salle de pilotage.

Pourquoi prend-elle de tels risques ? Pourquoi croit-elle que ça ne me fait rien ? La colère et l'anxiété montent trop fort en moi. Avec un cri, je me défoule sur une « patte d'araignée » en donnant un coup de poing qui fait vibrer la structure. Et je n'aime vraiment pas cette déco.

— Mais quelle fille, à la fin ?! Je suis seul, à chaque fois plus seul ! Tellement que je suis réduit à parler à des fantômes !

« Tu as tort ».

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J'ai présumé de mes forces, il faut que je fasse une petite pause. Je m'assieds au sol pour ruminer contre un pilier, à regarder la console étrangère d'un œil morne pendant de longues minutes.

Console, voilà un mot qui résonne bien malencontreusement en moi.

Les douleurs qui font tressaillir mes muscles, mes os, jusqu'à mes cheveux dressés menacent de me reprendre. Est-ce que le processus de régénération n'est pas fini ? Est-ce que je lutte pour rejeter ce corps… ou bien pour le conserver ? Je ne suis pas une mauviette mais là, je commence à trembler et je respire mal en dépit de mes super poumons.

Pourtant, au cœur de cette souffrance, je sens comme une caresse apaisante dans mon esprit.

« Toujours coincé entre une fille et une boîte ».

L'impatience grandit et monte encore. Et j'en ai déjà assez de cette faiblesse qui m'est si peu naturelle. Je suis un Seigneur du Temps ! Je suis résistant. Je suis résilient. Je suis un survivant.

Et sur ces bonnes paroles, je me sens prêt à glisser dans l'inconscience.

Alors que j'allais lâcher prise, deux de mes neurones percutent enfin. Je rouvre les yeux d'un coup et les garde écarquillés le temps de la réalisation.

« Je suis là pour vous aider ».

« Ne me laissez pas ! – Quand l'ai-je donc fait ? »

« Entre une fille et une boîte ».

Aussitôt, je suis debout, les cœurs gonflés de gratitude.

Autour de moi, les lieux ont retrouvé la configuration d'autrefois, ses tons d'ocre brun cuivrés, avec mes chers piliers de corail tarabiscotés. Le rotor temporel s'est illuminé de vert et vient de pomper et mugir deux fois comme une irrésistible invitation à jouer.

— Et une… boîte…

Délibérément lent, je marche vers la console. Avec une caresse furtive, je pousse quelques boutons de contrôle de vol pour les relever en position haute. Et puis, la main sur le levier de démarrage, je prends le temps un instant d'en sentir la chaleur sous ma paume… avant de l'abaisser d'un coup en un large geste théâtral.

Où que ce soit et quand que ce soit…

Allons-y !

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Notes de l'auteure

* La température corporelle normale d'un Seigneur du temps est à 15-16°.

C'est une marotte personnelle que j'ai de considérer que les Tardis sont "conscients" et plus interactifs hors caméra.


Liste des mots imposés :

Température / tempérament - pâtés de sable / pâte sablée - joli transat / mauvais transit - sandales / dent sales - coquillages / coquillettes - bikini / pique-nique - paillote / papillote - estival / festival - palmier / palier


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