Les jardins d'Evanescis

Chapitre 6 : Debarrasser la table

Chapitre final

1719 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/10/2025 09:52

Chapitre 6

Debarrasser la table




-C'est assez simple, cet engin change la matière en antimatière, puis il change à nouveau cette même antimatière en tout ce que vous aurez programmé : viande, légume, boisson, daïkiri banane... Par chance, il est muni d'une mémoire interne, stockant ainsi les données biométriques de tout éléments changés en antimatière... Il suffit simplement...

Couché sous la machine, le roi des bricoleurs releva la tête, frappant de son front le bord de la structure circulaire. Frottant la bosse naissante, il appela :

-Vous comprenez, Clara ?

Un regard circulaire lui indiqua qu'il était seul dans la pièce.

La jeune femme faisait des allers et retours entre l'intérieur et l'extérieur de l'épave, ramenant les pierres qu'elle arrivait à soulever, et n'était pas encore revenue.

-Bien, soit, déclara l'homme au nœud papillon en se redressant.

Il se frotta les mains et se dirigea vers le petit tas rocheux déjà entassé puis commença à en remplir le centre de l'anneau blanc. Toujours à haute voix, il continua:

-C'est simple comme bonjour. Il suffit de mettre la quantité de matière exacte. L'appareil pourra, avec mes ajustements, ramener les derniers éléments sauvegardés dans sa mémoire.

-Vous êtes un génie Docteur, se congratula-t-il.

-Je suis bien trop modeste pour l'admettre, tempéra-t-il

Il se tourna vers la porte, espérant voir arriver son amie. Parler seul n'était pas aussi satisfaisant qu'il l'aurait pensé.

Il enfonça les mains dans ses poches, eut une moue de déception.

-Elle va rater le plus intéressant...

Puis il se dirigea lentement vers le petit écran digital situé sur la surface de l'anneau.

-Docteur de Carabas! Ne bougez plus !

Le Seigneur du Temps pivota lentement, faisant criser ses semelles sur le sol métallique, les mains toujours enfoncées dans les poches. Il pencha doucement la tête sur le côté.


Ashile était là, sa poigne entravant la nuque de Clara. Le géant était nu pied, vêtu d'un pyjama crème et d'un bonnet de nuit. Il soulevait légèrement Clara dont le bout des bottines touchaient à peine le sol.

-Depuis combien de temps, Ashile ?

La voix du Docteur était calme, mais ferme. La voix d'un homme parfaitement conscient de ce qui était sur le point de se passer.

-Enlevez les mains de vos poches !

-Combien de personnes, Ashile ? Je connais la réponse à ces deux questions, mais je voulais savoir si vous aviez gardé le compte de vos victimes.

Un rictus de dédain déformait le visage buriné du géant.

-Qu'est-ce que ça change ? Ils ont tous étaient bouffés.

L'homme au nœud papillon se penchant en avant.

-Non.

Le bras d'Ashile se fit plus lâche. Les semelles de Clara touchaient de nouveau le sol métallique de la pièce.

-Comment ça, "non"?

-Ils n'ont pas été mangés.

-Enlevez les mains de vos poches, espèce de rigolo !

-Non. Dernière question : pourquoi ? Vous avez dû vous rendre compte que l'appareil fonctionnait avec n'importe quel matière. Pourquoi y avoir poussé des gens ?

La voix de l'accusateur était désormais froide.

-Au début, c'était simplement pour me débarrasser de la concurrence, commença calmement le majordome. Avoir un poste bien placé, c'est compliqué avec mon gabarit. Je n'ai ensuite eu aucun mal à convaincre les Maîtres qu'il s'agissait là du fonctionnement normal de la machine. Ils étaient peu regardant sur la méthode, pourvu que le repas soit à leur convenance.


Le Docteur se tenait à présent droit, les mains toujours dans les poches.

La lueur verte du tournevis sonique traversa le tissu du pantalon mauve, accompagné de ses vibrations distinctives.

D'un coup de talon, Clara écrasa quelques orteils, se dégageant de la prise du malabar.

Le gigantesque anneau se mit à vrombir, les roches posées en son centre devinrent lumineuses, comme si chaque atomes de pierre devenait un soleil.


Clara était de nouveau pendue au bras de son ami lorsque l'anneau cessa de vibrer, que la lumière redevint supportable et que les pierres aient disparues, remplacées par une créature massive.

-Lomo toh shoko!

Un judoon venait d'apparaître.

Celui-ci n'avait pas de casque. Il arborait deux massives cornes au-dessus de sa gueule qui dévoilait les crocs du soldat passablement énervé. Il eut le temps, "cette fois-ci" pensa le Docteur, de pianoter sur le petit clavier installé sur son avant-bras avant qu'Ashile ne se jette sur lui afin de le pousser une seconde fois au centre de l'anneau.


Il ne fallut qu'une poignée de seconde pour que l'endroit exigu soit rempli de trois Judoons supplémentaires qui maîtrisèrent sans peine le majordome, qui se retrouva à genou, menottés sur le sol froid, dans son pyjama crème, son bonnet de nuit toujours sur le crâne.


...



Les deux soleils semblaient se confondre, s'amalgamant en une étrange forme ovale au-dessus des jardins bigarrés d'Evanescis.

Une journée s'était écoulée depuis le départ des Judoons qui avaient emporté avec eux les régents ainsi que leur colossal valet.


Clara, arborant à nouveau ses vêtements d'Angleterrienne et son plus charmant sourire, déambulait au côté de Brieg au milieu des herbes desséchées, à l'ombre chiche d'une rangée d'arbre biscornu.

Le père du jeune Dorid avait bien du mal à se figurer la suite d'événements qui avait privé sa cité de gouvernance.

-... Le Docteur s'est assuré que le vaisseau soit de nouveau inactif et inaccessible, conclu la jeune femme de Blackpool. Il a également veillé à ce que les nappes souterraines soient assainies. Vos prochaines récoltes devraient rapidement revenir à la normale.

A la mention de son étrange ami, Brieg jeta un regard à la boîte bleue qu'il avait transporté à l'arrière de sa charette, depuis les pâturages dans lesquels elle avait été laissée et dans laquelle le Docteur s'était réfugié sans un mot.

Après le départ des Judoons, le Docteur s'était affairé en sous-sol durant de longues heures. Une vingtaine de personnes avaient émergée de la galerie pour retrouver la salle du trône, rematérialisés et rescapés du grand anneau de l'épave, laissant leur sauveur terminer son œuvre seul.



Le jardin était ouvert aux enfants qui, peu nombreux, mais ravis, courraient désormais dans les allées, armés de branches tordues, remplaçant ainsi les deux gardes du palais. En effet, les deux soldats profitaient de leur premier jour de congés, installé en tailleur au centre d'un carré d'herbe desséché, leurs casques sur les genoux.

-Brieg? Vous allez bien ?

Le fromager posa enfin son regard sur Clara.

-Oui, balbutia-t-il. Mais qui va nous gouverner ?

D'un mouvement de tête, la brunette indiqua le palais.

-Vous devriez vous y réunir, tous, et décider ensemble d'un groupe de personnes en capacité de prendre les décisions pour votre communauté. Sur terre, on appelle ça la démocratie.


...



La porte du Tardis grinça lorsque Clara la referma derrière elle, s'y adossant le temps de chercher son ami du regard.

La pénombre du vaisseau tranchait singulièrement avec la journée ensoleillée au-dehors.

Le Tardis semblait ronronner, tel un gros chat endormi.


Le Docteur était appuyé sur la rambarde de la coursive supérieure. Clara ouvrit la bouche, puis la referma, parfaitement consciente du tourment qui agitait les méninges de son compagnon de voyage.

-Trente-huit, Clara. Trente-huit.

Elle fit quelque pas, se plaçant sous le Docteur.

-J'ai calculé, Clara. Il est indiqué dans les registres qu'Ashile a était promus il y a un peu plus de six ans, ce qui porte le nombre de ses victimes à trente-huit. Il était impossible pour la machine de garder autant de relevées biométriques.

Clara croisa les bras, penchant légèrement la tête. Il n'avait pas pu sauver tout le monde. Il se torturait pour ceux qu'il n'avait pas pu sauver, se privant ainsi de la satisfaction d'une victoire sur la cupidité aveugle et la cruauté.

-Et combien d'autre auraient fait grossir vos statistiques si vous n'étiez pas intervenu ? Combien d'années ce manège macabre aurait continué si vous n'aviez pas eu la curiosité de nous crasher sur cette planète, Docteur ?

La voix de la jeune femme était teintée de reproches. Elle reprit, en se faisant plus douce :

-Vingt-deux personnes, Docteur. Vous avez ramené vingt-deux personnes d'entre les morts, mit fin aux agissements d'un trio monstrueux et très certainement fait naître une nouvelle démocratie.

Les yeux de Clara s'étaient habitué à l'obscurité des lieux. Ou alors la lumière s'était elle faite un peu plus présente.

Le ronronnement des machines se fit bourdonnement. Le Tardis s'éveillait.


Le Seigneur du Temps se redressa, un rictus gêné sur son visage. Sa voix devint plus claire.

-Vous avez raison, Clara. Ce n'est pas mal. Pas mal du tout.

Il se dirigea d'un pas tranquille vers l'escalier de métal, réajusta son nœud papillon, puis pointa son index vers son amie.

-Mais je n'aurais pas réussi ces exploits si vous n'aviez pas évoqué River.

Il sautilla jusqu'au bas des marches, prenant appui sur les rambardes pour se pencher et amener son visage à quelques centimètres de celui de Clara.

-Je serais perdu sans ma Fille Impossible. Ma Clara.

Il sauta à bas de l'escalier, puis bondit jusqu'au poste de pilotage. Se balançant entre les molettes, les manettes et autres interrupteurs avec un sourire renouvelé.

-La Proclamation de l'Ombre a retiré le bouclier, nous allons pouvoir décoller.

Avec un regard complice, il lança :

-Alors qu'est-ce que ce sera? Le passé, le futur, l'espace lointain? Que désirez-vous, Clara ?

D'un pas chaloupé, celle-ci se glissa à ses côtés, hasarda une main sur la console puis proposa innocemment :

-Je pourrais peut-être prendre les commandes du voyage temporel, cette fois-ci ?

Le Docteur saisi délicatement la main de la jeune femme pour la soulever et l'éloigner des commandes.

-Pour nous faire rebondir comme un galet dans le flux du temps ? Objecta-t-il avec humour. Non, je ne pense pas, non.

Laisser un commentaire ?