Le Mystère des Lapins-tonnerre

Chapitre 3 : C3 : Le cargo, le vieux croûton et la minette

3029 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:47

CHAPITRE III

LE DOCTEUR

Le douzième Docteur descendit les marches posément. Clara était concentrée sur les commandes de vol, paraissant tout à fait calme. Il vint près d'elle sans hâte en observant ses mouvements dans l'espoir (fou) de les mémoriser. Ou que quelque chose lui reviendrait.

― Je m'en sors bien ? demanda-t-elle sans quitter des yeux les manettes.

― On ne peut mieux, concéda-t-il volontiers dans la mesure où il ne savait absolument pas ce qu'elle faisait. Et du coup, puisque c'est vous qui conduisez, où nous emmenez-vous ?

― Sur Terre, j'espère. Chez moi.

Le Docteur se rappela ce qu'avait dit l'interface du Tardis : si elle rentrait maintenant, elle ne reviendrait pas.

― Hem. J'ai plusieurs autres idées en tête. J'aurais préféré vous emmener vers une destination plus exotique... Ou vous faire rencontrer une amie.

― Une amie à vous ?

― L'interface du Tardis me dit que… vous avez besoin de parler à quelqu'un qui comprenne ce que vous vivez. Et qui puisse vous conseiller.

Clara fit une pause dans la manipulation des leviers, les bras en l'air, interrogatrice.

― Pourquoi est-elle là ?

― Qui donc ?

― C'est la première fois que vous me parlez autant d'elle… « L'interface a dit ceci, l'interface pense cela… » C'est nouveau, non ?

Il hocha la tête de gauche à droite, deux ou trois fois, entre la concession et l'hésitation.

― C'est surtout temporaire... Je suis connecté au Tardis de telle façon que je m'en passe totalement d'ordinaire. Mais là, il nous faut un peu de temps pour retrouver notre osmose… Donc, on utilise ce moyen.

― Ça peut se comprendre, commenta Clara avec une ombre de sourire. Elle a l'air de quoi avec vous ? Avec moi elle est toujours hyper condescendante.

Le Docteur sembla déambuler avec une grande prudence, en valsant sur lui-même en une danse incompréhensible. Pas de River en vue… Parfait.

― Pour tout dire, avec moi aussi quelquefois, souffla-t-il en esquissant ce qui devait être un sourire timide.

Ce n'était pas spécialement vrai. Mais il fallait bien tenter quelque chose pour tenter de retrouver aussi son osmose avec Clara… La fausse River venait d'apparaître et de se croiser les bras, mais son expression était bienveillante. Elle lui fit un geste rotatif de la main comme pour lui dire de poursuivre dans cette voie : se montrer plus amical et plus à l'écoute…

― Comment s'appelle votre amie ? C'est une terrienne ou une extraterrestre ?

― Une terrienne, elle s'appelle Sarah-Jane.

― Ancienne compagne ? voulut-elle savoir.

Il acquiesça avec un franc sourire.

― Une femme merveilleuse. Je suis certain qu'elle vous plaira énormément.

― Donc vous gardez contact avec celles qui vous quittent ? questionna-t-elle sans le regarder.

― Autant qu'il m'est possible, compte tenu des contraintes particulières qui sont les miennes, avança-t-il en essayant de ne pas trop mentir.

Clara soupira et acquiesça.

― Je suppose qu'on peut aller la voir avant de me déposer… Mais si je sais à peu près piloter dans l'espace – apparemment – je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il faut faire pour viser une époque…

Avant que le Docteur ne puisse répondre, il vit avec stupéfaction l'interface du Tardis, se mettre derrière Clara et avancer d'un pas pour fusionner avec elle. Le doute s'insinua dans son esprit. Clara disait donc vrai quand elle affirmait qu'elle ne savait pas piloter et qu'elle n'avait pas appris. L'interface lui soufflait comment faire.

― Docteur, dit Clara en tentant de contrôler l'excitation de sa voix, il se passe quelque chose de très bizarre. Je me sens…

― Dites-moi, répondit-il prudemment.

― Et bien juste depuis une minute, j'ai l'impression que je sais totalement piloter le vaisseau et que je comprends tout à tout ! C'est une sensation extraordinaire et… très euphorisante ! Regardez, mes mains bougent toutes seules et elles ont l'air de savoir ce qu'elles font… C'est ce que vous ressentez quand vous pilotez ?

― La… plupart du temps, répondit-il avec un sourire ému.

― Waaah ! Je comprends pourquoi vous adorez ce vaisseau…

Le Tardis se posa délicatement et sans un bruit.

― On a atterri. Il me semble que je sais – mais je ne sais pas comment – qu'on est dans un vaisseau spatial.

Les sourcils du Docteur se froncèrent sous l'étonnement.

― Sarah-Jane dans un vaisseau spatial ? C'est hautement improbable.

Clara haussa les épaules. Il vit l'interface reculer d'un pas pour se séparer d'elle, puis lui adresser ostensiblement un clin d'œil dans le plus pur style de la vraie River.

― Elle a bien été dans le vôtre… Vous croyez donc que vous êtes irremplaçable ?

― Allons le vérifier tout de suite.

Il ouvrit pour elle la porte du Tardis. Elle avait l'air sensible à ces petites attentions galantes et inutiles qui prenaient un temps précieux en période de crise.Mais là, on n'était pas en crise.

.°.

Clara et le Docteur firent quelques pas à l'extérieur et sans réfléchir, il referma la porte à clé. Ce geste anodin accompli par pur automatisme le rassura. Le Tardis semblait s'être posé dans un hangar encombré de matériel à moitié démonté, de pièces détachées et de caisses métalliques. Une lumière s'était allumée à leur arrivée et qui leur permettait de discerner un peu ce qui les entourait et de se frayer un chemin parmi la ferraille.

― Vous croyez qu'on est où ? demanda Clara.

La réponse ne se fit pas attendre.

― Sur un cargo de commerce, répondit une voix inconnue venant de devant eux. Et je vous conseille de ne pas faire un pas de plus !

La silhouette d'un très jeune homme, de taille moyenne, peut-être encore adolescent, se dressait devant eux en les menaçant d'une arme. Il avait l'air afro-américain et il sembla à Clara désespérément normal pour un extraterrestre voyageant sur un cargo de commerce de l'espace. Le Docteur passa devant en levant les mains pour montrer qu'il n'était pas armé, et Clara l'imita.

― Hello ! Je crois que j'ai fait une petite erreur dans l'estimation de mon plan de vol. Je comptais retrouver une amie sur une planète qui s'appelle la Terre, et de toute évidence, nous n'y sommes pas du tout. Sinon, je suis le Docteur et voici Clara. Et vous ? Vous êtes le capitaine de ce vaisseau ?

Sans les quitter du regard, en les maintenant toujours en joue, le jeune homme activa d'une main la radio qu'il portait à l'épaule comme le faisaient les militaires.

― Maman, on a des intrus dans le hangar 12. Un vieux croûton et une minette. Je ne sais pas comment ils sont entrés, les alarmes anti collision n'ont pas sonné… remarqua-t-il. Le vieux dit qu'il est médecin…

Un crachotement retentit dans la radio et une voix de femme se fit entendre.

Médecin ?... Ce n'est pas le moment, on a vraiment d'autres chats à fouetter avec ce qu'on a embarqué à la dernière escale… » ronchonna la voix.

― Bon qu'est-ce que j'en fais ? Je les mets à l'isolement ? questionna le jeune homme.

Le Docteur l'interrompit en désignant le Tardis du pouce par-dessus son épaule.

― Si vous voulez, nous pouvons nous isoler dans cette boîte bleue qui est là derrière.

La radio crachota presque aussitôt :

Ricky ? Il a dit « boîte bleue » ?!

Le jeune homme leva les yeux au ciel, et enclencha le commutateur pour répondre.

― Affirmatif. Le vieux pervers a l'intention de « s'isoler » avec la fille dans une espèce de boîte en bois où il y a écrit POLICE. Si elle est d'accord, ça ne me regarde pas, hein ?

Clara lui balança un regard courroucé et le Docteur la regarda avec l'air de celui qui veut se montrer conciliant, puisqu'ils étaient menacés d'une arme.

― Jeune homme, vous n'êtes manifestement pas le capitaine de ce vaisseau, mais peut-être pouvez-vous nous conduire à votre chef ? J'ai besoin de lui parler. J'adore dire ça, chuchota-t-il à Clara sur le ton de la confidence.

Ne bouge pas, j'arrive immédiatement ! ordonna la voix de la radio.

― Maman, ce n'est pas la peine, je gère ! se vexa le jeune garçon. Restez tranquilles, vous allez parler au capitaine dans une minute.

.°.

Le Docteur baissa les bras et se les croisa dans le dos en adoptant une posture neutre pour patienter. Il en profita pour regarder minutieusement la pièce où ils se trouvaient, ce qui pouvait toujours servir. Clara baissa les bras à son tour mais hésita devant le regard peu amène de leur hôte. Le jeune homme crispait toujours les mains sur son arme et elle n'était pas rassurée. Un coup était si vite parti et il avait l'air assez nerveux… Au bout de quelques instants cependant, un bruit de course se fit entendre à l'extérieur de la pièce et une femme aux cheveux gris, légèrement enveloppée, fit irruption dans la pièce. Également noire, elle avait l'air d'avoir une cinquantaine d'années et elle portait une salopette de travail rouge tachée de graisse. Elle regarda partout cherchant quelque chose qu'elle finit par trouver dans un coin moins éclairé de la pièce.

― Ricky ! Mon chéri, c'est le Tardis ! C'est merveilleux ! Ce n'est pas « un » docteur mais LE Docteur… Docteur ? Où êtes-vous ? demanda-t-elle en tournant la tête de tous côtés.

― Je suis là Martha ! Et je suis ravi de vous revoir ! dit le Docteur en s'avançant dans le halo de lumière du plafonnier.

La femme marqua un bref temps d'arrêt d'à peine trois secondes, avant de lui tendre les mains avec un grand sourire chaleureux. Il les lui prit et les serra avec une émotion qu'il fit son possible pour contenir.

― Docteur ! C'est incroyable ! Que faites-vous là ?

Elle ne le laissa pas répondre. Pleine de curiosité, elle tourna aussitôt la tête vers celle qui l'accompagnait et se présenta spontanément :

― Bien sûr, ça ne pourrait pas être Donna… Non. Bonjour, je suis Martha.

Le Docteur se tourna vers Clara avec l'intention de faire des présentations officielles.

― Martha, je vous présente Clara qui voyage avec moi… de temps à autre. Clara, voici Martha Jones, une amie très chère.

Clara accepta la main que lui tendait la femme qui avait effectivement l'air d'être très sympathique et très heureuse de cette rencontre inopinée. Le jeune garçon émit un raclement de gorge outré, signifiant qu'il aurait aimé ne pas être exclu des présentations « entre adultes ». Martha lâcha la main du Docteur comme à regret, pour aller vers le jeune homme dont elle baissa l'arme en lui prenant son bras sous le sien.

― Ricky, je te présente le Docteur dont je t'ai si souvent parlé quand tu étais petit. Docteur, voici mon fils cadet, Ricky Smith. Chéri, dépêche-toi d'aller chercher ton père, il ne va pas en croire ses yeux. Et donne-moi ce truc.

Le fils de Martha plissa les yeux et sa bouche se tordait en une moue dubitative :

― Le Docteur ? Ton Docteur ? Il existait vraiment ? J'ai toujours cru que tu inventais ces histoires au fur et à mesure. En tous cas, tu avais largement embelli le tableau ! Il a pris un sacré coup de vieux ton fringant Docteur…

Le Docteur lui adressa un bref signe de tête et dit sarcastiquement :

― Le vieux croûton vous salue bien, jeune homme…

― Chut, Chut ! fit Martha embarrassée. Pardonnez-le Docteur… (Le Docteur cligna des yeux sans mot dire). Je t'ai dit d'aller chercher ton père, il n'y a aucun danger. C'est bien le Docteur, mais il s'est régénéré.

Le jeune Ricky recula de quelques pas, son arme au canon court qu'il n'avait pas voulu rendre, posée crânement à l'épaule. Cran de sûreté enclenché.

― Régénéré ? Mais il y a combien de siècles au juste ?... Franchement ? A quoi bon se régénérer si c'est pour avoir l'air d'un croulant ? Faudra qu'on m'explique un jour ! dit-il avant de tourner les talons avec un air méfiant.

Martha se retourna vers ses invités, radieuse et embarrassée.

― Venez, venez, ne restez pas là… dit-elle. Il faut pardonner mon fils. Ses frères sont partis vivre leur vie et il ronge un peu son frein. La vie est un peu difficile pour un jeune garçon sur un cargo sans personne de son âge. Il brûle de partir mais j'aimerais qu'il reste encore quelques années avec nous.

― Chère Martha, je n'étais venu faire qu'une visite de courtoisie, mais j'ai cru comprendre qu'à part nous, vous aviez un autre intrus indésirable à bord ? dit-il avec un demi-sourire. Voulez-vous de l'aide ?

Martha secoua la tête.

― Oh, non c'est inutile. Vous avez certainement des choses plus importantes à faire que de nous aider à chasser le cagal. C'est une créature inoffensive que nous avons embarquée en même temps que notre matériel, mais son plus gros défaut c'est qu'elle mange tous les câbles qu'elle trouve, et ce à une vitesse hallucinante. Vous avez fermé le Tardis, j'espère ?

― Je serai ravi de vous aider à repérer ce mystérieux « cagal » pendant que vous faites visiter votre cargo à Clara ! Je vais chercher un détecteur dans le Tardis et je reviens de suite.

― Oui bien sûr ! Venez Clara, le Docteur nous rejoindra, n'est-ce pas ?

― Oui, partez devant.

En passant devant Martha, il lui chuchota rapidement à voix très basse :

― Martha, c'est bon de vous revoir. Je vous ai amené Clara parce qu'elle envisage de cesser de voyager avec moi. Vous aurez certainement des arguments à lui présenter dans ce sens, je veux qu'elle les entende de vous…

― Vraiment ? J'en suis navrée… Que s'est-il passé ?

― Je ne suis pas le Docteur qu'elle a connu, ni même celui que vous avez connu, comme vous voyez…

― Moi non plus, je ne suis plus tout à fait la même, dit-elle en passant la main dans ses cheveux gris, mais je vous ai reconnu presque tout de suite…

Clara s'impatientait légèrement, elle interrompit leur conciliabule.

― Docteur, si vous me disiez de quoi vous avez besoin, peut-être que je pourrais aller le chercher à votre place… Vous devez avoir beaucoup de choses à vous raconter.

Après un regard suppliant vers Martha, il répondit par la négative.

― Non, non, Martha et vous avez sûrement envie de parler de moi dans mon dos, profitez-en avant que je ne sois de nouveau à portée d'oreille ! Je vais retrouver le traceur de biosignes en un rien de temps…

Le Docteur s'engouffra dans le Tardis, et Clara resta seule avec la vieille femme qui lui sourit.

― Mon mari n'a pas l'air d'arriver. Venez ma chère, vous voulez boire quelque chose ? Un thé peut-être ? Vous êtes anglaise ?

― Oui, répondit Clara. Aux deux.

Martha sourit avec un air malicieux.

― Hem, il y a des choses qui ne changent pas ! Venez avec moi, dit-elle en prenant familièrement son bras. Racontez-moi tout ! Alors comme ça… vous voulez quitter le Docteur ?

 

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