From Vegas with love

Chapitre 2 : C2 : Le bon, la brute et l'androïde

4080 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/06/2015 14:42

CHAPITRE II

CLARA OSWALD

Clara consultait la carte qu’un serveur lui avait apportée, mais en dépit des mots qu’elle voyait – elle le savait, grâce aux bons offices de la matrice de traduction du Tardis – le nom des plats ne lui disait strictement rien.

Son esprit s’échappait pour repenser au moment où le Docteur était venu la chercher, après ses cours. Elle avait craint ces derniers jours qu’il ne vienne plus jamais. En le voyant à sa porte, elle n’avait pas osé demander quel intervalle de temps s’était vraiment écoulé. Mais une fois qu’elle se fut retrouvée dans le Tardis, elle avait ouvert son sac et lui avait tendu une boîte qui contenait deux talkies-walkies.

Elle espérait un peu que, comme n’importe quel gamin à qui elle en offrait, il aurait eu envie de les essayer tout de suite… Quelle autre raison aurait-elle eu sans cela de vagabonder dans le Tardis ? Sous le couvert de tester la portée réelle des jouets, elle avait essayé de retrouver le chemin de la salle secrète qu’il lui avait montrée la dernière fois qu’elle était venue. Elle n’était pas sûre d’y parvenir, ni même que le Tardis la laisserait faire. Mais l’idée ne l’avait pas quittée depuis. Et elle devait essayer.

C’est donc avec une stupeur profonde quelle la trouva immédiatement, et qu’elle y fit ses premiers pas incrédules. Il ne pouvait y avoir qu’une seule signification à cela : le Tardis n’était pas contre elle…

Et là, est-ce que vous me recevez, Clara ? claironnait le Docteur.

— Haut et clair, avait-elle répondu en cherchant des yeux ce qu’elle était venue trouver.

La boîte aux motifs géométriques était toujours là. Très exactement où il l’avait laissée.Elle n’était recouverte d’aucune poussière. Sur le moment, elle avait pensé que c’était parce qu’il ne s’était peut-être pas écoulé assez de temps dans le Tardis pour que cela arrive, parce qu’il était venu la rechercher très vite. Puis elle s’était dit qu’il était peut-être plus raisonnable de penser plutôt qu’il était venu aussi et l’avait manipulée…

Et ici, est-ce que vous me recevez toujours ? demandait-il. J’ai reculé jusqu’à la piscine !

— Docteur, dans deux minutes vous allez me dire que le Tardis amplifie naturellement leur portée en son sein, n’est-ce pas ? avait-elle répondu.

Ah ce n’est pas drôle, vous avez déjà deviné ! fit-il une once de bouderie dans la voix. Revenez alors, je veux vous emmener quelque part pour me faire pardonner.

— D’accord, j’arrive tout de suite !

Elle avait éteint le talkie et s’était approchée de la boîte avec crainte et respect.

— Fontaine de Mirnengar, appela-t-elle. Je suis l’humaine Clara et je suis la Gardienne de la ligne de vie du Seigneur du Temps qui se désigne à nous sous le nom du Docteur… Les Seigneurs du Temps lui ont accordé une nouvelle chance d’aider les autres. Mais lui, il pense qu’il ne mérite rien. Il pense qu’il doit expier, qu’il doit rester seul… et qu’il ne mérite plus d’être aimé. Rien de tout cela n’est juste…

Elle espérait que quelque chose se produirait, comme un genre d’accusé de réception, un bip, un cliquetis, mais elle fut déçue.Elle s’en fut en courant.

.°.

Quelqu’un venait de se laisser tomber sur le siège face à elle, en l’obligeant à revenir à ce qui l’entourait. La grande salle, les convives... Elle cligna des yeux avec surprise en réalisant que ce n’était pas le Docteur. L’air humain, l’homme était blond. Ses yeux bleus étincelants sous des sourcils bien dessinés mangeaient son visage aux joues creuses, terminé par un drôle de petit menton pointu. Plutôt bel homme. Mais très sûr de son effet. Dieu sait que le Docteur pouvait l’être aussi à sa façon, mais celui-là était arrogant d’une façon terriblement commune aux yeux de Clara. Il réussissait le tour de force d’avoir l’air très déplaisant alors que les données de bases lui auraient été plutôt favorables.

— J’ai cru qu’il ne partirait jamais, déclara-t-il sur le ton de la confidence.

Elle ne répondit pas et continua de l’observer tranquillement. Il n’avait pas l’air à l’aise dans les vêtements qu’il portait. La veste blanche de coupe classique semblait empruntée à quelqu’un de plus petit, mais étant donné les difficultés qu’elle avait eu elle-même pour entrer, elle comprenait aisément.Il héla un serveur et lui demanda ce qu’elle imagina être un alcool fort. Elle contempla une autre fois le miracle de la commande instantanée se reproduire. Le serveur se retira en les laissant seuls. L’homme porta le verre à ses lèvres et la regarda au travers de ses cils pendant qu’il en avalait une lampée. Il reposa le verre, et se pencha vers elle sur un coude.

— Allons, ne faites pas ça ! dit-il d’une voix étrangement caressante. Vous êtes la plus jolie fille de toute la salle. Je m’ennuie et j’ai besoin de compagnie pour rester éveillé car la nuit pourrait être longue.

— Pourtant, cette ville est très certainement à même de vous procurer toute la compagnie consentante que vous pourriez désirer et sans avoir à beaucoup chercher…

Il siffla doucement entre ses dents.

— Mazette… Vous parlez comme une institutrice ! Ne prenez pas ce petit air avec moi.

— Parce que… ? questionna-t-elle en haussant les sourcils dans une imitation involontaire du Docteur.

— Parce que j’ai besoin que ma chance tourne…

Un peu ennuyée par cette intrusion, Clara jeta un œil vers la porte pour voir si le Docteur ne revenait pas bientôt.

— Vous attendez votre vieux papa, donc ? demanda-t-il en grimaçant sous l’effet de la brûlure de ce qu’il venait d’ingurgiter.

— Est-ce que vous pourriez retourner au bar ? Je crois que vous y étiez bien mieux qu’ici…

Le visage de Clara ne reflétait rien. Son ton restait courtois bien qu’elle montrât des signes d’impatience. Il avait l’habitude de provoquer des réactions plus violentes et s’en serait presque ému, s’il bien sûr il avait été sentimental.

— Vous m’avez remarqué alors ? fit-il en souriant de toutes ses dents.

— Laissez tomber, je ne suis pas du tout votre genre, continua-t-elle avec un petit sourire poli en se replongeant dans le menu.

— Diantre, expliquez-moi ça !

Comme elle l’ignorait délibérément, d’une main, il aplatit sur la table le menu derrière lequel elle se cachait pour l’obliger à le regarder. Elle soupira, un peu agacée mais s’exécuta.

— Pour tout dire, vous avez l’air d’un mercenaire ou… d’un tueur à gages – j’hésite encore. Votre œil est  froid et calculateur sous son arcade cynique. Plutôt mal élevé, vous agissez comme si les autres n’avaient d’importance qu’en fonction de leur utilité immédiate…

Le menton dans la main, ses doigts tapotaient sur sa joue et il feignait l’intérêt le plus profond, avec l’esquisse d’un sourire. Probablement identique à celui d’un chat sensuel qui venait d’apercevoir une souris cérébrale.

— Et qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez insulter ou provoquer un individu aussi dangereux que moi ? ronronna-t-il en fixant ses lèvres avec insistance.

— Probablement les cinq verres précédents que je vous ai vu boire… Je ne sais pas exactement ce que vous avez bu. Ni même si votre physiologie est totalement immunisée contre les effets de l’alcool, mais je veux croire que ça aurait pu ralentir au moins un peu vos réflexes…

Il eut un rire bref et il se recula sur sa chaise, où il appuya son dos.

— Vous aviez parfaitement raison, vous n’êtes absolument pas mon genre... Je n’aime pas les femmes intelligentes.

Elle sentit monter une réplique cinglante mais elle la contint. Car c’était sûrement plus prudent en effet de ne pas le provoquer, juste pour le plaisir de le remettre à sa place. Il n’était pas un gosse de riche infatué paradant au Country Club. Et c’était bien dommage.

— J’ai terriblement envie de vous enlever malgré tout.

— Et pourquoi ça ? s’enquit-elle sur le ton de la conversation en reprenant son menu.

Il vida le reste de son verre dans sa gorge et le reposa d’un geste lent et mesuré.

— Parce que vous n’avez pas peur de moi… Croyez-moi, vous avez bien tort ! Mais vous n’avez pas peur. Et je découvre qu’après six verres du tord-boyaux local, je trouve ça… très attirant.

Elle renifla avec une petite moue.

— Est-ce qu’on ne peut pas raisonnablement penser que toute l’explication de ce troublant mystère réside très précisément dans… « après six verres »… ?

Il rit alors plus doucement en secouant la tête.

— Oh, non ! Ne me provoquez pas, j’ai déjà tellement envie de vous embrasser !

Elle battit en retraite. Elle aurait de la chance s’il pouvait s’en tenir là. Elle jeta un œil en coulisse en direction de la porte, le Docteur ne revenait toujours pas.

— Mhh, fit-il, vous ne dites plus rien… Non, parlez-moi ! Il faut que je reste éveillé.

— Nous n’aurons qu’à dire que vous avez trouvé la botte secrète pour me faire taire…

Il étendit le bras pour attraper son poignet par-dessus la table. Elle eut un geste de recul instinctif, mais dans le mouvement qu’il fit, pour s’appuyer légèrement sur la table qui les séparait, elle vit briller quelque chose à son autre main, la gauche. La manche un peu courte de la veste qu’il portait révélait une pièce de cuir incrustée de boutons. Cela avait l’air beaucoup trop grand pour être une montre. Une idée encore confuse titilla la base de son cerveau, pas tout à fait encore un souvenir. Elle eut le sentiment que c’était important, mais elle ne savait pas encore pourquoi. Elle s’était figée.

Il se trompa dans l’interprétation de sa réaction.

— Allons, un peu de courage, grogna-t-il, je ne vais rien vous faire du tout ! Vous aviez raison, je suis un peu trop saoul pour ça… Sortons cinq minutes, j’ai besoin de prendre un peu l’air… Après vous revenez, vous avez ma parole !

— Vous êtes assez grand pour sortir sans qu’on vous tienne la main… remarqua-t-elle.

Il opina en lui adressant un sourire carnassier.

— Très certainement. Mais sans vous à mon bras, on ne me laissera pas réentrer…

Clara hésita. L’industriel qu’elle devait surveiller à la table voisine, attaquait son plat de résistance avec entrain. Il n’avait pas l’air de vouloir aller quelque part, du moins probablement pas avant d’avoir terminé. De plus, elle avait toutes les chances de le voir s’il sortait.Elle n’avait guère envie de partir d’ici avant le retour du Docteur, et à plus forte raison avec le genre d’individu qui lui faisait face. Mais d’une façon ou d’une autre, il fallait qu’elle se débarrasse de l’importun… Si une fois dehors, elle pouvait lui fausser compagnie, il resterait dehors, s’il avait bien dit vrai…

— D’accord, je veux bien vous accompagner juste cinq minutes… si vous me dites ce que c’est que ce truc à votre bras. Et qu’après vous alliez enquiquiner quelqu’un d’autre.

Il se leva.

— Vous serez à mon bras infiniment plus décorative que cette babiole…

Elle le suivit avec appréhension. Avant de quitter la salle, elle arrêta un serveur pour lui faire passer discrètement un message pour le Docteur, et puis rejoignit l’homme qui l’attendait patiemment avec une lueur indéfinissable dans le regard. Elle réfléchit en marchant silencieusement près de lui dans le grand hall vers l’entrée du palace, qu’il était tout à fait  possible qu’elle se soit très très bêtement mise en danger.

.°.

LE DOCTEUR

Quand il s’était enfin résolu à entrer dans la chambre après cinq minutes de silence absolu, le Docteur avait été fort surpris. En faisant quelques pas dans la luxueuse suite, il eut la surprise de trouver tout en ordre, à l’exception de trois corps étendus, inanimés sur l’épaisse moquette beige. D’un bond, il s’agenouilla près de Quentin Cormack qui avait évité de peu la table basse en verre, pour vérifier qu’il était toujours en vie. La chanteuse était évanouie non loin de l’autre corps qui s’avéra être celui d’un androïde crispé dans une posture assez étrange. L’une de ses paupières battait frénétiquement en silence, tandis que son corps se tordait sous des angles qui auraient été très incommodants pour un humain.

Le Docteur ne connaissait pas précisément le modèle. Il ressemblait à un androïde humanoïde classique comme il y en avait tant à cette époque, bien que la peau soit une vraie réussite sur le plan du réalisme. Et la peau, c’était toujours vraiment difficile. Il portait un pyjama d’hôpital gris qui le faisait ressembler à un patient.

Il commença par réveiller la chanteuse qui dès qu’elle le vit, prit peur et se mit à crier de la lâcher et qu’on l’avait droguée.

— Calmez-vous ! intima-t-il. Le Directeur de l’hôtel vient de me faire prévenir, je suis médecin et je dînais en bas. Il m’a dit qu’il y avait des personnes qui avaient besoin d’une assistance médicale… Vous vous sentez bien ?

— Non ! pleura-t-elle avec colère. Où suis-je ? Plus jamais je ne viendrai chanter ici. C’est inadmissible ! Je n’ai pas la moindre idée de ce que je fais ici ni comment j’y suis arrivée ! Celui-là a dû mettre quelque chose dans mon verre… Et ce… haaa ! Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ! dit-elle avec un mouvement de recul effrayé en voyant l’androïde toujours agité de violents spasmes silencieux.

— C’est un androïde qui a manifestement un petit défaut de conception, statua le Docteur sans sourciller. Seriez-vous d’accord pour un prélèvement de sang qui vous permettrait de connaître rapidement de quelle drogue il s’agirait, s’il s’agit bien de ça, afin que vous puissiez… avancer des arguments précis auprès de cet hôtel pour votre dédommagement ?

Comme elle tremblait comme une feuille, il pensa qu’elle pouvait être sincère. Il sentit néanmoins que l’argument des dommages et intérêts faisait mouche. Il n’était pas sûr qu’elle ait accepté le prélèvement sanguin sans cela. Il alla fouiller dans la salle de bains où il trouva un petit kit d’urgence comme la législation commerciale sur ces établissements l’y obligeait.

— Vous êtes prête ? dit-il en revenant. Tendez votre bras bien droit. Je vais vous prélever deux fioles de sang. Je vais en gardez une pour la faire analyser et je vous donne l’autre au cas où vous préféreriez vous adresser à un organisme accrédité par vos avocats. Mais je vous recommande de faire vite, car certaines drogues peuvent disparaître assez vite après quelques heures…

Comme il était posé et professionnel, elle finit par se calmer un instant et regarda l’homme à terre.

— Est-ce qu’il est… ?

— Non, la rassura-t-il. Juste assommé. Il va avoir une très grosse bosse et sera de mauvaise humeur à son réveil mais à part ça tout ira bien. Appuyez là. Plus fort.

Elle semblait hésitante, regardant tout autour d’elle avec effarement.

— Comment savez-vous qu’il sera de mauvaise humeur ? demanda-t-elle.

— Et bien, je l’ai vu à une conférence en ville cette après-midi. Je crois que ce robot est à lui… Et j’imagine que retrouver son précieux prototype dans cet état risque de le bouleverser un petit peu… Vous le connaissez ?

— Absolument pas ! dit-elle avec raideur. Je ne m’intéresse qu’à mon art !

— Vous avez très bien chanté ce soir, dit-il pour tenter de l’amadouer un peu. Tenez, voici votre flacon, ne le perdez pas.

— Mais où allez-vous ? s’exclama-t-elle.

— Retrouver le Directeur de l’hôtel pour lui faire un compte rendu, puis me dépêcher de faire analyser votre sang, mademoiselle, répondit-il comme si c’était l’évidence. Aviez-vous une chambre ici ?

Elle acquiesça avec un peu de hauteur en arguant que cela faisait partie du contrat. Le Docteur se doutait qu’il s’agissait probablement d’une minuscule pièce en entresol et lui demanda si elle voulait qu’il appelle la réception pour la faire raccompagner – ce qu’elle refusa tout net.

Quand elle fut sortie, un peu comme si elle avait le Diable à ses trousses, il appela quand même la réception pour prévenir de ce qui était arrivé et demander un brancard pour Quentin Cormack quarante-septième du nom. Le flacon de sang dans la poche, il se dit que Clara serait probablement furieuse quand il lui expliquerait qu’il devrait retourner au Tardis pour lancer des analyses…

En passant devant l’androïde, il en profita pour le scanner avec le sonique. Il dut lire deux fois les résultats pour être sûr car le modèle était inconnu. En saisissant un bras de la machine, il préleva un petit morceau de peau qui se détacha comme une écaille nette en tombant dans sa main. A ce moment-là, l’androïde marqua un temps d’arrêt et braqua brusquement la tête vers lui. Ses orbites aux iris pales roulèrent vers l’arrière, et il retomba, inerte, peut-être épuisé. Le Docteur regarda l’écaille de peau dans sa paume avec perplexité, puis rangea soigneusement ces indices dans un petit sac transparent tiré de sa poche et quitta rapidement la pièce.

Absent depuis au moins une demi-heure, il se dit qu’il aurait de la chance si Clara l’attendait toujours…En reprenant l’ascenseur, il réfléchit encore au bien-fondé de sa décision d’arrêter d’emmener ses compagnons partout avec lui. Il le faisait naturellement parce qu’il voulait éviter qu’ils ne soient mis en danger. Mais lorsqu’il découvrit la table vide de toute Clara dans la salle de réception – et le type qu’elle devait surveiller toujours là – il se dit que, même si c’était toujours dangereux de garder des compagnons près de soi, au moins on savait où ils étaient et on n’avait pas à les chercher partout quand ils se perdaient.

Et juste après, une inquiétude féroce se mit à déferler sur lui.

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