Dans l'ombre de l'Inquisitrice.

Chapitre 8 : Tout cruel, qu'Il soit

2987 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/06/2022 16:55

La nuit était sombre et froide. Il semblait à Violine, que le souffle glacé du vent, s'était immiscé dans ses os, gelant jusqu’à son sang dans ses veines. Seule, elle se tenait au bord d’un précipice, au milieu des montagnes. Son regard améthyste tourné vers le vide, comme hypnotisée par l’abîme obscur. Dans son dos, un murmure porté par l’air en mouvement et chauffé par les arabesques, que le feu du campement faisait danser sur la neige immaculée. Comment tant de blancheur pouvait-elle créer une telle noirceur ? La beauté de la nature et ses singularités resteraient à jamais un mystère, dont son âme s’émerveillait ; gardant jalousement une part enfantine à laquelle s’accrocher dans les heures les plus sombres.


Son souffle régulier faisait naître quelques volutes de fumée, qui s’éclaircissaient à mesure qu’elles montaient vers les cieux étoilés. Violine ne les voyait pas ; elle ne les regardait pas. Ses yeux fixaient inlassablement l’abîme, comme si elle projetait de s’y jeter pour s’y noyer. Pourtant, elle n’entrevoyait rien de cela. Elle trônait solitaire au milieu de la neige, espérant sans doute un miracle. Mais rien, ne viendrait des cieux déchirés, elle le savait ; rien n’apaiserait la douleur.


Il vient alors, telle une ombre. Ses pas étouffés par la poudreuse, semblable à un loup traquant une proie. Était-elle une proie ? Peut-être, mais pas la sienne. Si proie, elle était, c’était celle de ses remords, de ses craintes et de sa douleur. Solas s’arrêta à sa hauteur, plongeant à son tour ses yeux gris dans le fond du précipice ; cherchant à son tour une réponse ou une évidence.

Ils se tirent là longuement, en silence, comme deux statues de pierres battues par le vent, qui montait en puissance. Il rugissait dans le ravin, similaire à une wyverne en colère, soulevant la neige trop fine, comme elle battrait furieusement de sa queue. Oui, dans les montagnes, le vent est capricieux et changeant.


Pourquoi avoir fait cela ? Demanda l’elfe, en rompant ainsi le silence devenu pesant.


L’humaine ne répondit pas. Elle expira, comme si elle exhalait le poids du monde, avant de fermer ses yeux ; clore les miroirs de son âme.


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               Darse était attaquée, prise dans l’étau rougeoyant de la magie corrompue, sans espoir de s’en sortir. Du moins, la mage n’était pas dupe. Elle y avait cru un bref instant ; lorsque le trébuchet avait déclenché l’avalanche salutaire, écrasant de son poids ses semblables. Solas avait eu raison, ils n’auraient jamais dû tourner le dos à Golefalois ; minimiser la menace ; abandonner les mages à leur sort. Désormais, ils en payaient le prix. La jeune Trevelyan ne mesurait pas tout ; elle n’était pas dans les secrets de l’Inquisition, mais elle savait qu’ils étaient en péril. Elle l’avait su dès l'instant où le dragon était apparu. Certains l’appelait déjà archidémon et il en avait tout l’air. Et puis, elle avait assez de bon sens, pour voir dans l’air absent de Léliana, tous les non-dits et les craintes qui fourmillaient dans sa tête. Pour voir, dans la course sans but de Joséphine, quel désespoir s’était emparé d’elle. Et Cullen…

Le commandant ne pouvait lui cacher l’incertitude gravée dans sa voix, tandis qu’il tentait au mieux de maintenir un semblant d’ordre dans le flot de gens apeurés ; dans ses troupes vaincues d’avance. Enfermés dans la chanterie, elle en était sûre, ils périraient tous ce jour, mais ce n’était rien en comparaison avec la douleur qui était en son cœur à ce moment précis.


À genoux sur les dalles de pierre séculaire, qui lui brûlaient la peau, Violine serrait la main d’Adan. Les tressauts de son corps meurtri lui étaient insupportables, car elle n’avait rien pour l’apaiser ; rien qui ne soit efficace. Son visage brûlé ne ressemblait plus à l’être qu’elle avait connu et appris à aimer d’une certaine manière, malgré son fichu caractère. Eurydice avait bien tenté de sauver le plus de monde possible, mais elle n’était pas arrivée à temps pour Adan, ni pour Seggrit. Si le dernier avait péri sur l’instant, l'alchimiste, lui, agonisait en ce lieu sacré.


Violine… murmura-t-il comme une douce prière ; une recherche de réconfort. Violine.


La jeune femme serra un peu plus la main brûlée dans la sienne, arrachant une grimace de douleur au supplicié. S’en serait bientôt fini, elle le savait ; elle le sentait.


Je suis là, Adan. Une perle saline lui échappa soudainement. Elle ne s’était pas même rendu compte, qu’elle était au bord des larmes. La douleur était bien trop sourde ; bien trop lourde. Mais, elle tenait encore, car il le fallait. Tu peux partir. Je reste avec toi.


Son thorax se souleva encore une fois avec force, cherchant l’air désespérément, avant de brusquement s’affaisser, pour ne plus jamais se relever. L’alchimiste expira dans un râle de douleur, fermant à jamais ses yeux, devenus aveugles à cause de la morsure des flammes. Sa main se fit lourde dans celle de la noble jeune femme, dont le barrage de retenue se fissura, laissant le déluge de son chagrin vainqueur. Révérencieusement, elle joignit les mains de son ami sur son torse en lambeaux, n’y voyant plus guère à cause de ses larmes ; murmurant quelques prières de recommandations au Créateur, tout cruel qu’Il fût.


Désormais rendue sourde au tumulte qui l’entourait, elle n’entendait plus que son cœur qui cognait tel un démon dans sa poitrine. De même était-elle aveugle aux autres vies, ses yeux brûlants de larmes étaient obnubilés par la non-vie d’Adan. Elle en avait pourtant vu d’autres mourir, depuis le Saint Temple Cinéraire, mais aucune ne l’avait touchée aussi personnellement. Et puis, pouvait-on seulement s’habituer à la mort ? À cette sensation de vide et de froid, qui parcourait l’air comme si l’âme défunte volait aux alentours ; à cette odeur âcre qui vous prenait aux narines, et qui s’en vient alors, pour vous empoisonner le cœur et l’âme ; cette sensation de vide et de rien ; cet espoir vain de retour en arrière. Non, on ne pouvait pas s’habituer à la mort, sous peine de n’être plus vraiment vivant soi-même ou de se perdre.


Une poigne de fer se saisit alors de son bras, la faisant tourner sur elle-même. Violine fit face à ce visage trop familier et trop dur ; le visage de sa sœur.


Est-ce que tu m’écoutes, Violine ? Aboya Eurydice, avant de se figer face aux traits absents de la benjamine, qui trahissaient son désarroi.


Ses yeux pervenche sondèrent le vide de l’améthyste éteint Sa lèvre inférieure trembla un instant, trahissant une faiblesse passagère et ses doigts glissèrent sur la joue d’albâtre de la mage, rougie par les sels lacrymaux.


Cullen ! Cria-t-elle alors, faisant bondir le Féreldien, qui la rejoignit à la hâte.


Violine n’était plus que vaguement consciente, n’ayant plus que l’obscure sensation de passer de la poigne brute de sa sœur à une autre ; d’entendre des paroles sans aucun sens et le claquement lourd des portes. Lorsque son être s’éveilla à nouveau à la réalité du monde, dame Trevelyan se trouvait en dehors des murs de la chanterie, dans le froid mordant de la tempête ; tenue contre un commandant Cullen qui s’époumonait, tout en la tenant fermement. Son premier réflexe fût de chercher la présence de sa sœur. Ne la trouvant pas, elle s’arracha de l’étau dont, soudainement, elle se sentit prisonnière.


Violine ! Calmez-vous. Tempéra le féreldien, avant de rendre les armes et de la relâcher.


Violine tomba alors à genou dans la neige, le souffle court et l’interrogation colorant ses traits.


Cullen, où est ma sœur ? Demanda-t-elle, tout en fixant ses grands yeux dans l’immensité mordorée de ceux du commandant.


Elle sut, alors. Par son absence de réponse ; par son regard figé, qui pourtant fuyait le sien. Achilles se tenait derrière lui et la fixait également, l’épée à la main et encourageant à fuir les nombreux apeurés.


Elle reviendra, ‘Line. Lui assura-t-il.


Mais les yeux de Cullen étaient moins catégoriques et son expression bien plus incertaine.


Venez. Ordonna-t-il à la jeune femme, de son plus beau ton militaire, tout en lui tendant une main gantée, qu’elle saisit sans peine. Il n’y a rien de plus que nous puissions faire…


Dame Trevelyan voulu acquiescer ; se résigner. Sa sœur se sacrifierait pour le bien du plus grand nombre. C’était tout à son honneur ; c’était ce qu’on attendait de la Messagère d’Andrasté. Tandis qu’elle se remettait sur ses jambes, la pression que le commandant exercerait sur sa main se relâcha d’un rien. Ce fût à cet instant, qu’elle sût ce qu’elle avait à faire.


Violine ! Hurla Achilles, retenu par Cullen, alors qu’il tentait de la rattraper. Revient !


Non, elle ne reviendrait pas ; elle ne s’arrêterait pas. Aujourd’hui, elle avait déjà perdu un être cher, elle ne prendrait pas le risque d’en perdre un second. Alors, elle courut encore et encore, traversant la chanterie, qui disparaîtrait bientôt. Elle fonça sur les lourdes portes rouges, qu’elle poussa sans mal, insensible à leur lourdeur. Elle dépassa sans s’émouvoir le groupe des compagnons de sa sœur qui, eux, tentait de rallier les fuyards, afin d’avoir une chance d’en réchapper. Ses oreilles n’entendaient plus guère que le vent qui lui fouettait les sangs ou les battements de son cœur, qui cognait sous l’effort. Elle ne vit pas non plus, Solas qui tentait de l’arrêtée ; elle n’entendit pas Cassandra hurler, ni Blackwall l’appelée. Elle n’aurait jamais connaissance de la peur sur leurs visages, lorsqu’ils virent le sien, déformés par la tristesse et la rage.


L’adrénaline, qui semblait avoir remplacer le sang dans ses veines, l’avait mise dans un état second, duquel elle ne sortit qu’une fois qu’elle eût retrouvé Eurydice. Dès lors, Violine lutta contre les sensations qui l’envahirent. Le monde tournait à nouveau au ralenti ; son corps voulait flancher ; son esprit cherchait à entrer en communion avec l’Immatériel, où elle pourrait devenir la proie des démons et des esprits. Le souffle haletant, elle tendit la main vers sa sœur, qui se trouvait à genou dans la neige et parvient à la poser sur son épaule armée, la rejoignant dans sa génuflexion imposée. L’urgence de la situation lui permit de garder le contrôle, lorsqu’elle vit le bras de la Messagère, portant la marque, tendu à l’extrême ; paraissant sous le contrôle de son ennemi, qui leur faisait face.


L’ennemi. Une créature difforme et ravagée ; un monstre comme ceux que l’on décrit dans les contes pour enfant ; le croquemitaine en personne semblait plus appréciable que cet Ancien. Son corps décharné percé par du lyrium rouge et sa taille démesurée lui firent peur, mais la demoiselle Trevelyan luttait contre un tout autre monstre. Elle-même. Elle ne s’émouvait pas même de la présence d’un dragon à ses côtés. Tout aussi obscure, tout aussi décharné ; tout aussi corrompu.


Violine ! Je t’ai dit de partir ! Hurla Eurydice, qui venait de se rendre compte de sa présence. Tu es folle ! Tu vas te faire tuer !


Peut-être… Ricana la plus jeune, sentant son esprit au bord de l’implosion. Mais, je suis moins inutile, que tu ne le penses, ma sœur. Pour une fois, fais-moi confiance, Eurydice !


L’incertitude et l’incompréhension teintèrent le regard pervenche de l’aînée qui, néanmoins, acquiesça, avant de hurler à nouveau de douleur. Violine, elle-même, se fit écho à ce cri déchirant, ne tenant plus guère la porte ombrageuse de son esprit malmené. Alors, elle céda.


Dans une déflagration sonore et un déluge d’éclairs, elle se releva de toute sa hauteur, face à l’Ancien. L’électricité courrait sur elle et en elle, comme si elle en était l’essence. Celle-ci frappa alors avec violence l’être informe et son serviteur ailé. Ses yeux améthyste luisaient dans la nuit, comme un phare dans la tempête ; ses cheveux noirs se dressèrent sur son crâne, comme les tentacules d’un monstre marin. Enfin, sa gorge sembla se déchirer d’un cri perçant, lorsque le déluge d’électricité doubla en intensité. L’énergie de son attaque ne paraissait pas diminuer, faisant craindre qu’elle ne se vide de toute forme d’essence vitale.


Une flèche enflammée déchira alors le ciel ; signal que l’Inquisition était hors d’atteinte. Au même instant, Violine posa ses yeux luminescents sur Eurydice. Celle-ci, terrifiée, la dévisageait en étant recroquevillée à ses pieds.


Cours ! La voix qui trancha l’air, ne semblait en rien être celle de Violine, mais elle eût l’effet escompté.


La Messagère d’Andrasté se releva pour courir, comme jamais elle ne l’avait fait, droit sur le trébuchet, pour l’actionner. Tandis que plus loin, sa cadette parue enfin perdre en énergie, chancelante sur ses pieds ; puisant dans ses derniers retranchements pour tenir. Alors, la créature et le dragon s’enfuirent et l’orage cessa. À leur tour, les sœurs Trevelyan parvinrent à s’enfuir et à se sauver in extremis.

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La mage soupira longuement, tout en fixant encore et toujours l’abîme devant elle, n’accordant pas un regard à l’elfe à ses côtés. Oui, elle venait de briser des années de silence et de secret ; elle venait de s’exposer à ses pires craintes. Aurait-elle pu faire autrement ? C’était la question qu’elle se posait depuis qu’elle avait rejoint le campement de l’Inquisition. Les choses seraient bien différentes désormais, sans réellement savoir si elles seraient meilleures, ou bien pire.


Durant les jours de marches dans la neige, Eurydice ne lui avait pratiquement pas adressé la parole. La crainte avait continué à se lire sur son visage durant de nombreuses heures. À vrai dire, la plus jeune n’avait pas mesuré l’ampleur de l’étalage de sa magie, n’ayant même pas eu conscience de faire tout cela. Elle n’avait pu croire que sur parole, ceux qui avaient assisté de loin à cette démonstration de force. Elle ne se souvenait même pas d’avoir parlé à sa sœur à cet instant.


Alors, pourquoi avoir fait cela ? Violine haussa les épaules, avant de poser ses mires violettes sur Solas, pour enfin lui répondre.


Car même si, elle me haït après cela, c’est ma sœur… Commença-t-elle avant de sentir poindre les larmes aux bords de ses paupières. Et je l’aime.


Cette réponse laissa l’elfe songeur et même pensif. Après tout ce qu’elle lui avait fait endurer, tout ce qu’elle lui ferait encore endurer, la demoiselle Trevelyan ne pouvait se résoudre à souhaiter du mal à sa sœur.

Dans leurs dos, une clameur monta du camp ; des chants s’élevèrent dont les paroles ne lui étaient pas inconnues. La Messagère d’Andrasté s’était dressée face à Coryphéus pour les sauver et elle était tombée. Aujourd’hui, comme revenue d’entre les morts, elle était glorifiée.


Vous n’avez pas encore conscience, de ce que cela signifie. De ce que cela vous coûtera. Soupira Solas en se rapprochant d’elle.


Oh si, j’en ai conscience, Solas. Les larmes débordèrent de ses yeux, lui brûlant les joues. Plus que vous ne le pensez. Je sais, ce qui va arriver. Les pupilles grises du mage elfique croisèrent les siennes. Et cela m’effraie.


Violine ne saurait décrire ce qu’elle lut dans les yeux de son singulier ami. L’expression de son visage, à demi-désolée, à demi-surprise. Jusqu’ici, Solas avait toujours été doué pour cacher ses émotions ; ses ressentis. Alors, lorsqu’il lui tendit les bras et qu’elle s’y laissa choir pour épancher son chagrin, elle n’aurait su dire si cette étreinte était réellement de son fait, ou d’une force supérieure.


Je serais avec vous, mon amie. Murmura-t-il en refermant ses bras autour des épaules de la jeune fille.


Ces dernières, secouées par les sanglots, qu’elle déversait ainsi. Des larmes amères, pour ceux qui étaient parti et ceux qui partiraient ; pour ceux qui resteraient et ceux qui viendraient ensuite ; pour les douleurs passées et celle à venir.


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