Le Sacre

Chapitre 1 : LE VOLEUR DES SABLES

3083 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:52

LE VOLEUR DES SABLES

 

L'éclat de la lune illuminait le couloir par intermittence. Le voleur pouvait voir l'astre à travers les immenses fenêtres qui avaient été pratiquées dans les murs. Chacune d'elles devait faire trois fois sa taille et elles n'atteignaient pourtant pas le plafond. Encore une preuve, s'il en fallait une, de la démesure des lieux. Le roi l'avait fait construire deux ans après sa prise de pouvoir et il avait fallu trois ans et près de deux milles cadavres pour le terminer. Une démonstration de force, un symbole de sa nouvelle autorité et de sa puissance écrasante. Il n'avait sans doute pas pensé une seule seconde au fait qu'il était bien plus difficile de faire garder une demeure si impressionnante.

Le voleur n'allait pas s'en plaindre. D'autant qu'il n'aimait pas du tout la disposition des lieux : ces couloirs gigantesques, ces colonnes absurdes et toujours différentes. Tous les ornements avaient été réalisés par un artiste différent, si bien qu'aucun coin n'était semblable à un autre. Une ode à l’asymétrie et une horreur absolue pour se repérer. Il préférait largement les étendues désertiques où il avait commencé sa carrière à ce dédale absurde.

Il fallait vraisemblablement être un démon pour se repérer correctement là-dedans et il en aurait été bien incapable s'il n'avait pas passé plusieurs semaines à mémoriser le plan et les chemins qu'il emprunterait. Il était entré comme dans un moulin et avait à présent l'objet qu'il était venu chercher, il ne restait qu'à sortir de là en un seul morceau.

Il sentait l'objet battre contre son épaule gauche à chaque mouvement. Il l'avait enfilé en bandoulière au-dessus de son kimono noir, puis avait refermé son épaulière de cuir souple au-dessus pour s'assurer de ne pas le perdre dans sa fuite. La tenue complète lui donnait l'impression d'être un de ces voleurs dans les mauvais contes, sauf qu'il n'avait pas la capuche ou le foulard pour se dissimuler. Pourtant, il venait bien de dérober un objet. Presque une relique en réalité, une arme qui avait donné du mal au roi des démons en personne. Bien sûr, elle n'avait été dangereuse que parce qu'elle était portée par Goku, mais le voleur pensait bien que si quelqu'un s'en montrait digne, le monstre serait vaincu avec cette arme.

Goku. La simple évocation de son nom le plongea dans une vague de nostalgie. Quinze ans déjà que le petit garçon avait disparu et avec lui tous leurs espoirs. Jusqu'à maintenant. Ils avaient déjà attendu trop longtemps. Avec lui, il emportait de quoi donner à la nouvelle génération un espoir nouveau. Il n'avait qu'à l'extraire du palais.

Il était plus que temps que l'on tente de nouveau quelque chose contre le roi, cela faisait quatorze ans qu'aucune opération sérieuse n'avait été menée, depuis le fiasco. Quatorze ans qu'ils avaient passés à se préparer, à survivre et à comploter. Leur organisation était sans faille maintenant et aux quatre coins du monde, on se préparait pour une contre-attaque trop longtemps attendue. Sauf au Sud évidemment. Il poussa un soupir à cette idée, qu'aurait pensé Goku de tout cela ? Et Bulma ? Dieu seul savait ce qu'elle était devenue depuis.

Peut-être était-ce cet élan de nostalgie qui le ralentit, peut-être un garde passa-t-il par là au mauvais moment, alors qu'il n'aurait pas dû être là, peut-être encore avait-il sous-estimé le temps qu'ils prendraient à constater le vol. Il entendit quelqu'un crier dans un couloir adjacent, un cri brutal et guttural qu'il ne comprit pas.

Il ne pouvait pas se laisser attraper, pas tant qu'il avait encore l'objet. Il fallait au moins qu'il parvienne à quelqu'un. Quelqu'un de la nouvelle génération devrait pouvoir le manier, son élève peut-être. Peu importait, il fallait juste que cet objet sorte du palais. C'était à l'humanité de s'en servir, il avait été catégorique à ce sujet : la résistance en avait besoin.

D'une impulsion, qui détruisit les dalles sous ses pieds, il accéléra et continua sa route, cette fois-ci sans prêter attention au bruit qu'il produisait. De son corps se dégageait maintenant une lueur blanche et pulsante. Il ferma les yeux et laissa la voix du vieux maître le guider. Le ki parcourait ses membres, à nouveau, réchauffant son corps fatigué. Il l'empêcha de se diriger vers son épaule droite. Ce vieux réflexe.

Devant lui, une ombre surgit. Il ne prit pas le temps de réfléchir et bondit en tournoyant sur lui-même. Le coup de pied repoussa la silhouette et il continua sans la regarder. Il n'avait pas le temps pour ça. Un autre ennemi tomba du plafond et il le repoussa de la même façon, puis chaque pas dû être accompagné d'un coup. Des démons mineurs, des criminels, rien qu'il ne pouvait affronter. Cela ne durerait pas.

Il n'en oubliait pas le chemin de la sortie et tourna à droite quand il le devait. Une masse l'attendait. Ils étaient six, peut-être sept. L'un d'eux était un enfant du roi, aux ailes longues et membraneuses, qui dardait sur lui des yeux d'or étincelants. Cette fois, il n'avait plus le choix. Sans s'arrêter, il marmonna entre ses dents.

« Ka...Me...Ha...Me...HA ! »

L'onde de choc jaillit de sa main gauche et pulvérisa entièrement les ennemis les plus proches. Le démon majeur se jeta sur le côté pour laisser passer le rayon de pure énergie. Le mur derrière lui explosa et la fenêtre sculptée en double arc s'effondra sur elle-même. Le voleur eut le temps de se jeter dehors, slalomant entre les morceaux de mur pour atterrir sur le toit en dessous.

Il détestait pratiquer cette technique avec un bras, il avait tout le temps l'impression qu'il manquait quelque chose. Le ki ne s'échappait pas correctement, il avait du mal à le contrôler. Tout ça parce qu'il n'avait plus son bras droit. Le roi des démons l'avait arraché lors de la deuxième tentative d'assassinat. Depuis, il n'avait plus jamais combattu comme avant. Il avait passé des années à réapprendre à simplement combattre, sans se retrouver à tenter de donner des coups avec son membre inexistant. La manipulation de l'énergie était encore plus difficile à maîtriser à nouveau. C'était un processus trop complexe à oublier. Quant à porter une prothèse comme on en faisait aujourd'hui, c'était absolument hors de question. Le ki était une énergie organique, la faire passer par une machine était une aberration que son maître n'aurait pas permise.

Le voleur reprit sa course sitôt son équilibre retrouvé. Il n'avait pas prévu de passer par les toits mais il connaissait tout de même le chemin. Il était descendu d'un étage, il suffisait de descendre du toit vers la gauche arrivé au bout. Derrière lui, les démons se pressaient en courant, en volant, en rampant. Des humains se lançaient aussi à sa poursuite, il entendait les premiers moteurs s'allumer. C'était trop tard.

La tuile sur laquelle il prit sa dernière impulsion explosa et il resta suspendu dans les airs juste assez longtemps pour apercevoir la voiture volante qui s'élançait de l'étage d'en-dessous. Sa main attrapa une gargouille et il fit une pirouette pour rebondir sur la carlingue et ainsi descendre encore plus vite. Le sol était loin en-dessous mais se rapprochait à toute vitesse. Derrière lui, il entendit un battement d'aile. Tambourine.

Il roula vers l'avant dès l’atterrissage et reprit sa course. À ce stade, il ne pouvait plus espérer en sortir vivant, mais il avait prévu cette éventualité. Il s'était entraîné en vue de cette possibilité. Il n'avait qu'à atteindre la bonne distance, à vingt-cinq mètres du palais. Encore dix mètres. Il ne regardait plus derrière lui, il ne cherchait même plus à entendre ce qui se passait derrière lui, il était focalisé sur l'horizon. Il retira son épaulette de cuir et la laissa voler derrière lui, puis il saisit l'objet, le détacha de son épaule et ce fut le moment.

Il banda tout son corps en un instant et projeta son bras gauche vers l'avant avec toute la force qu'il avait. L'objet partit comme une lance dans les airs, comme ils l'avaient prévu. Dans son dos retentit un puissant battement d'ailes. Il sauta de nouveau et attrapa le pied du démon pour le ramener au sol.

Tambourine, troisième du nom, roula sur le côté en percutant le sol et se retourna immédiatement pour le toiser d'un air narquois. Le garde du corps du roi était aussi le plus grand de ses enfants. À la pâle lueur de la lune, il projetait une ombre immense sur le voleur. Ses muscles massifs roulaient sous ses écailles d'un vert si sombre qu'on l'aurait dit noir. Dans son dos, deux immenses ailes membraneuses étaient repliées, elles étaient d'un rouge brique contrastant avec le vert des écailles. Son visage était rond et fendu par une vilaine bouche, perpétuellement ouverte en un sourire qui dévoilait une double rangée de canines. Il était bien plus fort et plus dangereux que son prédécesseur, que le voleur avait tué, quatorze ans plus tôt. Ses yeux jaunes se posèrent sur le visage de son adversaire, puis sur son moignon.

« Mais c'est toi ! » gronda la bête. « T'imagines pas à quel point je suis content de te voir. »

Au-dessus de ses épaules puissantes, le voleur pouvait apercevoir les démons inférieurs et les véhicules qui fonçaient à la poursuite de la relique. Il était trop tard. Il leva la main et contracta ses doigts, canalisant tout ce qui lui restait en énergie. Une sphère se matérialisa au-dessus de sa paume, une sphère brûlante et brillant d'une énergie dorée. Il la voyait pulser, au même rythme que son cœur, c'est-à-dire de plus en plus vite. Sans hésiter une seconde de plus, il la projeta sur Tambourine.

Le monstre esquiva d'un pas de côté et ricanait déjà. « Trop lent, tu as vieilli. »

Le voleur tendit l'index et le majeur lié, et les releva. L'explosion qui s'en suivit effaca le sourire du démon et il se retourna pour voir un véhicule tomber en flammes, puis un des démons lancés à la recherche de l'objet dérobé se fit transpercer par la même sphère dorée.

« Enfoiré ! » rugit Tambourine en se jetant sur lui.

Le voleur ne s'en soucia pas et se concentra sur les autres ennemis qui tentaient de récupérer l'objet. Sa main bougeait à toute vitesse et la sphère créée en suivait les exacts mouvements avec une plus grande amplitude, détruisant tout sur son passage. Le premier coup de poing le plia en deux mais sans s'arrêter. Il fallut que l'autre poing vienne lui briser la mâchoire pour que la boule d'énergie disparaisse.

Tambourine le poussa au sol et appuya un genou sur son ventre. Le prochain coup de poing envoya dans les airs une poignée de ses dents et emplit sa bouche d'un liquide poisseux, qu'il cracha au visage du démon. Un rugissement plus tard, il vit approcher les phalanges écailleuses, puis tout devint noir.

***

Lorsqu'il se réveilla, le décor avait changé du tout au tout. Il était de retour dans le palais mais dans une salle immense et mal éclairée. Seule une petite fenêtre ronde pratiquée tout près du plafond permettait d'apercevoir le trône posé en-dessous. C'était une chaise immonde, d'un blanc froid comme taillée dans des ossements. Elle figurait un crâne disgracieux et cornu à son sommet, et deux autres crânes, humains cette fois-ci, qui en terminaient les accoudoirs. Une ombre imposante assise sur le séant lui donnait un aspect encore plus sombre et le voleur ne le vit bouger que grâce à la lueur que la lune apportait à travers la fenêtre.

A gauche comme à droite, d'immenses bannières descendaient contre les murs. Elles étaient d'ordinaire rouges mais à cette heure, la lune leur donnait un aspect encore plus sombre, quasiment noir. L’emblème blanc était toujours parfaitement discernable. La marque du démon.

Derrière lui, il sentait la présence de Tambourine agenouillé. Il était le seul démon présent, mais c'était largement suffisant pour l'empêcher de tenter quoi que ce soit. D'ailleurs la douleur se rappela brusquement à lui en lui vrillant la cervelle. En plus de sa bouche maculée de sang, sa jambe droite avait été brisée juste en-dessous du genou. On s'était assuré qu'il ne se débattrait pas, mais il n'en avait pas la moindre envie de toute façon.

La silhouette sur le trône se leva et parcourut en quelques pas la distance qui le séparait du voleur. En quatorze ans, le roi n'avait pas perdu en taille. Encore plus grand que ses fils, il se tenait au milieu de la salle et cela suffisait à cacher le trône pourtant imposant derrière lui.

« Je ne pensais pas te revoir un jour. » tonna-t-il.

Le roi portait un kimono simple et noir, retenu à la taille par une ceinture de tissu rouge. Sur son torse était visible la même marque que sur les banderoles, sur un fond blanc cerclé de rouge. Ses antennes étaient dardées vers lui et il serrait si fort les dents que sa mâchoire en tremblait. « Pathétique créature ! » cracha-t-il entre ses canines.

Lorsqu'il l'atteint enfin, il n’eut qu'à se baisser pour attraper la gorge de l'humain entre ses quatre doigts et le soulever comme une plume. Ses ongles noirs et longs se plantèrent dans sa peau comme autant de serres. Les pieds du voleur battirent une seconde dans le vide avant qu'un rugissement ne l'interrompe.

« Où est-il ? »

Un sourire ourla les lèvres ensanglantées du voleur : s'il posait la question c'est qu'aucun de ses sbires n'avait été capable de le lui rapporter. La mission était accomplie. Daïmao gronda.

« OÙ EST-IL ? »

La fureur du démon faisait apparaître des veines gonflées sur la peau verte de son front. La vision amena un sourire sur le visage du voleur, dévoilant au roi ses gencives mutilées par les coups de poing de son fils. Il y a quatorze ans, il avait fui en pleurs, échouant même à emmener son bras avec lui. Cette fois, il terminait le sourire aux lèvres. Il avait battu Daïmao, il lui avait dérobé l'objet que Goku avait utilisé pour le pousser dans ses derniers retranchements. La situation le fit brusquement éclater de rire, la douleur disparue.

Il riait si fort qu'il ne sentit même pas la deuxième main du roi Piccolo se refermer sur sa gorge. Puis il commença à serrer, et le monde de Yamcha devint noir.

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