Le Sacre

Chapitre 3 : LA PRINCESSE DES TUNNELS

4541 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:18

LA PRINCESSE DES TUNNELS

 

Au-dessus d'elle un néon clignotait faiblement, peinant à éclairer la portion de couloir où elle s'était installée. La tête coincée entre les genoux, elle ne pouvait distinguer que l'éclat blafard sur le sol gris.

Du peu qu'elle se souvenait, Sahane avait toujours connu ces longs couloirs aux murs lisses et métalliques. Un étranger pourrait se perdre en quelques secondes dans le dédale souterrain, mais elle en connaissait tous les recoins. Elle y avait grandi et avait mémorisé toutes les irrégularités, les défauts et les maigres décorations de ces murs. Ils avaient fini par devenir sa maison et elle s'y sentait en sécurité plus que partout ailleurs. Aujourd'hui, les murs reflétaient juste un immense vide.

Son mentor était mort. Et elle savait très bien qui l'avait tué. Les même personnes qui, quinze ans auparavant, avaient emporté son père. Il riait quand il était parti les affronter, elle s'en souvenait. À l'époque, on l'avait protégée en l'emportant ici, sous terre, avec ce qu'il restait de l'armée humaine. Maintenant on ne pouvait plus creuser plus loin pour se cacher, alors elle se contentait de se rouler en boule, blottie contre les murs froids de sa maison. Les bras croisés autour des genoux et le front posé au-dessus.

Elle voulait qu'on la laisse tranquille. Que personne ne vienne lui parler. Pas les autres élèves, qui ne comprendraient pas. Encore moins les militaires, qui étaient responsables. Et surtout pas le général, qui avait eu l'idée d'envoyer Yamcha là-haut. Oh bien sûr, c'était nécessaire, cela faisait partie du "plan", il fallait le faire. C'était nécessaire. Le général disait toujours ça et ses pions mourraient toujours. Cette fois, c'était son maître qui en avait fait les frais. L'homme qui l'avait recueillie, qui lui avait tout appris.

Yamcha n'avait même pas évoqué la possibilité de son non-retour quand il était parti. Il leur avait donné à tous les instructions pour s'entraîner en son absence, il avait placé les autres sous la responsabilité de Sahane mais il n'avait rien fait d'autre. Elle aurait voulu qu'il lui en parle, qu'il lui dise ce qu'elle devait faire lorsqu'il ne serai plus là, mais il ne parlait jamais de cela. Une seule fois, il avait évoqué une telle chose et elle s'en souvenait comme si c'était hier. Deux ans plus tôt, lorsqu'il lui avait dit qu'elle le dépassait enfin, il avait annoncé qu'elle devrai continuer l'entraînement s'il devait disparaître, et qu'elle irai affronter Piccolo. Il plaisantait, c'était ce qu'elle avait pensé à l'époque.

Aujourd'hui, elle venait à en douter. L'avait-elle vraiment dépassé comme il le prétendait ? Bien sûr, elle avait passé toute son enfance à s'entraîner et elle était très vite devenue la plus forte du groupe, celle sur laquelle Yamcha s'était focalisé pour l'endurcir autant que possible. De là à dire qu'elle était devenue plus forte que l'un des derniers disciples de Kame Sennin, il y avait un pas qu'elle n'était pas prête à franchir. Devait-elle vraiment continuer seule maintenant ? Elle n'avait que dix-neuf ans, elle n'était pas prête à affronter Piccolo, ou n'importe lequel de ses sbires. Avait-elle seulement le choix ?

« Ah, tu es là, princesse. »

La voix lui fit relever la tête. Elle savait pourquoi on venait la voir et elle n'avait qu'une envie : les envoyer voir ailleurs, qu'ils la laissent tranquille encore quelques minutes, ou quelques heures. Mais ce fut Pietro qu'elle découvrit dans le coin du couloir. Malgré l'heure grave, ses cheveux blonds en bataille et ses yeux bleus brillants lui donnaient toujours cet aspect rieur. Il tenait sa casquette dans la main droite et refusait toujours de la porter sur la tête pour compléter son uniforme. De tout ceux qui pouvaient venir la voir, il avait fallu que ce soit lui. Le seul sur lequel elle ne pouvait pas crier ou s'énerver. Il se gratta la joue où proliférait une barbe blonde mal rasée.

« Le général peut te recevoir tout de suite, si tu veux. »

Bien sûr que non, elle ne voulait pas. Être observée par ces yeux gris-verts inquisiteurs et entendre cette petite voix malsaine lui parler était la dernière chose dont elle avait envie en ce moment. Elle voulut se lever et le hurler à la tête de Pietro, mais lorsqu'elle se mit debout, rien ne sortit de sa bouche. Il était déjà sur elle et l'entourait de ses gros bras musclés.

« Je suis désolé pour ce qui est arrivé, princesse. »

Elle voulut l'insulter, lui dire de ne pas l'appeler princesse, lui dire tant de choses. Elle ne réussit qu'à laisser sa tête tomber sur son épaule. Sahane ne pouvait pas lui en vouloir à lui, elle le connaissait depuis trop longtemps, depuis qu'il avait été assigné à la surveillance des gamins qu'ils étaient à l'époque. Elle s'en souvenait encore, la même tignasse blonde, la même casquette tenue dans les mains, mais des bras plus petits que ça et un ton moins grave. Il avait changé à mesure que le grade sur son uniforme évoluait, mais il restait leur Pietro et aucun des élèves de Yamcha ne pouvait lui dire quoi que ce soit.

« Ça va aller, princesse. Tu verras. » dit-il à voix basse.

C'était lui qui, le premier, avait eu l'idée de l'appeler princesse, parce qu'il connaissait son père de réputation. Pourtant son père n'avait jamais été roi, ou noble d'ailleurs, mais c'était le titre qu'on lui donnait sur les rings. Quand il riait si fort et que les poings de ses adversaires ne rencontraient que le vide. Il était un vrai roi des arts martiaux, lui avait dit Pietro un jour, c'est normal que tu en sois devenue une princesse.

Elle se détacha de lui à contrecœur et passa ses deux mains dans ses longs cheveux noirs pour y refaire sa queue de cheval. Inutile de se présenter devant le général avec une coiffure non réglementaire, elle n'était pas encore aussi irrespectueuse que son ami.

« Je ne vais pas le faire attendre alors.

- Tu n'es pas obligée d'y aller tout de suite. »

Non, il avait raison, mais elle voulait en finir au plus vite avec cette histoire. La jeune femme le contourna en silence et prit le chemin du bureau d'Archibald.

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Toutes les salles de la base étaient dépourvues de lumière extérieure et le bureau du général ne faisait pas exception à la règle. Seule une lampe suspendue au plafond permettait de discerner les contours de la pièce. A l'image du vieil homme, le bureau était sobre et – aux yeux de Sahana – presque vide. Quelques papiers étaient soigneusement rangés dans des serviettes de cuir, un vieil ordinateur trônait éteint aux côtés d'une radio qui semblait sortir d'un musée d'antiquités. La seule touche de décoration était un cadre dans lequel on pouvait distinguer une photo présentant une belle femme aux yeux rieurs entourés de deux garçons qui se chamaillaient. Personne ne les avait jamais vu alors Sahane avait fini par douter de la véracité de cette photo, mais jamais elle ne poserait la question.

Posé derrière son bureau, l'officier la fixait de son regard vert-gris qu'elle détestait tant. Ses petits yeux perdus au milieu du visage tanné par le temps, elle les trouvait toujours trop inquisiteurs, même quand le général ne la regardait pas vraiment, comme aujourd'hui. Archibald parlait dans sa radio, sans paraître se soucier de la présence de la jeune femme. On lui avait pourtant assuré qu'il était libre mais il avait reçu un appel en urgence le temps qu'elle rejoigne son bureau.

« Oui, prononçait-il dans un genre de murmure. Ce n'est pas une très grosse perte, vous êtes sûrs ? »

Sahane en profita pour le détailler du regard, une fois de plus. Archibald avait beau être vieux, il était encore bâti comme un soldat, avec des épaules larges et puissantes, qui remplissaient un uniforme lissé à la perfection. Il se tenait toujours droit sur sa chaise, même quand il répondait ainsi avec une sorte de nonchalance. La jeune femme se trouvait toujours fascinée par les plis de son crâne chauve : on disait qu'il l'avait rasé intégralement dès qu'il avait commencé à perdre ses cheveux. Il conservait cependant une grosse moustache blanche, taillée en pointes.

« Écoutez, si les Cuivres veulent l'avoir, grand bien leur fasse. Du moment qu'ils ne menacent pas nos plans. »

Sahane releva les yeux mais il était déjà en train de raccrocher. Les nouvelles du Sud étaient rares et elle était toujours curieuse de ce qui pouvait bien se passer là-bas. Archibald fit pivoter sa chaise pour lui faire face et elle n'osa pas poser de question, c'était déjà étonnant qu'il autorise à ce qu'elle entende tout cela.

« Tout va bien, Sahane ? entama-t-il d'une voix si basse qu'elle dû se pencher pour l'entendre. Je tiens à te renouveler mes condoléances pour Yamcha, tu sais que nous souffrons tous de sa disparition. »

Pourtant ce n'était pas de la peine qu'elle percevait dans les minuscules pupilles qui se posaient sur elle, simplement le même calme qui l'agitait toujours. Elle n'avait jamais vu le général énervé, pas même quand elle avait refusé d'aller à l'entraînement et qu'elle lui avait crié dessus quand elle avait onze ans. Il se contentait de murmurer ses ordres et ses réprimandes, et obligeait ainsi ses subordonnés à se taire et à se pencher pour l'écouter.

« Je vous remercie, général. »

Il opina de la tête et la regarda un instant, comme cherchant à percer ses yeux pour comprendre ce qui se passait dans son crâne. L'instant passa, et il se pencha pour sortir quelque chose d'un tiroir. Lorsqu'il le déposa devant elle, Sahane avait déjà compris de quoi il s’agissait. C'était un long tube de bois, enveloppé dans une protection de cuir, doté d'un harnachement qui devait permettre de le porter dans le dos. C'était l'objet pour lequel son maître était mort, elle en prononça le nom du bout des lèvres, comme s'il brûlait.

« Le bâton magique...

- Yamcha a réussi à le récupérer comme nous le pensions. Tu comprends comme sa mission était importante. »

Elle voulut lui hurler que non, qu'elle ne voyait pas en quoi un bout de bois, aussi magique fût-il, pouvait compenser la perte d'un des hommes les plus forts et expérimentés de la résistance. Le simple fait qu'ils aient récupérés l'objet sans sauver son maître représentait tout à ses yeux. Ils avaient prévus depuis le début une zone dans laquelle le voleur devrait lancer le bâton, au cas où il n'arriverait pas à s'échapper. Résultat, il était mort et Archibald savourait une demi-victoire, elle en était sûre. Sahane voulu renverser le bureau sur le vieil homme. Mais Yamcha lui avait expliqué lui-même l'importance de sa mission, il lui avait détaillé les avantages conférés par cette arme à qui savait la manier. Si son maître était persuadé de l'utilité de cette relique, alors elle ne pouvait pas vraiment contredire le général.

« Il faut maintenant que nous en fassions bon usage. Nous pensions te le confier directement mais... »

Il n'avait pas besoin de finir. Sahane savait qu'elle n'était pas le meilleur résultat du programme, malgré tous les efforts de Yamcha. On prétendait qu'au Nord s'entraînait l'homme le plus prometteur de l'espèce humaine, et les rapports venus de l'Est étaient tout aussi encourageants. En comparaison, la jeune femme ne valait pas grand-chose et on n'allait pas gâcher une telle arme avec elle.

« Vous allez l'envoyer au Nord, suggéra-t-elle.-Exact. »

Elle fut surprise qu'il réponde de façon aussi catégorique. Le général était réputé pour son extrême paranoïa et il contrôlait soigneusement les informations qui circulaient au sein de la base – mais pas toujours avec succès. S'il permettait qu'elle soit au courant pour la destination du bâton, cela voulait forcément dire que...

« Je vais avoir besoin de toi pour cela. Je dois le faire escorter et autant qu'il soit entre les mains de quelqu'un qui saura le manier. »

Elle comprenait à présent pourquoi elle avait été convoquée, cela n'avait rien à voir avec la mort de son maître. Archibald avait simplement besoin d'un nouveau pion pour la suite de son plan et comme leur maître en arts martiaux n'était plus là, il se rabattait sur ce qu'il y avait de moins pire dans la base. Elle se retint de se lever pour l'insulter. Ne pouvait-il pas, ne serait-ce que quelques minutes, prétendre qu'il était réellement touché par ce qui arrivait ? Elle n'avait jamais supporté ses manières de faire, ce calme sempiternel, cette douceur feinte dans la voix. Tout cela n'était que nonchalance et mépris. Il ne semblait jamais se soucier de rien sinon de ses plans méticuleux et de la façon dont il allait les mener à terme, peu importait les vies sacrifiées pour cela.

Elle voulait prendre le bâton et lui ordonner de grossir pour s'en servir de gourdin sur ce sale crâne chauve, mais elle s'entendit prononcer à la place :

« Je m'en occuperai. Je ne serai pas seule, je suppose ? Où allons-nous ? Et quand ? »

Archibald ne se fendit même pas d'un sourire. Il repoussa simplement l'étui contenant le bâton vers elle et se pencha de nouveau pour déballer une grande carte de papier. Il appartenait à ces vieux de la vieille qui continuaient d'utiliser ces cartes alors même que tous les autres officiers plus jeunes travaillaient sur des écrans. Cette carte en particulier était élimée sur les bords et avait été pliée tant et tant de fois qu'elle commençait à s'ouvrir au niveau des plis. Elle était cependant très soignée et détaillée. Les régions étaient soigneusement annotées et délimitées, ainsi que les différentes sections. Une chose avait été rajoutée au gros crayon rouge : des croix sinistres barraient totalement certaines sections. Quinze en tout. Les quinze qui avaient été sélectionnées par Piccolo Daïmao chaque année pour la destruction, comme il l'avait promis le jour où il avait pris le pouvoir.

« Je ne peux pas te donner la localisation exacte de votre rencontre avec les forces du Nord mais vous emprunterez cette route d'abord dans la zone 22, puis vous longerez la 23 à la frontière avec la 24. Ensuite, direction plein Nord. Je ne peux pas t'en dire plus immédiatement mais tu interrogeras sûrement le chef d'expédition pendant le voyage, c'est Pietro qui commandera l'escouade. »

Elle suivit attentivement le début du chemin, tracé par le doigt du général sur la vieille carte, mais releva vivement les yeux à l'évocation de Pietro. Elle ne savait pas trop s'il avait choisi exprès ou s'il avait simplement pris l'homme le plus compétent à disposition, mais elle lui en était reconnaissante. Sahane commençait à prendre conscience qu'elle allait quitter sa maison – aussi sombre et froid soit-elle. Elle appréciait d'emporter un bout de chez elle dans son voyage.

Puis, elle nota qu'il n'avait pas répondu à la troisième question.

« Et quand allons-nous...

- Demain à l'aube. Piccolo va choisir sa prochaine section dans l'après-midi, il faut que vous soyez en marche à ce moment-là. Nous vous contacterons quand elle sera choisie et vous pourrez ainsi bifurquer si c'est sur votre chemin. Vous voyagerez habillés en civils et ne vous ferez remarquer sous aucun prétexte. »

Dans le ton sans appel et pressé du général, elle sentit qu'elle n'en tirerait rien de plus. Il avait sans doute un nouvel appel à prendre et n'avait plus de temps à consacrer à un pion comme elle. Sahane inclina poliment la tête et se leva.

« Bien général, je vais préparer mes affaires.

- Une dernière chose, l'interrompit-il. Sahane... quelqu'un d'autre tenait à vous accompagnez. Ce n'est pas de mon ressort de lui refuser alors discutez avec lui. Il vous attend dehors. »

La princesse des tunnels fronça les sourcils mais ne fit pas de commentaire. Elle fit une sorte de salut militaire et ressortit à grands pas.

« Le bâton ! »

Elle se retourna juste à temps pour rattraper le bâton magique d'une main, les joues rougies par la honte d'avoir oublié l'objet. Archibald ne prit même pas la peine de la disputer, il replongeait déjà les yeux sur ses notes. Elle ouvrit la porte sans rien dire.

Dehors l'attendait un petit chat au pelage blanc et gris tirant sur le bleu. Il avait ceci de particulier qu'il flottait dans les airs et dardait ses prunelles noires sur elle.

« Plume ! »

Sahane se jeta sur lui et l'enserra avant qu'il n'ait le temps de dire un mot. Le compagnon de Yamcha lui rendit ce câlin en enfouissant son museau contre elle. Ils ne dirent pas un mot pendant une minute. Les deux ne s'étaient plus revus depuis qu'on leur avait annoncé la mort du maître de la jeune femme et du plus fidèle ami du chat. Ils partageaient la même peine, mais Sahane ne voulait pas l'évoquer à voix haute. Elle ne l'avait que trop sentie ces dernières heures.

« Cela risque d'être dangereux, tu sais ?

- Yamcha n'aurait pas voulu que je t'abandonne, décréta simplement le chat. »

Elle n'eut pas la force de le contredire.

---

Ils étaient six en tout dans la voiture. À l'arrière, Pietro se tenait à sa droite et Kino à sa gauche, Plume était installé sur ses genoux. À l'avant, Lapias occupait la place du passager et Oto le volant. Sahane aimait bien cette équipe, elle les connaissait tous très bien, sauf peut-être Oto qui venait d'être réassigné à leur unité. Tous l'avaient salué avec respect et gentillesse pendant qu'ils rangeaient leurs affaires dans les trois capsules qu'on leur avait laissé. La voiture était un modèle flottant, devenu rare depuis l'accession au pouvoir de Piccolo Daïmao, mais très utile pour se déplacer en silence et rapidement.

Le début du voyage avait eu lieu sous terre et bien qu'elle s'était promis de se comporter comme un soldat modèle, la monotonie des murs gris et des néons clignotants avait fini par lui faire fermer les yeux quelques secondes.

Elle n'avait pas dormi de la nuit, tenue en éveil par l'idée de découvrir des prairies luxuriantes et un soleil étincelant. Mais le sommeil la saisit avant la sort et quand elle se réveilla, la lumière du jour lui brûla les yeux. C'était Oto qui occupait la place passager et Lapias qui conduisait. Ils étaient sortis. Sahane se redressa sur son siège en secouant sans le vouloir le pauvre Plume qui devait dormir aussi. Cette fois, c'était définitif : elle avait quitté la base. Elle allait découvrir une toute autre région.

Ils traversaient une forêt, dont les frondaisons empêchaient la lumière d'atteindre pleinement la voiture. Les arbres n'étaient même pas beaux et grands, ils étaient tordus et brisés, les feuilles d'un vert pâle et froid.

« Réveillée, princesse ? demanda Lapias, sans se détourner du volant. »

Sahane se fendit d'un sourire dans le rétroviseur central, qui fit rire la jeune blonde. Lapias portait les cheveux détachés comprit-elle soudain, c'était la première fois qu'elle la voyait ainsi. C'était sans doute un moyen de paraître encore plus « civil ».

La princesse jeta un regard dans le miroir. Elle n'avait aucun mal à passer pour une fille de la campagne dans ses vêtements sales et mal assortis, elle n'avait jamais été faite pour l'uniforme. En revanche, ils risquaient d'avoir du mal à se faire passer pour une famille, songea-t-elle. Lapias et Pietro avaient des cheveux d'un blond si clair qu'il en était éblouissant au soleil, et ceux des deux autres n'étaient pas bien sombres, alors que les siens étaient d'un noir de jais. Elle avait aussi une peau cuivrée qui faisait défaut aux quatre soldats.

« Prête à rencontrer la Reine des Glaces, Sahane ? demanda Oto. »

Le sourire fut général mais Lapias reprit son coéquipier presque instantanément.

« T'es con. Elle l'a déjà vue. »

Si Sahane avait encore un doute sur la concernée, elle comprit alors. L'instructrice du Nord n'était pas réputée pour être très agréable et chaleureuse, mais on ne pouvait guère le lui reprocher. Sahane l'avait en effet rencontrée – elle et son plus brillant élève – il y a de cela quelques années et le souvenir était encore frais.

« La Reine des Glaces, c'est comme ça que vous l'appelez chez vous, Oto ? Reprit Pietro.

- Pourquoi, vous avez un autre surnom vous ?

- Bah ouais, la Reine des Cendres. »

Un fou rire secoua la voiture flottante, à l'exception de Kino qui affichait toujours un air sombre.

« Les gars, sans déconner...

- Oh ça va Kino, elle est pas là pour nous entendre, le calma Pietro avec son sourire perpétuel. Et puis je l'adore cette femme. C'est juste que je préfère la voir de dos que de face. »

Cette fois-ci, la plaisanterie réussit à arracher un sourire au jeune homme.

Le bruit de l'explosion commença par emplir l'espace et écraser les rires joyeux par sa puissance. Puis la chaleur fit rougir les portes gauches et le souffle vaporisa les vitres dans les airs. Enfin, les flammes pénétrèrent dans la voiture et bientôt le monde de Sahane tourna au rouge vif.

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