Le Sacre

Chapitre 9 : LE DERNIER LOUP-GAROU III

4175 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 25/10/2015 11:56

LE DERNIER LOUP-GAROU III

 

    Le climat s’était rafraîchi à mesure qu’ils allaient vers le Nord, à tel point que les nuits étaient devenues vraiment difficiles à supporter sans plusieurs couches de couvertures, ce qui était une première pour Julian. Maître Karine n’en semblait pas dérangé cependant, il prétendait qu’après avoir vécu si longtemps en haute altitude, une brise fraîche était tout ce qu’il y avait de plus normal pour lui.

    Malgré tout, le jeune homme avait refusé la proposition de son maître de lui laisser la plupart des tours de garde. Ils continueraient de se relayer normalement, même si Julian pouvait sentir son souffle geler devant lui dans les pires heures de la nuit. Une chambre d’hôtel aurait sûrement offert une ambiance plus chaleureuse mais il leur était impossible d’en obtenir. Depuis l’évènement sur la côte, ils étaient en fuite. Daïmao avait lancé tout ce qu’il pouvait à leurs trousses.

    Jusque-là, par chance ou grâce à leurs talents, ils avaient réussi à esquiver une nouvelle escarmouche. Le but de leur voyage n’était pas de cogner tous ceux qu’ils croisaient, mais Julian savait bien qu’il arriverait un moment où ils ne pourraient plus se cacher ainsi. Déjà, maître Karine avait eu le plus grand mal à prendre contact avec un membre de la Résistance et on leur avait indiqué que le Nord était la meilleure destination pour l’instant. Ils avançaient lentement depuis, dans les bois et toujours dissimulés, jusqu’à pouvoir rejoindre un lieu sûr. Leurs vivres fondaient à vue d’œil mais le chat semblait confiant alors Julian ne lui en avait jamais fait la remarque.

    Cette nuit avait démarrée comme les autres, le loup-garou se laissant agréablement glisser dans le sommeil après son premier tour de garde. D’instinct, il savait que ce serait une nuit sans rêve et s’en réjouissait.  Depuis que la Lune commençait à décliner, les épuisants songes de loup se dissipaient. Il n’avait pas envie de revoir son compatriote boiteux ou ces espèces de gargouilles-dinosaures.

    Il fut cependant incapable de profiter de l’étreinte de son oreiller bien longtemps, une patte se posait déjà sur son épaule pour le secouer. Il entendit la voix de son maître, lointaine et assourdie.

    « Julian, réveille-toi. Ils arrivent. »

    Le jeune homme poussa un grognement étouffé par le sommeil. Hors de question de se lever aussi tôt, il n’avait même pas dormi deux heures. Comment Karine espérait-il le lancer sur les routes après si peu de temps ? Il faisait pouvait sentir le froid pénétrer ses couvertures et ses poils se dresser.

    « Julian ! »

    La panique dans cette seule interjection suffit aux réflexes du loup-garou pour refaire surface et en une seconde il s’était redressé, manquant de renverser son maître dans le mouvement. Il les entendait maintenant.

Les voix qui approchaient et le bruit des motos. Ils avaient été retrouvés.

    Le froid l’assaillit immédiatement. Si ce n’était pour la tenue d’entraînement dans laquelle il dormait, il aurait sans doute gelé instantanément. Ses sens en alerte, il entendait les ennemis approcher. Ils ne cherchaient vraiment pas à se faire discrets.

    « On les a trouvés !    - Prévenez le chef.    - Faites gaffe au chat, il est vicieux ! »

    Ils approchaient lentement, comprit Julian. Les motos les entouraient et tournaient autour sans oser venir trop près, slalomant entre les épicéas. Avec la faible lueur de la Lune, les phares étaient la seule source de lumière à cette heure et au cœur de la forêt. Les bandits n’étaient pas assez stupides pour perdre cet avantage, d’où leur manœuvre. Les arbres étaient trop clairsemés pour espérer une approche plus subtile. Ils comptaient donc attaquer tous ensemble, ce qui était loin d’être idiot compte tenu de leurs désavantages. Ils auraient probablement des armes aussi, ce que Julian n’aimait pas du tout. Les gens de son espèce étaient plus résistants et se remettaient bien plus vite des blessures mais il serait tout de même hors d’état pendant un moment s’il encaissait un tir.

    C’est à cela qu’il pensait quand le premier coup de feu résonna. Julian ferma les yeux pour repérer le sifflement et pivota d’un coup sur lui-même, se contorsionnant rapidement. Il sentit la balle le frôler à l’épaule, sans le toucher. Il était déjà parti, les yeux toujours fermés. La nuit, c’était son domaine. Tous ces imbéciles ne comptaient que sur leurs phares et leurs visions mais au cœur de l’obscurité, même les meilleurs phares n’étaient pas aussi doués que Julian. Il entendait chaque moto et savait les repérer. Il sentait la poudre, l’essence et le cuir des combinaisons.

    Le loup-garou bondit sans attendre, rebondissant sur un large tronc pour se lancer plus loin sans se mettre à voler. Dans les airs, il pivota pour mettre son pied en avant et il laissa la vitesse faire le reste. La moto tenta bien de freiner en le voyant si proche, mais c’était bien trop tard. Le coup de pied frappa la carlingue avec suffisamment de force pour l’enfoncer complètement. Les roues crissèrent sous le soudain changement de direction. L’homme eut à peine le temps de se jeter de son siège avant que le véhicule s’écrasa violemment contre un autre arbre.

    Julian avait toujours les yeux fermés quand il entendit l’explosion mais il pouvait sentir son souffle et sa chaleur contre sa peau. La radio de l’homme tombé au sol continuait d’émettre.

    « Merde !    - Ils attaquent ! »

    Il s’était déjà remis à courir, la meilleure méthode pour éviter qu’une balle ne l’atteigne. De moins en moins de coup de feu retentissaient, ils devenaient prudents. Julian changea donc de méthode et se mit à léviter à un mètre du sol, sans bruit.Il n’eut aucun mal à rattraper une des motos et pendant un temps, il crut distinguer l’air d’incompréhension à travers le casque du conducteur. Puis il leva son arme et le jeune homme fut obligé de lui tordre le poignet pour le faire lâcher. Profitant du geste, il le tira vers l’avant, l’arracha à son véhicule et le jeta par terre avec assez de force pour l’assommer.

    Combien y en avait-il ?

    Le temps d’ouvrir les yeux, Julian aperçut une petite forme blanche tomber d’un arbre sur une moto et quelques secondes plus tard, une silhouette casquée s’envolait dans les airs pendant que la moto dérapait et s’écrasait quelque part. Quelque chose lui serra brusquement le cœur.

    « Julian ! » l’avertit maître Karine.

    Sans même comprendre ce qui se passait, l’élève bondit en arrière et leva les bras devant lui dans une posture défensive classique. La boule d’énergie s’écrasa là où il s’était trouvé il y a encore quelques secondes, mais c’est son explosion qui fut le pire. Elle brisa aisément les troncs les plus proches, envoyant des éclats de bois dans toutes les directions. Julian sentit son haut de kimono se déchirer sous l’effet de la violente chaleur, du souffle et des morceaux qui lui éraflaient la peau.

    Ce n’est qu’une fois la lumière disparue qu’il baissa les bras de nouveau, arrachant sans efforts les restes de son haut. Il se tourna vers le ciel et l’aperçut enfin. Cachée par l’obscurité, à côté de la Lune, une silhouette massive battait de ses grandes ailes pour se maintenir hors de portée.

    [i]J’ai déjà vu ce démon.[/i]

    Avant qu’il n’ait le temps de réfléchir davantage, il vit une lueur apparaître au creux de la main de la créature. Cette fois cependant, il était préparé et fondit dans la forêt au moment où le démon libérait son énergie. La déflagration s’étendit derrière lui, caressant son dos désormais nu avant de se replier devant le froid. Des tirs continuaient de le poursuivre. S’il sautait dans les airs maintenant, comme son adversaire le voulait sûrement, il ferait une cible bien plus facile. Devant les étoiles plutôt que caché par les arbres. Il devait réduire le nombre de motos avant d’attaquer, décida-t-il.

    Sa prochaine proie approchait de sa position quand il entendit un nouveau son au loin, un autre moteur. Différent. Il abandonna la moto qu’il visait et tenta de se rapprocher de la position de maître Karine pour le prévenir. Le chat n’était pas si difficile à repérer. C’était un éclair blanc qui bondissait entre les arbres, frappant de temps en temps une moto avant de disparaître dans les feuillages.

    « Maître ! Ils ont des renforts en approche ! »

    Ce n’est qu’en la voyant qu’il compris. Une grosse jeep slalomait entre les troncs à une vitesse trop grande pour la taille de l’engin. Elle ne s’arrêta que lorsqu’elle faillit percuter un des arbres effondré suite aux explosions. Julian leva les yeux au ciel pour voir que le démon avait cessé de tirer, marquant un temps d’arrêt. Ce n’était donc pas prévu à son programme.

    Les portières s’ouvrirent toutes en même temps et en jaillirent des hommes en uniforme, tenant des fusils d’assaut. La tentative d’encerclement se transforma soudain en fusillade. Les motos n’étaient clairement pas préparées pour ça. Des crissements se firent entendre, des cris aussi et de nouvelles détonations. Le loup-garou entendit un grondement venu des airs et vit le démon tendre la main vers la voiture. Il ne pouvait pas l’empêcher mais tenta tout de même, usant de toute sa vitesse pour rejoindre ses alliés avant que le pire n’arrive.

    Impuissant, il ne put que regarder alors qu’un des soldats laissait tomber son arme pour bondir sur le capot et renvoyer la boule d’énergie d’un simple revers de la main. Son regard croisa pendant une seconde des yeux bleus intenses, avant que le soldat ne disparaisse dans la forêt. Il entendit une explosion, puis une moto jaillit de l’endroit, dans une tentative de fuite évidente. Julian n’eut qu’à tendre le bras pour arrêter sur place l’homme, pendant que le véhicule continuait tout droit. Le bandit ne se débattit même pas, alors il le mit à terre et fit sauter le casque pour l’assommer. C’était une femme, finalement, avec de longs cheveux blonds que le casque n’avait pas arrangé. Elle ne chercha même pas à le supplier du regard.

    Déjà, les tirs et les bruits de moteurs s’amenuisaient. La bataille n’aurait duré que deux minutes. Julian tendait déjà son corps, prêt à s’élancer dans les airs, quand il aperçut quelque chose derrière le démon. Une silhouette sombre et fine percuta violemment le dos du fils de Piccolo et l’emporta avec elle vers le sol. Le loup-garou les perdit de vue, mais il entendit le bruit de la chute, quelques coups échangés, puis un craquement sinistre, et c’était terminé. Le silence retomba sur la forêt aussi vite qu’il avait été perturbé, mais cette fois, on n’entendait même plus les animaux, effrayés par ce qui venait de se passer.

    Le jeune homme laissa enfin son corps se détendre d’un seul coup, il prit brutalement conscience de la fatigue qu’il ressentait. Le froid le frappa avec plus de force encore, l’enveloppant dans un étau qui compressa son torse. Il se tourna vers la jeep pour se trouver nez à nez avec le soldat de tout à l’heure.

    Il semblait plus jeune de près, et plus petit. L’homme était de carrure imposante mais ses épaules n’étaient pas aussi larges que celles de Julian. Son visage était agréable et fin, seule sa coupe de cheveux permettaient de l’identifier comme un militaire. Il les portait très court et en brosse, sa couleur brune dégradant vers le blond au sommet. Lorsqu’il se mit à sourire, Julian comprit soudainement que cet homme ne devait pas avoir plus de deux ans de plus que lui, mais son air sérieux jusque-là le faisait paraître bien plus vieux.

    « Désolé d’avoir pris autant de temps. Tu dois être Julian ? Je suis Hagon. »

    Les deux jeunes gens restèrent une seconde face à face, le loup-garou fixant en silence la main tendue de son allié. Hagon, bien sûr. Il aurait dû comprendre. Sans jamais l’avoir rencontré, il connaissait très bien l’homme, de réputation. De tous ceux que l’on entraînait depuis bientôt quinze ans à se battre, c’était celui qui était jugé le plus prometteur. Sa démonstration de tout à l’heure n’en était qu’une preuve de plus. Il se souvenait bien avoir discuté de cela plus d’une fois avec Upa, il s’était toujours demandé si l’indien n’était pas plus fort que cet homme.

    « Euh, oui. C’est moi. Enchanté. Merci d’être venu, c’était juste. » se rattrapa Julian en lui serrant poliment la main.

    Le prodige haussa les épaules et se fendit d’un petit sourire, qui lui faisait encore une fois perdre quelques années.

    « Pas tant que ça, vous vous seriez débrouillés sans nous. »

    Peut-être que oui, ou peut-être que non. Ce qui était sûr, c’est qu’ils auraient perdu beaucoup plus de temps dans cette histoire. Avec un sourire poli, Julian remercia d’un signe de tête les soldats derrière Hagon. Ils devaient faire partie de la division nord. Quant à la silhouette qui avait neutralisé le démon, ce devait être un autre des enfants entraînés dans cette région. Peut-être la deuxième personne la plus forte du monde à l’heure actuelle. Karine et lui n’avaient que peu de contacts avec le reste du monde, mais cela faisait bien longtemps que la Résistance parlait des prodigieux progrès effectués dans le Nord. L’enseignant de la région avait fait des merveilles.

    « Il est possible que mon maître nous ait fait perdre un peu de temps mais elle ne vous aurait pas laissé seuls. » reprit Hagon.

    Julian écarquilla les yeux. Son maître ? Soudainement, l’identité de la silhouette était beaucoup plus évidente. Il ne s’attendait pas à la rencontrer si tôt.

    Comme si elle avait senti qu’on parlait d’elle, une femme surgit d’un coup d’entre deux arbres, traînant derrière elle le corps du démon qu’elle tenait par le pied. Julian se tourna vers elle et rencontra immédiatement l’œil sombre, presque noir, qui le fixait en silence. Il s’empêcha de déglutir et n’osa pas baisser les yeux, ou regarder ailleurs, ou faire quoi que ce soit d’autre que de lui rendre son regard. Il avait entendu parler de cette femme mais ne s’était pas préparé à ça.

    Son visage était atroce. La moitié droite était ravagée par une immonde cicatrice de brûlure. La peau s’était déformée, tordue et écrasée. Des plaques noires ou blanches soulignaient la ligne des muscles ou des os. Le front était entièrement dégagé malgré l’effort qu’elle faisait pour rabattre une partie de ses cheveux noirs sur la moitié droite de sa tête. L’arcade avait littéralement fondue, écrasant l’orbite et empêchant ainsi Julian de constater l’absence de l’œil en dessous. La cicatrice se prolongeait sur toute la moitié du crâne, mais dissimulée par de long cheveux d’un noir de nuit, et dans le cou où elle disparaissait sous la tenue de la combattante.

    « Julian, je suppose. » dit-elle en relâchant son trophée pour lui tendre la main gauche.

    Elle s’avançait vers eux et Julian vit qu’il avait dû être impossible pour ses ennemis de la repérer. Sa tenue de combat était entièrement noire ; c’était un kimono classique auquel avait été ajouté des plaques de cuir bouilli pour renforcer la protection du torse, des bras et des jambes. Dans son dos, il devinait la présence d’un symbole bien connu des arts martiaux.

    « Tu ne te débrouilles pas trop mal mais il te faut agir un peu plus et réfléchir un peu moins. Plus de punch. »

    Sa voix n’était pas comme il s’y attendait, froide mais il y avait tout de même quelque chose de cassant dans le ton qu’elle avait pris. De près, elle paraissait moins imposante, mais il ne doutait pas de sa force vu l’état du corps derrière elle. Il remarqua qu’elle lui tendait sa main intacte plutôt que celle qui devait porter la même cicatrice, alors qu’elle pouvait pourtant la bouger aussi. Poliment, il lui serra la main, cherchant quelque chose à lui répondre.

    « Je suis flatté, madame. Merci d’être venus pour nous aider. »

    Elle eut un sourire que sa joue déformée rendait terrifiant, mais n’eut pas le temps de lui répondre.

    « Chichi, je suis content de te revoir. Tu sais en plus choisir tes entrées. »

    Maître Karine avait retrouvé son bâton et amenait derrière lui leurs sacs de voyage, soigneusement rangés. Sa collègue tourna son œil unique vers lui et son sourire se mua en quelque chose ce mauvais.

    « Pour être honnête, nous les avions repérés il y a un moment. Je les ai aiguillés vers vous pour qu’ils ne nous voient pas arriver. »

    Voilà qui expliquait l’intervention miraculeuse de la jeep et la vitesse à laquelle ils s’étaient déployés. Cette réponse ne sembla pas plaire au chat cependant et Julian comprenait bien pourquoi.

    « Je préfère être mis au courant quand je sers d’appât, tu sais ?    - On ne pouvait pas risquer de les alerter. » répondit-elle du tac au tac alors qu’elle faisait les quelques pas la séparant de Karine.

    Chichi promena son regard sur leurs sacs, analysant en silence.

    « Vous n’avez pas le bâton, je présume ? »

    Julian échangea un regard avec son maître, puis avec Hagon qui se contenta d’hausser les épaules. Ils n’eurent pas besoin de répondre.

    « Ce serait trop beau, cracha-t-elle avec un grognement étrange.    - Ne devait-il pas vous être amené par quelqu’un d’autre ? »

    Elle ne fit même pas mine d’écouter le chat blanc, se détournant d’un pas militaire pour se diriger vers la jeep. Julian en profita pour vérifier que la plaque d’armure de cuir qui lui recouvrait le torse était bien ornée du symbole de l’école de la tortue à l’arrière.

    « Longue histoire, je vous raconterai. Montez. On rentre avant que d’autres n’arrivent. »

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