Rena, fille de l'Ombre

Chapitre 8 : Destruction

4648 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/03/2019 18:31

Rena n’arrivait pas à trouver le sommeil. Elle repensait à tout ce qu’il s’était passé ces derniers temps : les cercles, Miiko, sa dispute avec Ezarel... Tout n’était que chaos et confusion dans son esprit et elle n’arrivait pas à trouver un semblant de paix intérieure. Elle soupira. Son acariâtre d'elfe marmonna quelque chose dans son dos ─ elle avait dû le réveiller à force de bouger.

—  Tu n’arrives pas à dormir ? demanda-t-il d’une voix pâteuse.

—  Non.

—  Je sais ce qu’il te faut pour t’aider à dormir, lui susurra-t-il à l’oreille en se serrant contre elle et en glissant une main dans le col de son kimono.

—  C’est pas le moment Ezarel, protesta-t-elle en repoussant fermement ses avances.

—  C’est jamais le moment avec toi dernièrement, répliqua Ezarel avec un claquement de langue irrité.

Rena leva les yeux au ciel. Il devait être encore éméché ou alors il avait un sacré culot d’oser la toucher de la sorte et de croire qu’elle allait se laisser faire alors qu’il ne s’était pas encore sincèrement excusé pour l’attitude qu’il avait eue, un peu plus tôt dans la soirée. Rena se leva et avança vers le milieu de la pièce. Elle détacha la ceinture de son kimono blanc et laissa tomber le vêtement à ses pieds, révélant ainsi sa peau nue et blanche. Ses longs cheveux blancs et raides, encore un peu humides après sa douche, lui tombaient en cascade jusque dans le bas du dos. Baignée par les rayons de la lune, elle avait une allure fantomatique. Elle attrapa ses vêtements qui traînaient sur une chaise et commença à s’habiller. Elle s'empara de son katana avant de se diriger vers la porte.

—  Où est-ce que tu vas ? demanda Ezarel qui ne l’avait pas quittée des yeux.

—  Je vais prendre l’air, répondit-elle sèchement.

—  Et t’as besoin de prendre ton katana pour ta promenade nocturne ?

—  C’est juste par précaution.

—  C’est sûr, on sait jamais, tu pourrais te faire attaquer par un musarose enragé.

—  Haha ! Très drôle, répliqua-t-elle en étant tout sauf amusée.

—  Si t’es pas revenue dans cinq minutes je sonne l’alerte générale, lança-t-il sarcastiquement.

La main sur la poignée, Rena ne se donna pas la peine de répondre à cette provocation de plus et sortit sans même lui jeter un regard. Elle déambula dans les couloirs sombres. Tout était silencieux. Inconsciemment, ses pas la menèrent devant la salle du Cristal. Un garde était posté à l’entrée et l’interpela d’une voix forte :

—  Que faites-vous ici à cette heure aussi tardive ? demanda-t-il avec un regard méfiant.

—  Je voulais juste voir le Grand Cristal, répondit-elle en montrant patte blanche.

—  Oh ! Vice-capitaine Yukihira ! la salua alors le garde en se mettant au garde-à-vous. Je ne vous avais pas reconnue.

—  Ce n'est pas grave, je ne faisais que passer. Tout va bien ?

—  Oui, rien à signaler. Tout est calme. 

Rena jeta un coup d’œil par-dessus l'épaule du garde, à travers l'arche qui menait à la salle du Cristal. C'était une vaste pièce circulaire surmontée d’une coupole dont le toit était fait de verre transparent. Le Cristal était soutenu par un énorme socle de marbre finement sculpté et serti de pierres précieuses. Le Cristal en lui-même était gigantesque, il occupait presque tout l’espace de la salle et montait jusqu’au plafond. Sa lumière semblait refléter celle de la lune et des étoiles. Son bleu profond et sa lueur scintillante étaient fascinants. Rena pouvait sentir l’énergie qui en émanait. Elle voulut demander au garde s’il n’avait pas remarqué un changement dans la salle du Cristal ou senti une présence anormale de maana mais elle se rendit vite compte que sa question était stupide : si des cercles magiques avaient été placés autour du Cristal, l’énorme quantité de maana qu’il émettait aurait rendu leur détection impossible. 

—  Rena ? Qu’est-ce que tu fais là ? l'interpela une voix de femme derrière elle.

Rena se retourna pour découvrir Alajéa qui se tenait derrière elle.  Elle portait des vêtements toujours aussi osés. Rena ne savait pas si cela venait du fait qu’elle était une sirène et n’aimait pas les vêtements étouffants ou si c’était juste qu’elle aimait mettre ses atouts en avant. Les bras croisés dans le dos, elle se tenait toujours légèrement penchée en avant, ce qui avait pour effet de mettre encore plus en avant sa poitrine généreuse déjà bien mise en valeur par son corset ouvert. Rena n’avait pas de complexe concernant ses propres formes, qu’elle trouvait tout à fait honorables, mais elle se sentait toujours mal à l’aise face au manque de pudeur d’Alajéa. Elle essaya de ne pas trop fixer sa poitrine et lui retourna sa question.

—  Je suis allée observer les étoiles et la lune, répondit-elle gaiement. Le ciel est très clair, c’était magnifique.

—  Je vois.

—  Tu es toujours fâchée contre Ezarel ? demanda Alajéa en lui jetant un regard sévère.

—  Non, je n’arrivais pas à dormir, c’est tout, expliqua-t-elle en ne mentant qu’à moitié.

« Et puis ça ne te regarde pas » pensa-t-elle en son for intérieur.

—  Oh d’accord, tant mieux alors, acquiesça Alajéa en retrouvant son air joyeux. Ezarel n’allait vraiment pas bien tout à l’heure. Ça m'a fait de la peine de le voir aussi triste. Il est toujours si gentil avec moi et ne se fâche jamais, même quand je fais des erreurs. Il me taquine et plaisante souvent avec moi. Je crois qu’il m’apprécie.

—  Je n’en doute pas, répliqua Rena en dissimulant son irritation avec peine.

Elle se demandait pourquoi Alajéa lui racontait tout cela alors qu’elle ne lui parlait presque jamais d’ordinaire, hormis pour échanger les salutations et les politesses d’usage.

—  Mais quand il est énervé ou triste, il devient très désagréable, continua Alajéa en prenant un air attristé. Je n’aime pas le voir dans cet état. Tu ne devrais pas être aussi dure avec lui.

Rena eut soudain envie de la frapper mais elle se retint. Alajéa se permettait de parler et de juger sans rien savoir. Qu’est-ce qu’elle savait de sa relation avec Ezarel ? Et pourquoi est-ce qu’elle rejetait la faute sur elle alors que c’était clairement lui qui était en tort ? Elle savait qu’Ezarel avait ses défauts et son caractère mais l’indiscrétion et le mensonge n’en faisaient pas partie et elle doutait fort qu’il ait ouvertement parlé de ses disputes de couple à sa collègue.

—  J’essayerai, promit-elle en maîtrisant sa voix. Je te laisse, je vais me promener un peu dehors. Bonne nuit.

—  Oh d’accord, fit la sirène, l’air déçu. C’était sympa de parler avec toi !

Rena ne savait pas si elle devait prendre cela pour de la provocation mais elle résista à la tentation de lui balancer une réponse sarcastique à la figure et s'éloigna en direction des jardins. L’air était frais et pur. Elle prit une profonde inspiration et se sentit un peu mieux. Alajéa avait raison sur un point : le ciel était vraiment magnifique cette nuit-là. La yôkai essaya de mettre de l’ordre dans ses pensées. Elle devrait commencer par avoir une discussion sérieuse avec Ezarel. Elle souffrait de la situation actuelle et devait reconnaître qu’elle n’avait pas été très juste avec lui non plus, à rester constamment sur la défensive. Si elle pouvait se réconcilier avec lui, elle pourrait sans doute faire face à aux reste de ses problèmes plus sereinement. Sa décision prise, elle se dirigea vers sa chambre. Elle repassa devant la salle du Cristal et jeta un regard absent à l’intérieur. Elle se figea, horrifiée. Le garde avec qui elle avait conversé un peu plus tôt gisait face contre terre dans une mare de sang. Rena leva les yeux vers le Cristal et vit qu’un homme se tenait devant lui. Il était vêtu d’une armure intégrale noire et portait un casque également noir en forme de tête de démon qui dissimulait son visage.

—  Qu’est-ce que vous faites ? s'exclama Rena, une main sur le pommeau de son katana, prête à dégainer.

L’homme l'ignora. Il leva une main vers le Cristal et lança une incantation. Une multitude de cercles magiques s’activèrent soudainement tout autour du Cristal. Ils entrèrent en résonnance avec le Cristal qui se mit à vibrer. Rena était pétrifiée. Ce qu’elle craignait le plus était en train d’arriver.

—  Arrêtez ! ordonna-t-elle en retrouvant ses esprits.

Elle dégaina son arme et pointa la lame vers le mystérieux intrus.

—  La roue du destin est en marche, personne ne peut l’arrêter, répliqua l’homme qui avait fini de chanter son incantation.

Ce n’était pas la première fois que Rena entendait une phrase de ce genre. L’homme baissa le bras et se tourna vers elle. Ses yeux étaient deux charbons ardents, il avait tout du démon. Il posa un genou à terre puis plaqua sa main au sol. Un nouveau cercle apparut. « Un cercle de téléportation ! » réalisa-t-elle en reconnaissant la disposition des éléments.

—  Attendez ! cria Rena en se précipitant vers lui.

Mais elle ne fut pas assez rapide, l’homme disparut dans une cascade de lumière écarlate avant qu’elle ne puisse l’atteindre. Rena leva la tête vers le Cristal. Les cercles magiques étaient toujours actifs. C’était la première fois qu’elle voyait un tracé aussi complexe. Le sol fut parcouru d’un léger tremblement. Le Cristal vibrait de plus en plus fort. Tout à coup, des runes noires apparurent à la surface de l'agglomérat de maana. Le long serpent noir et filiforme de runes étranges s’enroula autour du Cristal comme s’il cherchait à l’étouffer. Puis il s’immobilisa et les runes se mirent à briller d’une lumière blanche. Les cercles magiques disparurent aussi soudainement qu’ils étaient apparus. Rena remarqua avec horreur que la surface du Cristal était en train de se fissurer. Il fallait qu’elle fasse quelque chose, mais elle ne savait pas comment arrêter ce qui était en train de se passer. Elle réfléchit à toute vitesse et il lui vint une idée.

« Si j’essaye de geler le Cristal, peut-être que j’arriverai à le stabiliser et à l’empêcher de se briser. » 

Elle ne perdit pas une seconde de plus. Elle leva la main vers le Cristal comme l’avait fait l’homme avant elle et concentra toute son énergie vers lui. La glace commençait à gagner du terrain mais ce n’était pas assez rapide. La surface à couvrir était trop grande et la puissance du Cristal ralentissait la progression de la glace. Rena ne baissa pas les bras et redoubla d’efforts. Elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher cette catastrophe. Si le Cristal était détruit ce serait la fin du royaume d’Eldarya. Elle commençait à faiblir, son pouvoir l’abandonnait, mais la jeune femme y était presque : la glace était quasiment parvenue jusqu’au sommet du Cristal.

« Encore un petit effort » s'encouragea-t-elle mentalement en puisant dans ses dernières forces.

La dernière portion de Cristal bleu disparut sous une couche de glace blanche. Le Cristal ne vibrait plus et les tremblements avaient cessé. Rena relâcha la tension, soulagée. C’est alors qu’elle entendit la voix d’Ezarel retentir dans son dos :

—  Rena ! Qu’est-ce que tu as fait ? s'exclama-t-il, affolé.

L’incompréhension, la surprise et la crainte se lisaient sur son visage.

—  Ezarel ! Il faut que tu… ! commença Rena.

Elle ne finit pas sa phrase, elle avait entendu le craquement familier de la glace qui se rompt. Elle tourna la tête vers le Cristal et vit la glace se fissurer ici et là, laissant filtrer les rayons de lumière bleue du Cristal. Il y eut un long bruit strident et Rena se plaqua les mains sur les oreilles, persuadée que ses tympans allaient exploser. Abasourdie et désorientée elle tenta de s’éloigner du Cristal. Celui-ci vibrait de plus en fort et de plus en plus rapidement. Puis ce fut l’explosion. Rena sentit un millier de fragments de glace et de maana cristallisé transpercer son corps. La douleur était insupportable, c’était comme si ses membres et ses organes étaient déchirés centimètre par centimètre. Elle poussa un long hurlement de douleur. Elle se sentit enveloppée dans un halo de lumière blanche, puis le néant.

Elle n’avait plus mal. Elle avait la sensation de flotter. Elle était enveloppée d’une lumière douce et chaleureuse. Il n’y avait ni haut, ni bas, ni avant, ni après. Elle ne sentait pas son corps ─ elle n’avait plus de corps ! ─ seule sa conscience demeurait. L’écho d’une voix retentit dans l’infini. Rena crut entendre son nom mais elle devait se tromper. Elle se demanda si elle était morte. Si c’était le cas, ce n’était pas si mal.

—  Rena ! répéta la voix en devenant de plus en plus distincte.

Une femme étrange flottait devant elle. Elle possédait plusieurs paires d’ailes aux plumes irisées, une queue de reptile et des cornes striées qui se dressaient droit sur sa tête. Son visage était mélancolique et elle semblait en proie à une extrême souffrance.

—  Vous êtes… commença Rena.

—  L’Oracle, termina l’être éthéré. Je n’ai plus beaucoup de temps. Je vais utiliser mes dernières forces pour faire tourner la roue du destin en notre faveur.

—  Qu’est-ce que vous voulez dire ?

—  Trouve l’Élu. Seule l’Ombre peut guider la Lumière. Va ! Rena, fille de l’Ombre. Va ! Rena, fille d’Eldarya.

L’Oracle ne lui laissa pas le temps de répondre. L’espace se mit à vaciller, à s’étirer et à se distordre. La yôkai fut projetée à une vitesse astronomique dans un tunnel de lumières éblouissantes multicolores. Elle sentit le choc de l’impact, puis ce fut le trou noir.


***


Ezarel regarda Rena quitter la chambre sans rien dire puis se mit sur le dos. Le poignet posé sur son front, il poussa un soupir d’irritation. Il avait eu l’intention de s’excuser depuis le début mais son orgueil l’avait empêché d’être sincère et il n’avait fait qu’empirer les choses. Ce serait tellement plus simple si Rena pouvait juste lui pardonner sans qu’il n’ait à dire quoi que ce soit, mais vu le caractère bien trempé de sa bien-aimée, il y avait peu de chance que ça arrive. Plus il repousserait le moment des excuses, plus elle deviendrait froide avec lui. Il était clair qu’il n’allait pas réussir à se rendormir maintenant et il finit par se lever en pestant contre son sale caractère et celui de sa compagne. Il était bien décidé à ravaler sa fierté, qu’il savait mal placée, à trouver Rena, et à lui présenter ses excuses les plus sincères. Il venait à peine de sortir lorsqu’il tomba nez à nez avec Alajéa dans le couloir.

—  Ezarel ! s’exclama-t-elle tout sourire. Ça va mieux ? Toi aussi tu vas te promener ?

—  Je cherche Rena. Elle est toujours fâchée.

—  Ah bon ? Ce n’est pas ce qu’elle m’a dit pourtant, s'étonna la sirène.

—  Tu l’as vue ? Où est-ce qu’elle est partie ? demanda Ezarel en ignorant la remarque d’Alajéa.

—  Dans les jardins,je crois, mais je ne pense pas qu’elle veuille te voir, lui fit savoir Alajéa en le regardant avec pitié.

Ezarel voulut passer mais la sirène lui barra la route.

—  Elle n’avait pas du tout l’air contente que je lui parle de votre dispute, elle doit vraiment être énervée contre toi. Tu ferais mieux de la laisser tranquille.

—  Ça c’est normal, je me suis vraiment mal comporté avec elle. C’est pour ça que je dois la retrouver et m’excuser. 

Il essaya de contourner Alajéa mais elle l’empêcha à nouveau de passer.

—  Mais ce n'est pas de ta faute ! protesta-t-elle en croisant les mains sur son cœur. C’est elle qui-

—  Alajéa, l’interrompit Ezarel sèchement, ce ne sont pas tes affaires. Maintenant, si tu veux bien te pousser de là, j’aimerais passer.

La sirène s’écarta, la mine déconfite. Ezarel lui jeta un regard de travers et continua son chemin. Sa collègue était de plus en plus envahissante ces derniers temps. Elle avait même demandé à leur chef de garde de leur assigner les mêmes missions. Il avait dû faire équipe avec elle à plusieurs reprises et même s’il s’efforçait d’être patient avec elle, il avait failli perdre son calme plus d’une fois. Elle avait été particulièrement insistante lorsqu’elle l’avait invité à boire un verre et avait passé la soirée à essayer de le cajoler avec sa voix nasillarde et aiguë. Ezarel se doutait un peu de ce que manigançait Alajéa, sans y avoir jamais vraiment accordé d’importance. Il aurait peut-être dû la repousser plus fermement… mais ce n'était pas le moment de penser à ça. Il prit un raccourci pour se rendre directement aux jardins pour constater avec déception que Rena ne s’y trouvait pas. Il allait retourner à l’intérieur lorsqu’il sentit une secousse. Il chercha du regard la cause de ce léger tremblement. Une nouvelle secousse se fit sentir, elle semblait provenir de l’intérieur du Q.G. Ezarel s’empressa de rentrer. Les vibrations s’étaient intensifiées. Une lumière blanche éclaira le corridor principal. C’était là-bas que se trouvait la salle du Cristal. Ezarel pressa le pas. Les secousses avaient cessé lorsqu’il arriva devant la salle du Cristal. Il faillit trébucher sur le cadavre du garde étendu en travers de l'entrée. Il eut un mouvement de recul mais fut encore plus étonné de voir Rena debout devant le Cristal. Il remarqua tout de suite que le Cristal avait été entièrement gelé.

—  Rena ! Qu’est-ce que tu as fait ? cria-t-il en sentant la panique monter en lui.

Rena essaya de lui dire quelque chose mais laissa sa phrase en suspens, interrompue par un craquement sinistre. Il vit le Cristal se fissurer, puis un bruit strident lui perça les tympans. Il perdit l’équilibre et tomba à genoux. Il porta la main à ses oreilles meurtries et lorsqu’il regarda ses doigts, ils étaient couverts de sang. Il tenta de se relever mais ses jambes ne lui obéissaient plus. Il y eut d’abord l’explosion, suivie immédiatement d’une puissante onde de choc. Puis il entendit le cri déchirant de Rena et vit d’abord un, puis deux, puis une centaine de rayons bleus jaillir de son corps. Il essaya de crier son nom mais aucun son ne sortait de sa gorge. Il y eut un éclair aveuglant de lumière blanche qui lui brûla les rétines. Lorsqu’il put enfin retrouver l'usage de ses yeux, rougis et larmoyants, Rena s’était volatilisée. Il la chercha du regard, paniqué, mais il n’y avait plus aucune trace de sa présence, même son odeur avait disparu.


***

   

Miiko venait tout juste de rentrer de sa longue entrevue avec le Conseil Royal lorsqu’elle entendit l’explosion. Elle se précipita dans la salle du Cristal, Ykhar et Kero sur les talons.

—  Par la Sainte Trinité… jura-t-elle en voyant le cadavre du garde.

Elle n’eut pas de mot lorsqu’elle vit le Cristal ou plutôt ce qu’il en restait. Estomaquée, elle lâcha son sceptre, au bout duquel était accrochée une petite cage contenant son feu de kitsune. La cage se détacha du bâton et, dans un fracas métallique, elle alla rouler jusqu’au pied du mur. Le Cristal autrefois si majestueux et imposant avait été réduit à un morceau de la taille d’un poing.

—  Ezarel ! s'exclama-t-elle d’une voix tremblante les yeux fixés sur le désastre. Que s’est-il passé ?

L'elfe, encore sous le choc, était incapable de répondre.

—  Ykhar, va chercher Leiftan, ordonna Miiko d’une voix autoritaire.

La jeune brownie, bien qu’aussi choquée que les autres, s’exécuta. Elle revint quelques minutes plus tard avec le jeune homme. Il afficha le même air abasourdi en découvrant la scène mais se ressaisit tout aussi rapidement.

—  Miiko, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

—  C’est ce que j’aimerais savoir, soupira-t-elle.

Leiftan s’agenouilla près du corps sans vie du garde. Il le retourna sur le dos et examina sa blessure.

—  On dirait qu’il a était pourfendu par une lame longue, une épée peut-être… ou un sabre.

—  Ezarel, demanda encore une fois Miiko, tu étais là quand je suis arrivée. Qu’est-ce que tu as vu ?

Ezarel rassembla ses esprits et tenta d’expliquer du mieux qu’il put la scène dont il avait été témoin. C’était comme essayer de se souvenir d’un rêve au réveil, les détails lui échappaient, tout était confus et chaotique. Leiftan s’avança vers le centre de la salle, là où s’élevait autrefois le Cristal. Quelque chose crissa sous ses pieds. Il se pencha et ramassa un petit fragment transparent.

—  Qu’est-ce que c’est ? demanda Miiko. Des morceaux de Cristal ?

—  Non, c’est de la glace, répondit Leiftan en laissant tomber le fragment froid.

—  Alors c’est vrai ? dit Miiko. Rena a vraiment détruit le Cristal ?

—  Non… non ! protesta Ezarel. Elle ne ferait jamais ça ! Il doit y avoir une explication…

—  Je ne vois pas d’autre explication, renchérit Leiftan. Il n’y avait personne d’autre qu’elle et toi ici.

—  C’est vrai qu’elle était seule quand je suis arrivé, concéda Ezarel, mais ça ne veut pas dire pour autant…

—  Ezarel ! l’interrompit Miiko d’un geste de la main. Je comprends que ce soit dur à accepter pour toi mais il faut se rendre à l’évidence.

—  Rien n’est encore sûr, ce ne sont que des suppositions, glissa Leiftan prudemment. Il faudra mener une enquête plus approfondie.

Ezarel le remercia d’un signe de la tête et d’un bref regard reconnaissant. Au même moment, Kero, qui était resté silencieux jusque-là, fut saisit d’une vive douleur à la poitrine. Il porta la main à son cœur, son visage se crispa, puis il s’effondra par terre. Miiko se précipita à ses côtés, affolée. Elle répéta son nom plusieurs fois en lui tapotant la joue mais il semblait au bord de l'évanouissement. Il semblait très affaibli, son visage déformé par la douleur. Miiko allait ordonner à Ykhar d’aller chercher Eweleïn lorsque deux autres personnes pénétrèrent dans la salle du Cristal. C’était Kräm, le chef de la garde Obsidienne, suivi de près par Séraphina. Kräm était un homme d’âge mur à la barbe hirsute et à la carrure d’ours. Il était bourru, riait toujours très bruyamment et s’emportait facilement. Il affichait un air sérieux, presque menaçant. Le contraste avec la capitaine de l'Absynthe était frappant. Elle était grande et élancée, et d’une beauté époustouflante, même pour une Elfe. Elle portait une robe ample serrée à la taille par un élégant ruban. Ses bras étaient couverts de voiles translucides délicatement colorés de teint pastels rose et violet. Elle avait un air très strict qui était renforcé par ses longs cheveux dorés attachés en chignon et les lunettes qu’elle portait sur le bout du nez.

—  Miiko, on a un problème, annonça Kräm de sa grosse voix grave.

—  Quoi encore ? s’écria Miiko à bout de nerfs.

—  Des émeutes ont éclaté un peu partout dans la cité et les gens ont commencé à s’entretuer.

—  C’est pas vrai ! lâcha la kitsune dans un souffle.

—  Et ce n’est pas tout, intervint Séraphina. Les gens ont commencé à s’évanouir un peu partout. C’est comme si leur force vitale les quittait.

C’est alors qu’elle prit conscience des alentours. Elle regarda Kero gisant inconscient, puis le Cristal, puis de nouveau Kero. Elle s’agenouilla près de lui et posa une main sur son front trempé de sueur.

—  C’est le Cristal qui fournit le maana dont nous avons besoin pour vivre, commença-t-elle à expliquer. Avec un Cristal aussi faible, les quantités de maana produites ne sont plus suffisantes. Les plus forts s’en sortiront car ils ont de plus grandes réserves de maana mais les plus faibles ne survivront pas.

—  Qu’est-ce qu’on peut faire ? demanda Miiko, désespérée.

—  Rien, répondit Séraphina, l’œil sombre. Ils sont condamnés.

—  Alors Kero va… souffla Miiko sans avoir le courage de terminer sa phrase.

—  Kero devrait s’en sortir, la rassura-t-elle en remontant ses lunettes sur son nez. Il possède plus de maana que la moyenne mais il a toujours été de constitution fragile, ce qui explique qu’il soit plus affecté que nous.

Miiko poussa un soupir de soulagement. Toutefois, lorsqu’elle pensa à tous ceux qui allaient mourir, ses épaules s’affaissèrent sous le poids du désespoir. Etait-ce donc la fin d’Eldarya ? Elle ne pourrait sauver personne ? Leiftan posa une main sur son épaule et la serra fermement. Miiko retrouva ses esprits et prit un air déterminé.  

—  Kräm, prends tes meilleurs hommes et apaise les émeutes. Séraphina, tu l'assisteras. Occupe-toi des blessés, essaye de soigner tous ceux qui peuvent l’être.

—  À vos ordres madame ! tonna Kräm d'une voix forte avant de quitte la salle du Cristal.

Séraphina se contenta de hocher la tête pour indiquer qu’elle avait compris ce qu’on attendait d’elle. Miiko ramassa son bâton pour y refixer la petite cage métallique. Ses gestes étaient lents et méthodiques. Elle semblait calme mais son esprit était secoué par une violente tempête émotionnelle. Et surtout elle avait peur, très peur. 

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