Humiliations

Chapitre 2

Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:49

Chapitre 2

Une odeur âcre de transpiration humaine et de déodorants apparemment déficients régnaient dans la pièce de torture. Sa pomme d'Adam remonta difficilement dans sa gorge dans un léger gargarisme angoissé, tandis qu'il pénétrait dans l'antre même de sa déchéance. Il savait pertinemment qu'il n'était pas une personne « équilibrée ». Son intelligence était inversement proportionnelle à son corps. Un moteur de Ferrari... dans un vélo rouillé. C'était comme ça qu'il se voyait. Physiquement parlant, il ne ressemblait à rien, il était assez grand, mais très maigre, chétif ...

Et ses bras et ses jambes n'étaient jamais coordonnés, chaque membre se balançait grotesquement et avec raideur sans même prêter attention à ce que faisait son voisin. Son corps maladroit était un fardeau pour son cerveau développé... Ce décalage le déchirait en deux, il se sentait anormal, il se sentait mal à l'aise dans ce corps dérangeant, trop grand, trop voyant et démesurément maladroit. C'était lui, ce corps ignoble, qui avait déçu en premier son père en ne sachant pas tenir une batte de baseball correctement. C'était lui encore qui l'empêchait de se terrer loin des regards persécuteurs... C'était lui, enfin, qui le retenait ici.

Spencer soupira et redescendit un peu sur ce sol carrelé et aussi froid que ses mornes pensées. Il posa son léger sac de sport sur la banquette en bois et tenta de s'incruster dans le coin le plus sombre et le plus reculé de la pièce. Il était en avance sur les autres, ne voulant pas sentir encore une fois leur unique regard de bête curieuse sur son corps encore si peu développé. Il était visiblement imberbe et dénué du moindre muscle... Et cela amusait grandement les hommes avec lesquels il était obligé de s'entraîner un peu.

Il se mordit un peu la lèvre, regrettant de ne pas avoir tenté l'émancipation... Avant dix-huit ans et tant que la scolarisation continuait, chaque individu était obligé de s'adonner à deux longues et pénibles heures de sport... Même en étant à l'université.

Fébrile, il retira son t-shirt et ignora les côtes saillantes qui ceignaient son torse pour en enfiler un autre... Il commença à détacher sa braguette lorsqu'il entendit une dizaines de pas s'approcher avec un brouillard indistinct de paroles et de blagues peu évoluées.

En tremblant, il enleva en vitesse son pantalon et enfila un short. La porte s'ouvrit sur une dizaine de mâles dominants. Spencer s'assit dans son coin en priant pour qu'ils ne s'intéressent pas trop à lui. Parfois, il avait le droit à la tranquillité. Mais souvent, il devait supporter leurs critiques, leurs regards malsains sur lui - sur ce corps tant détesté -, leurs blagues stupides et blessantes...

Il baissa la tête et les observa se déshabiller du coin de l'œil, caché par une mèche de cheveux. Ils étaient tous musclés, beaux, imposants, bien proportionnés, poilus... Il grimaça un peu en revoyant le reflet que lui avait encore renvoyé le miroir ce matin. Non, décidément, il était anormal.

Tout se passa dans le plus grand calme : l'un des sportifs racontait ses dernières conquêtes avec des détails à faire rougir Spencer, toujours mal à l'aise face à ce genre de commentaires. Il était en train de se demander comment ces types, nullement obligés, se faisaient souffrir avec ce cours affligeant d'inutilité quand la porte grinça de nouveau pour faire place à l'entraîneur.

Il était grand et viril. Un collier de barbe remplaçait les cheveux qu'il aurait dû porter sur son crâne rasé de près. Son regard était dur, ses gestes puissants, sa démarche imposante... et son t-shirt moulant masquait mal les kilos de muscle qu'il renfermait.

Spencer le lâcha des yeux et se leva à la suite des autres, sans un mot, se sentant affreusement décalé. Ca le frustrait de voir que la nature pouvait être aussi inégalitaire. Il aurait bien vendu un peu de son intelligence pour avoir un peu plus de muscles. Et ces types auraient bien eu besoin d'un QI plus élevé. Il soupira à nouveau et gratta anxieusement son cou encore rouge de l'agression qu'il avait subie le jour d'avant... Les mots que prononça l'entraîneur finirent de l'achever :

-Aujourd'hui, les gars, on va faire du football américain...

L'entraîneur le haïssait. Il le savait à son regard moqueur qui glissait sur son t-shirt trop petit et d'un gris sale... Il savait également qu'il n'avait pas le physique pour un sport aussi violent...

Il fut presque déjà broyé dans la cohue généralement qui suivit cette annonce, poussé entre des torses bombés de joie. Ils voulaient tous se taper dessus, se bourrer dedans comme des animaux. L'entraîneur beugla comme un vieux clairon pour qu'ils se calment tandis que Spencer frottait déjà ses membres endoloris par ces contacts bestiaux.

-LES GARS ! ON SE CALME SINON CE SONT DES POMPES ! GO, GO, GO SUR LE TERRAIN !

Il fut propulsé sur le terrain sans vraiment le vouloir et reçut tout le long du cours des coups peu justifiés, des plaquages consécutifs sans qu'il ait la balle en main et sans que l'entraîneur ne réagisse. S'il n'avait pas eu aussi peur de se casser la main, il aurait bien frappé l'un de ces grands abrutis pour qu'on le sorte de ce « jeu ».

Tantôt brutalement poussé dans la boue, tantôt frappé à la mâchoire ou dans des parties plus douloureuses du corps, il chancelait sur l'herbe sans pouvoir toucher le cuir de la balle. La fin approchait lentement quand l'entraîneur l'appela à lui.

-Hé ! L'avorton ! Tu te prends pour quoi ? T'APPELLES CA JOUER?

Il sentit encore des larmes d'angoisse monter dans ses yeux devant la violence du ton employé et secoua la tête sans répondre. Le type l'empoigna et se mit à le secouer violemment.

-TU REPONDS ?!

Spencer sentit ses dents s'entrechoquer sous la brutalité de la bousculade.

-Dé... désolé...

L'entraîneur le lâcha enfin sous les ricanements des sportifs.

-Tu vas me faire cinq tours de terrain et que ça saute !

Spencer lui lança un regard désemparé : le cours allait bientôt être fini... En général, il arrivait à s'éclipser vite et à prendre une douche avant que les autres ne viennent se vautrer comme des porcs dans la salle carrelée. Il se mordit la lèvre et reçut une tape sur la tête.

-J'AI DIT : « ET QUE CA SAUTE ! »

Il se mit alors à détaler sur le terrain, espérant en finir très vite, les larmes aux yeux. S'ils rentraient avant lui dans le vestiaire, il n'osait pas imaginer ce qu'il adviendrait de ses affaires... Et puis, que ferait-il dans les douches, entouré de mâles fiers de s'exhiber à la vue de tous ? Il se sentait glacé. Il était couvert de boue et savait pertinemment que s'il essayait d'éviter la douche et que le coach le voyait, il le forcerait à la prendre devant lui et le reste de l'équipe de sport.

Des larmes coupaient ses joues. Il était déjà essoufflé et mort de fatigue après le premier tour. Les autres jouaient toujours. Il avait peut-être une chance... Il continua à courir en n'écoutant pas les moqueries des autres et de l'entraîneur qui le voyaient courir comme une femmelette, en sautillant légèrement avec la raideur d'un bâton chevauchant un ressort. Deux tours. Il ralentit un peu, sentant la nausée le submerger.

-FEIGNASSE ! LARVE IGNOBLE ! TU NE RESSEMBLERAS JAMAIS A RIEN SI TU NE POUSSES PAS TOUT CA ! RATE ! SI TU NE COURS PAS PLUS VITE, JE TE FORCE A FAIRE VINGT POMPES APRES !

Les paroles du coach le blessaient toujours autant... Et la menace le poussa à nouveau à courir plus vite. Son cœur et ses poumons étaient douloureux, ses jambes maigres tremblaient sous son poids pourtant léger. Les autres le huaient. La rage, le désespoir et la honte faisaient tressauter ses épaules et exacerbaient les rires qui s'élevaient des spectateurs. Trois tours. Il était à bout de souffle et à bout de force.

Il trébucha et s'étala sur l'herbe humide. Les moqueries fusèrent encore tandis que l'entraîneur lui hurlait des insultes qu'il ne comprenait même plus tellement son cerveau se fixait sur la honte qu'il subissait. Il se releva et continua encore. Son corps rachitique et mal coordonné ne l'aidait pas dans sa course. Quatre tours. Il vit le coach renvoyer à contrecœur ses protégés.

La gorge de Spencer se serra à ce spectacle, devant cette file qui portait un unique sourire railleur. Il s'attendait au pire après le cours. Il finit par arriver au bout du cinquième tour dans un état alarmant. Sa respiration était sifflante, son estomac remontait à ses lèvres et son corps tremblait de manière incontrôlable.

-NUL ! TU ES NUL ! DECEVANT ! TU NE RESSEMBLES A RIEN ! AUCUN EFFORT ! AUCUN !

Il laissa aller ses larmes devant de telles accusations... mais qu'en pouvait-il si la nature l'avait desservi au niveau musculaire ?

-VA DANS DES DOUCHES ! TU PUES LE CHIEN MOUILLE !

Ne pouvait-il donc jamais arrêter d'hurler ? Spencer trottina péniblement loin de l'immonde pelouse. A côté des quatre heures intensives de mathématiques avancées de la matinée, ces deux heures de sport avaient été difficiles à suivre. Un calvaire. Le jeudi était normalement le seul jour où il n'avait pas cours avec Rudy, son persécuteur attitré, et où il se croyait plus ou moins tranquille...

Mais le sport gâchait cette unique journée de répit. Il poussa la porte du vestiaire et remarqua que les garçons l'attendaient avec des moues narquoises.

-Alors Spencer... On n'a pas appris à courir ? C'est parce que tu n'avais pas jupes de ta mère, peut-être.

Il ne répondit pas et baissa la tête. Entendre le mot « mère » dans leur bouche avait quelque chose d'insultant.

-Tu prends ta douche avec nous Spencer ? Pour voir à quoi ça ressemble, un homme ? T'en as jamais vu, pas vrai ?

Le garçon serra violemment les poings et ne répondit pas. Il commençait vraiment à vouloir sauter la case « douche » avant de rentrer chez lui quand des mains calleuses se posèrent sur ses frêles épaules et le tirèrent en arrière.

-La douche est obligatoire, Spencer !

Ils riaient tous. Le garçon commença à se débattre, paniqué par toutes ses mains qui le tâtaient et le déshabillaient. Il poussait des gémissements aigus et ridicules. Il se trouva très vite complètement nu à la vue de tous. Ils poussèrent alors de longs rires sardoniques en le détaillant tandis que le jeune garçon tentait de se cacher derrière des mains arrivées tardivement.

-On comprend pourquoi t'as pas de copine.... et pourquoi tu cries comme une fille... Putain... Fait pas si froid pour qu'elle soit de cette taille...

La gêne rosit violement ses joues couvertes de larmes de honte. Ils le poussèrent dans la douche tout en l'insultant et en commentant son corps décharné et imberbe.

La douleur était cuisante et la brûlure de leurs doigts sur sa peau nue lui faisait mal. Moralement. L'eau chaude coulait sur son corps sale, mais n'effaçait que la boue.

Ils sortirent, goguenards, et se déshabillèrent à leur tour. Ils le hélèrent tandis qu'il s'était recroqueville comme une bête mortellement blessée dans le coin des douches. Ils comparaient leurs sexes au sien, leurs corps musclés à son physique scrofuleux, leur pilosité à son absurde manque de poils. Il tremblait de honte sous l'eau froide, assis sur le sol, les mains sur le visage autant pour ne pas voir de ses yeux à quel point ils avaient raison, que pour cacher ses larmes. Ils finirent par se lasser et sortirent des douches en l'y laissant, brisé et plié de douleur devant tant d'injustice.

Il se haïssait plus que tout. Il aurait voulu effacer ce corps, le raturer, le brûler, l'enterrer. Entre lui, qui lui apportait des humiliations en sport et son intelligence qui était l'objet de jalousie mal dissimulée et comblée par des brimades constantes, il souffrait énormément.

Il laissa le silence envahir le bâtiment avant d'oser sortir. Il se traîna doucement jusqu'aux vestiaires et remarqua que ses affaires étaient étalées partout... Que son caleçon baignait dans l'évier rempli, que son t-shirt trônait dans la poubelle, que ses chaussures étaient accrochées par les lacets à la lampe et que son pantalon avait était piétiné.

Il ne pouvait pas comprendre toute cette haine... N'était-ce pas lui, le désavantagé ? Celui qui aurait besoin de se venger des autres ? Désemparé, il repêcha son caleçon, le tordit et le mit dans son sac de sport qui portait le sigle d'une marque de céréales. Il était pathétique, nu, frigorifié, couvert de bleus et de marques étranges, les yeux bouffis d'avoir trop pleuré. Il enfila son pantalon pour cacher l'objet de sa honte, cette chose que ces garçons semblaient si fiers de porter, qu'ils mettaient toujours en avant, qu'ils dessinaient partout comme un signe de ralliement universel. Ca le dégoûtait.

La sensation du jeans directement contre sa peau était plutôt désagréable. Il enfila ensuite son t-shirt après l'avoir examiné au préalable, dans la crainte de trouver un dernier cadeau de ses persécuteurs. Mais ils n'avaient fait que le mettre dans la poubelle.

Le garçon prit son sac après avoir soigneusement plié ses affaires et les avoir mises dedans. Il sortit de la pièce et éteignit la lampe. Ses jambes lui faisaient mal... Et il lui restait encore quelques kilomètres à faire avant d'arriver chez lui.


Penchée sur la table croulante, le regard fuyant de l'horloge à la porte, elle attendait avec inquiétude. Enfin un déclic et un grincement familiers rompirent le lourd silence. La femme leva sa tête perchée sur un cou chétif et qui semblait trop fin pour supporter son visage nerveusement parcouru de tics.

-Spencer ?

Elle vit son ange apparaître enfin dans l'embrasure de la porte, il lui sourit un peu. Elle sentait pourtant que cet éclat de joie sonnait faux... Elle le sentait. Les mères savent.

-Salut, maman...

Il arriva enfin vers elle et l'embrassa délicatement sur son front. Elle pouvait presque sentir son chagrin aussi grand que son cœur était lourd, pendre à son cou et l'étouffer à chaque mot.

-Pourquoi es-tu en retard ?

Elle était plutôt lucide, pour une fois. Il eut l'air un peu surpris et finit par répondre simplement :

-J'étais avec des amis, tu sais...

Une bouffé de joie la transporta. Des amis. Son fils en avait toujours cruellement manqué... Chose incompréhensible aux yeux d'une mère qui le voyait comme la perfection incarnée... Son fils était intelligent, beau et gentil...

-Vraiment ? Tu les amèneras à la maison ? Je veux les voir...

Elle était trop heureuse pour douter de la véracité des propos. Elle en avait même oublié l'air triste de son fils qui s'était effacé pour faire place à un petit sourire.

-Oui... mais on est fort occupé pour le moment... Un jour, oui...

Elle se leva enfin et se dirigea vers la vieille commode, fouillant frénétiquement les tiroirs.

-Que fais-tu ?

Elle continua à retourner le tiroir, nerveusement.

-Je cherche la recette des petits gâteaux que tu aimais tant quand tu étais petit... J'en ferai pour tes amis...

Le dos tourné, elle ne put voir les larmes monter brutalement dans les yeux de son fils qui s'éclipsa en silence de la pièce, sa peine ne pouvant pas supporter de voir la fausse joie qu'il avait semé dans le cœur de la seule personne qui l'aimait.

A suivre...

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