La Princesse de This

Chapitre 5 : ~ 5 ~

2303 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/06/2021 17:12

Les villages passèrent et Layla survivait. Toujours sans aucune nouvelle de son amie, celle-ci était devenue plus forte et plus courageuse que beaucoup d’autres citoyens du royaume. Toujours elle était accueillie comme une demi-déesse, pour certains habitants sa présence était le signe qu’il fallait devenir plus pieux, pour d’autres celui de faire une immense fête.

Mais Layla était inquiète, les rumeurs à propos du règne de Teremun n’allaient pas en s’arrangeant, l’état physique et mental des villageois qu’elle voyait semblait toujours plus bas. Certains l’appelaient le tyran, d’autre le diable en personne. Comme petite révolte, ils décidèrent presque tous de l’appeler reine alors même qu’elle n’avait pas été couronnée. « Vous êtes la reine de nos cœurs », disaient-ils. Et Layla se forçait de leur apporter un peu de soutien et d’amour. Le peu qu’ils puissent avoir.

Sa marche divine était à son goût beaucoup trop lente. Non pas qu’elle veuille être reine plus rapidement, mais elle voulait à tout prix cesser ces atrocités et cette cruauté qu’exerçait son oncle sur son pays. Parce que oui, Layla l’avait compris au cours de ses trois années de marche divine, c’était son pays. Elle était la mère de ce grand peuple.

À présent Layla avait vingt ans. À son âge elle aurait pu être mère, comme la sienne l’avait été à dix-huit ans. Pourtant elle continuait d’errer dans ce désert sec et aride en se remémorant sans cesse les paroles de son père. « Surtout n’arrête pas ta marche divine sur des dire, reviens que lorsque tu es pure. » Comment savoir qu’elle était pure ? Beaucoup de prêtresses des nombreux villages qu’elle avait traversés lui avait dit que tant qu’elle se demandait si elle était pure, c’est qu’elle ne l’était pas. Que le jour où elle le sera, elle le sentira en elle. Et ce jour-là elle allait pouvoir détruire la tyrannie, mais qu’il ne fallait surtout pas se précipiter, au risque de voir les dieux l’abandonner pour son oncle.

L’une des prêtresses lui avait dit une chose qui l’avait marqué : « Les dieux nous ont fait à leur image, imparfaits. Même eux peuvent prendre les mauvaises décisions, suivre les mauvais rois. Ne les laisse pas fauter. Prouve-leur continuellement que tu es la reine faite pour ce pays. Que This vit en toi et que toi seule est digne de le gouverner. Ne les laisse pas douter. »

 

À plusieurs reprises elle avait fait des rencontres qui l’avaient marqué. Layla avait ainsi parlé à une femme qui ne voulait pas d’enfant sous le régime de Teremun ; à un homme qui, pour nourrir un peu plus son village, avait créé un souterrain cultivable, à l’abris des regards des demandeurs d’impôts ; à un enfant ainé qui devait travailler pour faire vivre ses cadets et cadettes… Le peuple de This était certes silencieux et peu emprunt à se battre contre la tyrannie, mais la révolte résonnait telle une course de bœufs au fond d’un désert, la désolation créait l’union. Et toujours restait l’espoir.

Personne ne demandait à Layla d’avancer plus vite pour atténuer leur calvaire, personne ne lui demandait plus qu’elle ne pouvait. Tous étaient conscients qu’elle ne restait qu’une humaine au service des dieux. La colère du peuple ne se tournait donc jamais contre la reine légitime. Mais l’espoir qu’ils plaçaient en elle mettait à Layla une énorme pression. Elle cherchait donc à apprendre des plus sages, à comprendre les plus démunis, à observer les plus braves. Layla voulait garder en elle un peu de chaque habitant de This.

 

Mais la plus forte rencontre qu’elle fit, fut à Memphis. Memphis était une ville quasiment aussi grande que This. Elle en avait entendu parler quand elle était jeune. Son père avait dit que si Memphis sombrait, le pays entier sombrait. C’était la porte et les remparts du pays. Si Layla avait adoré Babylone et sa vie douce, elle y avait détesté l’Ensi, le gouverneur de la ville, qu’elle supposait être un soutien de Teremun.

À Memphis la vie était très différente, comme si elle était dans un autre pays. Les habitants n’étaient que très peu inquiétés des agissements de Teremun, qui n’avait certainement pas autant suivi les leçons qu’il avait reçu avec Mosegi étant jeune. À Memphis, les habitants l’avaient à peine reconnue, et pour une rare fois, elle avait eu l’impression de n’être qu’une simple voyageuse de passage. Pourtant c’est dans cette ville qu’elle fit sa plus longue halte. Elle y avait en effet passé six mois. Au cours de ces six mois, elle avait vécu chez l’Ensi de la ville. Abram était un ancien ami de Mosegi. Lorsqu’elle était plus jeune, Layla l’avait rencontré au cours des réunions annuelles rassemblant tous les Ensi autour du roi. Abram était très peu tourné vers la religion, mais il avait des valeurs si nobles que cette absence de foi était pardonnable.

Abram avait un fils unique, Osiris. Tout comme Layla celui-ci n’avait jamais connu sa mère, tout comme Layla il savait qu’à la mort de son père, il devait prendre le rôle d’Ensi de Memphis.

Si ce sont les mains travailleuses de Valerya qui avaient charmé Mosegi, ce qui avait charmé Layla chez Osiris était son agilité. En effet, deux fois par jour Osiris s’entrainait au combat de sabre. Il avait un maitre qu’il avait largement dépassé. Ce maitre ne servait à présent que de cible mouvante d’entrainement. Le soleil brulant ne semblait pas le gêner. Jour après jour, il suivait avec une assiduité parfaite chacun de ses entrainements. Une fois Layla s’approcha un peu plus. Jamais encore elle n’avait parlé avec Osiris, jamais encore elle n’avait croisé son regard. Puis soudain, dans un mouvement hâtif de combat il se retourna et dirigea brutalement, dangereusement, son sabre vers la princesse. Se rendant compte de son erreur, il planta le sabre dans le sol et s’agenouilla dans un geste fluide et rapide.

- Toutes mes excuses, princesse, je ne vous avais pas vu.

- Ce n’est ri…

- Si je peux faire quelque chose pour me faire pardonner, je le ferai !

Il leva finalement les yeux vers une princesse amusée par son désarroi et troublée par son regard si vert. Ce regard lui rappelait celui de son père. Soudain, une idée lui vint.

- J’ai quelque chose, en effet, que je pourrais vous demander…

- Tout ce que vous voulez !

- Apprenez-moi à manier le sabre !

- Excusez-moi, princesse, mais quelle serait la raison pour laquelle vous auriez de vous défendre seule. Vous avez en effet une armée qui vous attend.

- Je pensais que vous feriez ce que je veux.

Osiris resta bouche bée. Elle prit alors le sabre qu’il avait planté dans le sol et en jugea son poids. Dans un geste brusque et peu contrôlé elle tendit le bras et se mit dans une posture qu’elle voulait de combat. Osiris ricana alors doucement. Il se redressa, posa une main à l’arrière de son dos, une autre sur son bras tendu et corrigea sa position.

- Ainsi, vous aurez moins d’ouvertures. Mais votre prise, princesse, n’est, elle non plus, pas correcte.

- C’est, à vrai dire, la première fois que je tiens un sabre, et appelez-moi Layla, je suis votre élève après tout.

- Dans ce cas, Layla, en tant que maitre, je souhaite que tu m’appelles Osiris.

- Très bien, Osiris. Apprends-moi à effrayer et vaincre mon oncle.

 

Pendant une heure Layla s’était entrainée. Enfin, elle avait surtout appris à tenir une telle arme. Rien que cela n’était pas chose aisée. Osiris ne l’avait, de son côté, pas facilité la tâche. Il avait compris que la princesse ne voulait pas être félicitée ou complimentée juste parce qu’elle avait accompli correctement un geste. Non, elle voulait qu’il soit ferme et juste. À vrai dire, Layla s’était surprise à le comparer à Madame Palm. Elle qui disait toujours « Ce n’est pas parce que vous êtes une princesse, que vous devez vous comporter comme telle. Il n’y aura aucun traitement de faveur, et vous mangerez ce que les cuisiniers ont fait pour vous avec amour. »

Le soir, la fatigue la prit si violemment qu’elle n’entendit pas quand Osiris toqua à sa porte. Celui-ci s’autorisa tout de même l’entrée. Layla était assise sur le rebord de la fenêtre et observait la vie nocturne de Memphis.

- Voulez-vous m’accompagner en ville ?

- Qu’est-ce qui s’y passe ?

- Ce sont les célébrations pour le dieu de notre ville, Dedwen. Je crois avoir compris que vous êtes pratiquante.

- En effet, mon père m’a transmis sa foi. Je crois comprendre que le vôtre vous a transmis son athéisme.

- Oh mais il n’est pas athée, il suppose juste que si les dieux voulaient vraiment agir sur notre vie, ils le feraient sans don ou prière de notre part. Et l’arrivée de votre oncle au pouvoir ne fait que renforcer cette croyance. Croyance que je partage en effet. Donc je suppose que vous avez raison. Il m’a transmis sa vision de la religion. Je réitère ma question : voulez-vous m’accompagner en ville ?

 

Layla observait le culte se faire. Deux jeunes femmes étaient entourées des autres croyants. Elles étaient debout alors que les autres étaient en position de soumission. Layla connaissait ce rôle parfaitement. En effet, trois années de suite, elle avait été à la place de ces deux jeunes femmes. Le dieu n’était pas le même, mais la pratique restait identique.

 

« Père, dîtes-moi, les dieux peuvent-ils tout faire ?

- Ça, mon enfant, je n’en sais rien. »

 

L’agneau sacrifié fut pleuré par ces jeunes filles. De longues minutes, elles demandèrent au dieu Dedwen de l’accueillir comme un fils près de lui. Qu’il était une offrande pour la protection du reste des troupeaux, des habitants. C’est alors qu’une voix enchanteresse s’éleva. La prêtresse de la ville entonna des paroles magiques à l’intention du dieu. Dedwen apportait richesses au peuple nubien et bonheur aux nouveaux nés. Chacun de ces nouveaux nés furent donc présentés au cours de la nuit.

Layla trouvait la religion si prenante. Elle vivait de plein cœur toute la cérémonie. Osiris, lui, observait respectueusement la croyance des autres agir. Dedwen n’était pour lui qu’un simple faucon sur une image. Il enviait les habitant de This et leur dieu Khonsou, dieu de la Lune. Il éclairait les nuits pour faire face aux démons, il divise le temps.

- Princesse, quel est ce poème sur votre Dieu ?

- Celui sur la lune ?

- Oui celui qui parle du mois.

- Au début du mois pour briller sur le pays,

Des cornes tu montreras pour déterminer six jours,

Au septième jour divise en deux la couronne,

Au quatorzième jour, tu te placeras face au Soleil...

Mon père la récitait souvent quand il réussissait à se libérer pour mon coucher.

- Dites, princesse, comment expliquez-vous que le règne de Teremun soit accepté de vos dieux ?

- Ces dieux sont les vôtres aussi, Osiris.

- Peut-être, mais s’ils sont censés apporter bonheur et paix à tous les croyants, pourquoi leur imposé un tel roi ?

- Les dieux nous mettent à l’épreuve. Toi et ton père m’accueillez pendant ma marche divine, celle-ci est pour moi pleines d’épreuves. La perte d’Halima, l’affront des Ensis qui soutiennent mon oncle, les traversées de déserts… tout cela est une mise à l’épreuve. Ils testent ma foi. Et quand je serai presque pure, je devrai affronter mon oncle. Ce sera l’ultime épreuve. Seulement là, je verrai le choix des dieux. Les dieux ont souvent raison. Leurs décisions sont souvent justes. Et s’ils décident que je ne suis pas digne d’être la reine du royaume de This, c’est que je n’apporterai que désolation et détresse.

- Mais c’est déjà ce qu’apporte votre oncle !

- Peut-être serai-je pire ! Ou peut-être est-ce seulement un mal entendu ! Qu’il n’a pas su s’entourer des bonnes personnes ! Il faut être patient, Osiris, la justice divine a toujours lieu.

- Je ne partage pas votre pensée, princesse.

- Parce que vous n’avez pas été assez au contact du peuple. J’ai grandi en allant à l’école de This, je n’ai pas reçu les enseignements privés habituels. Ma meilleure amie est fille de marchand de tapis. J’ai rencontré plus de personnes pauvres que de riches au cours de ma vie. Ouvrez-vous au peuple et vous comprendrez que les dieux sont parmi nous.

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