La Princesse de This

Chapitre 10 : Succession

Chapitre final

2732 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/10/2021 13:25

La chaleur humide la réveilla tôt ce matin-là. Dix jours après la mort du dernier roi de This, la pluie avait enfin cessé. Râ pointait à présent ses rayons sur la capitale, tandis que Nanna savourait un repos mérité. Dans le palais, tout était calme, les gardes de nuit avaient dû s’assoupir et ceux de la journée n’étaient pas encore arrivés. Layla se retourna dans son grand lit, celui de son enfance. C’était la première fois qu’elle le partageait avec quelqu’un. Un sourire apparut sur les lèvres de la jeune femme en voyant Osiris dormir paisiblement, un filet de bave coulant sur l’oreiller moelleux.

Qu’est-ce qu’elle avait chaud sous ses draps ! La femme encore officiellement princesse se leva, nue comme un ver et se dirigea vers la fenêtre de sa chambre. Soudain, son souffle fut court. La vue était saisissante ! Elle ignorait, jusqu’à cet instant-là, que les jardins lui avaient tant manqué. Alors qu’elle s’avançait encore, jusqu’à la balustrade, les larmes envahirent ses grands yeux bleus. Elle était enfin chez elle ! Il lui en avait fallu du temps pour le comprendre.

Dans le jardin, un homme marchait sous les rosiers.

- Papa ! le héla-t-elle.

L’homme ne se retourna pas, en regardant mieux, Layla réalisa qu’il ne s’agissait que d’Amon, l’Ensi de Nippur qui avait pour habitude de se promener au lever de Râ. Rien à voir avec Mosegi, si ce n’est l’âge. Une pointe de nostalgie effaça doucement la plénitude qu’elle avait ressenti jusqu’à présent. Elle n’était pas réellement chez elle. Tout ce qui avait fait son berceau avait disparu : son père et son oncle avaient rejoint le royaume des dieux, l’état de santé de madame Palm s’était dégradé au même rythme que disparaissait l’ancienne ère, la joie enfantine d’Halima et de Pili avait laissé place à une amertume, la capitale était complètement détruite.

Osiris grogna dans son dos, balayant ses regrets et ses remords. En le regardant, elle réalisa qu’il était son nouveau chez elle. Memphis allait leur manquer, mais leur futur devait se faire à This. Peut-être iront-ils rendre visite à Abram une fois qu’elle sera devenue pharaonne lors de la tournée du royaume ?

Quelqu’un frappa doucement à la porte de sa chambre, Layla s’enroula dans un riche tissu bleu clair et alla ouvrir à une Halima tremblante.

- Pili ? demanda Layla immédiatement.

L’homme, bien que pardonné des dieux, était devenu le bouc-émissaire des habitants de la capitale, chacun voyait en lui le symbole des douloureuses années passées sous le règne de Teremun II. Si Pili semblait accepter cette colère, Halima la supportait difficilement. Layla ne comprenait pas pourquoi les dieux poussaient le peuple de This à cette vengeance. Ils avaient sauvé Pili ! Et Halima avait déjà suffisamment souffert, pourquoi lui imposer plus amples douleurs ?

- Ils nous ont réveillé tôt ce matin et ont brûlé notre habitat. Pili est en train de voir avec son père si on peut vivre chez lui quelques temps… Cependant, Layla, je n’en peux plus, je suis épuisée. Quand nous laisseront ils tranquilles ?

- Je crois avoir une solution, débuta la voix rauque d’Osiris qui venait de se réveiller. Allez à Memphis. Mon père vous y accueillera et puis avec la traversée du désert le peuple de notre ville vous acceptera forcément, nous sommes toujours admiratifs des survivants. De plus, à Memphis, personne n’a ressenti la tyrannie. On ne vous reprochera pas d’y avoir joué un rôle. Et, j’ai une autre idée, mais je ne peux pas décider seul.

- Quelle est-elle ?

- Si, une fois pharaonne, tu promulgues Halima Ensi de Memphis, alors mon père pourra enfin se reposer.

- Ensi de Memphis ? répéta Halima, surprise par cette proposition.

- Je crois que mon père n’attend que de transmettre ses pouvoirs à quelqu’un. Bien sûr, à vos débuts, il vous aidera, vous formera, mais je pense que vous avez les épaules pour, Halima.

- Je suis d’accord, ajouta Layla, tu es la femme la plus forte que j’ai pu rencontrer. Attendez demain, aussitôt couronnée je t’enverrai effectuer ta mission à Memphis avec Pili. Je sais que vous saurez porter ma voix là-bas. Et puis je ne peux décemment pas être la seule femme au pouvoir…

Halima courba l’échine, les épaules tremblantes. Layla la redressa, l’enlaça.

- À présent, je vais te demander de l’aide, demain sera la journée que j’ai toujours tant redoutée. J’ai besoin de ma meilleure amie à mes côtés.

- Très bien, j’ai compris, déclara rapidement Osiris en sortant du lit, nu et provoquant la gêne d’Halima, je vais annoncer tout ça à Pili. Bon courage avec Layla, Halima.


~


« Père, dîtes-moi, qu’avez-vous ressenti le jour de votre couronnement ?

- Tu ne veux pas savoir, ma douce fille. »


Le lendemain, tout le palais est en ébullition. Osiris, qui n’avait jamais cru devenir le futur époux d’une cheffe d’Etat, n’avait jamais suivi une formation à ce jour. Jamais il n’avait appris où se mettre, quand se préparer, et surtout comment aider Layla à surmonter le stress de cette journée. Cette nuit-là, aucun d’eux n’avait réussi à trouver le sommeil, mais ils n’avaient pas échangé un mot.

À présent, l’homme avait enfilé la tenue qu’on lui ordonnait de mettre pour l’occasion, une toge, une coiffe et une femme l’avait maquillé. Si toute cette mascarade lui paraissait superficielle, ce n’était rien à comparer avec celle que Layla devait supporter. Elle venait d’enfiler sa robe d’un lin hors paire lorsqu’il la rejoignit dans la salle où on l’habillait. Malgré le stress, quand elle le vit arriver, elle lui décocha un tendre sourire.

- L’avantage avec mes yeux cernés, c’est qu’on n’a pas trop besoin de les noircir, tenta-t-elle d’ironiser.

- Comment tu te sens ?

- Comme si mon père ne m’avait jamais rien enseigné sur ce moment.

- Voyons, tu exagères ! Toi qui encenses toujours Mosegi, te voilà à le critiquer.

- J’adorais mon père, mais c’était un très mauvais prédécesseur. Je suis certaine de plus avoir appris avec Teremun qu’avec lui. Ces réponses étaient toujours floues : « je n’en sais rien », « tu le verras au moment voulu », « tu le découvriras par toi-même » …

Une habilleuse la tourna d’un quart et Layla fit enfin face à Osiris. Son visage était crispé, tous ses muscles semblaient tendus. Sa perruque, pas encore ordonnée, ondulait le long de son corps, les mèches les plus courtes atteignant le creux de ses reins. Osiris aimait ses courbes. Avec la traversée du désert et les entrainements au maniement du sabre, ses muscles avaient été mis à rude épreuve et commençaient à saillir sa peau.

Alors qu’on la couvrait de nombreuses étoffes toujours plus onéreuses, Osiris apercevait les lèvres de la jeune femme bouger au rythme de ses répétitions de son discours. Pour l’apaiser, il prit sa main marquée de henné fait la veille représentant dieux et déesses protecteurs. Soudain, Osiris eut une idée. Peut-être que cela n’allait pas être bien perçu par les habilleuses, mais après tout pourquoi pas ? Les soldats le faisaient bien pour montrer fidélité au roi ou à l’Ensi… Osiris avait envie de montrer fidélité à celle qui avait tout changé dans sa vie, à celle qui l’avait colorisé, qui lui en avait donné un sens. Alors qu’on débutait la mise en beauté de celle qu’il aimait, il mit un genou à terre tenant toujours sa main parfaitement manucurée.

- Osi…

- Chut, laisse-moi improviser.

Layla rit alors pour la première fois de la journée, déstabilisée.

- Layla, quand tu es arrivée à Memphis, tu n’étais qu’une enfant perdue, orpheline. Pendant les deux années passées à tes côtés, je t’ai vu devenir la femme que j’ai admiré, que je suivrai les yeux fermés, en qui je donnerai toute ma confiance. Je sais que c’est égoïste de ma part, mais si j’accepte de partager la future Layla I avec un royaume entier, je veux garder pour moi uniquement Layla. Je veux t’épouser, évoluer à tes côtés, vieillir dans ton ombre, mourir pour ta personne. Veux-tu faire de moi le plus fidèle de tes hommes ?

- Oh. Je vois, tu veux faire de moi ton Isis.

- J’adore cette image, on dit d’Osiris et d’Isis qu’ils sont des souverains fous amoureux et adorés de leur peuple.

- Je crois que pour la première fois de ma vie je souhaite surpasser nos dieux…

- Ce qui veut dire ? questionna Osiris, perdu et anxieux de ne toujours pas connaître la réponse de sa bien-aimée.

- Que je souhaite que notre couple soit encore plus culte que celui d’Osiris et Isis… Que j’accepte ta requête. Que je souhaite moi aussi être ta femme !

Alors qu’ils se souriaient bêtement sans pouvoir se toucher dû à l’habillage, Osiris senti sa future pharaonne et surtout sa future femme se détendre. Le moment avait finalement bien été choisi.


~


Les mains entrelacées devant elle, Layla attendait seule. Sa perruque pesait lourd, son maquillage empêchait sa peau de respirer, elle aurait aimé retirer toutes ses couches de vêtements qui l’étouffait. La panique montait peu à peu en elle et plus les secondes s’écoulèrent, moins elle se sentait prête à la tâche que lui confiait les dieux. Alors qu’elle n’arrivait plus à former des pensées claires, son regard se posa sur les représentations des anciens souverains du royaume de This, les souverains d’une ère qu’elle allait clore une fois pour toute. C’était comme si les monarques accrochés aux murs l’observèrent. Même Teremun II s’y trouvait. Layla avait protégé cette représentation du tyran en argumentant qu’on ne pouvait effacer un drame en retirant une peinture, mais empêcher qu’il se répète en l’assumant. Teremun II était donc le dernier monarque sur ce mur.

Longuement cependant elle avait évité de regarder la représentation du prédécesseur du tyran. Quand la future pharaonne daigna enfin se retourner vers Mosegi III, une angoisse encore plus forte qu’auparavant survint en elle.

Si le portrait représentant son père avait été peint à l’aide des plus belles couleurs qui existent sur cette planète, Layla trouvait cependant qu’il ne rendait pas un bel hommage à l’homme de ses souvenirs, ni même à sa grandeur. Layla l’avait toujours encensé, mais avec l’âge elle avait pris conscience de ses manques et de ses défauts. Elle savait qu’elle ne devait pas marcher dans ses pas. Ses yeux, plus matures et plus expérimentés, voyaient, à présent, ce que ses yeux d’enfant avaient ignoré. Mosegi III, bien qu’étant l’un des rois les plus aimés de cette monarchie et bien qu’étant un travailleur acharné, voulant faire le plus de bien autour de lui ne savait absolument pas gérer un royaume. Il avait tout laissé aux mains d’Ensis qu’il n’avait pas choisis et qui étaient avides de pouvoir et avares d’amour du peuple. Ces Ensis géraient les petites provinces de This alors qu’ils ne s’y trouvaient même pas, rendant la capitale bien trop puissante par rapport au reste du royaume. Layla, au cours de sa marche divine, avait vu la pauvreté avant même que Teremun ne l’accentue. Le tyran n’était pas responsable de toutes les douleurs du royaume.

Alors que Layla réfléchissait à comment devenir une pharaonne juste, aimée à la fois du peuple et des dieux tout en restant à l’écoute de toutes les réclamations, les portes de la salle du trône s’ouvrirent enfin. Un souvenir d’une discussion avec son père revint alors :

« Père, quand je serai reine, je serai exactement comme vous !

- Oh non, Layla, j’espère que vous serez bien mieux que votre pitoyable père »

« Je l’espère aussi, papa. »


~


Ce jour-là, dans la capitale du royaume de This, tout le monde était unanime sur un fait : Layla était magnifique. Plus que cela, elle était divinement belle. Halima entendit les plus âgés la comparer avec Valerya, qui des années après sa mort, faisait toujours parler d’elle par sa splendeur.

Osiris, qui avait précédé sa bien-aimée de quelques minutes, n’avait pas été en reste. Halima était heureuse de savoir que son amie avait trouvé un homme à sa hauteur, mais qui ne lui faisait pas d’ombre. Layla avait déjà été trop souvent dans le dos d’hommes : Mosegi, Teremun avait jeté un voile sur sa brillance.

Halima fut la première à développer cette pensée qui plus tard sera souvent reprise : Layla était la représentation terrienne d’Hathor. Comme si à Memphis, où on l’a vénérait, Hathor s’était emparée de la future pharaonne.

En passant devant elle, Layla jeta un regard paniquée à Halima qui tenta de la rassurer d’un sourire. Finalement, là où tout le peuple voyait la divinité de celle qui allait être couronnée pharaonne, Halima vit l’humaine qui avait grandi à ses côtés. En Layla, Nailah avait toujours une place.

Alors que quelques instants auparavant le peuple clamait de vives voix leur amour pour Layla, tous s’étaient tus en voyant arriver la vieille Ennannaoum. Nanna l’accompagnait, chacun le voyait dans ses yeux éteins. Râ était à présent couché et seule l’estrade où se trouvait le trône était éclairée de quelques bougies. Ennannaoum monta dessus. Devant et encore dans le noir Layla s’agenouilla. Tout le peuple fit de même. Derrière le trône, par la fenêtre, Nanna pointa alors son nez dans le ciel.

Ennannaoum tendit la main et la posa sur la perruque de Layla. Dans un rythme presque musical, la doyenne de la capitale récita ce qu’elle récitait à chaque naissance dans la ville de This. Nailah se tut d’autant plus, les épaules de l’amie d’Halima s’abaissèrent brutalement, comme si un poids tirait les bras de la femme vers le bas, et puis, enfin, Layla, première du nom, leva la tête.

Ennannaoum sourit alors, releva Layla I et indiqua l’assise sous la fenêtre. Elle avança et y prit place. Tout le monde retint son souffle jusqu’à ce que la vieille femme annonce :

« Nanna nous offre son accord, Layla I, première pharaonne du royaume de This, est née. Que son règne soit long et guidé de nos dieux ! »

Un premier cri de femme retenti au milieu de la foule, puis celui d’Halima et de tant d’autres le rejoignit. Layla était pharaonne.







Ce chapitre marque la fin de cette fiction originale, publiée en partie sur le site. En effet, vous n'avez ici que les chapitres concernant directement Layla, mais d'autres sont en écriture et suivront de plus près Teremun. Cette partie je compte la garder secrète et peut-être qu'un jour vous la verrez autrement... Ahah que de suspens ! Bref, j'espère vous avoir divertie le temps de quelques chapitres. A très vite !

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