Emerald Tome 1: L'intégrité perdue.

Chapitre 1 : Darkshade

4857 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/07/2020 16:14

Chapitre 1: Darkshade



Du sable, du sable et du sable. Encore du sable. Il y en avait à satiété. Étalant ses couches particulaires à perte de vue. S'insinuant entre des palettes de terres rocheuses au moindre créneau. Il délimitait de petits fleuves à bout de torréfaction, dernières ressources secondaires dont disposait encore la planète Darkshade, leurs minuscules forêts étant complétement éteintes par l'usage abusif. Maintes fois, les Darkshades s'étaient attardés au reboisement. Et maintes fois la terre se montra infertile, les réduisit à une totale dépendance vis-à-vis de la grande étendue sylvestre des Aeïnirs. Maintes reprises, ils vouèrent culte à la déesse Haritra tout suppliant de rendre leur terre féconde. Maintes reprises celle-ci les ignora.


Alors le sable se sentit gagner de confiance. Il tripla et quintupla de volume, jeta ses vagues à l'assaut des hauteurs, rivalisait avec le summum des montagnes quitte à les ensevelir. Il se maria au vent et tous deux dans leurs entrelacements amoureux et bestiales engendraient des tempêtes infernales. Si violentes et hargneuses qu'on les surnomma le Souffle de la mort sanglante. C’est alors que ce dernier se mit à faucher des vies humaines sur son passage. Contraignant les Darkshades à se retrousser derrière un géant Fort élevé par des milliers de bras valides soucieux de la vie du peuple, tout autour de ceux-ci. Tassé, fut le peuple autrefois épars, en un bloc impérial compact perdu au cœur d'un océan de sable. Furieux, le Souffle de la mort sanglante s’écrasait violemment contre la muraille qu'on nomma le Fort Hendriksen. Intolérant à l'obstacle, il redoublait d'ardeur à chaque heurte jusqu’à l'imprimer de fissures tandis que la muraille gagnait en volume de l’intérieur et s’élevait à se délimiter par la voûte céleste. Ils entretinrent cette rivalité assaillant-résistant jusqu’à la lueur d'un jour où, à la prise d'un nouvel essor technologique, un dôme d’énergie brûlante vienne y mettre fin en blindant la couche externe du Fort Hendriksen, le recouvrit tel un géant couvercle imperméable à toute autre matière que le brittanium, un métal qui vit le jour sur la planète des forgerons, le Genesis.




On était aux environs de l'an cinq mille deux-cents quand un chœur de cris s’éleva d'un drone qui flottait à cinq mille pieds au-dessus du centre-ville de l'empire Darkshade. Si tel était que l'empire en soi était une grande ville. La plus grande ville jamais connue, avoisinant la taille d'un continent, tout comme les autres empires des autres planètes d'ailleurs. Elle n'était subdivisée qu'en tous aussi grands districts placés sous l'égide des fils de la lignée impériale. L'empereur lui-même trônait au district central. Lorsque les princes impériaux atteignaient la trentaine d’âges, le peuple Dragon (ainsi qualifiait-on les Darkshades) organisait dans son centre-ville le Tournoi de la couronne où ceux-ci concouraient à déterminer le futur empereur dans des combats sanglants. Et ce, conformément à leur doctrine en vertu de laquelle des mains frêles n'étaient pas à même de gérer un empire. Les mains qui commandent les rouages d'un empire comme le leur, doivent être caractéristiques d'un mâle alpha. Ce tournoi a lieu sur le Titan Galaxya, un drone plutôt propre à être appelé stade au vu de sa structure interne et pouvait contenir jusqu’à quarante mille spectateurs.




Des chants traditionnels s’élevaient des tribunes toutes aussi agitées que les combattants logés sur le ring en contrebas. Une vue promenée sur les sièges spécialement aménagés aux cadres impériaux révélait l'empereur Seth Holl flanqué de part et d’autre de son frère de sang Jules et l'enchanteresse suprême Whitley. Tous les trois braquaient leurs regards sur les deux princes combattants qui s'empoignaient vigoureusement comme des bêtes sauvages. Ces derniers se refaisaient le portrait à coup-de-poing et jets de flammes. Bâtis sur les mêmes définitions physiques pour un corps-à-corps équitable, trois pieds de terre les interdisaient l'un à l’autre. Leurs températures corporelles en prenaient de sérieux coups. Leurs sueurs entraient en effervescence et se dissipaient, en vapeurs fumantes, de la quasi-totalité de leurs torses nus putréfiés du carmin des brûlures. Rappelant à quel point le sang du dragon bouillonnait dans leurs artères en raison de leur faculté héréditaire, le feu. C'était Raiko et Femy, les fils respectifs de Seth et Jules. Des éclairs de sang balafraient leurs visages tuméfiés, à partir du front. Et aucun des deux adversaires ne semblait s'en soucier, ni personne d'ailleurs. Tout ce qui comptait, était de gagner quoiqu’il en coûte. Les combats du Tournoi de la couronne se soldaient parfois de décès lorsque des princes combattants à deux doigts du cercueil ne déclaraient pas vite forfait. Malheur donc au fils unique. Seth et Jules eux-mêmes le savaient pour avoir inopinément éteint les pulsations de cœurs de quelques badluckés cousins dans cette même rixe avant de se retrouver en final où le combat se solda par la victoire de ce premier.


Raiko prit un recul de trois marches, pivota sur son pied gauche, effectua un tour sur lui-même. Puis les muscles d'emblée bandés, il envoya, de sa main droite, une sphère de flammes saluer l’adversaire. Ce dernier eut tôt fait de l'imiter et bientôt les deux boules dorées entraient en collision. Les deux boules de chaleurs n'avaient pas fini de se neutraliser quand Femy vit une silhouette belliqueuse fendre la houle d'explosion corrosive rependue dans l'air en face. Elle niqua la distance qui les séparait en un battement de cil et de ses puissants bras lui pressa les épaules. Trop surpris pour bouger le petit doigt, Femy vit impuissant, un véhément coup de genou lui atterrir sur l'abdomen. Il se plia de martyre et relégua sur le tatami un juron cramoisi. Raiko venait de lui remuer l'estomac. Un nouveau cri d’appréciation leur émana des tribunes fortes animées. Une ouverture, Raiko y trouva l'occasion de conclure le combat. Aussi enchaîna-t-il avec un coup de pied qui allait morceler la tempe de Femy. Mais paraît-il que les princes Dragons n’avaient pas été dressés à brosser la douleur dans le sens des poils. En un temps record, il recouvrit ses repères internes et Raiko vit son coup se faire parer du bras, en plein vol par un retour inattendu de l'adversaire. Ce dernier bondit sur ses pieds et tel un missile le plaqua contre le sol, l'ayant de prime abord saisit par la taille. Raiko sentit la chaleur du tatami lui mordre le dos. Non, loin de là, il ne s'agissait pas du sol en caoutchouc du ring, mais des mains à présent flamboyantes de Femy, qui lui pénétraient les entrailles, d'une brûlure indescriptible. Il serra les dents aussi fort qu'il le pouvait et alla chercher une rédemption de sa main droite par laquelle il martelait du coude, la tête de son assaillant. Mais ce dernier était insensible. Ses mains brûlantes se frayaient déjà un passage dans la chair de sa victime après avoir fondu l’épiderme. Un hurlement de douleur déchira l'air et imposa le silence aux spectateurs. Le cœur de Seth tambourina. Le cri de son fils à l'agonie ne put le laisser de marbre. Son cri devint si fort qu'il lui pénétra les tympans. À lui seul certainement. Il se recroquevilla et se boucha les oreilles. Mais contrairement à ses attentes, la fréquence du son monta d'un cran. Sa vue se brouillait, devenant de plus en plus sombre. Il s'effondra de son magnifique fauteuil, le dos arqué contre le sol, sur les genoux. Jules et Whitley lui viennent en aide. Mais rien n'y fait. Tout autour de lui s'assombrissait tant à ce que sa vue et sa conscience ne s'éteignent dans une obscurité opaque. 


Seth se réveilla en sursaut de son lit, tout frissonnant de ce cauchemar. Ce cauchemar qui revenait sans cesse dans son sommeil. Ça hantait ses nuits à chaque fois qu’il décidait de s’évader dans les bras de Morphée. À quoi bon si le seul vrai moment de détente de tout être vivant devient aussi un enfer ? Il ne cessait de revivre dans ses rêves ce même combat, ce même tournoi. Un tournoi qui d'ailleurs n'avait pas encore eu lieu. Ce combat où à chaque fois, il assistait à la défaite de son fils. Peut-être était-ce un avertissement des dieux. Son fils sur lequel il fonde tout son espoir. Si jamais celui-ci venait à perdre, tous ses projets allaient couler. Et pourtant, c’est ce même rejeton qui aimait lui faire la gueule. Ce fils déjà trop âgé pour la trique familiale. Seth dut endurer ses caprices sans broncher. Un spasme le parcourut alors que son souffle saccadé haletait. De grosses perles liquides baignaient son front. Il grinça des dents. Le froid hivernal assaillait sa chambre par la fenêtre ouverte. Il se leva d'un bond et alla la refermer. Tout avait changé en lui depuis le jour où il rendait visite pour la dernière fois à l’Emerald de l'âme. Il ne traitait plus son peuple de la même manière. Il était devenu plus possessif. Il n'avait plus le même regard sur le monde. Et voilà qu'il se préparait à commanditer une attaque contre les autres planètes. Épris par le désir de s'emparer du restant des autres fragments de l'Emerald, à vouloir devenir un demi-dieu et trôner sur l'univers. Son empire ne lui suffisait plus. Il en voulait plus. Il tendit le bras et son téléphone, posé sur le chevet, vint à lui comme un drone téléguidé. Le saisissant, il en tâta la surface et un écran virtuel se matérialisa dans l'espace. Alors ses doigts se mirent à tripoter un code sur celui-ci.


***


Il sonnait exactement trois heures du matin quand un violent coup de pied défonça la porte de la boîte Grattval dans un quartier du district central. Tout se tut soudainement. Les pouffiasses cessèrent de squatter leurs barres et tous les hommes s’écartèrent du chemin d’entrée. Dans l'air, flottait un reste de senteur alcoolique mêlé d'une passion suave. Un homme barbare bien fichu pénétra la salle, suivit de six hommes de mains. Il était grand, impressionnant par des muscles noueux bien harnachés. Sa cape noire se rebellait et le chapeau style cow-boy préservant son regard de la lumière ajoutait un sinistre timbre à son visage bien velu sur les bords. La gueule mâchouillant une cigarette.




C'était Albafica, le chef d’une mafia aux entreprises peu orthodoxes. On le surnommait le Dragon de la terreur et vous le comprendriez sans doute en voyant les hommes qui tenaient lieu de public à la salle, glacés de trouille et desquels émanaient de chiches jurons à peine audibles comme si ceux-ci craignaient une répression. Il s’avança majestueusement vers le malingre qui tenait le comptoir, suivi de ses hommes. Lorsqu’il parvint à celui-ci, il affligea la plateforme d'un coup sec qui fit frémir Yin Jr. le gérant de la boîte.


—Sers-moi un verre petiot ! Fit-il d'une voix caverneuse.


Yin Jr. hésita de peur un instant puis se lança.


—Tu as promis de me rembourser aujourd’hui toute l'oseille des gorgées dont tu me dois depuis sept mois.


Et il lui montra ensuite un papier d'addition rempli de bâbord à tribord et du haut vers le bas de dettes, qu'il posa sur la table. Le sinistre visage d'Albafica s'assombrit d'un cran. Le pauvre gringalet s'apprêtait à reculer de peur quand la main rugueuse de l'argenté le saisit par le col et le décolla du sol. Lorsqu'il fut hissé à la même hauteur que son bourreau par ce dernier-même, il sentit son haleine fétide et calorifique lui caresser les narines. Il suffoqua puis son expression faciale muta de la peur à la panique. Albafica s'empara, de sa main libre, du papier d'addition et le brûla dans une flamme qui jaillit de sa paume.


—Tu vas vite me servir un verre avant que je ne te brise, souffla-t-il d'un ton macabre.


À cet instant, Albafica put sentir une main aussi moins douce que les siennes, lui prendre l'épaule. Il détourna le regard de sa victime pour s’enquérir de l’auteur. C'était le prince Raiko entre temps dissimulé dans la foule. Celui-ci lui lança d'un ton flegmatique :


—Rembourse ton dû et dégage d’ici en vitesse !


Le mafieux fit mine d'avoir mal attendu. Il laissa retomber lourdement sa victime qui faillit y laisser ses pieds et fit volte-face à l'adversaire. Un sourire malicieux arqua ses lèvres encadrées de barbes argentées par l’âge. Les deux rivaux se défiaient du regard. La tension devint lourde et la foule qui observait le spectacle comprit vite qu'elle était de trop dans cette atmosphère chargée d’électricité. Les hommes entamaient de vider les lieux de peur qu’un air perdu ne vienne mettre fin à leurs séjours sur terre. Bientôt, il ne resta plus que Raiko , Yin Jr. qui se remettait de sa chute ainsi qu'Albafica et sa troupe. Le chef mafieux se décida finalement à briser ce lourd silence.


—Voici un prince (pointant Raiko du doigt), qui a grandi avec un tas de petits poneys, venu me défier moi le grand Albafica alias le Dragon de la terreur, qui fait trembler tout un empire. N'est-ce pas ce mioche qui s'amusait avec de petits ballons gonflables il y a plusieurs années quand je rendais encore visite à l’empereur ?


Cette question souleva une hilarité générale dans la troupe du mafieux. Cependant, Raiko resta indifférent. Aucune ride ne trahissait sa colère. Les princes Dragons avaient appris à se maîtriser en toute circonstance. Il se contenta de regarder son ennemi bavasser sans ciller. Celui-ci se tourna vers lui et reprit :


—Je ne vais pas t’abîmer. Oh non ! Ça ne serait pas digne du grand Albafica de se défouler sur un bambin. Cependant, je vais te calmer pour de bon. Sache que ni ton père et son entourage ne me font peur.


Puis il décrocha un revolver de sa ceinture.


—On va jouer à un jeu toi et moi. Ça s'appelle, le Tire de la mort. Es-tu prêt ?


—Un prince Dragon ne refuse jamais un défi, rétorqua Raiko.


—J'aime ça. Alors je t'explique. On appelle cette arme, un revolver. Ça existait il y a encore deux mille ans, mais c'est devenu rare de nos jours où les pisto-lasers sont d'actualité. Lorsqu'on arme le chien, le verrou se dégage et entraîne via l'élévateur le barillet d'une fraction de tour de sorte à loger une chambre face au canon, puis en fin de mouvement engage le verrouillage du barillet garantissant l'alignement précis avec le canon, tout en tendant le ressort de chien. Un appui sur la détente dégage le bec de gâchette de l'encoche d'armé du chien, qui vient s'abattre sur l'amorce, libérant ainsi une balle de la chambre qui sort du canon en une fraction de seconde seulement. Un air sucré, rien de tel. (Puis se caressant la barbe d'un air sadique) C'est là que les choses deviennent intéressantes. Lors du fraction de tour du barillet dans un sens précis, si la chambre annexée au canon ne contient aucune balle, il ne se passera rien d'autre qu'un "click". Celui-là est un revolver à six coups, autrement dit, six chambres dans le barillet. À présent, je vais vider les balles sur la table et nous allons commencer à nous tirer dessus. Chacun à son tour encochera une balle dans le barillet avant son tir, jusqu'à ce qu'une chambre non vide du barillet soit centrée sur le canon et tue la cible. Tu es libre de placer une balle dans la chambre voulue. Sur ce, je débute.


Ils se dirigèrent vers la table la plus proche et le chef de la mafia vida les balles au milieu de la table puis, prit place sur une chaise face à Raiko, suivi de sa meute qui s'agglutina sur leurs flancs. Il prit l'arme, exorbita le barillet, implanta une balle de brittanium dans l'une des chambres vides puis le tournoya autour de son axe pour garantir son impartialité à l'adversaire. Il recentra le cylindre et pointa le canon du revolver sur le prince Dragon. Le cœur de ce dernier loupa un battement. Il n'y avait qu'une seule chambre contenant de balle, mais il y avait de quoi craindre car une malchance est si vite arrivée. L'amorce pourrait, par le plus grand des malheurs, ajuster la seule chambre non-vide au canon. Une brise glaciale lui suça le dos. Raiko reconnu cette sensation. La sensation de la panique qui, à la limite mortelle, vous glaçait le sang. Albafica arma le chien et pressa la détente.


Il obtint un simple "click". Raiko souffla de soulagement. Mais c'était encore trop tôt pour se réjouir. Si jamais il ratait Albafica à son tour, il ne restera plus que trois chambres vides et dans ce cas, un malheur est si vite arrivé. Albafica lui glissa l'arme. Le prince s'empara du revolver, imita les préparatifs de son adversaire, pressa la détente sans broncher et obtint le même résultat : le fameux "click" qui montrait que l'amorce avait heurté une chambre vide. Ils continuèrent ainsi jusqu'à ce qu'il ne resta plus que deux balles sur la table tandis que les deux concurrents, par une chance qui manifestement était prépondérante aujourd'hui, étaient toujours debout sans blessure.


C'était au tour d'Albafica. Il prit l'arme tout triomphant et ajouta l'avant-dernière balle dans le barillet. À présent, il n'y avait qu'une chambre vide. Toutes les cinq chambres restantes étaient chargées. Il n'y avait aucune chance que l'amorce centre cette seule chambre vide. Du moins, ce que pensa le mafieux. Pas question de louper l'adversaire. Il pointa le revolver entre les deux yeux de Raiko. Ce dernier, malgré la brise hivernale qui houlait dans la boîte, transpirait à grosses gouttes. C'en était fini de lui. C'est ainsi donc qu'il allait mourir ? Une chance ? Non, il n'y croyait plus. Il avait désormais une chance sur six qu'Albafica le rate. Son cœur battait la chamade. Il forçait les parois de sa cage thoracique comme s'il voulait en sortir. « Par la barbe de Fiscoluca, pourquoi ai-je accepté ce défi ? » se disait-il intérieurement. Il serra les poings sur la table pour contenir sa peur. Si c'était vraiment l'heure, il s'en irait tout simplement. De toute façon, il avait déjà marre de ce monde gâté et pourrie. Un sourire lugubre anima les lèvres du tyran. Il actionna la détente et une magnifique…


Ou plutôt c'était un magnifique "click" qui lui répondit. Son cœur loupa un battement. Ce fut au tour de Raiko d'adopter un sourire lugubre. Le match était payé. L'amorce par une chance des plus surprenantes, avait ciblé la seule chambre non chargée. La main d'Albafica trembla pour la première fois de son existence. Raiko prit la dernière balle et attendit qu'Albafica lui glisse le revolver pour qu'il mette fin à ses jours. Le Dragon de la terreur était terrifié. Cette fois, c'était bien fini. Raiko allait charger la dernière chambre restante et l'envoyer siester éternellement dans un cercueil. Il tendit lentement la queue de l'arme vers lui. Tellement lentement qu'on croirait qu'il profitait de ses dernières secondes sur terre. Raiko savait qu'il avait remporté la partie mais une chose l'en dissuadait. Il ne savait pas quoi exactement. En temps normal, Albafica lui aurait glissé tout simplement le revolver. Mais là, il le lui tendait carrément. C'était louche. Dans son regard, Raiko lisait une imminente trahison. Il approcha néanmoins une main circonspect vers l'arme. L'atmosphère frisquette de la salle s'empreint de paroxysme.


Il ne restait que quelques minimes centimètres qui séparaient la main du prince au revolver. Le trentenaire le bondit soudainement à l'assaut de l'arme, mais Albafica encore agile malgré son âge le replia sur lui. Il actionna le chien et pressa la détente. Raiko, qui s'attendait déjà à cette trahison, saisit le bord de la table, de sa main en retrait et ce fut la surface d'acier que la balle de brittanium perça avant de se clouer au mur, épargnant de justesse le prince Dragon. D'un coup de pied impétueux, ce dernier frappa l'intérieur de la table déjà retournée sur la verticale, laquelle alla ôter violemment Albafica de sa chaise, le faisant chavirer vers l'arrière. L'arme lui échappa des doigts dès qu'il goûta la solidité du sol et glissa sous une table voisine.


—Camarades, hurla-t-il, mettez-moi ce gueux en fricassé.


Six tranchants scintillèrent au vif des gyrophares. Les sbires du mafieux brandissaient tour à tour leurs dagues à l'assaut de Raiko. Très agile, il les évita les uns après les autres. Puis revint à la charge, un des sbires. Le prince Dragon s'écarta sur le flanc de la main porteuse du coup de son adversaire et lui saisit le bras au passage. Puis d'un puissant coup de coude, le lui brisa. Le sbire hurla de douleur et laissa choir sa dague, laquelle s'empara Raiko pour lui taillader profondément la moelle. Il s'écroula sur le sol. Pendant ce temps, Albafica farfouillait les lieux pour retrouver son revolver. Il retournait les tables et les chaises les unes après les autres sans succès avant de l'entrapercevoir brusquement sous une table voisine. Il se rua dessus, mais sentit une force le plaquer contre le sol. C'était Raiko, venant de mettre hors d'état de nuire le dernier sbire, qui se jeta ainsi sur lui. L'assaillant le retourna promptement par le col et l'affligea d'un coup-de-poing qui lui arracha la cigarette de la gueule puis, souple comme un poisson, parvint à la table abritant l'arme, d'une roulade avant simple. Il se saisit de celle-ci, recentra le cylindre exorbité pas la chute. Il se préparait à terminer le défi quand le taser d'un sbire qui achevait de recouvrer ses sens, le prit de revers. Il convulsa sous la décharge électrique et l'arme lui échappa des mains. Sa vue s'embruma en un instant. Un autre serait tombé dans les pommes, mais jamais un prince Dragon. Il serra les dents et se rattrapa sur ses genoux, les mains tremblotantes lui servirent d'appui contre le sol.


Le sbire triomphant s'approcha de lui pour le pourfendre. Il n'eut pas cette bonne fortune, car une chaise lui morcela la nuque. Il tomba lourdement au sol prêt de Raiko qui se recouvrait progressivement. Les membres engourdis par l'électricité, il tourna difficilement la tête pour voir une main affable qui lui était tendue. Cette main si familière, il l'avait reconnue. C'était celle de Femy, venue l'assister. Raiko l'empoigna et son propriétaire le tira d'un coup sec du sol, le remettant sur ses pieds qui peinaient à encaisser. Albafica profita de ce moment d'entrevue entre cousins pour se saisir du revolver. Il le pointa sur les deux trentenaires foudroyés de frousse. Un nouveau calme s'apprivoisa l'air. Un sourire de victoire s'éprit de ses lèvres. Le sourit de la victoire, l'œil givré de sadisme face aux princes désarmés. 


—Finit de jouer !


Il pressa la détente et obtint un nouveau "click". Sans décourager, il ressaya encore et encore, mais obtint le même résultat. Un revolver peut ne pas tirer l'air sucré tant attendu suivant le mécanisme précédent s'il arrivait que la chambre annexée au canon soit vide d'autant puisqu'il y manquait deux balles : la balle tirée sur le mur et celle que Raiko avait ramassée pendant le défi. Mais jamais au grand jamais lorsque vous pressez par dix fois la détente. Il excentra une nouvelle fois le barillet pour s'enquérir de ce qui n'allait pas et put constater amèrement que le cylindre était vide. Les trois compères étaient glacés de stupeurs. C'est alors que Raiko se rappela que lorsqu'il avait pris le revolver sous la table, le barillet était excentré. Mais avait-il pris la peine de vérifier si celui-ci contenait encore de balles ? Sans doute non, trop emporté dans le fruit de l'action. Le barillet avait sans doute craché les quatre balles restantes lorsque le revolver eut chuté. Albafica se plia pour vérifier le dessous de la table où son ennemi eut ramassé l'arme entre temps et y vit ce qui manquait à son revolver. De petits traits de brittanium y scintillaient. Il se baissa plus, pour les ramasser quand un raie laser lui perfora la jambe. Surclassé par la douleur, il renonça à son dessein et se tortilla.


Le duo de princes en comprit l'auteur lorsqu'il aperçut Yin Jr. , Les mains tendues équipées d'un pisto-laser. Raiko voulut se ruer sur le vieillard agonisant pour l'étreindre mais fut stoppé net par la main de son cousin.


—Non, il n'en vaut pas la peine. Il y a plus urgent.


— Je sais, reprit Raiko.


—Et que foutais-tu ici ?


—Est-ce un crime de vouloir se changer les idées avant l'heure ? Qu'est-ce que toi aussi, tu fous ici ?


—Je suis venu te chercher pour les préparatifs et j'ai sauvé ta tête de mule au passage. Tu me remercieras plus tard. Pour l'instant, barrons-nous d'ici.


Femy le traîna hors de la boîte et tous deux disparurent dans le crépuscule du jour par une voiture volante.


***


Le jour s'était complètement éveillé et Exodus trônait dans les cieux. Au district central, loin à deux cent-pieds, en haut d'une balustrade se trouvait l'enchanteresse Whitley, flanquée de part et d'autre de Femy et Raiko, tous vêtus de kits militaires. Elle haranguait un houleux essaim de soldats masqués qui s'étalait à perte de vue sur le sol en contrebas, tapisser dans le gris-albâtre de la neige. Lorsqu'elle eut fini, elle leva son glaive vers le ciel et le peuple de sentinelles l'imita. Un chœur de détermination fendit l'air. Très loin, à l'horizon des autres quartiers généraux, des milliers de vaisseaux de guerre du peuple Dragon s'élevaient déjà dans le ciel et traversaient le dôme d'énergie qui n'était perméable que de l'intérieur.


Dans son palais, l'empereur Seth Holl était agenouillé, tête baissée devant la pierre de l'âme, les mains nouées autour de la manche cruciforme de son épée dont la pointe piquait le sol marbré. Son armure dorée luisait sous les rayons blancs lumineux d'Exodus, qui squattaient les fenêtres ouvertes. Il sentit des pas se rapprocher. Il se tourna pour voir Jules, son frère.


—Es-tu sûr de ce que tu comptes faire ? On a toujours vécu en harmonie, et ce, pendant des siècles et millénaires. Personne n'est obligé de jouer au jeu du dieu de la…


—Si, coupa Seth qui détourna dès lors le regard afin de reprendre sa posture. Regarde autour de toi, nos sources sont presque taries. On a plus du tout de forêt, nous n'avons presque plus de ressources secondaires. Nous ne pouvons pas rester indéfiniment dépendant des autres planètes.


—Il y a d'autres solutions.


—Non, il n'y a pas d'autres solutions. Je me bats juste pour la gloire…


—Qui nous mènera vers l'hécatombe, compléta Jules. Tu es devenu fou. Tu ne sais plus ce que tu fais.


—Oh que si, mon cher frère. Je sais très bien ce que je fais. Tu me remercieras plus tard lorsqu'on se sera emparé des six Emeralds manquants. Pour l'instant, tu ferais mieux d'aller te vêtir comme un guerrier et de te déterrer ta hache de guerre. On part dans un instant.


—Non merci, mais ça sera sans moi. Il est encore temps d'abandonner cher frère.


—Un dragon, une fois crachées, ne ravale plus ses flammes.


À cet instant, un jeune soldat entra dans la pièce. Visiblement trop jeune pour l'armée.


—Quelles sont les nouvelles ? Rhetys. Demanda l'empereur sans tourner le regard.


Le jeune homme encore imberbe s'inclina sagement devant les deux hommes et répondit :


—Nos hommes sont prêts, votre majesté.


—Bien bien, fit Seth en se relevant. Que la danse commence donc.




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