MÉMORIA ZÉRO - TOME 1

Chapitre 10 : PHANTOM

4298 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/06/2021 14:54

La pluie avait cessé pendant la nuit. Une légère brise charriait un mélange de terre encore humide et d’effluves subtils de chair carbonisée. Les rues vides et silencieuses s’animeraient dans quelques heures.

Tandis que le ciel se teintait d’un doux dégradé pastel, Kyeran méditait, assis sur un toit. Il profitait de cette accalmie matinale pour se recueillir auprès des âmes dont la flamme s’était éteinte trop tôt. Des images d’enfants décédés la veille dans les bras de leurs parents le hantaient et son cœur se pinça alors qu’il adressait une prière silencieuse à l’attention d’Yldrarth. Bien qu’il ignore si sa déesse lui répondrait, son obstination à vouloir exprimer sa peine l’incita à continuer.

Il avait beau ne pas apprécier les humains, des larmes inattendues brouillèrent sa vue. Peu importe l’espèce à laquelle appartenait la progéniture, chez les Dragyans, elle était ce qu’il y avait de plus précieux au monde. Et ce triste événement n’avait pas manqué de lui rappeler la douloureuse perte de ses deux cadets. Toutefois, malgré son sentiment d’impuissance face à cette fatalité, une étincelle de détermination continua de pulser en lui et de le maintenir à flot. Le navire insubmersible du nom de Kyeran n’avait pas encore sombré et tant que sa rédemption ne serait pas accomplie, il poursuivrait sa lutte acharnée contre le Fléau.

— Hé ! Tu viens ? On y va ! l’appela la voix de Sköll.

Au pied de l’immeuble, son ami venait de terminer de ranger les affaires dans la fourgonnette et l’invitait à le rejoindre. Il se redressa et d’un bond, sauta du toit avant de se réceptionner avec souplesse sur le sol humide. Quand il arriva au véhicule, aucun de ses deux partenaires ne le questionna sur sa morosité. Ils avaient compris.

Le voyage se déroula dans le plus grand des silences. Hayato s’était assoupi et Sköll dirigeait ses gastérios à la baguette. Pendant ce temps, Kyeran regardait le paysage défiler avec lassitude. Il allait devoir rester encore plusieurs jours à Solsti pour mener à bien la mission confiée par Bolkiah, mais sa motivation s’était volatilisée.

Une demi-heure de trajet plus tard, ils arrivèrent dans la grande ville. Contrairement à Zapornia, ses rues étaient tout sauf accueillantes. Les façades noircies par la poussière des mines de charbon voisines rendaient cette vieille cité industrielle triste et monotone. Au moins, le passage de quelques véhicules ainsi que le sifflet lointain d’un train à vapeur apportaient un semblant de vie.

Ici, pas de belles maisons en bois ou en pierres de taille, pas de jardins luxuriants ou de parcs arborés. Seuls des blocs en briques rouge sale, tous identiques et parsemés de fenêtres blanches, s’alignaient à l’infini le long des boulevards ; apparence typique des habitats miniers.

La population locale n’était guère plus charmante. Son tempérament d’ordinaire taciturne s’était accentué depuis que le Fléau ravageait la région. À présent, les ouvriers devaient, en plus de passer leur journée à suer sous terre, se calfeutrer chez eux. Ce mal sournois effaçait peu à peu toute trace d’interaction sociale et cela empirerait lorsque le couvre-feu s’appliquerait dans tout le pays d’ici quelques semaines.

Un bâtiment esseulé attira l’attention de Kyeran. Il dénotait du reste des habitations par un aspect plus récent et mieux entretenu.

Il tapota l’épaule de Sköll.

— Tu peux t’arrêter ?

Son ami s’exécuta et tira sur les rênes. Les deux gastérios ralentirent leur course en piaillant de protestation et la fourgonnette s’immobilisa.

Le livreur releva ses lunettes de conduite, puis haussa un sourcil.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as vu quelque chose ?

Kyeran lui désigna alors la boutique de motos qu’il venait de repérer et une lueur émerveillée traversa le regard de son acolyte.

— Je viens avec toi !

— Et Hayato ?

Ils jetèrent un œil par-dessus la banquette et constatèrent le Vulpian toujours endormi, recroquevillé et camouflé sous son épaisse queue touffue.

— Il a vraiment passé une sale nuit, ricana Sköll.

Avec des sourires amusés, ils quittèrent la fourgonnette pour se diriger vers l’objet de leur convoitise. L’enseigne de couleur jaune où était écrit Léon Moto en grosses lettres rouge vif attirait facilement les regards et juste devant la vitrine étaient garées plusieurs véhicules.

Kyeran en avait croisé à plusieurs reprises en ville et ces incroyables créations humaines l’avaient toujours intrigué. Il s’en approcha pour les observer de plus près.

Toutes les motos se ressemblaient, à quelques ornements près. Elles se composaient d’une carcasse en acier recouverte d’un carénage aérodynamique portée sur deux ou trois roues. De chaque côté du pneu arrière ressortait une rangée de deux ou quatre tubes d’échappement chromés selon la puissance et le gabarit du moteur.

Il jeta un œil sur Sköll. Son ami se pâmait devant un modèle d’un rouge rutilant.

— Pourquoi tu ne revends pas tes deux oiseaux et ta fourgonnette pour t’en acheter une ?

— J’aimerais bien, mais je fais comment pour bosser, après ?

— Ah oui, je n’avais pas pensé à ce détail, effectivement... mais pour emmener Angel en balade, ce serait la classe, non ?

Sköll le fixa d’un air hésitant.

— Ouais, tu as peut-être raison, je me laisserais bien tenter. Combien ça coute ces petites merveilles ?

Il se pencha vers la calandre où était suspendue une étiquette descriptive ainsi que le tarif. Ses yeux faillirent sortir de ses orbites.

— Neuf mille cinq cents doublons ?! s’étrangla-t-il. Laisse tomber... je n’ai pas une somme pareille sur moi...

Dépité, il soupira, les épaules basses, et se laissa choir sur le rebord du trottoir. Kyeran le dévisagea avec un sourire peiné et reprit son observation. Un des véhicules, équipés de trois roues, finit par capter son attention. Guidé par un étrange instinct, il fit glisser ses doigts sur les courbes lisses et douces du carénage.

La teinte bleu sombre incrustée de paillettes scintillantes lui rappelait la couleur de ses écailles lorsqu’il se transformait en dragon. Elle étincelait comme le ciel d’une nuit d’été. Différentes pièces en néridium poli – un métal brillant et très résistant – tranchaient avec la peinture et protégeaient les divers composants mécaniques.

Cette moto éveilla en lui une émotion indescriptible, comme s’il se retrouvait face à son alter ego en version technologique. Peut-être était-ce là un signe du destin ? Ce chef-d’œuvre aux allures futuristes était un véritable coup de cœur, il ne pouvait laisser pareille occasion lui passer sous le nez. Si ce modèle coutait deux mille doublons plus chers que celui que Sköll désirait, cela ne le dissuada pas pour autant. Grâce aux primes économisées lors de ses nombreuses missions, il pouvait se permettre une folie.

— J’vois qu’ce modèle te plaît, p’tit gars ! Tu as très bon goût !

Kyeran sursauta et se redressa. Sköll l’imita. Face à eux, un homme de forte carrure coiffé d’une crête de cheveux rouge et les bras entièrement tatoués les dévisageait avec un grand sourire. Si Sköll observait le nouveau venu d’un air méfiant, Kyeran approuva ses dires.

— C’est vrai qu’elle est superbe.

— Je te l’fais pas dire ! s’extasia l’individu avant de lui tendre sa paume. J’m’appelle Léon et j’suis le proprio de ce magasin.

Kyeran lui serra la main de bon cœur tandis que Sköll s’exécutait avec plus de réserves. Léon se rapprocha ensuite de l’engin et tapota la selle en cuir.

— Si tu la prends, ce s’ra un très bon choix. Y a pas mieux que les Phantoms Z1 en matière de robustesse et de performance.

— Les Phantoms Z1 ? répéta Kyeran, perturbé par son curieux accent.

— Ouais, c’est le nom de c’modèle et celle sur laquelle ton pote est en train d’baver, c’est un modèle plus ancien, une Vortex 3000. Tu veux l’essayer ?

Ses lèvres tressaillirent face à cette proposition alléchante et il hésita. Le désir lui brûlait les doigts, mais une forme d’appréhension l’empêchait de l’assouvir. Il n’avait jamais conduit un tel engin et n’était pas certain d’y arriver.

— Vas-y, essaye-là ! l’encouragea Sköll.

Après quelques secondes de réflexion, il chevaucha le trois-roues.

— J’vais te montrer comment ça marche, c’est pas compliqué.

Sous son regard attentif, Léon s’empara d’un câble branché au côté gauche du guidon avant d’en pointer l’extrémité terminée par une sorte de bracelet en métal. Il le lui clipsa autour du poignet tout en continuant ses explications.

— Ceci est un transmetteur de flux d’éther. C’est c’qui permet de transférer ta magie dans l’moteur. Il l’absorbe et la convertit ensuite en carburant.

Kyeran écarquilla les yeux, de plus en plus intrigué.

— Ce n’est pas un peu dangereux comme procédé ? intervint Sköll, l’air inquiet. Enfin, je veux dire, on ne risque pas de se retrouver vidé de notre énergie ?

— Non, ça consomme peu une fois lancé, mais faut quand même prévoir une bonne dose d’éther pour l’démarrage.

Léon pointa aussitôt du doigt un gros réservoir situé entre les jambes de Kyeran.

— Quand tu roules, l’énergie se stocke dans l’accumulateur juste ici. Quand c’est plein, elle tourne en boucle et se recycle. Donc en gros, ça tombe pas en panne et heureusement, sinon personne n’achèterait d’voitures ou d’motos !

Convaincu par ces explications, Kyeran se ragaillardit et resserra sa prise sur le guidon, bien déterminé à tester cette incroyable technologie. Tous ses muscles se tendirent à l’extrême et son sang bouillonna d’impatience. S’il respectait les recommandations du commerçant à la lettre, tout devrait bien se dérouler.

— Comment la démarre-t-on ?

— Appuie sur le bouton rouge de ton bracelet.

Une fois activée, la moto hoqueta, cliqueta, puis ronronna avec douceur. Il s’étonna de la faible sonorité émise par le moteur, mais à peine avait-il démarré qu’un léger vertige l’assaillit. Une sensation de faiblesse le saisit et des étoiles dansèrent devant ses yeux. Il faillit vaciller, mais Léon le retint juste à temps.

— Désolé ! J’ai oublié d’te préciser que plus la magie du conducteur est puissante et plus le véhicule en absorbe pour démarrer. C’est vrai qu’ça fait bizarre la première fois, mais on s’y habitue vite.

— C’est vrai que c’est assez... déroutant.

— N’est-ce pas ? Alors, pour mett’ les gaz, t’appuies sur la pédale de droite et pour freiner, c’est celle de gauche. Vas-y doucement, car c’est sensible et réactif c’te bête-là !

Après avoir assimilé les précieux conseils, Kyeran se tourna vers son ami.

— Tu veux monter avec moi ?

Sköll secoua la tête avec un rictus narquois et recula d’un pas.

— Surtout pas ! Je tiens à la vie !

Le Dragyan leva les yeux au ciel et préféra ignorer sa ridicule allusion pour se focaliser sur son but.

Tant pis pour lui, il ne sait pas ce qu’il rate.

Les mains ancrées au guidon, il écrasa un peu trop l’accélérateur et ce fut là sa grossière erreur. Le moteur rugit et la roue arrière patina sur le bitume dans un grand nuage de fumée. La moto se cabra avant de se propulser droit sur la route. Envahi par la panique, Kyeran tenta de stabiliser la nervosité de l’engin. En vain. Jusqu’à ce qu’un élan de lucidité lui commande enfin de relâcher la pression sur la pédale. La Phantom ralentit alors sa course effrénée et s’immobilisa au bout de quelques mètres.

Déboussolé par cette subite péripétie, Kyeran resta figé sur le véhicule et mit de longues secondes à retrouver une respiration régulière tandis que son cœur martelait son torse à une vitesse folle. Il voulut esquisser un mouvement, mais ses jambes tremblantes refusèrent d’obtempérer. Derrière lui, le bruit de deux paires de chaussures foulant le sol le sortit de sa confusion.

— Hé ! Ça va ? J’t’avais dit d’y aller doucement !

Léon l’observait, les sourcils froncés, tandis qu’à ses côtés, Sköll ricanait, hilare.

— Ça, ce n’est pas faute de lui avoir expliqué, mais faut toujours qu’il en fasse qu’à sa tête. Vous comprenez maintenant pourquoi je n’ai pas voulu monter avec lui ?

Le commerçant hocha la tête avec une moue contrariée et Kyeran fusilla son ami du regard.

— J’ai fait un mauvais départ, c’est tout, mais je ne m’avoue pas vaincu.

— Après la frayeur que tu viens de t’infliger, tu veux vraiment recommencer ? s’étonna le coursier.

— Pourquoi pas ?

L’incrédulité se lut sur les visages des deux humains, ils ne semblaient pas très convaincus. Bien déterminé à leur prouver ses capacités, Kyeran souffla pour chasser ses tensions. Il replaça la Phantom en bonne position et fit face au sud, là où une grande ligne droite en direction de Kisava longeait un immense lac. Il n’y avait rien de mieux pour tester ce bolide de manière optimale.

Il sortit ses lunettes de protection de sa poche et les ajusta sur son visage, puis se tourna vers ses deux spectateurs. Si Léon l’encourageait d’un levé de pouce, Sköll effectuait un signe de prière. Excédé par le pessimisme de son ami, il secoua la tête et se concentra sur l’horizon.

Il suffit d’y aller tranquillement.

Cette fois, il dosa l’appui de son pied sur la pédale et la Phantom s’élança sans embardée. Au bout de plusieurs minutes de cadence stable, il se sentit plus sûr de lui et décida d’accélérer. La vitesse réveilla en lui ses profonds instincts primaires et son cœur exulta de joie au simple contact du vent le fouettant de toute part. Comme n’importe quel membre de la famille des dragons, Kyeran était né pour voler et sur sa Phantom, il avait l’impression de retrouver cette sensation.

Le paysage défilait à un point tel qu’un humain aurait été incapable de discerner le moindre détail et avec sa vision plus aiguisée que celle d’un aigle, il percevait le plus petit grain de sable sur le bitume. Enfin, il ralentit, puis effectua un demi-tour contrôlé. Cette nouvelle tentative s’était avérée bien plus fructueuse que la première et il fut satisfait de ne pas être resté sur un échec.

Au loin, Solsti n’apparaissait plus que comme une infime tache sombre perdue à l’horizon. Il ne s’attarda pas davantage et reprit le chemin du retour sur une cadence plus énergique. En cinq minutes, il arriva devant la boutique. Sköll et Léon l’attendaient avec des visages enthousiastes et le premier dut admettre qu’il avait eu tort de se moquer.

— Alors ? Qu’est-ce que t’en dis ? lui demanda le commerçant avec un grand sourire.

Il n’eut pas à réfléchir bien longtemps. La Phantom l’avait conquis.

— Et bien, je vais vous la...

Ses mots moururent entre ses lèvres lorsque le hurlement strident d’une femme en provenance d’une ruelle voisine retentit. Les trois hommes pivotèrent en direction des cris.

— Merde ! C’est quoi ça ? grogna Sköll, la mine blême.

 Kyeran réagit au quart de tour et, guidé par son instinct, redémarra. Il ne maîtrisait pas encore sa Phantom, mais il devait intervenir. Il écrasa l’accélérateur et des flammes bleues crachèrent au dehors des échappements dans un vrombissement assourdissant. Le large pneu arrière crissa sur le bitume, puis la moto se propulsa droit vers l’origine de l’agitation.

S’il réussit cette fois à dompter la nervosité de son véhicule, son freinage resta hasardeux. Il appuya trop fort et la Phantom s’immobilisa dans une violente ruade. Déséquilibré, Kyeran manqua de basculer par-dessus celle-ci, mais heureusement, le câble relié au transmetteur le retint. Ignorant son état fébrile, il se dépêcha de débrancher le bracelet, coupa le contact, puis s’élança vers l’origine des cris.

Au détour d’une rue, un homme en pleine mutation du Fléau attaquait une jeune femme. Son stade était déjà bien avancé et son corps noirci commençait à se déformer. Ses yeux rouges dénués d’humanité brillaient d’une lueur malsaine au fond de ses orbites tandis que ses mains décharnées griffaient les chairs de sa victime. Autour de cette horrible agitation, des habitants pétrifiés par la peur s’étaient massés sur le perron de leurs maisons et n’osaient pas intervenir.

Kyeran invoqua son Alphübel depuis sa T020-Z. Celle-ci se matérialisa dans sa paume droite en un halo luminescent et il bondit sur son adversaire. Il visa la tête, mais au moment où l’épée s’apprêtait à trancher les chairs, une détonation retentit et le crâne du mutant explosa dans un fracas d’os brisé. L’exterminateur se retrouva aspergé d’un mélange sanguinolent à base de cervelle broyée tandis qu’une voix criarde s’extasiait derrière lui.

— Joli coup, Denox ! On ne l’a pas loupé !

Pendant qu’il débarrassait son visage souillé par l’immonde mixture organique, Kyeran entendit des pas se rapprocher de lui et quand il se retourna, ses sourcils se haussèrent d’étonnement.

Face à lui s’avançaient un Vulpian de petite taille et un colosse équipé d’un lourd fusil de précision. Il n’aurait su dire si le premier était un mâle ou une femelle, le parfum capiteux qui se dégageait de lui brouillait son odorat et sa physionomie androgyne portait à confusion. Néanmoins, il se démarquait d’Hayato par des oreilles plus effilées et une queue moins touffue parsemée de fines rayures brunes sur un pelage beige. Quant à son acolyte à la peau sombre, ses yeux ambrés et sa queue terminée par un plumeau de poils noirs trahissaient son appartenance à la race des Minotaures. Ces créatures pouvaient elles aussi adopter une forme humaine.

Cependant, ce ne fut pas leur apparence physique qui l’intrigua, mais leur tenue vestimentaire. Ils portaient tous les deux l’uniforme de l’armée impériale avec sur leur manche gauche, le brassard des exterminateurs : deux épées croisées dans un cercle étoilé.

— Qui êtes-vous ?

Les oreilles pointues du Vulpian se dressèrent au-dessus de sa casquette et sous sa visière, ses prunelles de bronze en amande s’illuminèrent de fierté. Il effectua le salut réglementaire militaire avant de se présenter avec une voix exagérément grave.

— Je suis le lieutenant Riyo Jax. Section d’extermination de l’armée impériale. Vous êtes... ?

— Nexus de la guilde des Alliés de la Nuit. Section d’extermination du secteur A, zone Ouest, répondit Kyeran tout en lui rendant son geste.

Le soldat le fixa d’un air pensif, puis s’avança tandis qu’il dégainait un curieux objet de forme cylindrique.

— Le secteur A est plutôt calme en ce moment, vous ne devez pas être trop débordé, j’imagine...

Jax appuya sur le bouton de son étrange artéfact et un rayon lumineux rouge vif en surgit. Kyeran haussa les sourcils. C’était une épée photonique. Il avait déjà vu la claymore de Brett par le passé et ces armes de dernière génération l’avaient toujours intrigué. Sa fascination s’arrêta lorsque le Vulpian brandit la sienne droit sur lui. Il n’eut pas le temps d’esquiver. Un vent torride lui frôla la joue et quelques mèches de ses cheveux sectionnés volèrent au passage. Le bourdonnement sourd provoqué par la course infinie des atomes d’éther en fusion lui chatouilla l’oreille.

Toutefois, aucune douleur ne le saisit et il comprit alors que ce n’était pas lui que le soldat visait. L’épée s’était arrêtée sur un obstacle situé juste derrière lui et quand il hasarda un coup d’œil par-dessus son épaule, son sang se figea dans ses veines. La femme qu’il avait tenté de sauver se tenait debout, le visage tordu dans un rictus de souffrance, la lame luminescente plantée dans une orbite.

Jax la retira et l’humaine s’effondra lourdement au sol, auréolée d’une mare écarlate.

Kyeran resta muet, la mâchoire tremblante, mais bientôt, sa stupeur laissa place à de l’indignation.

— Pourquoi est-ce que vous avez fait ça ? Elle n’était pas infectée !

Le militaire le fixa, les sourcils froncés alors qu’il rejoignait son collègue posté en arrière.

— Qu’est-ce que vous en savez ? Je n’ai pas le temps de faire de cas par cas. Tous ceux qui sont en contact de près ou de loin avec le Fléau doivent être éradiqués. Simple question de sécurité.

— Simple question de sécurité ? répéta Kyeran, les crocs serrés. J’aurais tout entendu...

— Je ne fais qu’exécuter les ordres, se justifia le Vulpian en rengainant son épée, et vous pouvez vous estimer heureux, car j’aurais dû vous éliminer, vous aussi, mais...

Jax allait continuer d’argumenter, mais des exclamations lointaines l’interrompirent.

Kyeran se retourna et aperçut Sköll suivi d’Hayato courir dans sa direction.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? s’écria-t-il avant de jurer face aux deux cadavres dans un sursaut. Oh, bordel de merde !

— C’est toi qui as fait ça ? s’enquit Hayato, le regard encore embrumé de sommeil.

— Non, c’est ces types, là...

Hayato reporta son attention sur le binôme et plus particulièrement sur le Vulpian. Sa queue se hérissa et ses oreilles s’aplatirent tandis que Riyo Jax adoptait la même attitude. Ils se toisèrent en grognant pendant un long moment. Leurs mimiques différaient guère de celles des vrais canidés et ni l’un ni l’autre ne semblait vouloir céder.

Kyeran décida d’intervenir pour ne pas envenimer la situation.

—Yato, calme-toi. On s’en va.

Le corps de son partenaire se détendit. De son côté, Jax s’apaisa à son tour et détourna le regard lorsqu’un groupe de soldats le rejoignit.

— Lieutenant ?

— Nettoyez-moi ça, leur ordonna-t-il en désignant les cadavres d’un coup de menton, et retournez ensuite faire votre ronde.

Les larbins obéirent et, munis de grands sacs noirs plastifiés, s’exécutèrent aussitôt à débarrasser la zone des dépouilles. Cette scène déconcerta Kyeran. Il avait toujours agi selon un protocole bien défini, et voir ces exterminateurs exercer différemment de lui le perturbait. Il préféra ne pas s’éterniser sur les lieux et rebroussa chemin vers sa moto, suivi de ses deux amis.

— C’était qui ce type ? grogna Hayato.

— Le lieutenant Riyo Jax, exterminateur au compte de l’armée impériale.

— Jamais entendu parler...

— Moi non plus...

— Hé ! les interpella une voix familière.

Assis sur la Phantom, Léon les attendait.

— Rien de cassé ?

— Non, tout va bien.

— C’est déjà ça, mais... tu es tout crade, lui fit-il constater avec une grimace dégoûtée. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Kyeran s’observa tout en haussant les épaules avant de lui expliquer toute la scène. Léon fronça les sourcils.

— C’est moche c’qui vient de s’passer. Malheureusement, c’est comme ça presque tous les jours, dans l’coin.

Un silence pesant régnait autour d’eux et seul le souffle mélancolique du vent leur parvenait. Les habitants étaient tous rentrés chez eux. Par moment, des regards furtifs se glissaient derrière un rideau relevé.

Kyeran tapota la calandre de la Phantom.

— Onze mille cinq cents doublons, c’est bien ça ?

— Hein ? Euh... oui ! sursauta Léon.

— Je vous l’achète.

 


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